Son ouïe, une fois de plus, lui a sauvé la vie. La balle n’a fait que déchirer sa chair, déchirer son muscle, pénétrer sans traverser son organisme, sans causer de dommages irréparables ou mortels dans les plus brefs délais. Et si la plaie saigne, Harvey sait que les choses auraient pu être bien plus grave. Et que les choses risquent de le devenir, aussi, s’il ne trouve pas un moyen d’extraire le corps étranger dans les plus brefs délais. La vie, ce n’est pas comme dans les films où une blessure à l’épaule équivaut en règle générale à guère plus qu’une écorchure pour le héros. Et son ouïe, une fois de plus, lui a sauvé la vie. Pour un temps.
Un sifflement, l’écho d’un tir, l’écho d’une balle qui lui a glacé le sang, ses réflexes qui ont réagi avant qu’il ne les comprenne, son instinct qui a pris le dessus, qui a pris les commandes de son être : s’il n’avait pas pivoté à cet instant, son épaule n’aurait pas été touchée : la balle l’aurait cueilli dans la nuque, dans la poitrine, dans la tête. Et il ne serait pas en train de courir, une main serrée contre sa plaie, déjà poisseuse d’un sang trop abondant, à la recherche d’un endroit où se planquer et d’attendre que les choses ne se calment. Peuvent-elles réellement se calmer ? Harvey en doute, son coeur bat à ses tempes tout comme les rythmes de ses pas, il est tenace, le mutant, mais il est en fuite, et sa blessure, même si elle est loin d’être aussi grave que ce qu’elle aurait dû l’être, commence à se faire ressentir. Son bras est engourdi, sa main peine à assurer sa prise autour de son propre flingue, il cherche de ses oreilles le souffle accéléré du chasseur et regrette, pour une fois, d’avoir préféré la rue à la chambre qui lui est attribuée au manoir Porter pour passer la nuit. Ne pas vouloir s’éloigner
trop longtemps de Daisy, son obsession depuis quelques mois, mais une obsession qui aurait pu coûter prix fort : la sécurité de la vaccinée. Et sa santé, accessoirement.
Le coup de feu a résonné dans la rue il y a une poignée de minutes à peine, mais aux sens d’Harvey, il lui semble que ça fait bien plus longtemps qu’il court. Qu’il essaye de le semer. Qu’il ignore s’il le sème ou s’il n’est qu’une souris devenue jeu du chat. Une poignée de minutes, mais déjà, ses forces déclinent, à l’inverse de la douleur qui ne va qu’en s’amplifiant. Harvey n’est pas stupide, les forces de l’ordre et surtout la milice ne vont pas tarder. Harvey n’est pas stupide : être pris au piège par les autorités, même s’il se place en victime, est de loin la pire idée qu’il soit. Harvey n’est pas stupide, et s’il se précipite vers cette porte entrouverte et cette lignée émanant du bar, vers cette porte
réservée aux employés, ce n’est par bêtise, mais bel et bien par manque d’option.
La porte claque derrière lui, il s’adosse au mur le plus proche pour reprendre son souffle. Fermer les yeux. Les rouvrir en entendant une respiration autre que la sienne. Son sang se glace, il tente de lever son bras blessé pour menacer l’intruse, sa main droite toujours plaquée sur sa plaie en sang. Bien triste tableau qu’il doit former.
“Ne bouge pas ! Je… tu n’appeles pas les flics, tu ne pousses pas un cri et tout ira bien, okay ?” Il ne veut ni victime, ni dommages collatéraux, ni que le hunter soit attiré par des éclats de voir. Il veut juste…
“J’ai une balle dans l’épaule. Faut juste que je la retire, et je partirai sans attendre, promis. Tu crois qu’on peut faire ça ?” Sa volonté seule maintient son bras pour continuer de pointer une arme menaçante sur la jeune femme. Et sa volonté, aussi, l’aide à baisser lentement son flingue sans quitter un seul instant la femme des yeux.
“Regarde, voilà, je ne suis pas dangereux.” En revanche, blessé il l’est. Inconscient ? C’est l’affaire d’une dizaine de minutes, s’il ne mange ni ne se soigne d’ici là.