STORIES ARE WHERE MEMORIES GO WHEN THEY'RE FORGOTTEN

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« Elle est bizarre cette fille… Elle est sûrement débile, c’est pour ça qu’elle parle pas. » Voilà ce qu’on dit sur moi dans les parcs. Une chance, je n’entends rien des insultes en tout genre qu’on profère à mon égard. Je n’ai jamais entendu le moindre son d’ailleurs, et si mes cordes vocales ont l’idée de produire quelques sons de temps à autre… Je dois bien avouer que ce n’est pas très probant. L’implant cochléaire n’aura rien changé, si ce n’est donner de l’espoir à mes parents. Pour moi, ça n’a pas vraiment changé mon quotidien, loin de là. Pourtant si tout ces mots je ne les comprends pas, je ne suis pas stupide. Je comprends bien qu’ils se moquent, me regardent bizarrement… Comme si j’étais une chose bizarre et que j’étais contagieuse. Ils ne comprennent pas quand je leur parle avec mes mains, me trouvent encore plus bizarre. J’aurai pu me renfermer, rester dans mon coin, me faire oublier, mais ça n’était pas dans ma nature. J’ai persévéré, encore et encore, Jed m’aidant parfois à me faire comprendre. Jed ? C’est mon frère, un grand blond qui ne me lâche pas vraiment depuis que je suis gamine. C’est certainement lui qui s’est donné le plus de mal pour entrer dans mon monde et ainsi me faire rentrer un peu dans le leur. Il a appris à signer pour moi et c’est certainement pour ça que je l’aime autant.

Ça et sûrement aussi parce que c’est lui qui m’a pratiquement « élevée ». Nos parents étaient souvent absents lorsque j’étais petite. C’était notre grand-mère qui nous gardait le plus souvent. Une vieille chouette qui me regardait avec mépris la plupart du temps. Si vous voulez mon avis, je pense que cette femme est dépourvue de toute forme d’empathie. Elle n’a jamais levé la main sur moi, contrairement à Jed qui lui s’en est pris de belles sans jamais rien dire. Plusieurs fois, j’ai tenté de le convaincre de tout dire, mais il n’a jamais voulu. A cinq ans, j’avais déjà envie de la remettre en place mais à quoi bon, Grand-mère n’avait jamais pris la peine d’apprendre à signer, alors comprendre que je lui disais à quel point elle était méchante n’aurait servi à rien, si ce n’est m’attirer ses foudres. Je ne suis pas un monstre. C’est elle le monstre.

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« Selene, tu ne dois en aucun cas t’approcher des mutants. Ils sont dangereux, malsains. Tu me promets ? » Mon père signe de façon approximative. Je comprends les grandes lignes. Ce que je n’arrive pas à saisir, il me l’écrit. Ça n’est pas la première fois qu’on me met en garde contre ces mutants. Maman aussi ne cesse de me le répéter. Me dit qu’un jour, moi aussi j’apprendrai à me défendre comme Jed, mais que je devrais rester à l’écart des ennuis du fait que je suis « différente »… Je déteste quand elle me dit ça, tout comme je déteste quand Jed joue les grands frères trop protecteurs avec moi. Je n’ai rien d’une poupée qu’il faut mettre sous cloche. Heureusement Mike lui ne m’a jamais considérée comme une gamine. On s’entendait bien tous les trois, un joli trio un peu insouciants. Quand j’ai été en âge de tenir une arme, j’ai supplié mon père de m’apprendre. Il préférait attendre que je sois plus grande. J’avais quatorze ans, je n’étais plus une gamine, mais sans la clé du coffre, impossible d’avoir accès aux armes. J’avais envie de crier à l’injustice, mais à part l’insulter en signes, balancer des objets pour exprimer ma frustration, mes supplications resteraient vaines. Au lieu de ça, j’ai appris à me battre, encaisser les coups, et les rendre.

« Je peux t’apprendre si tu veux. » Mike m’avait regardée, sourire complice. C’est finalement lui qui m’a appris les bases du tir, lui qui a tenté de m’expliquer avec plus ou moins de succès. Mais j’ai passé longtemps à observer Jed et papa. Je sais comment ça marche. Jed détesterait certainement me voir avec ça dans les mains, mais moi ça me plait. Les vibrations, le recul, l’odeur de poudre… Ca a quelque chose d’excitant tout ça. J’ai recommencé plus d’une fois, adoré à chaque fois.  Ca avait un côté grisant, et puis ça me permettait de passer des moments avec lui. Je crois que j’avais un peu le béguin pour lui et ces instants privilégiés étaient une aubaine parfaite pour me rapprocher de lui. Lui, je crois qu’il ne m’a jamais vu de cette façon… Je ne sais même pas s’il a grillé un jour que mon cœur s’emballait à chaque fois qu’il était proche de moi.

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« Jed, c’est un mutant… Je vois même pas pourquoi tu discutes. On s’en tape qu’il soit médecin ou architecte ou quoique ce soit… Tu le buttes, c’est tout fin de l’histoire. C’est un monstre, on chasse les gens de son genre alors bouge toi. » Je t’aime frangin, mais sincèrement parfois tu me tapes sur le système avec tes principes et ta non-capacité à faire ce qu’on attend de toi. Pour ça, j’avoue que je préfère chasser en compagnie de Mike. C’est lui qui a raison, Maman a beau m’avoir répéter qu’il ne fallait pas tomber dans les extrêmes, je ne supporte pas vraiment l’idée que ces individus puissent s’épanouir en toute quiétude. Il m’effraie peut-être avec leur pouvoir. Je suis tombée sur une fille pouvant mettre le feu à n’importe quoi l’autre jour… D’un simple claquement de doigts… Ces monstres ne doivent pas exister… Alors je me permets de lui remonter les oreilles alors que je me balade en sous-vêtements dans l’appartement. Ça l’agace je le sais, il ne me regarde jamais quand c’est le cas, devient rouge pivoine et moi ça m’éclate au plus haut point. J’ai 19 ans maintenant, entamé mon cursus universitaire afin de devenir enseignante. En tant que tête de mule, j’ai refusé un cursus adapté. Je ne vois pas pourquoi j’aurai besoin de suivre des cours différents. Alors oui je rame, j’ai besoin qu’on me traduise la plupart du temps. Ca m’épuise plus que d’autre car au final, c’est un peu comme si j’étudiais à distance, mais je sais que j’en suis capable. Et puis c’est le meilleur moyen de me fondre dans la normalité, je sors, je bois, je fume, j’ai des p’tits amis, des déceptions, des p’tits bonheurs. Comme n’importe quel étudiant normal.

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« Jed, je vais me marier ! » Je suis sur un petit nuage, j’ai 23 ans et je crois que c’est le bon. Il est espagnol, je l’ai rencontré lors d’un voyage humanitaire au Pérou. Ca fait 6 mois qu’on est ensemble, je sais c’est peu mais, je crois que je suis amoureuse. Mais genre vraiment amoureuse, au point que j’ai dit oui et que je me balade avec une bague de fiançailles. Je ne sais pas ce que Jed en a pensé sur le moment. Sûrement partagé entre l’idée que c’était une bonne nouvelle et qu’il n’était sûrement pas assez bien pour moi. Classique, personne n’est jamais assez bien pour moi, même s’il ne me le dit pas. J’ai réussi à devenir enseignante malgré tous les bâtons qu’on m’a mis dans les roues, j’enseigne maintenant dans une école spécialisée pour les enfants sourds et malentendants en essayant de faire en sorte qu’ils se sentent le plus normal possible.

Cette belle utopie n’aura finalement duré que deux mois. Il était parti sans même une explication. Je n’ai rien vu venir. Un soir, je suis rentrée d’une partie de chasse, ses affaires avaient disparu, un petit mot aimanté sur le frigo, quelques mots griffonnés, rien de plus. C’était fini, il m’avait jetée et n’avait plus jamais redonné de nouvelles. Je ne vais pas mentir, les jours qui ont suivi ont été rudes. J’ai pleuré, longtemps, sans comprendre… J’ai du être invivable, Jed m’a supportée et franchement je lui tire mon chapeau car le moment n’a pas franchement du être agréable pour lui. Pour compenser, oublier et me changer les idées, j’ai repris la chasse avec plus d’ardeur encore. Je passais ma frustration sur eux, leur faisait payer pour lui. Je suis devenue plus impliquée dans les associations, avec l’envie de faire plus.

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« Mike est décédé… » Mike estIl s’était éloigné depuis quelques temps, m’avait à peine souhaité mon anniversaire, juste un message sur les réseaux sociaux. Des textos de temps à autres, mais il refusait toute partie de chasse avec moi. Sur le coup, j’ai pensé qu’il s’était pris la tête avec Jed, mais c’était idiot, pourquoi ne plus me parler à moi ? Pourquoi m’éviter alors que nous étions si proches ? Tout un tas de question que je n’ose pas poser à Jed et pourtant je crève d’envie de le faire. Je crève d’envie de comprendre comment il est mort, et surtout qui en est responsable. Lequel de ces monstres a eu raison de lui… J’ai été affectée, plus que je ne le laisse voir au reste du monde. Je joue les filles fortes, mais en réalité j’ai juste envie d’obtenir réparation pour cette perte et je suis certaine que Jed n’osera pas franchir le pas. Je lui laisse quelques temps, ensuite je prendrai le relais s’il le faut… Hors de question que cette saleté s’en sorte sans séquelles.

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Un bruit assourdissant. Mes mains s’étaient tout de suite portées à mes oreilles comme assommée par cette sensation que je découvrais. Je venais de tirer sur le fruit de ma chasse. Un mutant que je suivais depuis une semaine maintenant. On s’était battu juste avant, j’avais pris quelques coups, lui aussi. J’avais tenté de l’étrangler, c’est comme ça que ses mains se sont retrouvées sur mon visage. Comme ça que j’ai été en contact avec cette drogue pour la toute première fois. Que le monde des entendants s’est offert à moi dans une détonation violente. Je l’ai touché, je crois… mais ça ne l’a pas empêché de se tirer, j’étais trop abasourdie pour lui coller au train de toute façon. J’ai pas tout de suite compris ce qui m’arrivait, j’ai juste réalisé à quel point le monde était bruyant. Les rues, les voitures, les klaxons, les voix, les sirènes… J’ai cru que j’allais devenir folle tant tout ça m’envahissait. Les sons m’oppressaient, j’avais hâte de retrouver mon chez moi, de m’évader de tout ce raffut... Comment les autres pouvaient-ils évoluer dans un monde aussi chaotique ? Un mystère. Toujours que j’ai mis quelques temps à m’habituer, à comprendre, à apprécier ce qui venait bouleverser mon quotidien. Ca n’a pas duré, à peine une journée tout au plus. Puis tout s’est éteint, tout est redevenu comme avant. Le silence s’est de nouveau imposé, limite salvateur tant c’était assourdissant pour moi qui n’avait jamais entendu.

J’y suis retournée, j’avais envie de comprendre, envie d’entendre de nouveau… Je l’ai retrouvé, l’ai coincé chez lui, menacé ouvertement. J’ai fini par comprendre pourquoi, et surtout que ça pouvait recommencer. Aujourd’hui ça va bientôt faire trois mois que je le fais chanter. Trois mois que je ne peux plus me passer de cette substance. C’est trop bon de pouvoir entendre, de pouvoir m’exprimer autrement que par signes… Même si c’est imparfait, j’ai une voix et c’est bon… C’est mon petit secret, je sais que ça risque de jaser si ça vient à se savoir… Mais je m’en fiche… Je suis incapable de m’arrêter de toute façon.

FÉLICITATIONS JEUNE MUTANT

tu es validé, tu pues la classe, vas-y sors tes lunettes de soleil.