Massachusetts Institute of Technology, Bureau de la Recherche.

Enoch observait une derrière fois les chiffres défiler sur son écran d’ordinateur. Encore et toujours des résultats négatifs. Il passa une main dans ses cheveux, et poussa un soupir. Cela ne faisait qu’un an qu’il avait obtenu son doctorat, et le jeune homme se sentait déjà comme un navire perdu au milieu d’une mer agitée. Enoch n’était pas comme les autres, et pour ainsi dire il ne l’a jamais été. Lorsqu’il n’avait que trois ans, il fut diagnostiqué comme étant un enfant précoce. Les quelques années qui suivirent ne furent pour lui qu’une longue série de moments de solitude. Gamin, il n’avait pas les mêmes intérêts que la plupart de ses camarades. Lui qui avait pourtant un intérêt accru pour le monde, sentait que le monde ne partageait pas son enthousiasme. Il se souvient encore des œillades exaspérées de son frère et de sa sœur, tandis qu’il tentait de leur expliquer pourquoi logistiquement, leur fusée en plastique n’atteindrait pas la Lune. Les coups de coudes à répétition ne firent que le décourager d’exprimer ses pensées, et ce jusqu’à l’adolescence, où sa vie bascula. Tandis que son QI semblait accroitre de façon exponentielle, le jeune homme était pris de migraines interminables. Tant et si bien que les médecins lui diagnostiquèrent une tumeur rare, dont il porta longtemps le poids. Ce poids cependant s’avéra aussi être une force. Les années s’écoulèrent et Enoch s’épanoui dans le domaine de la Science. Plus important encore, sans que les médecins ne l’expliquent, il semblait survivre à cette chose qui attaquait ses cellules cérébrales.

Quand bien même on le considérait comme Monsieur Je-sais-tout à Indio, il trouva sa véritable famille à MIT, une des universités les plus réputées des Etats-Unis. Une famille d’étudiants avec laquelle il développa ses premiers travaux sur la génétique, un sujet qui ne finit pas de le fasciner. Sa licence, puis sa maitrise en poche à seulement 21 ans, Enoch avait déjà réalisé l’ampleur de ses capacités cognitives. Il était capable de se souvenir de n’importe quoi, à n’importe quel moment. Alors que chaque jour, il contemplait le monde être victime de trous de mémoire sporadiques, lui pouvait naviguer le flux de ses pensées comme bon lui semble. Tout était là, dans sa tête : frais, disponible, et ce phénomène englobait même les phrases ou formules qu’il avait entendues  une ou deux fois au cours de son existence, au cours d’une émission T.V. quelconque ou d’une lecture d’un de ses professeurs.

En dépit de ses innombrables auto-diagnostiques, jamais il ne s’était préparé à entendre ce qu'on allait annoncer a la radio. Un rapport gouvernemental confirme que les nombreuses attaques qui ont eu lieu cette semaine ont été commises par des transmutants. Enoch se précipita sur TheScientist.com et, après une lecture extensive de plus de cinq articles différents ainsi que de leurs références, il s’écria, stupéfait : ‘Eurêka !’

Il se leva et alla contempler son visage face au miroir de sa salle-de-bain: Les cercles pourpres autour de ses yeux ne l'avaient pas quitte. Il retourna a son bureau et entra de nouvelles données sur son ordinateur, modifiant des fichiers auxquels il n'avait jusqu'ici jamais pense. Nucléotides: nombre positif. Combien de fois ses professeurs lui avaient lancé des regards de désapprobation, tandis qu’il exposait ses théories sur l’évolution de l’espèce humaine, jugées comme fantasques par la plupart du département. Durant toutes ces années, la réponse se trouvait juste sous ses yeux : Enoch, lui-même, avait fait l’expérience d'une mutation génétique.

Tout s'expliquait si soudainement qu'il en perdait presque son Latin. Et le jeune chercheur n’était pas au bout de ses surprises, concernant l'avenir de ses travaux.

Un appartement de Radcliff, Kentucky.

Un grincement de porte se fait entendre, suivit d'une voix familière: 'Tu fiches quoi encore, Enoch ? Lâche un peu ton microscope, on va boire un verre !' Rapidement, le jeune homme range une boite cylindrique remplie de cachets bleus, qu'il n'a pas eu le temps d'avaler.

Dans la précipitation, Enoch tourne la tête, et déjà il voit se profiler sa petite-sœur. Sa chevelure rougeoie au soleil, un détail qui ne le laisse contemplatif qu'une demi-seconde. 'Boire un verre ? J’ai… du travail à finir, et je te rappelle que tu n’es pas encore majeure.' Jazz lui lance un regard noir, et rétorque : 'On a emménagé dans ce trou depuis deux semaines, et on n’a toujours pas visité les environs. Il serait peut-être temps de se bouger !'

La demoiselle marque un point. D’ailleurs il se sent toujours coupable de l’avoir emmenée à Radcliff avec lui. Comment tout a commencé ? C'est une longue histoire. Pour faire court, après la révélation des transmutants, et le début des émeutes dans la rue, d’étranges types se sont intéressés à sa thèse, allant jusqu’à menacer sa vie. C’est à ce même moment qu'une nuit, sa petite-sœur a débarque dans son dortoir en pleurs, et qu'elle lui a annoncé la nouvelle la plus improbable : elle possède a présent le don de téléportation. La réaction de son frère ne se fit pas attendre puisqu’il décida tout bonnement de quitter l’état, et de garder Jazz auprès de lui, histoire de monitorer l’évolution de sa mutation, –ses effets secondaires à lui, étant déjà bien assez incommodants.

Et les voilà tous les deux isoles dans cet erat qu'ils ne connaissent pas. Enoch a bien conscience du fait que vivre à Radcliff est un changement important pour la jeune Sixsmith, qui n'avait des lors jamais vécu au-delà des frontières californiennes. Comme si ce que l'adolescente traversait n'était pas assez complique comme ça. ’Et ta mutation ? Tu te sens déjà prête à... sortir ?’ Lui lança-t-il l'air interrogateur. 'Enoch, je vais en cours tous les jours, je sors ! D'accord, il m'arrive parfois de dérailler, mais je gère. Et tu le sais déjà, ça. Qu'est-ce qui t'arrive ?'

Tandis qu'elle achève sa phrase, un mal de crane foudroie le scientifique. Le septième de la journée, déjà. Enoch le sait, sa propre peur le consume autant que sa fatigue habituelle. Se rendre à Radcliff était un mal nécessaire, et l'idée qu'on s'en prenne à sa soeur le tétanise. Il est des choses qu'une intelligence surélevée ne peut résoudre, et le problème que pose leur mutation au monde en fait partie. Depuis leur arrivée, lorsqu'Enoch n'enseigne pas, il retourne directement se cloitrer a l'appartement, pour poursuivre ses analyses. Pour être tout à fait honnête, connaitre les environs ne faisait en aucun cas partie de ses priorités. Jusqu'ici, il est parvenu à isoler le génome X, mais pas a l'éradiquer, et ce but qu'il s'est fixe est devenu une obsession. Il reconnait pourtant que Jazz a raison, au vu de son état actuel, il est grand temps pour eux de sortir, -en espérant que sa peur ainsi que sa migraine se dissipent une fois à l'extérieur. Si seulement il avait pris ses cachetons. Ebouriffant les cheveux de sa sœur, il sort ses lunettes de soleil de sa poche, avant de répondre enfin, un sourire conciliant aux lèvres: '...Tu as raison, allons voir ce que Radcliff a dans le ventre.'