STORIES ARE WHERE MEMORIES GO WHEN THEY'RE FORGOTTEN

Our scars have the power to remind us that the past was real.

Elle voulait l'aider, rien d'autre. Le silence est assassin dans l'attitude de celle l'ayant mis au monde il y a dix-neuf ans de cela. Une larme a roulé sur la joue pâle, dernier acte de vie. Et lui, il s'est écroulé. Deux corps sur un plancher de bois usé, elle qui n'est plus, et lui qui n'a jamais été aussi malheureux. Il entend encore le son de son dernier soupir, avant que la Grande Faucheuse ne l'emporte, elle et tout l'amour qu'elle lui avait donné. Dans ce diptyque manichéen où le mal venait de triompher du bien, Bram hurlait sa haine de lui-même à pleins poumons, avec la ferme intention de se déchirer les cordes vocales. Pourquoi avait-il fallu qu'il naisse ainsi ? Pourquoi traînait-il la Mort en laisse depuis que ses facultés s'étaient éveillées ? Et surtout, pourquoi ne lui obéissaient-elles pas ? Il était le seul, l'enfant autour duquel tout tournait mal. Une aberration, une erreur de la nature. Personne n'était en sécurité autour de lui, personne. Elle l'avait pourtant compris, elle avait su qu'il était différent et ne lui en avait jamais témoigné une quelconque importance. Mais elle était morte, et qui le comprendrait dorénavant ? Pas son père. Pas cet inconnu ayant quitté le domicile familial lorsque ses pouvoirs s'étaient déclenchés. Non, il était seul. Désespérément seul. Et il devait le rester, impérativement. Cela ne pouvait se reproduire. Il ne pourrait supporter d'ôter la vie à d'autres innocents, pas après elle. Elle serait sa croix. La preuve irréfutable de sa monstruosité. Allongé sur le dos, ses larmes ont taché le plancher. Il reste à ses côtés car il sait qu'il ne la reverra plus, et il la regarde pour ancrer dans sa mémoire cet instant de souffrance. Pour se rappeler qui il est vraiment. Qu'il ne contrôle rien. Que c'est cette chose dont il est capable qui le contrôle. Il serait prêt à s'ôter la vie mais la chose lui paraît trop facile. Vivre avec le souvenir de l'être perdu et la culpabilité d'être responsable de sa perte, en revanche, l'est moins. Et c'est ce qu'il a choisi. Dans le silence et le chagrin, Bram se blottit contre la morte. Il grave dans sa mémoire les livres ayant chuté de leur étagère, le sac à main de sa mère et son contenu épars sur le plancher, le ciel gris de ce mois de janvier, et ce parfum enivrant qu'il avait toujours connu, mais qu'elle ne porterait plus.





– Gardez la monnaie !
– Mer...
Visiblement pressé, l'homme avait balancé le billet sur le siège avant et s'était précipité hors du véhicule, laissant à peine le temps au conducteur d'achever sa phrase.
– ...ci, soupira finalement ce dernier en récupérant l'argent.
Bon, c'était toujours ça de gagné. Il rangea le billet dans son portefeuille en se disant qu'il profiterait de ce petit extra pour aller s'acheter un café à sa pause. Bram Rochas jeta un coup d'œil dans le rétroviseur central, et rencontra son regard. Les pupilles cristallines semblaient réclamer des heures de sommeil supplémentaires, rien qu'une petite sieste, mais cela n'arriverait pas. Hors de question. Les cauchemars étaient de plus en plus récurrents, ces derniers temps. Inutile de jeter de l'huile sur le feu, d'aggraver les choses. Il s'en sortait plutôt bien avec le NH24. Mieux qu'avant, en tout cas. Les effets secondaires... étaient ce qu'ils étaient. Bram préférait cent fois les vertiges dont il était atteint que d'être asservi par ses pouvoirs et de causer du tort autour de lui. C'était évident. Néanmoins, le sudiste demeurait très distant vis-à-vis des passagers, n'engageant que très rarement la conversation et se contentant de réponses évasives lorsqu'il avait affaire à un bavard. Si le sérum était efficace et éclipsait momentanément ce fardeau qu'était sa mutation, il était toutefois dans la nature de Bram de jouer les discrets. En outre, il ne souhaitait aucunement attirer l'attention sur lui. Le simple fait de se procurer du NH24 faisait de lui une cible potentielle des Hunters. Bram se frotta le visage longuement, puis jeta un regard sur la banquette arrière pour vérifier que tout était d'une propreté impeccable. Cette voiture, qui lui appartenait, lui servait parfois de second toit lorsqu'il ne pouvait rentrer chez lui. Si investir dans ce boulot avait été pour le moins une décision prise sur un coup de tête, Bram s'était vite rendu compte qu'il se débrouillait pas trop mal. Il avait arpenté les rues de Radcliff en long et en large et même s'il n'était ici que depuis quatre petites années, il pouvait aujourd'hui se vanter de connaître la ville comme sa poche. Jusqu'à sa prochaine fuite...