- Bien sur que c'est James, qui veux tu que ce soit d'autre ?

Le ton était sec. Claquant comme un fouet. Oui,James, gentil James, adorable James, si charmant, si attentionné, si parfait… Qui la bombardait de textos, qui la couvrait de petits cadeaux tous plus personnalisés les uns que les autres. Ce James qui aurait surement plu à son père de par son sérieux, à sa sœur de par sa conversation et à son frère de par son humour. Ce James qui avait apaisé quelques uns de ses chagrins incontrôlables de tard le soir, qui lui avait prouvé que oui, elle méritait d'être heureuse, dans une histoire sans complication. Ce James dont elle n'arrivait pas encore à être amoureuse, parce qu'il n'était pas Noeh. Alors Aspen soupira, et termina son gobelet de chocolat refroidi d'une traite. Pourquoi fallait il qu'il se réveille si tard ? Pourquoi fallait il qu'il loupe mille occasions de lui dire tout ça, ces derniers mois ? Il l'avait vu à l'article de la mort, bon sang, et à ce moment là, il avait été incapable de choisir. De La choisir. Et maintenant, ce serait à elle de devoir le préférer à un autre ? Le méritait il vraiment hein ? Probablement pas. Tous ses proches le lui diraient, que le Callahan avait eu sa chance plus que de raison, qu'il avait tout gâché à chaque fois. Qu'elle devait essayer autre chose, quelqu'un d'autre, pour gouter la comparaison, et c'était ce qu'elle avait fait. Les bras de James étaient grands et chauds, mais ils n'étaient pas immenses comme ceux de Noeh. Son toucher était tendre, mais il n'avait pas la douceur de ses mains de pianiste aux doigts fins. Ses baisers… Aspen adorait l'embrasser, la façon dont il mordillait ses lèvres délicatement, mais elle n'en avait pas le tournis, ni cette impression de fondre toute entière qu'elle avait en embrassant Noeh. Fichu grand dadais, avec son air de chiot derrière la grille du chenil, qui la suppliait presque de le reprendre, une toute dernière fois, parce qu'il ne mordillerait plus les chaussons, qu'il n'aboierait plus sur le facteur. Parce qu'il se comporterait enfin comme l'homme responsable et mature qu'il était sensé être devenu.

-Attendre, encore et toujours…. Tu as été balancé d'une fenêtre, j'ai été empoisonnée et presque battue à mort, Lorcan s'est fait tabassé, Calista a failli y passer aussi … On a pas le temps d'attendre, No', pas dans une ville de tarés comme celle-ci, pas par les temps qui courent.

Qu'était elle en train de faire ? Elle n'en était même pas sure. Pas vraiment. Elle avait posé son gobelet à coté d'elle, sur le muret sur lequel elle était perchée, puis d'un geste vif, presque brutal, elle attrapa le Callahan par l'écharpe, le forçant à descendre de son propre perchoir pour se retrouver debout, face à elle. Placé ainsi, elle faisait presque taille, le dépassant même de quelques tout petits centimètres. Elle n'avait encore rien dit, fixant le jeune homme d'un regard intense. Indéchiffrable, tant les émotions qui y passaient se faisaient contradictoires.

- T'as été un gros naze, Noeh Callahan. T'as été un gros naze à 18 ans, tu l'as été à 24, tu m'as brisé le coeur plus souvent que je me suis brisée les os. T'as été injuste avec moi et tu m'as laissé tomber quand j'avais le plus besoin de toi à mes cotés.

Les jambes de la Wol se délièrent, et alors que sa main tirait à nouveau sur son écharpe, elle enroula ces dernières autour de la taille du jeune homme, profitant pour une fois d'être pile à la hauteur pour pouvoir le faire, comme prête à se laisser porter, à la manière d'une enfant. Sauf qu'elle n'avait rien d'une petite fille, à cet instant précis. Elle allait avoir 26 ans dans quelques jours, et elle n'avait plus une seconde à perdre, alors que leurs deux corps ne souffraient plus d'aucune distance. Même le bout de leurs nez menaçait de se toucher.

- Promets moi que tu ne m'abandonneras plus jamais. Promets le sur tout ce que tu as de plus cher, sur Sam, sur ton piano, j'm'en fous. Promets le moi.

Evidemment, quand les lèvres de Noeh vinrent trouver les siennes, ce fut le feu d'artifice, le quatorze juillet, le fith of july, le nouvel an chinois, tout à la fois dans le cœur de la Wolstenholme qui se mit à battre de manière erratique. Ce n'était rien d'autre qu'un baiser doux, tendre, même pas langoureux, et pourtant il déclenchait des montagnes russes dans le ventre de la jolie rousse, alors que ses mains quittaient la laine douce de son tour de cou pour venir encadrer son visage à la peau froide et imberbe. Il avait initié le premier baiser, elle entama le second, avant la moindre réponse de sa part. Un baiser plus profond, plus avide aussi, celui où les langues s'emmêlent et les visages se referment l'un sur l'autre pour devenir les deux faces d'un Janus amoureux. Son pouce glissa sur la joue du jeune homme, alors qu'elle reculait de quelques centimètres, le souffle court, le regard fixe dans le sien, brillant.

- Si c'est jamais, c'est jamais. Si je t'appelle à trois heures du matin, à deux heures de l'après midi, un jour férié … Je veux pouvoir me dire que tu sauteras dans ta voiture et que tu viendras me rejoindre. Que je pourrais t'entendre ronchonner à pas d'heure. Que je pourrais te sentir t'endormir dans mon dos sans craindre que tu sois parti au petit matin, comme un voleur. Je ne veux plus qu'on se cache, ou qu'on hésite, qu'on tergiverse. C'est nous en entier ou c'est rien.

Bien sur, c'était plus facile à dire qu'à faire, mais puisqu'elle en avait été privée pendant des années, Aspen ne voulait rien de moins que l'absolu. Elle se doutait bien qu'il y aurait des maladresses, des tentatives gauches, des réflexes à reprendre, mais ça viendrait, si il le voulait suffisamment ardemment. Elle déglutit, ses yeux descendant sur la bouche entrouverte de Noeh, prêt à l'embrasser à nouveau, avant de remonter à ses iris et de souffler, d'une voix légèrement rauque :

- Je vais surement avoir besoin de … temps. De retrouver mes repères. C'est quand même une décision importante.

Quelle belle menteuse elle faisait, pour Noeh, pour elle même. Le Callahan lui même était un repère à lui tout seul, un phare, une constellation, et le moindre de leur geste semblait synchronisé à celui de l'autre, alors que sa main venait trouver celle du jeune homme, que ses jambes se serraient un peu plus, nouant ses chevilles entre elles pour l'empêcher de pouvoir reculer ne serait ce que d'un demi pas. C'est de la folie, une pure folie que de faire ce qu'elle était en train de faire, de balayer des mois de travail pour les beaux yeux d'un garçon. Mais ce n'était pas n'importe quel garçon, ce n'était pas non plus n'importe quel regard, n'importe quelle bouche, alors qu'elle songeait à tous les bouleversements que cela allait engendrer dans sa vie. Et pourtant, elle avait beau la chercher, elle ne trouvait pas la moindre trace de culpabilité en elle, là où elle aurait du sentir la honte la mordre âprement. Et James alors ? Et bien James tant pis ? Parce qu'il y avait Noeh, qu'il n'y avait jamais eu que Noeh, quoi qu'elle en dise, quoi qu'elle fasse. D'ailleurs, à cet instant précis, elle en avait même perdu son humour mordant et acide, et elle ne trouvait rien à lui balancer à la figure, si ce n'était son propre visage, agrippant à nouveau sa bouche avec un sentiment d'urgence impérieuse. L'embrasser, encore, une nouvelle fois, avant qu'il ne change une énième fois d'avis. Tant pis pour les regards curieux autour d'eux.

Que Noeh ait du mal à articuler des phrases entières, ce n'était pas vraiment étonnant, et pour une fois, Aspen ne semblait pas s'en plaindre. C'était qu'elle était encore pas mal secouée, bousculée par les déclarations du jeune homme, mais son cœur était comme gonflé à l'hélium, si léger qu'il venait bousculer son cerveau à l'intérieur de son crâne, l'empêchant de réfléchir correctement, la poussant simplement à glousser contre les lèvres pleines du jeune homme. Elle l'embrassa, encore et encore, les mains calées au chaud dans sa nuque, caressant sa peau du bout de ses doigts froids. Elle ne recula que pour le fixer un nouveau, reprenant son souffle et tâchant de contrôler les battements désordonnés de son cœur. Elle plissa le nez en l'écoutant avouer qu'il devait quand même se rendre à son rendez vous, avant de venir se loger à nouveau dans ses bras :

- Bon, si t'es obligé... De toute façon, je suppose que ce serait bizarre que je te ramène à la maison, alors que Kai et Gray m'attendent et pensent que je vais revenir avec une tonne de cadeaux... et toi tu en es pas un.

Elle gloussa, collant à nouveau sa bouche contre celle du jeune homme, avant d'attraper son bras pour enrouler le sien autour, levant les yeux vers lui.

- Si je tombe, tu tombes avec moi. Et tu peux m'accompagner dejà jusqu'à l'arrêt de bus, je m'en voudrai que tu arrives à la bourre à cause de moi.

Les deux jeunes gens avancèrent à travers le marché l'un contre l'autre, à un pas plus lent que d'ordinaire, comme si chacun renaclait à lacher l'autre, à l'abandonner à sa soirée solitaire, douloureusement solitaire. Arrivée à l'abri bus, Aspen jeta un coup d'oeil à son téléphone, aux horaires : le bus ne tarderait pas. Elle garda la main de Noeh au chaud dans la sienne, alors qu'au coin de la rue, le car arrivait lentement.

- Je, bon... Je t'appelle ? Rapidement ? Ahem, enfin, tu me dis quand tu es chez toi, ce soir, et je t'appelle ?

Ce je t'appelle ressemblait fort à un « je te rejoins ? » mais elle n'en était pas là encore. Elle n'oserait pas tout de suite. Elle en avait envie, bien sur, mais il lui faudrait du temps, pour avoir à nouveau totalement confiance en Noeh, pour retrouver cette spontanéité entre eux. Mais à présent, du temps, ils en avaient, n'est ce pas ? Cette fois ci, ils ne brûleraient pas les étapes. Enfin, enfin ils avaient l'occasion de faire les choses comme il faut ..