STORIES ARE WHERE MEMORIES GO WHEN THEY'RE FORGOTTEN

The life is enjoyment, the life is suffering. But  it continues

Allemagne, Juin 1987

C’était sa première affectation en Allemagne de l’ouest, en soutient des troupes de l’OTAN. Et bien qu’il ait vécu une année "d’enfer" durant son instruction, se retrouver pour la première fois loin de chez lui foutait une boule au ventre. Pour sûr que ça le changeait de l’ennui qui l’avait gagné à la ferme, depuis qu’Elora était partit et qu’Ethan s’était assagit. On a beau avoir dix-neuf ans passé et vouloir vivre d’aventure, ça n’empêche pas de claquer des genoux. Parce que question aventure, il allait être servit.
Ce soir, ils pouvaient s’octroyer un peu détente après leur long voyage. Ils le méritaient bien, car demain était un autre jour. Qui pouvait savoir si une invasion ne se préparait pas ? Observant de loin ses nouveaux compagnons, Aidan ne pouvait s’empêcher de repenser à son père, resté à Asheville. Lui qui pensait qu’il reprendrait les rênes de la ferme, et que c’est plus son frère qui s’engagerait, il avait sentit comme une certaine déception. Mais aussi de la fierté, quand il avait accroché le drapeau au-dessus de l’appentis, pour qu’il soit bien visible. C’est simple, les gens changent et pas toujours comme on le pense. Perdu dans ses pensées, le blond ne remarqua pas la silhouette qui s’était approché de lui, pour s’assoir assez brusquement à son côté. Le coup d’épaule manquant bien l’envoyer faire la bise au sol, et reverser sa gamelle. Quoi que ça, ça n’aurait pas été une très grande perte culinaire. Fronçant les sourcils, face à cette intervention abrupte pour le sortir de sa torpeur, le gamin n’eut aucun mal à reconnaître Jo. Tous les instructeurs l’avaient surnommé Joséphine à son arrivée, parce qu’il était aussi fort qu’une fillette, aujourd’hui c’était un véritable tank. Son épaule pouvait en attester.
- « Ady ! Comme on se retrouve ! Reste donc pas dans ton coin ! Tu veux une bière ? Faut en profiter c’soir, après ce sera plus possible.
Grinçant des dents face au surnom, le soldat n’eut même pas le temps de répondre qu’il lui colla la bouteille entre les doigts, sans autre forme de procès. Marmonnant un « Merci », que son interlocuteur entendit à peine, il enchaina :
- J’ai vu que tu faisais partit du génie, ça m’étonne. J’t’aurais plutôt vu dans l’infanterie. T’étais taillé pour ça.
- Bah chacun son truc, qu’est ce que tu veux… Ou comment répondre à côté de ses pompes.
- Je suis curieux de savoir pourquoi tu nous as abandonné pour le déminage.
- L’histoire est simple, c’est à cause de mon grand frère. »

Ah Ethan, il s’en souviendrait toujours comme si c’était hier. Le plus turbulent des trois. Celui qui adorait tout faire péter à coup de pétard. Et faire fumer des crapauds. Ce qu’il aimait par-dessus tout : entrainer son cadet dans ses magouilles.
Qu’est-ce qu’un garçon pourrait le plus détester faire en corvée, hormis le repassage ? La vaisselle. Ethan en avait une sainte horreur, puis n’était pas franchement doué pour ça. Alors il partait derrière la grange avec Aidan, emportant des casseroles et sa boite de pétard. Leur grand jeu : faire sauter les couvercles le plus haut possible. Le baroufle que ça faisait ! Pour sûr que ce n’était pas le loisir le plus discret au monde, quand on voulait éviter de faire ce qu’on leur demandait. Le meilleur consistait ensuite à tenter de rattraper le dit couvercle. Objet lourd et métallique, propulsé dans le ciel à une vitesse qu’ils n’avaient jamais pris la peine de calculer. Inutile de signaler le nombre de bleus et de bosses qui en résultait, et encore moins le nombre de fois où leur grande sœur s’était fait un malin plaisir à leur tirer les oreilles, en guise de punition. Elle avait une sacré poigne la frangine. En particulier le jour où Aidan rentra le visage en sang, le crâne ouvert par un des dits couvercles. Retour de karma comme on dit.

- « Huit points du sutures ! S’exclama Jo, les larmes aux yeux. C’est l’histoire la plus débile que j’ai jamais entendu !
- T’as voulu savoir… » Lui répondit Aidan en remettant ses cheveux en place, après lui avoir montré la cicatrice ornant sa caboche, peinant à calmer son rire.
Rire qui repartit à l’unanimité lorsque Matthias imita la scène, en lançant son casque en l’air pour se le prendre sur la tête. Ce qu’il regretta un peu quand même. A travers les larmes qui lui piquaient les yeux, le regard du démineur croisa celui d’une jeune infirmière, dont le pas s’était arrêté à leur hauteur, comme intrigué par leur liesse. Ses pupilles l’hypnotisèrent instantanément. Et ce sourire… Il illuminait son visage aussi superbement que les étoiles sublimaient le ciel. Puis on l’appela au loin, décrochant son regard du siens et la dérobant à sa vue. Le coup de coude de Jo le ramena alors à une douloureuse réalité.
- « Hé, c’est ton premier jour, tombe pas amoureux comme ça ! »

C’était si peu dire. Il ne connaissait même pas son prénom et en un seul regard, la jeune femme occupait déjà toutes ses pensées. Mais il n’avait pas vraiment de temps pour ça, il devait d’abord penser à ses compagnons d’armes, et les affections ne duraient pas bien longtemps. De retour au pays, il crut bien l’avoir perdu, mais la chance en avait décidé autrement : ils se trouvaient dans la même base militaire. Elle s’appelait Sarah, et si Aidan avait toujours pensé, gosse, que sa sœur était la plus belle fille des environs, il revoyait son jugement.
Les deux tourtereaux se fréquentèrent durant quelques mois avant d’officialiser les choses. Peut être un peu trop rapidement au gout de Sarah, lorsque son prétendant la demanda une première fois en mariage.
- « Le mariage n’est pas une aventure dans laquelle on se jette aveuglement. Je t’aime, mais je préfère réserver ma réponse pour le jour où tu le voudras vraiment. »
Les femmes et leur lubie mystérieuse… Il n’était pas franchement sûr d’en saisir toutes les nuances.
Deux années et deux échecs plus tard, Sarah l’avait fait languir. Tant et si bien qu’ils avaient put assister à la chute du mur du Berlin.


Que ne fut sa joie lorsqu’elle lui avait enfin dit oui. Pourtant il n’avait rien préparé. Pas de restaurant, pas de fleurs, ni de nippes tirées à quatre épingles. Le blond aurait même put lui balancer à travers la porte des toilettes, ça n’aurait pas fait grande différence.
Le soldat avait juste attendu qu’elle se réveil, observant le soleil filtrant à travers les volets éclairer doucement son visage, ses doigts se perdant dans l’or de ses cheveux. Elle avait alors ouvert des yeux endormis, pour voir cet imbécile la regarder comme une chose fragile. Son sourire avait fondre le grand gaillard qu’il était, comme au premier jour.
- « Ça fait longtemps que tu me regarde comme ça ?
- Pas assez à mon gout. Souffla-t-il. Dis…
- … Oui ?
- Tu veux vraiment pas m’épouser ?
Son silence le fit une nouvelle fois languir, néanmoins, son expression valait tout l’or du monde.
- Evidemment que oui.
L’homme la regarda un instant, presque bouche bée, comme s’il ne croyait pas à ce qu’il venait d’entendre, puis se laissa rouler sur le dos.
- WOUHOU ! »
Son exclamation avait brisé l’instant, tout comme son poing levé de façon victorieuse vers le plafond, et les autres qui suivirent, secouant fortement le matelas. Il n’avait jamais vraiment été doué pour la romance. Et s’il avait su qu’il suffisait de faire les choses simplement, il ne savait pas vraiment s’il l’aurait fait en réalité. Sarah avait raison, là il le voulait vraiment, plus que les autres fois. En l’occurrence, ce que voulait sa toute nouvelle fiancée c’était le faire taire. Et pour ça elle savait s’y prendre. Elle allait lui en donné des raisons de secouer le lit.


Sarah se trouvait être une fille simple. Elle n’aimait pas les chichis, les choses en grandes pompes, les robes de princesses. Sans doute était-ce ce qu’elle avait vu, au cours de ses premières missions, qui lui avait fait disparaitre ses illusions de petites filles ? Aidan ne trouvait pas ça plus mal en un sens. Bien qu’il n’était pas du genre à vouloir faire les choses à moitié, ni l’un ni l’autre n’avait les moyens d’assumer un grand mariage. Surtout après celui de sa sœur. Et son père qui pensait que le cadet serait le dernier à se faire passer la bague au doigt. Tous les militaires n’étaient pas mariés à leur travail !
Il ne saurait oublier cette journée où sa mère l’avait conduit à l’hôtel, le corps tremblant et le visage inondé de larme. Puis elle avait fait son entrée au côté de son père, les yeux rougis d’émotion de marier sa fille. Une fille aussi belle que le premier jour. Si le soldat avait put suspendre cet instant pour qu’il dure toujours, il l’aurait fait. Conserver à jamais cette image d’elle. Hélas on ne sait jamais de quoi demain sera fait.


Le 11 septembre venait de frapper comme un coup retentissant, faisant trembler l’Amérique. Le pays était en deuil et on pouvait assister à un véritable levé de drapeau patriotique, en hommage aux morts. Les étoiles avaient elles aussi trouvées leur place, flottant fièrement au dessus de l’érable rouge sur l’appentis. Les larmes coulaient de nouveau sur les joues de sa mère, mais ce n’était pas de la joie.


Afghanistan, Décembre 2003.

Aidan avait finit par se faire à l’idée d’avoir Sarah avec lui en mission. En dix sept ans de carrière, il était plus facile de voir en elle l’infirmière consciencieuse qu’elle était sur le terrain, et la femme merveilleuse qu’il retrouvait en rentrant. Comme elle voyait en lui le militaire concentré et soucieux de la vie de ses hommes sur le front, et le grand gamin à la maison.  Ça leur permettait de mieux faire leur taf, séparer vie professionnelle et vie privée. De toute façon ils n’avaient pas vraiment le choix.
Aujourd’hui tout le monde devait se centrer sur une mission des plus simples : rallier les troupes de reconnaissance basées à Lashkar Gah, en vue d’ouvrir une voie de ravitaillement entre là-bas et Kandahâr. Enfin, si tout pouvait vraiment être si simple, la possibilité d’une embuscade n’étant jamais très loin. Le terrain avait été étudié sous tous ces aspects : relief, topographie, possibilité de replis. Rien n’avait été laissé au hasard. C’était leur boulot après tout.
Aidan ouvrait le convoi, l’œil mobile analysant tout son environnement. L’artilleur à côté de lui semblait plutôt serein, mais ce n’était pas ça qui allait l’aider à se détendre. Il avait beau avoir préparé le terrain pour que tout se passe au mieux, il avait comme un mauvais pressentiment qui lui rongeait les entrailles. Et les vibrations du volant, qui lui secouait les articulations de façon désagréable, à chaque chao de la route, n’allait pas pour l’apaiser. Une des roues s’enfonça brutalement dans un nid de poule, secouant les hommes dans l’habitacle comme un prunier en temps de cueillette. Les sens du conducteur se brouillèrent tout à coup. Tout son corps ressentit le choc bien plus fort qu’il ne l’aurait dû, lui faisant voir le monde sous un tout nouvel angle. Il vit et ressentit chaque partit du véhicule trembler, les essieux éprouvés mais tenant bon sous leur extrême solidité. Mais il n’y avait pas que ça. L’onde se répercuta dans le sol et se propagea alentour. Il "vit" Jenkins derrière lui alors que c’était impossible, puis le hummer qui leur filait le train, le rocher qu’ils venaient dépasser. Tout ce que le choc de la roue contre la terre avait produit, il pouvait le voir et le sentir. Pire encore, son cœur cognant sous la montée d’adrénaline soudaine, le sang lui battant dans les veines. La moindre onde. Ça lui emplissait les sens et lui faisait perdre la tête. Avant qu’il n’ait eu le temps de s’en rendre compte, l’homme à côté de lui avait rattrapé le volant pour leur faire éviter la rencontre avec un arbre. S’arrêtant de justesse, le par-buffle avait bien manqué emboutir le coffre. Derrière ça gueulait et ce n’était pas la peine de se demander pourquoi. Les deux hommes se regardèrent un long moment, sans trop savoir lequel des deux avaient eut le plus peur sur le coup.
- « Hé ! Ca va ? Tu t’es cogné la tête ou quoi ? S’inquiéta le brun, la main toujours ancré sur le volant.
- Je… non… ça va… Enfin…
En faite il se trouvait parfaitement incapable de dire ce qu’il venait au juste de se passer. En vrai il n’était même sûr de pouvoir avancer qu’il ne s’était pas cogné la caboche, compte tenu de la tempête qui commençait à régner sous son crâne.
- C’est rien, désolé. Continuons.
- Ouais bah, évite de jouer à paf le chien dans un platane tu seras mignon. » Maugréa Jenkins en se recalant sur son siège, à l’arrière.
Sans rien comprendre au phénomène qui venait de se produire, Aidan enclencha la première et il perçu toute la mécanique du moteur. C’était quoi ce bordel ? Il se transformait en sonar ou quoi ? N’y comprenant définitivement rien, il secoua la tête pour recouvrer ses esprits et appuya sur le champignon, chose qu’il regretta amèrement. Puis son mauvais pressentiment se transforma en certitude. L’air vibra étrangement et ses instincts lui crièrent de faire demi-tour.  
- « Dis aux autres qu’on repars en arrière ! La route n’est pas sûr ! » Aboya-t-il en stoppant une nouvelle fois le véhicule.
L’autre voulu riposter, mais le regard que lui lança son supérieur l’incita à attraper la radio, alors qu’il enclenchait la manœuvre. Trop tard. Au même instant une roquette s’écrasa pile à l’endroit où se trouvait le nez du véhicule à peine quelques secondes plus tôt. Une nouvelle fois, l’onde lui balayait l’esprit, bien plus que le souffle de l’explosion qui fissura le pare-brise.
Les ordres commencèrent à fuser dans tous les sens. « ARTILLEURS ! A VOS POSTE ! ». « PROTERGER LE CENTRE ! ». Il fallait à tout pris protéger les civils et le corps médical, mais surtout se replier. Foncer droit devant et ils couraient au massacre. « ON SE REPLIT BON SANG ! REPLIT » Rejoindre la ville se trouvait être leur seul planche de salut. L’appel fut lancé, il leur fallait un soutient. « ROQUETTE !»
Bon sang. Comment avaient-ils put laisser passer ça ? Pourtant la zone avait été passée au crible un nombre incalculable de fois. D’où pouvait venir ces putains d’insurgés ? Aidan luttait. C’était le chao aussi bien autour de lui que dans son esprit. Chaque coups, chaque tirs, chaque détonations, il les percevaient comme s’il était sous l’effet d’une drogue. Cependant, et il ne savait comment, il savait où était l’ennemis. A travers la brume de son esprit, il vit Dawn embusqué à l’arrière d’un véhicule. Essuyant les tirs, il parvint à le rejoindre.
- « Si j’te couvre, tu peux les avoir d’où tu es ?
- Si t’as un putain d’radar sous ton putain d’casque, putain ouais ! J’vais les fumer ces enfoirés.
- Ok, position sud-est, ajuste à 03h05. »
S’ils n’avaient pas été dans une position de merde, le sniper aurait pensé qu’il lui faisait une mauvaise blague, mais c’était plus l’heure pour ça.
La dernière chose qu’il entendit fut des cris.

…

… Etait-il mort ? Il voulait être mort… Il aurait préféré être mort. Néanmoins il sut que sont cœur battait avant même de l’avoir sentit dans sa poitrine. Foutu truc bizarre à la con, qu’il ne savait pas vraiment comment qualifier autrement que comme étant "une vraie plaie". Malgré l’orage qui régnait sous son crâne, il n’eut pas besoin d’ouvrir ses yeux, ou ses oreilles, pour savoir qu’il y avait quelqu’un qui s’était arrêté à côté de son lit.
- « Sarah… Articula-t-il avec une certaine difficulté. - Où est… Sarah ?
L’air vibra étrangement lorsque l’homme expira et lorsqu’il consentit à encrer ses yeux dans les siens, il y vit de la tristesse.
- Sapeur Hamilton, je suis navré. Mais… votre femme est morte dans l’attaque, avec la moitié de vos frères d’armes. »
Ses yeux se fermèrent de nouveau, étouffant ses larmes. Mort… Il aurait voulu être mort…



Syndrome de stresse post-traumatique, culpabilité du survivant, dépression, burn out, syndrome du héro… Il en avait entendu de toutes les couleurs. Tous ces psys à la mort moi l’nœud, civil ou militaire, pouvaient bien dire ce qu’ils voulaient. Les choses se trouvaient on ne peut plus simple : il avait perdu sa femme et ses frères d’arme. Et il se sentait responsable, alors qu’au fond de lui, il savait qu’il n’y était pour rien.
Après l’hôpital de Kandahâr, on l’avait rapatrié à Manitoba. L’homme avait passé des jours entiers balloté entre le noir de sa chambre, à pleurer toutes les larmes de son corps, les évaluations psychiatriques et  autre rendez-vous médicaux. Au siens de sa hiérarchie, une enquête était en court pour déterminer ce qu’il s’était réellement passé.
Lors de ses rares moments de lucidité, où il n’était pas occupé à percer rageusement des trous dans les murs de sa baraque, il tentait de comprendre – recroquevillé sur un coin du plancher – ce changement qui s’opérait en lui. Comment ça pouvait bien fonctionner. Et surtout s’arrêter. Une chose était sûr, pas besoin d’avoir un QI exceptionnel pour savoir ça : il était un transmutant. Mais à quoi bon posséder cette différence, si ça ne lui avait même pas permis de sauver ceux qu’il aimait ? Il haïssait ce don et souhaitait juste que tout ça s’arrête.

Si le soldat pensait avoir touché le fond, il était loin d’être au bout de ses peines. Un matin trillant les affaires de Sarah, il tomba sur trois lettres. Une stipulant qu’elle avait obtenu un post à l’hôpital de Toronto. C’était loin affreusement loin. Mais qu’importe maintenant. La seconde fut par conséquent sa démission au sein de l’armée. Ainsi elle voulait donc tout quitter, et la cause se trouvait sur le dernier papier : elle était enceinte. Il est vrai qu’en quatorze ans de mariage, jamais il n’avait parlé d’une vie de famille. Elle qui était trop bien rythmé par les guerres. Putain… Si elle lui en avait parlé, jamais ils ne seraient partit.
Rongé par ce double deuil, l’arme qui le narguait sagement sur la table de nuit se trouvait être une sortie des plus séduisante. Ses doigts caressèrent la crosse, qui avait déjà fendu quelque crâne, puis s’en saisirent. Avec lenteur il arma le chien et posa le canon contre sa tempe. Là. Il allait enfin faire sortir toutes ces images de sa tête. Ces cauchemars, sa culpabilité, cette noirceur. Rejoindre Sarah.
Bang !



L’homme se tenait droit comme un i au centre de la pièce, le cou serré par le col de son uniforme qu’il ne se sentait même plus fier de porter. Les regards sévères coulèrent sur lui comme l’eau sur une pierre lisse. Plus rien ne pouvait l’atteindre à présent, son esprit se trouvait ailleurs.
- « Sapeur Aidan William Hamilton. La voix du général était calme et extrêmement posée, compte tenu de la situation. Peut être un peu trop. Suite à l’enquête interne qui a été mené, après l’échec de la mission à  Lashkar Gah, vous êtes reconnus coupable de la mort de vos hommes, ainsi que des civils présents. Vous passerez donc en cours martial. Et au vu des récents événements, vu serez placé en psychiatrie en attendant votre jugement. Votre sœur ne sera pas toujours là pour sauver la mise. »
Si seulement Elora avait put s’abstenir de passer… Si c’était pour finir ses jours en prison, pour une faute qu’il n’avait pas commise. Mais il n’était pas stupide. Aidan avait bien vu le symbole médical sur le dossier que le gradé avait sous le coude.
Les mutants n’avaient pas leur place au sein de l’armée.



Chicago, Mai 2006.

Il en avait fait du chemin depuis qu’il avait réussi à fausser compagnie à ceux qui voulaient l’enfermer. L’homme avait abandonné son prénom de naissance pour William. Il avait même fini par accepter son don, apprenant seul à s’en servir avec une discipline militaire. De toute façon, il n’y avait pas de secret. C’était comme désamorcer ou fabriquer des bombes, tout était une question de sang froid et de concentration. De peser le pour et le contre pour ne garder que l’essentiel. C’est comme ça qu’il voyait son don : comme une bombe. Même si celui là ne pouvait pas faire boum !, comme celle qu’il semait derrière lui. Il avait depuis bien longtemps sécher toutes les larmes de son corps pour ne conserver que sa haine. Sa haine pour sa patrie. Sa haine pour cette humanité qui le rejetait pour ce qu’il était. Lui qui avait tout perdu pour eux. Alors quitte à être considéré comme un criminel, autant en être un vrai, en faisant ce qu’il aimait faire.

Bang ! Le coup de feu avait claqué comme une sommation et l’homme s’écroula en se tenant l’épaule.
- « J’t’avais dit de pas jouer au héro ! Lança William derrière sa cagoule, d’un ton qui ne trahissait aucune émotion, à l’agent de sécurité de la banque gisant au sol.
Il avait perdu trop de temps et il fallait qu’il trouve un moyen de s’en sortir, avant qu’il ne se fasse choper par les flics. Fermant les yeux, il tapa deux fois du pied et localisa son échappatoire bis, mais il lui fallait une garantie. Ses yeux calculateurs balayèrent rapidement l’assistance pour tomber sur une chevelure flamboyante.  
- Toi ! Aboya-t-il en l’attrapant par la tignasse. Tu viens avec moi, ou ton charmant minois va repeindre le carrelage. Et vous, vous ne bougez pas, ou je fais tout sauter. »
Entrainant son otage à l’extérieur de la pièce, il emprunta la sortie de secours et déboula à l’arrière de la banque. Là il l’attira dans un coin sécurisé et s’assura qu’il pourrait semer ses poursuivants, sans avoir besoin de se traîner la fille dans les pattes. Ses doigts serrèrent fortement sa mâchoire et ses yeux se plantèrent droit dans les siens. Il s’assura qu’elle sente bien le canon contre son estomac, pour qu’elle ne tente rien. Sait-on jamais s’il ne tombait pas sur un transmutant comme lui, son doigt sur la gâchette sera de toute façon plus rapide.
- « Fiche le camp. » Souffla-t-il avant de la relâcher.

Cette anonyme ne fut évidemment pas la première ni la dernière personne qu’il prit en otage. Mais malgré son côté bourru, il faisait toujours attention à ne pas leur faire de mal. C’est pour ça que la plupart de ses bombes étaient factices ou sans dangers. Il n’était ni un bourreau, ni un assassin. S’il tirait, ce n’était que pour blesser, jamais pour tuer.


New York, 2009

Y a des jours comme ça où se dit que ça va encore être comme d’habitude, sans accros, sans surprise. Venir, agiter son canon sous le nez des guichetières et partir sans faire sauter quoi que ce soit. Mais c’est aussi le moment où il arrive toujours quelque chose à laquelle on ne s’attend pas.

- « Magnez vous de mettre l’argent dans le sac ! Et le premier qui touche à l’alarme n’aura pas de cérémonie à cercueil ouvert ! » Aboya-t-il en surveillant l’heure. Il avait encore un peu de temps devant lui.
Se dirigeant vers la voûte, que ne fut sa surprise de se trouver nez à nez avec une gamine dérobant l’objet de sa convoitise. Ce sentiment qu’il n’y aura pas de fausse note hein ? Voilà ce qui arrive quand on s’englue dans sa routine pantouflarde. Fronçant les sourcils sous sa cagoule, l’homme n’eut aucun scrupule à lever son arme droit vers sa tête. Le fait que ce soit une demi-portion ne l’empêchera pas de dormir. Il en avait vu mourir des plus jeunes qu’elle en Irak.
- « Tu vas être une gentille et me filer ce sac, ok ?! »
Son ton avait peut être la dureté d’un sergent instructeur, elle n’avait pas perdu son aplomb la sale môme du haut de ses un mètre vingt les bras levés. Et pendant qu’ils se disputaient le bout de gras comme des chiffonniers, évidemment que les employés de l’établissement n’avaient pas sagement attendu qu’ils s’écharpent et se décident à les laisser reprendre leur petite vie tranquille. Ça va vite d’appuyer sur un bouton, lorsqu’il y a plus personne pour surveiller. Puis arrive les condés qui débarquent, avec la discrétion d’un troupeau de pachyderme, gyrophares hurlants. Voilà comment on se fait avoir comme un bleu. La plaie !
Alors qu’il s’apprêtait à prendre la poudre d’escampette, il ne comprit pas bien lorsque la gosse joua à vouloir prendre la voie 9/4. Tête contre mur, ce n’est pas souvent la tête qui gagne ! Au moins, il n’avait pas tout perdu… il gagnait son sac. Néanmoins, et il ne sut même pas pourquoi, ce ne fut pas que ça qu’il ramassa, avant de se tirer en abîmant quelques rotules.

Journée de merde.


Pourquoi avoir prit ce boulet ? C’est la question que l’ex militaire se posa durant les premiers jours. Puis dans les semaines qui suivirent après. Sans doute que la réponse se trouvait dans ce qu’il était avant ? Protéger et servir, quelque chose dans le genre. Bien que la devise du génie se portait plus sur "Parfois détruire, souvent construire, toujours servir !". Enfin, c’était dans leur rôle aussi… Les habitudes ont la vie dure comme on dit. Ou bien plus primaire : il voyait en elle la gamine qu’il aurait dû avoir avec Sarah.
Néanmoins quand on met ses sentiments au placard et qu’on jette la clef, parler de fibre paternelle c’est même pas la peine d’y penser. Mais c’est certain que de bourlinguer tel Bonny et Clyde, en poursuivant leur malversation à deux, et exposer une gosse au danger, se trouvait être la meilleure des idées ! Sauf qu’il n’était pas son père, et elle avait beau être jeune, elle était encore plus têtu que lui la chipie. Lui dire « Sale môme, arrête tes conneries et file à l’école !» ce n’était même pas la peine d’y songer.
L’école c’est  William qui lui faisait. Pourtant son programme n’avait rien à voir avec ceux dispensés par l’éducation nationale. Lui apprendre à maitriser son don lui semblait être quelque chose de plus important que l’instruction culturelle. Sans doute égoïstement d’ailleurs. Se faire passer au travers n’avait rien de très agréable, bien que ça lui évitait quand même ses élans d’affection qui le mettait mal à l’aise.
- « Persévérance est maitre de temps. »
C’est ce qu’il lui disait souvent lorsqu’elle se décourageait. Parce que oui, lui sortir le vrai proverbe c’était l’hôpital que se fout de la charité.

Avec le temps la gamine devint son tout, son univers, son trésor. Ce n’est pas pour autant que William lui montrait vraiment. On ne change pas comme ça un constipé émotionnel !
La seule chose que l’homme désirait était de la protéger plus que tout, bien que son naturel désinvolte l’exaspérait. Il lui apprit même à tirer, car même si elle détestait ça, et que mademoiselle estimait ne pas en avoir besoin, il était important qu’elle sache se défendre toute seule. Juste au cas où il lui arriverait quelque chose…


Radcliff, Octobre 2014.

Si au départ commettre leurs vols dans cette ville leur avait semblé être une bonne idée, se renseigner sur les éminences grises, qui grouillaient dans les coulisses, en aurait été une meilleure. Le maire de cet endroit ne semblait pas avoir le gaz à tous les étages. Les évènements ayant secoué Radcliff n’avait pas laissé William serein. Surtout après l’exécution publique de la mutante. Ça ravivait des souvenirs qu’il aurait préféré laissé enterrer. Alors avant que l’affaire ne tourne en véritable guerre civile, ou qu’ils passent dans les filets de ces saloperies de Hunters, autant mettre les bouts. L’ex militaire aurait été seul qu’il aurait profité du couvre feu pour s’enfuir. Mais avec Lilo, ça lui semblait bien trop risqué.
S’il c’était attendu à tomber sur un véritable commando de fou furieux ! Lui qui pensait que les hunters n’étaient que des civils, un peu trop extrémiste pour leur propre bien. Ne jamais sous estimé son ennemis était la première chose qu’on leur apprenait. Et s’en souvenir en étant pris sous les balles, c’était comme qui dirait… trop tard non ?

Cinq chasseurs pour deux proies, ça ne lui semblait pas très équitable, surtout que son épaule lui faisait un mal de chien et son arme lui semblait bien trop légère. Fermant les yeux, il frappa sur le sol, compta jusqu’à dix, sortit de sa cachette et tira. Quatre… Ce coup-ci il ne se gênait pas pour tuer. Et si ces salopards pouvaient souffrir au passage, c’était ça de gagner. Il aurait put lui trouer directement le palpitant, cependant la rate lui semblait bien plus approprié.
Poussant Lilo devant lui, il tira une nouvelle fois pour couvrir leur fuite. Il lui avait fait promettre de toute façon… S’il tombait elle devait partir sans se retourner. S’ils étaient séparés, qu’elle se cache, il la retrouverait.
C’est malheureusement ce qui se passa. Un projectile lui faucha la cuisse, sauf que celui-ci ne lui fit pas l’effet d’une vraie balle. Il eut l’impression d’être renvoyé onze ans en arrière, lorsque son don c’était déclenché. Foutu pour foutu, autant qu’il couvre la fuite de la gamine. De toute façon il avait perdu trop de sang. Se retournant face aux chasseurs, il leva une dernière fois son arme et vida son chargeur, sans trop parvenir à distinguer où il visait. La dernière chose qu’il sentit fut une vive douleur lui transperçant le crâne, puis il tomba dans l’inconscience. Et alors qu’il imaginait que son ultime pensée serait pour Sarah, elle fut pour Lilo…

Run, baby girl.

…