C’était un phénomène étrange. Quand même. En 2015, qui, aux Etats-Unis, pouvait encore prétendre ne pas avoir de réception pour les téléphones portables dans sa maison ? Dans une maison aussi grande, qui plus est ?! Et qui avait l’idée de vivre comme ça, complètement reclus de la société, dans un coin isolé, affiché à la vue de n’importe quelle personne qui passait dans les parages ? Peut-être était-ce parce que la vie à Radcliff le rendait parano ces derniers temps, mais Dax n’pouvait s’empêcher de se dire, que Madame Greene, elle était bien chanceuse qu’un serial killer n’ait pas déjà eu l’idée de faire de sa maison un quartier général, en l’assassinant elle et la cachant dans un placard. Il n’aimait pas cet endroit. Et en vérité, depuis son accident, il n’aimait pas les endroits où il y avait beaucoup de gens, comme ça – des inconnus, concentrés dans un espace qui rapetissait bien vite dans son esprit stressé. Et dire qu’il était juste venu pour faire le chaperon : il n’était même pas déguisé ! Du moins, qu’à peine, et à l’entrée, il avait prétendu être déguisé en Oz de Buffy contre les Vampires, lui-même déguisé en Dieu, juste en attachant un simple post-it indiquant ‘dieu’ sur sa veste. Voilà où il en était, dans cette stupide fête : quoique. Encore, en plus de tout ça, il avait perdu sa sœur. Encore. Encore une. Et où était-elle passée ? Naïvement, le brun avait l’espoir qu’avec un simple coup de fil, il arriverait à la trouver, parce qu’elle décrocherait et lui dirait ce qu’elle faisait, plutôt que d’ignorer complètement la sonnerie de son portable pour continuer de s’amuser. Mais évidemment, c’était sa sœur ! Et en plus, ils étaient désormais une famille dysfonctionnelle, où ses parents le persuadaient plus ou moins d’accompagner sa sœur à une fête pour garder un œil sur elle et où sa sœur préférait l’éviter, parce que c’était ‘trop compliqué de gérer tout ça’ qu’elle disait. Comme si c’n’était pas censé être compliqué pour lui, avant tout le reste : à quelques détails près, il aurait pu venir déguisé en zombie à cette soirée, juste torse nu, avec un peu de couleur pour faire ressortir les larges cicatrices qui barraient son poitrail, parce qu’il s’était pris une balle près du cœur, et que les chirurgiens avaient littéralement dû lui ouvrir la poitrine ! Parfois, ouais, parfois, Dax, il avait juste envie de hurler des trucs comme ça à sa sœur cadette, ou à tous les autres, qui avaient la mauvaise idée de le dévisager comme ‘le survivant’. Oh, tiens, Harry Potter, ç’aurait pu être une autre idée de déguisement.

Des pensées bien sarcastiques et acides, malgré l’ambiance autour de lui : heureusement, celles-ci s’envolèrent dès qu’il sentit son téléphone vibrer dans sa main. Enfin ! Un endroit où il pourrait téléphoner ! Si seulement… c’n’était pas au beau milieu d’un salon bondé de gens. Avec de la musique. Et de l’agitation. Mais la photo sur l’écran, et le nom indiqué, c’n’était pas sa sœur. C’était Emma. Une révélation qui emballa son cœur comme s’il courait un marathon, subitement : ce n’était pas dans les habitudes de la jeune femme de l’appeler, sans raison extérieure. Alors… alors si elle l’appelait, c’était bien… qu’y’avait une raison ! Etait-elle malade ? Lui était-il arrivé quelque-chose, à cause de bidules machins qui se passaient dans son corps à cause du vaccin ? Est-ce qu’elle l’appelait pour qu’il l’aide ?! L’inquiétude grimpa en flèche en lui, il savait qu’il devait décrocher. « Emma ?! EM’, tu m’entends ?! » mais évidemment, aucun son correct ne vint à son oreille, pour lui indiquer qu’elle l’entendait ou ce qui pouvait lui arriver, à elle. « Ehm att-… attends j’vais. J’vais trouver un endroit où… » il ne se donna même pas la peine de finir sa phrase, avant de se lancer en direction des escaliers qui se trouvaient là : forcément, à l’étage, il y aurait moins de monde. Peut-être même qu’on n’avait pas le droit d’y aller. Pour l’instant, Dax n’en avait rien à faire, purement et simplement. S’il venait à trouver du réseau quelque part à l’étage, il n’en aurait encore plus rien à faire, c’était pour dire ! Il vagabonda ainsi à toute vitesse, essayant une pièce après l’autre, pour découvrir qu’y’avait des gens à chaque recoin ici. Ici. Et là. Et encore ici. Et dans la pénombre, il poussa une porte, pour trouver le silence – enfin ; dans un soupir, il s’engouffra dans la pièce, presque sans faire attention, trouvant l’interrupteur. « Emma ? » rien. L’appel avait été terminé, depuis probablement un long moment. De ses lèvres pincées, Dax retint un juron, qui glissa tout le long de sa gorge en un nœud inquiet, lorsqu’il remarqua qu’il n’était pas dans un endroit… décent. Probablement même une zone complètement interdite aux visiteurs. Maintenant, il s’en préoccupait. C’était une chambre, après tout – peut-être même la chambre de la vieille Madame Greene. « Oh euhm- » parce qu’il venait de remarquer qu’il n’était pas seul, en fait- et en réalité, il n’voulait même pas savoir ce que l’autre pouvait faire là. « Je-… je savais pas que quelqu’un dormait. Je-… » il allait sortir, oui, et vite, rien que pour éviter les confusions, hein. Et puis-… c’était mieux comme ça. Pourtant, au moment où il enclencha la poignée qu’il avait touchée quelques secondes plus tôt pour claquer la porte, celle-ci resta fermée. Verrouillée, même.

Pour ceux qui connaissaient Dax, le décrire comme sociable et avenant serait aisé ; c’était c’qu’il était, après tout : prompt à s’amuser, toujours prêt à rencontrer de nouvelles personnes et à tirer quelque chose de tous les gens qu’il côtoyait. Il avait cette façon d’être toujours positif, optimiste, vis-à-vis des événements et de l’humain de manière générale. Mais les choses avaient pas mal changé, depuis la mort de Daria. Y’avait pas d’meilleure façon de prendre conscience de la violence du monde, que de s’faire tirer une balle dans le torse par un type sorti de nulle part, juste pour mieux agoniser sur le pavé pendant que le corps de sa sœur refroidissait juste à côté de lui. Il n’voulait pas revivre ces moments, Dax ; jamais. Et peut-être que cette conviction, uniquement dirigée pour la clairvoyance de son esprit, la survie de sa raison, s’transformait progressivement en une rage orgueilleuse, depuis qu’il côtoyait les rangs d’Insurgency. Il comprenait, maintenant, pourquoi sa sœur était devenue l’genre de personne qu’elle était devenue, quand elle avait rejoint les rebelles : ç’avait l’allure d’un cercle-vicieux, que de devenir un enragé quand on s’battait juste pour avoir le droit de vivre, sans vraiment autre chose. Alors c’était tout ça, un mix d’arômes entre l’amertume et l’acidité cruelle d’une leçon durement acquise, qui faisait aujourd’hui de Dax quelqu’un qui appréhendait l’autrui avec beaucoup plus de retenue qu’il n’l’avait jamais fait. Cette fête n’était pas différente des rues de Radcliff ou de ces endroits où il n’allait plus qu’à reculons, maintenant. Comment naviguer parmi cette foule, savoir que sa sœur était ici, quelque part, sans craindre que quelqu’un n’s’attaque à elle, ou à lui, ou à eux deux ? Ca semblait être impossible à surmonter, comme impression. Il n’savait pas. Il n’savait plus.

Peut-être alors, qu’une poignée de mois plus tôt, Dax aurait posé mille questions au jeune homme qui s’trouvait déjà dans cette chambre, juste parce que ç’avait été son truc à l’époque. Il n’aurait pas eu d’problème à lui faire une remarque sardonique – parce qu’après tout, pourquoi est-c’que quelqu’un s’foutait en solo dans une chambre, dans le noir, au beau milieu d’une fiesta ? Y’avait au moins trente scénarios de blague possibles et imaginables qui se créaient, quelque part, dans un coin de la tête du brun. Mais il n’avait pas l’instinct, pas l’envie de s’concentrer là-dessus : il voulait trouver un moyen de rappeler Emma au plus vite, et de retrouver sa sœur parmi les gens qui étaient là. C’était tout ce qui importait. Ouais. Mais alors qu’il tournait désespérément la poignée, la porte restait, elle, verrouillée et n’semblait pas vouloir indiquer quoique ce soit d’autre, que l’fait qu’elle se soit mystérieusement bloquée, juste après qu’il l’ait passée. Est-c’que c’était une mauvaise blague, franchement ?! Est-c’que cette Madame Greene était en fait une vieille lunatique qui allait s’amuser à enfermer ses convives dans des pièces par duo, une fois qu’ils se retrouveraient plus ou moins par hasard. Et pour quoi ? Sûrement que Dax aurait pu, foncer dans la porte avec sa vitesse ahurissante : mais peut-être que l’autre était un hunter. Ou un fils de… comme il semblait tant y en avoir à Radcliff. Et d’toute manière, alors que la nervosité rendait sa main moite sous la poignée, et faisait insidieusement trembler ses doigts, il serait bien incapable de réunir le petit peu de contrôle qu’il avait désormais sur sa mutation. Non, alors. « La porte- » il marmonna entre ses dents, pour répondre à la question de l’autre qui s’approchait dans son dos. Et si c’était lui, qui lui f’sait une putain de mauvaise blague ? « elle s’ouvre plus. » c’n’était pas faute d’essayer, quand même, et de s’mettre à taper sur la surface de bois en espérant que quelqu’un les entendrait. Au-dessus des cris et de la musique et des éclats de voix ; ouais, c’était probablement trop demander, à autrui de s’occuper de quelqu’un d’autre. « Sérieusement, est-c’que t’as fait ça ?! J’ai pas l’temps de-… » il était prêt à râler de plus belle, mais alors qu’il faisait un volte-face pour dévisager enfin le gars qui se trouvait avec lui, Dax eut l’impression trop familière de l’arôme du sang sur sa langue. Dès qu’il baissa les yeux vers son tronc, tout ce qu’il vit, c’est un trou béant dans son poitrail, là où la balle du hunter l’avait laissé pour mort, des mois plus tôt, dans cette rue froide et humide. C’n’était pas possible. Pas possible. Alors que la panique pulsait dans ses veines au rythme effréné de son palpitant qui s’accélérait progressivement, le Oswald pressa une main tremblante : il n’y avait pas eu de coup de feu, pas d’attaque, rien – et pourtant, sous ses doigts, il semblait bien que c’était du sang, poisseux et chaud qui faisaient danser le monde autour de lui, nauséeux et hostile.