Isobel avait toujours été une enfant agréable, elle était même reposante comparée à ses trois frères. Toujours, c’était à elle que l’on donnait le bon Dieu sans confession. Mis à part quelques crises quand on lui prenait ses affaires sans rien lui demander, ses parents n’avaient pas grand-chose à lui reprocher. La période la plus difficile à laquelle ils eurent à faire face fut ses dix-sept ans. Ils n’avaient pas vu passer sa crise d’adolescence mais, lorsqu’elle apprit qu’elle ne pourrait avoir d’enfants pour une obscure raison qu’il fallait trouver, elle le prit très mal. Comme pas mal de jeune femme de son âge, elle aurait voulu pouvoir fonder une famille ou au pire, avoir le choix. Elle ne l’avait pas, c’est tout ce qu’elle retint.
Les mois qui suivirent furent infernaux. Tout ce qu’elle n’avait pas fait, elle le fit. Elle se mit à fumer, à faire le mur et de fait au beau milieu de la nuit, à sécher les cours, à devenir insolente, elle ne leur épargna rien du tout. Elle rata d’ailleurs son année scolaire et fut plus que jamais en retenue et en renvoi. La chose lui pendait au nez mais, quand ses parents rencontrèrent le directeur, ils parvinrent à un compromis, seulement, tout dépendait d’elle. Il y avait des conditions et elle devrait s’y tenir.
Ce ne fut pas simple de les lui faire accepter. Le plus dur, c’était la condition psychologue. Elle fit tout pour s’y soustraire et elle leur en fit tellement voir qu’aucun d’eux ne voulu plus la prendre en consultation. Ses parents furent forcés de trouver une autre solution alors ils l’inscrivirent à un cours d’auto-défense. L’idée en soi était de la modérer, de l’obliger à se dépenser et de se focaliser sur autre chose. L’objectif fut atteint, car relativement rapidement, elle se calma. Elle vit également les choses autrement et même si elle commença son année suivante avec quelques ratés et pas mal de turbulences, les choses se calmèrent.

Un an plus tard, c’était comme si rien ne lui avait été annoncé, tout était rentré dans l’ordre... En vérité, Isobel avait largement eu le temps de penser à ça et c’est en voyant à quel point sa mère était épuisée par elle et ses frères qu’elle se mit à réfléchir. Pas besoin de psy donc mais, juste d’une bonne dose d’observation. En effet, avec trois fils et une fille, elle n’avait pas le temps de s’ennuyer. Entre le frère qui ramait dans ses études de droits, celui qui s’était blessé et insistait pour continuer à jouer quelques soient les risques, celui qui ne savait pas quoi faire de sa vie et elle qui avait disjoncté l’année précédente, sa mère semblait au bout du rouleau et son père n’en menait pas plus large. Son petit frère -juste de deux ans plus jeune qu’elle- avait encore le temps de se décider même si ses autres frères savaient déjà ce qu’ils voulaient à son âge. Quant aux deux autres, ses parents ne pouvaient rien faire d’autre que s’inquiéter inutilement. C’est ce stress, cette tension, cette angoisse constante qui l’aida à comprendre que finalement, elle ne voulait pas de ça, que le fait de ne pas pouvoir être mère un jour était finalement une bénédiction. Peut-être changerait-elle encore d’avis, peut-être pas mais, c’est ce constat qui eut la plus grande influence sur elle, qui la calma. L’auto-défense n’était finalement qu’un moyen de se défouler pour le reste, évacuer le stress.
Ces heures passées à apprendre comment se défendre furent néanmoins bénéfique pour son futur. À force de discuter avec les personnes qui y venaient, elle s’intéressa de plus en plus aux forces de l’ordre. Le métier n’était pas simple mais, il avait quelque chose de gratifiant. Elle aimait l’idée de remettre à leur place ceux qui le méritaient et de protéger les autres. Elle voulait faire la différence, elle était encore idéaliste.

Ses idéaux, elle les perdit rapidement alors qu’elle n’était même pas encore diplômée de l’école de police. C’était toujours comme ça il paraît. Ce qu’ils voyaient leur ouvrait les yeux sur les injustices, que ce soit du petit truand qui s’en sort tranquillement jusqu’à l’innocent qui paie pour rien. Ils étaient spectateurs plus souvent qu’acteurs et il y avait de quoi grincer des dents. Cependant, même si elle avait ouvert les yeux sur la réalité du job, elle ne fit pas marche arrière, elle ne fit que se blinder, aussi bien pour faire face à ce qu’elle voyait et verrait que pour supporter ses collègues masculins, toujours plus idiots et sexistes, ses supérieurs ne dérogeant pas à la règle. Loin de là même. Elle se fit sa place, son trou, sa réputation.
C’est à cette période qu’Isobel rencontra son futur mari. C’était un homme nuancé, mesuré, qui ne la jugeait pas et qui semblait tout à fait capable de reconnaître ses qualités et malgré quelques débuts houleux, ils firent leur vie tranquillement. Il y avait le stress de son travail, le danger qu’il représentait mais, ça n’avait pas d’importance, le danger n’était pas quelque chose qui les empêcherait de vivre d’autant qu’il savait pertinemment qu’elle ne changerait pas de travail juste pour lui faire plaisir. Il connaissait bien son caractère et lui-même risquait sa vie en intervenant sur des incendies, il se voyait donc mal lui demander une chose pareille.
Il fut cependant contrarié quand elle prit la décision d’entrer chez les démineurs, un job d’autant plus dangereux. Elle avait la volonté, le caractère et elle savait qu’elle s’en sortirait mais lui n’était pas ravi. Ajouté à cela que s’il avait accepté qu’elle ne puisse pas avoir d’enfant, il était désormais tiraillé par ce manque alors qu’elle n’en avait que faire. Les disputes sur les adoptions et son travail devinrent légion à l’époque.

La situation dans son couple devint encore plus trouble des années plus tard quand Isobel fut gravement blessée en intervention. Un de ses collègues avait mal évalué la situation et les conséquences furent désastreuses. Des morts, des blessés graves et des dégâts astronomiques. Dans l’histoire, elle perdit la rate et un rein. Elle aurait pu être transplantée mais, elle avait refusé tout net avec violence et acidité à cause de la révélation des mutants quelques mois plus tôt. Elle risquait de se faire transplanter un organe qui appartenait à l’un d’eux et il en était hors de question. Son mari et les médecins tentèrent de la convaincre mais rien n’y fit. Ils furent obligés d’accepter son choix, sa décision était prise et elle ne fut pas la seule à réagir de la sorte. Les tensions entre son mari et elle ne s’arrangèrent pas, elle mit ça sur le dos de son refus à se faire soigner au mieux. Elle ignorait qu’il lui en voulait pour une tout autre raison.
Inutile de dire que le dépistage, elle le vit d’un très bon œil et qu’elle le fit sans même rechigner. Au contraire, elle harcela qui de droit pour être certaine qu’ils n’avaient fait aucune erreur et qu’elle ne possédait pas le gène. Elle en aurait été malade... Quelques semaines plus tard, son mari lui annonçait qu’il était un mutant, qu’il le savait depuis des années et qu’il ne voulait juste pas l’effrayer. Il lui disait la vérité pour tenter de lui prouver qu’ils étaient des gens comme tout le monde. Peine perdue bien entendu, car elle prit une décision majeure ce jour-là. Elle devait se débarrasser de cette abomination qui l’avait touchée pendant des années sans qu’elle n’en sache rien. Elle les haïssait pour ce qu’ils étaient, pour ce qu’elle n’était pas. Ils étaient une erreur dans le parcours naturel du monde, un gène défaillant. Elle n’avait pas le choix, elle devait faire quelque chose.
Pendant des semaines, elle réfléchit, médita sur la façon dont elle allait s’organiser et procéder. Elle était bien décidée à agir mais, elle refusait de prendre la perpétuité pour avoir débarrassé le monde de ça. Elle ne changea rien à ses habitudes et quand son plan fut établi, elle mit les choses en place progressivement et pas à pas, patiente et méthodique.

Au fil du temps, Isobel déclencha des disputes, jouant sur les humeurs de son abomination de mari, s’arrangeant pour qu’il y ait au moins un témoin. Les sujets étaient nombreux et variés, elle y faisait très attention pour obliger leur entourage à s’interroger. Avec les tensions qu’il y avait entre eux, elle n’eut pas beaucoup d’efforts à faire. Elle s’assura ensuite de donner du grain à moudre à leurs proches, un bleu par-ci, une esquive de discussion par là, une attitude étudiée pour donner le change. À aucun moment, elle ne culpabilisa d’utiliser les gens qu’elle connaissait, elle agissait comme il fallait, elle en était convaincue. Et, quand elle jugea que le moment était venu, qu’elle en avait fait assez pour faire peser la balance de son côté, elle prépara soigneusement les choses. Elle s’entailla de façon superficielle le visage, le dos des mains, les bras un peu plus fort, chronométrant presque ses actes pour n’avoir qu’à mettre en scène la fin. Elle le poussa à bout, en sang, le forçant à frapper pour accréditer ses dires, à attraper le couteau pour pouvoir le retourner contre lui. Elle frappa plus que nécessaire pour simuler une crise d’hystérie et elle sortit dans la rue. La police, les secours, bientôt, sa rue fut illuminée de feux bleus et rouges. Il ne lui restait plus qu’à jouer son rôle jusqu’au bout.
Elle répondit à chaque question, prit soin de manipuler comme il se doit le psychologue. Elle joua le jeu jusqu’au bout. Ou presque... Un des membres de son équipe, pas dupe ou au moins suspicieux s’arrangea pour la voir sans surveillance, lui parler seul à seul pour comprendre. C’était ce qu’il avait dit et il se fichait d’avoir un blâme pour avoir coupé la surveillance. Il mit longtemps à la faire parler mais, en mettant en avant les bons arguments, il finit par lui tirer des débuts de réponses. Ces réponses, elle les lui donna parce qu’elle-même avait quelques soupçons le concernant. On parlait parfois de gens qui s’en prenaient aux mutants. Elle avait toujours pris ça pour une légende urbaine mais, il était en train de lui donner la preuve du contraire. Elle parla donc, méfiante au début, plus confiante par la suite. Il lui promit qu’il lui apporterait son aide, qu’elle avait agi comme il le fallait et qu’il n’aurait pas cru ça d’elle. Il tint parole. Quelques mois plus tard, le temps que tout soit réglé, elle était dehors, libre bien que très mal perçue désormais par certains et secrètement approuvée par d’autres. Son équipier et Kingsley avaient tenu parole.

Les jeux étant fait, elle mit fin à son ancienne vie en remettant sa démission et en déménageant à Radcliff. Là-bas, elle savait qu’elle trouverait du travail et savait tout aussi bien qu’elle serait utile. Les chasseurs étaient couverts et c’était tout ce qu’elle demandait finalement. Une nouvelle vie, un but. Elle les avait.