Je ne pouvais être plus euphorique. En un sens, ce sentiment m’apeurait, je ne comprenais pas réellement pourquoi j’appréciais autant voir souffrir, saigner, une personne et pourtant je ne pouvais m’empêcher d’adorer cela. Jamais rien ne m’avait fait ressentir quoi que ce soit, aussi intensément. Je ne me considérais pas comme un monstre, j’étais seulement différente : certains se procurent du plaisir en aimant, quant à moi, seul le sang versé me satisfait. Je tendais à croire que je n’avais pas totalement perdu la tête étant donné que je ne me prenais qu’à des coupables comme ce couple qui cette nuit-là avait succombé à ma mutation. Lui, avait été acquitté lors de son procès bien qu’il ne soit aucunement innocent, elle connaissait les agissements de son mari et pourtant fermait les yeux. J’avais fait en sorte qu’elle ne puisse plus jamais les rouvrir et lui allait dans quelques minutes être à sa place : derrière les barreaux. Je jubilais. Je venais tout juste de quitter leur maison et m’apprêtais à téléphoner à la police depuis une de ces antiquités -pourtant bien utiles dans des cas comme celui-ci- : une cabine téléphonique. Avec un peu de chance elle aurait été fonctionnelle. Je me laissais emporter par le vent qui s’était engouffré dans la rue, sautillant, laissant paraître le bonheur immense qui me submergeait. Il me tardait de lire dans les journaux du lendemain que le principal suspect dans l’affaire des viols suivis de meurtre qui avait duré plusieurs semaines avait été incarcéré pour l’assassinat de sa femme. Tout était si parfaitement orchestré grâce à ma mutation qui m’avait permis de manipuler ce criminel. C’était un vrai don du Ciel, je n’étais pas croyante mais je ne pouvais que remercier Dieu de m’avoir doté d’un tel pouvoir. Je me sentais pousser des ailes, rien ni personne ne pouvait à ce moment précis me contrarier. J’étais devenue tout ce dont j’avais toujours rêvé d’être : une femme forte, prête à défier le monde entier, une femme qui pourra faire entendre sa voix, respectée. La tête haute, posture affirmée, je déambulais dans la rue, me retenant de chanter à tue-tête la première chanson qui me venait à l’esprit soit, étrangement, « Can’t take my eyes off of you » reprise maintes et maintes fois par de nombreux artistes. A chaque pas que je faisais, la mélodie s’intensifiait. Je ne pouvais plus me contenir. Ma marche se transforma petit à petit en danse. Mes doigts claquaient à intervalles réguliers, marquant les temps. Un tour sur moi-même et je laissais des notes sortir de ma bouche, le refrain était si entraînant, je manquais de rire aux éclats. Un son dans mon dos me fit sursauter, m’arrêtant dans mon élan. Mes joues devinrent écarlates. La joie avait été remplacée par une honte aussi imposante. Je ne m’étais pas retournée, bien trop effrayée que l’on puisse me reconnaître. J’avais alors accéléré le pas et ce ne fut qu’à l’angle de la rue que je regardai par-dessus mon épaule. Rien, absolument rien, le vide total. Mon esprit m’avait peut-être joué un tour ? Ou bien était-ce seulement un animal qui avait traversé la route ? Dans tous les cas, ce bruit m’avait bel et bien calmée, j’étais redescendue sur Terre. Je soupirais, je me sentais si bête. « Bravo Grace ! Pourquoi tu as eu peur ? Pour rien ! Hey ça te dit d’avoir peur … pour rien ? » Je tentais tant bien que mal de cacher mon mal être soudain par de l’humour. Alors que je repris le chemin de la cabine, un autre coup, plus proche cette fois-ci, me surprit. Je lâchai un cri d’angoisse, tous mes espoirs de femme forte s’effritèrent peu à peu. Je n’étais pas du genre peureuse, cependant étant seule dans une rue éclairée pratiquement que par la pleine lune, je devenais plus que tendue. Je pris mon courage à deux mains, pivotai lentement. Un homme était debout, dans l’ombre, je ne pouvais distinguer que sa silhouette qui ne me rassurais guère. Je déglutis. « Qu-qui êtes-vous ? ».