JIM ET GENE / And all I've done for want of wit, To memory now I can't recall, So fill to me the parting glass. And all the sweethearts that e'er I've had would wish me one more day to stay. But since it falls unto my lot That I should rise and you should not, I'll gently rise and I'll softly call. – THE WALKING DEAD OST.
C’est la merde. Une petite phrase presque gravée au fer rouge dans son esprit, après toutes ces années à déambuler sur Terre avec les ennuis aux trousses. Une phrase qu’il était habituée de s’entendre penser, et de trouver à chaque coin de rue, dès qu’il mettait un pied dehors. Ça faisait partie de son quotidien, partie de sa vie. Mais aujourd’hui, il aurait définitivement préféré ne pas avoir à la penser.
Parce qu’aujourd’hui, à cette idée, son visage restait fermé. La seringue au fond de sa poche était plus lourde que jamais, et ce même s’il la savait remplie d’un sérum aux effets temporaires. Il avait le cœur battant furieusement au fond de la poitrine, et l’impression que sa cage thoracique n’allait pas le supporter, et allait tout simplement exploser. Il aurait voulu ne jamais avoir à connaître cette petite phrase, ne jamais avoir à l’entendre lorsqu’il s’agissait de Gene. Et pourtant, il n’avait pu y échapper. À vouloir courir plus vite que le monde et à se croire plus malin que l’ensemble de ses prochains, la misère avait fini par le rattraper. Et aujourd’hui, c’était bien plus la merde qu’il ne l’avait jamais souhaité.
La lumière est tombée depuis une bonne heure déjà, et il sait qu’il n’a pas une seconde à perdre. Ça n’a pas été long pour qu’il aille récupérer du sérum, pas été long pour qu’il ne sorte une seringue propre et ne remplisse le réservoir de liquide. Et à chaque pas qu’il fait désormais en direction du petit appartement, il a l’impression de sentir son cœur se briser. Pourtant, il ne fait qu’accélérer le pas, jusqu’à arriver à ce bloc d’appartements qu’il ne connaît que trop bien. Il rentre, grimpe les escaliers. Et quand son poing s’écrase sur la porte à plusieurs reprises, il ne peut qu’espérer ne pas être arrivé trop tard.
« C’est moi. » Ouvre-moi. Il entend des petits pas derrière le battant, perçoit la présence dans l’appartement. Et il ne se rassure qu’à moitié, tentant de dissimuler au mieux son expression inquiète. Un dernier regard furtif dans le couloir, alors que la porte s’ouvre finalement. Et à cet instant, il n’est rien qu’il ne donnerait pour être venu réclamer simplement des cookies et du thé glacé. Passer la soirée les doigts de pied en éventail sur ce canapé, à attraper les cacahouètes qu’elle s’entraînait à habilement lui lancer. À ronfler, avachi sur le canapé, en prétendant être là pour sa sécurité.
« J’te dérange pas ? T’allais pas t’coucher j’espère ? J’peux entrer ? » Et ce faisant, il passe le pas de la porte. L’ombre d’un sourire sur les lèvres, pour faire comme si de rien n’était. Refermant la porte derrière lui, la verrouillant sans se poser la moindre question. Il sait que lorsque c’est lui, Gene ne se posera pas de questions. Il sait que parce que c’est lui, elle se laissera approcher. Et il n’est peut-être rien de pire, à dire vrai, que de le savoir. Mais tout ça, c’est pour sa sécurité.
Foutue sécurité. Il est là pour ça, et il le sait. Mais il préfère lorsque ça reste un jeu, il préfère lorsque tout ça, ce n’est que pour plaisanter. Lorsqu’elle n’est pas vraiment en danger. Mais ce qu’il a entendu ne peut pas le tromper. Il y a un problème, et il le sait. On va s’en prendre à elle, et il le sait. Ça le détruit, ça lui bousille les tripes. Il voudrait que ce ne soit qu’un cauchemar, et qu’on le réveille avec un seau d’eau glacé. Mais pourtant, au fond de lui, il le sait : tout ça, ce n’est rien que la foutue réalité. Gene est en danger, et c’est à lui de tout faire pour réparer ce pot avant qu’il n’achève de se casser.
La journée touchait à sa fin et la nuit était tombée depuis longtemps. Gene avait toujours du mal à se réhabituer aux horaires de fin d’été, quand les jours raccourcissaient et que les nuits s’allongeaient, préparant à l’automne prochain. Mais elle avait encore largement le temps avant que l’aube n’arrive que sur les coups de sept heures du matin et que l’obscurité s’installe aux alentours de dix-huit heures. Et puis, le lendemain, elle n’était ni en stage ni en cours, alors elle comptait profiter allégrement de sa soirée. Une illusion sur ses talons, elle avait fait à manger, s’était installée devant un film, et finalement était restée calée sur son ordinateur à perdre son temps. C’était une chose dont elle profitait tant qu’elle le pouvait encore, sachant très bien que le temps de l’oisiveté serait bientôt loin derrière elle. Plus elle approchait de la fin de ses études, plus elle se demandait ce qu’elle devait faire. Pourquoi ne pas entrer directement dans la vie active ? Après tout, après avoir fait ses armes à Radcliff, on ne pourrait pas dire qu’elle manquait d’expérience. D’un côté, elle en aurait moins que ses camarades prêts à continuer encore deux ou trois ans jusqu’à leur doctorat, aussi se demandait-elle si elle n’allait pas chercher à trouver un travail en alternance jusqu’à ce qu’elle ait un diplôme digne de ce nom ; et d’un autre côté, elle n’était pas certaine de vouloir rester enfermée encore aussi longtemps dans un amphithéâtre à écouter des professeurs plus ou moins motivés continuer leur enseignement purement académique et pas toujours adapté aux cas auxquels ils seraient confrontés une fois fraîchement sortis de leur promotion. Ceci étant dit, elle avait encore quelques mois pour prendre une décision. Pour le moment, elle avait surtout son stage en tête, et elle essayait de ne pas trop penser à sa rencontre fortuite avec le monstre qui avait terrorisé la ville pendant un très long mois de peur. Elle était déjà heureuse de s’en être sortie indemne, au contraire du pauvre homme qui tenait le rôle de son maître de stage et qui avait fini à moitié dévoré vivant. Un sort absolument pas enviable auquel elle avait échappé, fort heureusement, et qu’elle garderait bien pour elle-même – un poil superstitieuse, elle n’avait pas envie de tenter le sort en se vantant de ne pas avoir subi ses revers.
Le film qu’elle regardait était lancé depuis une demie heure à peu près lorsqu’on frappa à la porte de la jeune mutante. Elle haussa les sourcils, surprise, puis se détendit immédiatement en reconnaissant la voix qui s’éleva de l’autre côté du battant. Mettant son lecteur en pause, elle laissa l’illusion étalée sur son ventre aller s’allonger ailleurs – à savoir la table basse au milieu du salon – puis elle se leva et alla ouvrir. Elle sourit à Jim et s’écarta pour le laisser passer, repassant dans le salon pendant qu’il refermait la porte ; il l’avait fait si souvent, elle ne voyait rien d’étrange à ça. Au moins comme ça, ils étaient sûrs que personne n’entrerait sans y être invité.
- J’allais pas me coucher et tu me déranges pas, mon film était nul.
Il n’était pas si mauvais que ça à dire vrai, mais elle préférait mille fois la présence de son meilleur ami à un long-métrage qu’elle aurait tout le temps de revoir plus tard. Elle grattouilla la tête de l’illusion au passage.
- Comment tu vas ? Y a du thé au frigo, je vais t’en chercher si tu veux.
A chaque fois qu’elle allait faire quelques courses, elle pensait toujours à prendre une bouteille de thé glacé pour lui, pour toutes les fois où il venait chez elle, qu’il prévienne avant ou non. Il méritait au moins ça, et tous les gâteaux qu’elle pouvait faire qu’il s’amusait à dévorer avec une dévotion presque religieuse. Après tout, ce n’est pas comme si la situation lui déplaisait.