1985. « Part avec moi Addie. S'il te plait. » Un sourire triste étira ses traits encore enfantins. « Paris. Moscou. Shangaï. Melbourne. Où tu veux, c'est toi qui choisis. » Entre chaque ville, les lèvres de l'adolescent venaient caresser son cou. Son offre était tentante, bien trop tentante. Mais bien trop folle aussi. D'un léger mouvement de tête, elle chassa son époux et replongea son nez dans son manuel de droit. Sebastian se laissa tomber lourdement sur le lit, continuant pourtant de dessiner de larges volutes sur le dos de la belle. Il attendait une réponse de la chasseuse, ou au moins une réaction, pourtant Adelaïde ne semblait pas vouloir lever les yeux de ses révisions. S'impatientant, le Lecter s'empara tendrement des épaules de sa femme et l'attira vers lui, la forçant à abandonner son livre et à s'allonger à ses côtés. Addie souffla, faussement exaspérée, trop heureuse de trouver une raison pour échapper à ses cours de droits ; elle alla se blottir contre l'aîné Lecter, qui l'attira dans ses bras. « Part avec moi mon cœur. » répéta-t-il, maintenant qu'il avait son attention. La main d'Adelaïde trouva naturellement la joue de Sebastian, et son pouce entama de caresser l'arrête de sa pommette. « Je peux pas Seb, tu le sais. » Cette discussion, ils l'avaient déjà eu mille fois. Addie était fatiguée de devoir se justifier, fatiguée de trouver des excuse. De devoir se convaincre elle-même. « Pourquoi ? » insista-t-il en plantant un baiser sur son front, puis sur sa tempe, descendant ainsi jusqu'a sa bouche. Ses lèvres vinrent s'égarer un instant sur les siennes, mais la jeune Beauchamp se dégagea. « Je peux pas abandonner ma vie. Mes études, ma famille, l'entraînement. Je ne peux pas fuir, et tout laisser derrière moi. » « Bien sur que tu peux ! Ta famille sera toujours là à ton retour, et tes études ... Tu pourras toujours reprendre le droit plus tard. C'est pas que tu ne  peux pas, c'est que tu ne veux pas, tout simplement. » répondit le Lecter, un air triste dans la voix. « Bien sur que si, je le veux. Avec toi, je partirais n'importe où. Mais c'est pas si simple que ça, de laisser sa vie derrière. Je ... je peux pas faire ça.  » répéta-t-elle à nouveau. La jeune Beauchamp avait beau être rebelle, avec ses cheveux teint noirs corbeaux et son casier judiciaire qui commençait à s'allonger ; pourtant, même si elle aimait faire enrager ses parents elle ne pouvait tout simplement pas les abandonner. Toute son enfance, elle s'était battue pour s'imposer dans la lignée des Beauchamp. On lui avait appris ce que représentait l'honneur, la famille et les enjeux que cela entraînait. Le poids de son nom de famille, et de celui de son époux. La responsabilité de sa place parmi les chasseurs. Toutes ces valeurs qu'Adelaïde chérissait malgré ce qu'elle aimait faire croire, au contraire de Sebastian qui avait préféré les laisser derrière. Son époux n'avait jamais été fait pour les chasseurs ; il n'avait ni la carrure, ni le mental d'un prédateur. Il avait cette douceur chez lui, cette innocence qu'elle avait toujours aimé et qu'elle n'aurait remplacé pour rien au monde. Addie avait toujours soutenu le Lecter, même lorsqu'ils étaient enfants. Elle avait été sa seule amie parmi les nombreuses progénitures hunters, son seul rempart contre les moqueries des autres. Encore aujourd'hui, elle aurait été prête à tout pour défendre cet homme qu'elle aimait plus que tout au monde ; mais fuir au bout du monde avec lui ? C'était une autre affaire. Si lui avait définitivement tiré un trait sur les valeurs familiale, Adelaïde avait elle bien du mal à s'en détacher.

1987. Ses yeux étaient secs, pas une larme ne coulerait en ce jour bien sombre. Pas tant qu'elle n'aurait pas assouvit sa vengeance. Autour d'elle, une bonne partie de la ville s'était rassemblée pour pleurer la perte de son époux. Les Lecter étaient influents dans la région, beaucoup avait fait le déplacement pour payer leur respect à ceux que Sebastian avait laissé derrière. Au fond d'elle, Adelaïde voulait en rire ; tout les détraqueurs du jeune homme, tout ceux qui avait passé leur vie à le ridiculiser, réunis, les larmes aux yeux, pour lui dire adieu. Ça n'avait aucun sens. Tous ces visages, Addie les connaissait bien, elle les avait côtoyé toute sa vie. Elle savait ce qu'ils disaient tous derrière le dos de l'aîné Lecter, tout le venin qu'ils avaient craché sur sa décision de s'éloigner des traditions familiales. Ça la rendait malade, de les voir tous là, de faire comme si Sebastian avait été un ami de longue date. Ça la rendait malade, quand il la réconfortait maladroitement, avant de s'éloigner pour lui manquer de respect une dernière fois. Ça ne saurait pas arrivé, s'il avait fini son entraînement. Ça ne m'étonne pas, il a toujours été plus faible que son frère. Il mérite bien ça, à avoir renié sa famille comme l'a fait. Les poings serrés, Adelaïde faisait semblant de ne pas entendre les murmures qui s'échappaient de la foule. La belle devait retenir chaque parcelle de son corps pour ne pas sauter au cou de ces monstres, de ceux qui n'attendait même pas que le corps de son époux soit recouvert pour lui cracher dessus. Ça lui déchirait le cœur de savoir, que même après sa mort elle devrait défendre l'homme qu'elle aimait. Bien fait pour lui. La goutte d'eau qui fit déborder le vase. « Excusez-moi. » souffla-t-elle poliment, coupant l'oncle Lecter qui était venu la réconforter avant de s'éloigner vivement. La belle ne supportait plus les murs étriqués du manoir Lecter, elle avait besoin d'air frai. Assise sur le porche -ce porche où elle avait échangé son premier baiser avec Sebastian- la belle sortit une cigarette et l'alluma, la main tremblante, le cœur lourd. La Beauchamp voulait pleurer, vraiment, mais elle n'y arrivait pas. Pas avec tous ces gens à l'intérieur, pas alors que ceux qui avaient fait ça à son âme sœur était encore en fuite. La belle se laisserait aller, laisserait les larmes couler ; mais pas tant qu'elle serait en paix avec la situation. La belle entendit des pas dans son dos, et la silhouette d'Alexander vint s'asseoir à ses côtés, son épaule frôlant la sienne. Le Callahan était un ami de longue date, mais depuis le départ de Sebastian, il avait été un pillier essentiel pour Adelaïde. Le chasseur était certainement le seul à comprendre ce qu'elle traversait, lui aussi ayant perdu celle qu'il aimait. De le savoir là, à ses côtés, ça l'apaisait un peu ; ça l'aidait à réaliser qu'elle n'était pas seule dans son calvaire. « Tu tiens le coup ?» La belle acquiesça doucement, son regard dur perdu dans la contemplation de la forêt qui leur faisait face. Doucement, elle déposa sa tête sur l'épaule du Callahan alors que le bras du jeune homme vint s'enrouler sur ses épaules. Elle se laissa sombrer dans cette étreinte, oubliant l'espace d'un instant que tout son monde venait de s'écrouler.

1989. La main d'Alexander s'attarda sur son ventre rond, caressant doucement la courbe bombée qu'avait pris le corps de la chasseuse. Un sourire s'étira sur les traits de la belle, un sourire sincère, l'un de ceux qui illuminait que trop rarement son visage. Durant longtemps, elle avait pensé ne plus être capable d'un tel sourire. Qu'avec Sebastian disparu, elle n'aurait plus jamais de raison de sourire ainsi, que toute la joie avait été arraché à son corps fragile. Mais elle avait eu tord. Doucement, surement, la belle s'était reconstruite. Adelaïde avait renaquit de ses cendres, laissant derrière elle la jeune femme volage et rebelle qu'elle avait été aux côtés de son premier époux ; cette femme n'existait plus, elle avait suivit l'homme dans sa vie dans la tombe. Mais une nouvelle femme avait vu le jour, dure et droite, une femme a qui ont avait volé l'innocence de la jeunesse mais qui n'était pas décidé à baisser les armes. Adelaïde Lecter avait alors laissé la place à Adelaïde Callahan. Ça avait été une évidence, pour les deux amis. Chacun étaient lucide quant à l'état de leurs cœurs endoloris, probablement plus jamais capable d'aimer comme ils l'avaient fait ; mais cela ne les condamnait pas à la solitude pourtant. Ils avaient décidé d'être seuls, mais ensemble. De passer le reste de l'éternité à pleurer la perte de leur âme sœur respective dans les bras l'un de l'autre. Ils s'aimaient pour sur, d'un amour sincère et pur, partageant une complicité indéniable et une loyauté sans limite ; mais ils ne s'aimaient pas, comme ils avaient pu aimer, un jour, une autre personne. Comme ils avaient aimé Sebastian et Jemma. Mais ils s'aimaient assez pour passer la fin de leur vie ensemble. Pour accueillir deux magnifiques enfants, ensemble. En sentant la main de leur père, l'un des deux jumeaux donna un coup contre le ventre de la belle, qui avait délaissé la teinture noir corbeau pour retrouver son roux naturel. Un sourire illumina le visage d'Alexander. « Pourquoi pas Abigail, comme ma grand-mère ? » Une moue boudeuse déforma les traits fatigués de la nouvelle Callahan, alors qu'elle tâcha de trouver une position confortable sur le canapé, déposant lourdement ses jambes sur son mari assis à côté d'elle. « J'avais pensé à quelque chose de français, quelque chose de plus doux. Qu'est-ce que tu penses de Salomé ? » proposa-t-elle, le regard brillant. Addie avait rêvé de ce moment depuis toujours, elle qui rêvait d'avoir ses propres enfants depuis longtemps. Elle avait essayé avec Sebastian, sans grand succès. Mais après seulement quelques mois de mariage avec Alexander, la belle s'était retrouvé enceinte, et pas d'un mais de deux bébés. Une bénédiction pour Adelaïde, qui retrouva un peu d'espoir dans cette vie qui avait perdu de sa saveur. Elle n'osait pas l'avouer au Callahan, mais ce prénom, elle l'avait choisis depuis des années déjà. Elle en fut d'autant plus soulagée lorsqu'elle vit le visage de son époux s'éclairer. « C'est parfait. » souffla-t-il doucement en venant déposer un baiser sur le front de la future maman. « Et pour le garçon ? » Les secondes filèrent alors que les deux parents se perdirent dans leur réflexion. Ça lui semblait surréel comme scène. Après le départ de Sebastian, jamais elle n'aurait osé prétendre à un tel bonheur, à une telle stabilité. Avant qu'Alexander vienne la sauver des ténèbres dans lesquels elle s'enfonçait, avant qu'il l'aide à chasser et à tuer les mutants qui avaient attaqué Sebastian, jamais elle n'aurait pensé retrouver un jour une telle chose. Mais le Callahan avait rendu tout cela possible ; et pour ça, elle lui en serait toujours reconnaissante. Tant pis s'il n'était pas l'homme de sa vie, elle était ravie de pouvoir partager le reste de sa vie avec son ami le plus proche. « J'aime beaucoup Noeh, qu'est ce que tu en dis ? » La belle acquiesça vivement, sous le charme de ce prénom mélodieux. Salomé et Noeh. Elle n'aurait pu rêver mieux.

2014. Assise toute seule dans le salon du manoir, le temps semblait s'être arrêté autour d'elle. A côté d'elle, une bouteille de rouge à moitié entamée, et le silence de cette solitude bien trop pesante. Elle aurait dû les accompagner, elle aurait monter dans la voiture avec Salomé et Alexander pour rendre visite à son fils ; mais elle n’avait pas pu. Tu es sure ?, lui avait demandé son époux. Adelaïde avait acquiescé, le cœur serré, incapable de franchir les portes du manoir. Incapable de pénétrer dans l'hôpital, et de voir le corps meurtri de son fils, piégé dans cette chambre trop étriquée. Incapable d'affronter la réalité. Ça la tuait à petit feu, cette lâcheté dont elle ne serait jamais cru capable. Ça l'étonnait, d'être aussi désemparée face à cette situation, de se retrouver au pied du mur comme cela, ça ne lui arrivait jamais normalement. Mais là ... Là c'était différent. Là, c'était la culpabilité d'une mère qui avait ignoré la détresse de son fils, qui avait dénigré ses appels au secours. Et qui se retrouvait maintenant devant la dure réalité. Elle qui avait toujours été si forte, ne reculant jamais devant rien, elle se retrouvait figée devant cette situation. Addie aimait Noeh plus que tout au monde, elle avait toujours été plus tendre avec lui qu'avec Sallie. Pas qu'elle n'aimait pas sa fille, au contraire ; chez Salomé, elle avait reconnu la jeune femme qu'elle avait un jour été. Elle avait vu la force, et le mauvais caractère. Elle avait refusé de la voir prendre la même route qu'elle avait pris des années auparavant, préférant durcir sa relation avec la belle plutôt que de la laisser répéter ses propres erreurs. Mais Noeh ... Noeh, il était différent. Noeh était l'image parfaite de son premier amour, de ce Sebastian disparu qu'elle ne cesserait jamais d'aimer. Noeh, il avait cette douceur dans son regard, la même que celle qu'avait son premier mari. Et comme Adelaïde l'avait fait avec le Lecter, elle avait décidé de le faire avec son fils. De respecter ses choix, de le protéger contre le reste du monde. Alors ça lui faisait d'autant plus mal, de le voir lui filer entre les doigts de la sorte. La belle savait que ce n'était pas la bonne décision, qu'elle aurait dû être là, à ses côtés, qu'elle aurait dû l'aider à se remettre sur pieds. Mais ça faisait un mal de chien. Et qu'elle en avait mal de souffrir. Alors elle trouvait des excuses, elle s'inventait des traques imaginaires ou du boulot pour la campagne à venir. Elle blâmait son travail, elle blâmait le reste du monde. Elle se blâmait elle, aussi, surtout. Perdue, brisée, impuissante, sans réellement savoir quoi faire pour changer les choses.