3 mai 2006
« Ca va mieux ? » Demanda-t-elle d’un ton plein de sollicitude. Elle savait déjà que ça allait mieux, elle avait vu le visage de l’homme se détendre à l’instant où elle avait relâché ses pouvoirs sur lui. « Ah … Oui … C’est parfait. » Elle eut un sourire attentionné, qui dissimulait parfaitement le sentiment que cet homme lui inspirait. Il était d’un pathétique consommé. C’était la troisième fois qu’elle le voyait, la troisième fois qu’elle apaisait ses souffrances, comme il disait si bien. Mais ces souffrances là, c’était elle qui les avait causées, alors bien sûr qu’il lui était encore plus facile de les supprimer. Elle le suivait depuis un moment, ce gros lard. Lentement, elle avait instillé la douleur dans ses articulations, dans ses os, partout. Aucun traitement médicamenteux n’avait pu le soulager, et il avait fini par se tourner vers elle, la mutante dont il avait entendu parler il y a des mois de ça, par un hasard vraiment providentiel. « Vous savez, il y a peu de gens qui accepteraient de faire ça. Me laisser les aider, je veux dire. Certains trouvent ça monstrueux. » L’homme secoua la tête d’un air embêté. Ce sujet là, il ne voulait pas l’aborder, mais il n’avait pas vraiment le choix, plus maintenant. « C’est ridicule ! Vous n’êtes monstrueuse, ma petite, vous êtes une bénédiction. » Valentina baissa les yeux. « C’est gentil, monsieur Anderson. Vous n’êtes pas comme les autres, vous. » Il était exactement comme les autres. Empoté, tristement banal, et surtout complètement raciste. Les mutants, il les détestait autant qu’il les craignait. Il ne l’acceptait elle que parce qu’elle lui rendait un immense service. Vendeur d’armes, elle savait qu’il trafiquait avec les hunters. Il n’en était pas un lui-même, mais il connaissait ceux de la région. Et elle avait besoin de leurs noms. Mais elle avait assez perdu de temps comme ça, il fallait qu’elle passe aux choses sérieuses. Alors elle le caressa dans le sens du poil, elle joua à la gamine innocente mais terrifiée par la montée de la violence dans la région. Elle suggéra même de quitter le coin, ce qui eut un effet électrochoc sur son gros patient qui craignait plus que tout qu’elle ne l’abandonne. Elle lui faisait trop de bien, quand elle était à ses côtés. Elle supprimait la douleur de cette maladie rampante qui le torturait depuis des semaines, mais elle supprimait également ses maux d’estomacs chroniques, la rage de dent qu’il n’avait pas encore fait soigner parce que son assurance maladie ne la prenait pas en charge, et il se sentait bien, si bien en sa présence … Tellement bien, d’ailleurs … Qu’il se détendit, baissa sa garde. Le plaisir était très proche de la douleur, et Valentina savait comment l’exacerber, même si elle le maîtrisait bien moins que la souffrance. L’usage qu’elle en faisait était suffisant. L’homme ferma les yeux, laissa échapper un gémissement de satisfaction, puis il parla. Des hunters qu’il croisait et dont il trouvait bien sûr les méthodes odieuses, de leur planque où il était allé livrer – rien qu’une fois je vous jure, et à l’époque je ne savais rien d’eux – des armes qui, oh mon dieu, avaient sans doute servi à tuer des gens comme elle … Il parla, il déchargea sa conscience, ce brave homme. Après tout, elle l’aidait sans rien lui demander, elle n’était pas de ces monstres dont on lui avait tant parlé. Elle, il ne fallait pas la tuer, mon dieu non, il fallait la préserver … Quand Valentina le quitta, il ronflait comme un bienheureux, la conscience tranquillisée. Elle se rendit immédiatement dans la petite maison de banlieue où l’attendaient ses commanditaires. Un couple de mutants qui avaient perdu trop de proches aux mains des hunters sans que la justice ne fasse rien, et qui avaient décidé d’agir eux-mêmes. Elle leur donna tout ce qu’ils voulaient savoir, les noms, la localisation des planques, tout, et reçu en échange un petit paquet de billets ainsi que leur reconnaissance. Ca lui suffisait amplement. Elle quitta la région le soir même, et comme toujours, elle passa à autre chose, chassant de sa tête le gros lard et ses gémissements soulagés, ainsi que le couple de mutants qu’elle avait aidés. Une semaine plus tard, elle voyait dans le journal le nom des hunters et de son indic, avec un gros titre choc qui annonçait leur mort violente. Elle eut un sourire : c'était ce qu'elle aimait le plus, dans ce qu'elle faisait. Ca, et l'argent facile ...


29 avril 2015
« Je suis enceinte. » Oh, elle se souvenait parfaitement de la tête qu’il avait fait quand elle avait prononcé ces mots. Elle avait ménagé sa surprise, puis elle avait susurré ces quelques mots à son oreille, et il avait eu une expression de stupeur tellement délicieuse … Puis un doux sourire avait étiré ses lèvres, il avait posé ses mains sur son ventre encore plat, et il l’avait embrassée. Il était heureux, elle le savait, et c’était son bonheur à lui qui l’emplissait de joie. Parce qu’elle ne voulait pas vraiment d’enfant, avant qu’il ne lui en parle. Elle se souvenait trop de sa mère, qui la regardait avec une expression morne à chaque fois qu’elle apparaissait dans une pièce, et elle se demandait si elle saurait comment aimer son enfant ou si elle serait frappée de la même malédiction que sa mère. L’instinct maternel, ça ne s’inventait pas. C’était quelque chose qu’on avait ou qu’on n’avait pas, mais s’il n’était pas là, alors c’était fichu. Mais Casey l’avait convaincue, il était persuadé qu’elle serait une bonne mère, et comme elle était certaine qu’avec lui, elle ne pourrait jamais se tromper … Elle avait cédé. Elle avait arrêté la pilule, attendant chaque mois avec une sorte de terreur mêlée d’excitation, pour savoir si elle allait tomber enceinte. Et c’était fait. Elle attendait son enfant, à présent.
Valentina inspira laborieusement et posa ses mains tremblantes sur son ventre, qui avait bien augmenté de volume depuis ce jour où elle lui avait annoncé la nouvelle. Ca faisait sept mois, maintenant. Elle sentait le bébé qui lui donnait des coups de pied et qui se retournait à toute heure du jour et de la nuit. Bientôt, il serait dans ses bras. Et Casey … Ses mains quittèrent son ventre et elle attrapa le grand couteau de cuisine, dont il se servait régulièrement pour leur préparer les bons petits plats dont il avait le secret. Elle inspira profondément. Casey ne verrait pas le bébé.

Deux semaines plus tôt.
« C’est un putain de hunter. » Cracha Dante, son regard devenu soudain d’une noirceur dangereuse. Dante était un ami de longue date, elle avait fait partie de sa petite bande pendant un moment. Avec lui et quelques autres, ils avaient chassé les chasseurs, tué les hunters. Enfin, ils avaient tué. Elle, elle avait torturé … Mais jamais tué. Elle avait fini par les quitter, justement à cause de ça, parce qu’elle ne tuait jamais et que leur violence inouïe la prenait de plus en plus à la gorge. Dante détestait les hunters plus que tout, mais Valentina était venue lui parler de Casey et du bébé qu’ils attendaient, sans songer un seul instant qu’il puisse lui cracher une telle horreur au visage. Elle secoua la tête, furieuse. « Conneries. » Elle ne voulait pas y croire, mais Dante s’avança d’un pas menaçant. Elle le connaissait trop bien, elle savait qu’il ne fallait pas le chauffer quand il était dans cet état … Mais sous-entendre que Casey était hunter ! Il allait trop loin. « Ah ouais ? Tu le connais depuis combien de temps, ton prince charmant ? » Il avait éructé ces derniers mots comme une insulte, et Valentina se raidit. « Je l’ai connu il y a dix ans. » Une expression fugace de surprise traversa le visage de Dante, mais il se reprit rapidement. « Sérieux ? Tu sais qu’il a tué son fils, alors ? C’était un transmutant. Il lui a injecté une saloperie, et le gosse en est mort quelques semaines plus tard. Je connais pas beaucoup de pères exemplaires qui oseraient faire de même. » Valentina sentit ses entrailles se glacer, et sa main se posa instinctivement sur son ventre. Son ventre, son bébé … Leur bébé. « Non, il n’a pas … Ce n’est pas lui qui a … Son fils était malade ! » Elle le savait, elle l’avait vu. La mère du gamin l’avait appelée, elle, pour essayer de le soulager, et le garçon était mort quelques jours plus tard malgré ses efforts pour apaiser sa souffrance. C’était là qu’elle avait vu Casey la première fois, de loin, sans qu’il ne lui adresse la parole. En vérité, ils ne s’étaient parlé que des années plus tard … Mais il lui avait dit que son fils était mort d’une maladie, pas de … « Tina, Tina … Tu croyais quand même pas qu’il allait t’avouer l’avoir tué, hein ? » Reprit Dante d’une voix plus douce, presque caressante, en la prenant par les épaules d’un geste paternel. Mais cette voix, elle la connaissait trop bien. Elle se dégagea vivement et repoussa Dante loin d’elle. « Tais-toi ! Je t’interdis de jouer avec moi, tu m’entends ? Casey n’est pas un hunter ! » Cria-t-elle, furieuse. Elle ne le laisserait pas manipuler ses sentiments et ses pensées comme il le faisait avec n’importe qui. Dante sourit, puis leva les mains devant lui, dans un geste plein d’une innocence feinte. « Je n’ai rien fait, chérie. Si tu doutes, ce n’est pas à cause de moi. Mais demande-lui, si tu ne me crois pas. Pose-lui la question, vois ce qu’il te répond. Et ensuite reviens me voir, je te donnerais les preuves dont tu as besoin. »

Dante n’avait pas eu besoin de fournir de quelconques preuves : Casey avait tout avoué à la seconde où Tina l’avait interrogé. Il lui avait tout expliqué, ses années chez les hunters, ses convictions profondes sur les dégénérés, qui avaient été ébranlées quand il avait eu un fils mutant. Et ses efforts, ensuite, pour sauver son fils, ses recherches quasi-désespérées pour trouver un remède à cette mutation qu’il haïssait. Oui, il lui avait injecté un produit, qui aurait du faire des miracles et qui aurait du effacer les effets de sa mutation … Mais cela avait eu un effet contraire, et Casey avait contemplé avec une horreur sans nom son fils développer sa mutation à une vitesse ahurissante, en même temps que le poison rongeait chaque fibre de son être. Il en était mort, et Casey n’avait plus jamais fait de mal à un mutant. Il avait mis du temps avant de revoir son opinion sur ceux qu’il avait chassés, mais il les acceptait, à présent. Il l’acceptait, elle, en sachant parfaitement qui elle était ! N’était-ce pas une preuve suffisante ? Jamais il ne lui aurait fait de mal, à elle. Valentina l’avait écouté sans rien dire, les doutes que Dante avaient instillés en elle la torturant sans cesse, mais … Elle l’avait cru. S’il avait été hunter, c’était du passé. Il avait droit à une seconde chance, comme elle avait eu droit à une seconde chance après avoir cessé ses magouilles sur les humains – mais ça, il n’en savait rien, et c’était mieux comme ça.
Seulement Dante n’avait rien voulu entendre. La haine de Dante, c’était quelque chose qu’elle connaissait bien, pourtant elle ne savait toujours pas comment la calmer, après toutes ces années à le côtoyer. Il était de ceux qu’on ne pouvait pas raisonner, et malgré toute l’affection qu’elle avait pour lui et qu’il semblait avoir pour elle, elle savait que rien de ce qu’elle dirait ne pourrait le calmer. Dante haïssait Casey, et il haïssait d’autant plus l’enfant qu’elle portait, y voyant sans doute l’odieuse union qui l’avait souillée avec un humain, un hunter par-dessus le marché. Il ne comprenait pas qu’elle puisse pardonner à celui qu’il considérait comme une ordure de la pire espèce. Et Tina avait fini par comprendre que si elle ne réagissait pas, c’était Dante qui le ferait pour elle.

« Tina, tu ne vas pas le croire, j’ai … Chérie ? Ca ne va pas ? » Valentina détacha avec difficultés son regard du couteau qu’elle tenait toujours serré entre ses doigts. Elle regarda Casey entrer dans la cuisine, s’imprégnant une dernière fois de ses traits où une légère inquiétude commençait à poindre. Elle avait monté toute une scène pour ce moment, elle avait même répété un texte assassin où elle lui jetterait au visage toute sa haine. Mais les mots restèrent bloqués au fond de sa gorge, et elle ne put que le fusiller du regard. Depuis qu’il lui avait raconté qu’il avait été hunter, les choses étaient devenues plus difficiles entre eux – elle y avait veillé. Très peu de temps s’était écoulé, mais tout s’était désagrégé, très vite. Elle le repoussait quand il essayait de la toucher, elle fuyait ses tentatives d’explication, elle allait se coucher toujours plus tard pour éviter de le croiser. Il savait ce qui allait se passer. Il savait que ses aveux avaient tout détruit entre eux. Et il venait de comprendre que c’était maintenant qu’elle allait le lui annoncer. Mais il était loin de se douter de ce qui allait vraiment lui arriver. « Tina, je t’en prie … Est-ce qu’on peut au moins en discuter ? » Elle eut un sourire torve, et raffermit sa prise sur le couteau. « De quoi tu veux qu’on discute ? Des mutants que t’as tués ? Des gens comme moi, que t’as massacré ? Ou de ton fis, peut-être ? De ce que tu vas faire au prochain, quand il sera né ? Si c’est un mutant, tu vas le tuer, lui aussi ? » Elle s’était mis à débiter ses atrocités d’une voix furieuse, et elle vit son visage se crisper. Son regard se voila, mais elle se força à le regarder tandis qu’il encaissait ses quatre vérités, les unes après les autres. « Tu me dégoûtes. J’aurais jamais du te laisser me toucher ! » Sur ce dernier mot, elle libéra son pouvoir et il se courba en deux avec un gémissement douloureux. Elle laissa un sourire étirer ses lèvres tandis qu’elle insinuait en lui une souffrance insidieuse, brûlante. « Qu’est-ce que tu fais ? T’es complètement folle, arrête ça ! » Jamais elle n’avait utilisé ses pouvoirs sur lui, jamais. Jusqu’à aujourd’hui. « Je fais ce que j’aurais du faire depuis le début. Ca te plaît ? C’est ce que tu faisais aux gens comme moi ! » Elle continuait de hurler tout en lui imposant sa douleur, puis elle s’arrêta. Haletant, il se redressa, et lui jeta un regard où la déception se mêlait à la rage. Voilà, enfin il avait compris … Elle s’avança vers lui. « C’est fini, Cas. » Elle lui enfonça son couteau dans le ventre et tourna les talons.

Le quitter, ce n’était pas suffisant. Dante n’aurait jamais accepté qu’elle le quitte tout simplement. Il haïssait Casey avec une telle violence que seule sa mort pouvait l’apaiser. Mais sa mort appartenait à Valentina, pas à Dante. A présent, elle allait retourner à Radcliff, et elle ferait un petit tour par chez Dante, où elle irait s’effondrer en larmes dans les bras d’Enid, celle qui avait été sa meilleure amie du temps où elle faisait partie de leur bande. Elle sangloterait et lui avouerait qu’elle avait tué pour la première fois. Peut-être que ça la soulagerait, un peu. Elle ne se le pardonnerait jamais, elle le savait. Mais elle voyait déjà le sourire satisfait de Dante quand Enid irait lui raconter comment elle avait tué Casey. Il la laisserait tranquille, après ça, et il ne se mettrait pas non plus en chasse après Casey. Elle laisserait le bébé aux bons soins de l’hôpital de Radcliff pour mettre un point final à cette histoire avec Casey, et elle referait sa vie. Sans le bébé, sans lui.