- Brrrrrrrrr brrrrrrrrrr Attention, on nous atttaaaaaaaqueeeeee !

Un poing devant la bouche en guise de micro, Peter courait dans toute la maison, son avion miniature à la main, évitant des ennemis imaginaires à grands renforts de roulade sur le sol et de bruitages des plus convaincants. Le jouet lui avait été offert quelques jours plus tôt pour son anniversaire, et pour l’instant il était impossible de le lui faire lâcher, Malachi devant presque se facher pour que l’avion n’atterrisse pas sur la table de la cuisine. Enfin, atterrir, façon de parler bien sur. Peter avait bien essayé d’animer l’objet, discrètement dans sa chambre, mais celui-ci se contentait de rouler tristement sur le parquet en faisant du bruit. Après inspection, l’enfant en avait conclu qu’il manquait surement des hélices et un moteur qui permettrait vraiment au jouet de voler. Tant pis, il demanderait un vrai avion pour ses six ans, il ne doutait pas une seule seconde qu’il l’obtiendrait. Il avait bien eu des baskets neuves alors qu’il n’en avait même pas demandé. Il esquiva Jumbo qui lui aboyait joyeusement dessus, persuadé qu’il voulait jouer aussi, avant de descendre l’escalier sur les fesses et de se remettre à courir dans le couloir menant aux quelques chambres du rez de chaussée. Il n’allait pas très souvent dans cette aile du manoir, d’abord parce qu’elle menait à la cave, et là, il n’avait pas le droit d’y aller seul. Ensuite, il y avait plusieurs chambres, celle de son père, celle d’Elsa, et une autre de libre qui servait souvent quand des gens arrivaient un peu abimés à la maison et qu’ils ne pouvaient pas monter les escaliers. Ce n’était pas des pièces très très intéressantes, mais le couloir lui était long et parfait pour faire des glissades et des sprints avec son avion. Au détour d’un dérapage, le petit mutant entendit du bruit dans la chambre d’Elsa : il ne savait même pas qu’elle était au manoir en ce mercredi, parce que souvent, elle allait se promener le mercredi, avec son frère, si il avait bien tout compris, mais il n’était pas sur. Curieux, il s’approcha sans bruit de la porte pour l’ouvrir un peu, histoire de voir ce qu’elle pouvait bien faire. S’agrippant à la poignée de la porte, il l’entrouvrit, juste un peu, pour ne voir qu’une partie de la pièce sobrement décorée : sur le lit, il aperçut une grosse valise, plus grande que lui, et il observa les allers retours de la jeune femme qui  vidait la commode de tous ses effets personnels. C’était une trop grosse valise pour partir en voyage, c’était sur, et dans la tête du gamin, tout se bousculait : si elle partait en vacances, Elsa lui aurait dit, mieux, elle l’aurait amené avec elle, puisqu’il n’avait pas école en ce moment ! si elle faisait ça s’en rien dire à personne, cela ne pouvait signifier qu’une chose :

- Tu t’en vas ? Sans nous ?

La voix du petit garçon s’était élevée derrière la porte, tremblotante, alors que seule sa petite tête dépassait de l’encadrement de la porte. Déjà, les larmes lui montaient aux yeux, alors que sa lèvre inférieure frémissait, prémisse d’un gros chagrin. Ce n’était pas juste, pas juste du tout. Il avait perdu sa maman il y a pas longtemps, et maintenant, c’était Elsa qui partait, sans rien lui expliquer, alors qu’elle s’occupait de lui comme une maman. Oui, parfaitement, comme une maman, parce que c’était comme ça que c’était expliqué dans Peter Pan, et Elsa elle était gentille et belle comme Wendy. Sauf qu’elle voulait s’en aller, ça voulait forcément dire qu’elle ne les aimait plus, Papa et lui.

- C’est nul, t’as jamais dit que t’allais partir un jour ! T’as pas le droit d’abord, tu dois rester, je veux pas que tu partes !

En colère, l’enfant se mit à taper du pied contre le sol, et la valise d’Elsa se mit à tousser, comme soudainement allergique aux pulls qu’elle venait d’y ranger. L’objet animé par la contrariété du petit mutant se mit à recracher les affaires d’Elsa une par une, avant de se renverser au sol et de « courir » rejoindre le petit gars en pleurs, qui attira la valise vers lui en s’enfuit en courant vers le salon où travaillait son père…



Malachi était penché sur des plans que lui avaient transmis Octavia et Sheldon concernant les demeures de plusieurs hunters de la région : le but était de déterminer si certaines demeures recelaient des pièces cachette, maintenant qu’ils savaient de sources sures que des chasseurs kidnappaient des mutants pour les séquestrer ensuite, pour en faire dieu seul savait quoi. Malachi n’était pas architecte, mais il avait grandi dans les plans paternels, et vivre dans son immense maison lui avait donné le coup d’œil. Pour le moment, c’était tout ce qu’ils avaient sous la main.

- Papaaaaaaaa ! PAPAAAAAAA !

Le motiopathe releva rapidement la tête en entendant Peter hurler comme ça, fronçant les sourcils : le son avait précédé l’image, et ce ne fut qu’une poignée de secondes après qu’il l’ait entendu qu’il le vit débouler dans le salon, en larmes, suivi de près par une … Valise qui se dandinait derrière lui en crachotant et en couinant. L’enfant se jeta sur les genoux de son père que le redressa prestement, inquiet :

- Mais qu’est ce qui t’arrive ? Pourquoi tu as animé cette valise ? Tu t’es fait attrapé par le zip ?

- Nonnnn pa-pa, c’est, Elsa, ben, en fait… Elsa elle veut partiiiiir , elle m’aime plus assez pour rester elle me l’a diiiiiiit

Malachi fronça un peu plus les sourcils, totalement décontenancé devant le discours décousu de l’enfant : mais de quoi parlait il ? Avait il mal interprété un comportement de la jeune femme de telle sorte qu’il s’était mis dans un état pareil ? Elsa lui en aurait parlé, si elle avait trouvé un nouvel appartement, par principe. Doucement, il essuya les larmes de Peter de ses pouces, apaisant son aura tourmenté avec un sourire :

- Je vais aller la voir, je suis sur que c’est un malentendu mon chat. Tu attends sagement dans ta chambre ou dans le salon, d’accord ? On va parler entre grandes personnes. Tu veux bien arrêter la valise, s’il te plait ?

L’enfant hoqueta en acquiesçant, tapant des mains pour figer la valise qui le suivait comme un petit chien depuis quelques minutes, terrorisant le vrai chiot de la maison au passage. Malachi le remercia en l’embrassant sur le front, attrapant la valise pour se rendre jusqu’à la chambre où s’était installée Elsa, et toqua à la porte, attendant qu’elle lui dise d’entrer pour le faire.

- Hum … Je viens te rendre ton bien …

Il observa le désordre dans la pièce avec un sourcil haussé, posant la valise sur le lit avant de s’y asseoir à son tour :

- … Tu t’en vas quelque part ? Rien de grave j’espère ?

   

Malachi était conscient que Peter avait parfois des réactions totalement disproportionnées. Simplement, il était tellement malin pour un gamin de son age que c’était justement ce qu’on oubliait souvent : il n’était qu’un tout petit garçon, qui vivait tout ce qui l’entourait de plein fouet, sans filtre ni recul. Si il avait compris qu’Elsa partait définitivement, il était évident qu’il ne pouvait pas bien le prendre. Malachi avait assisté au rapprochement timide entre la jeune femme et l’enfant, chacun d’abord un peu intimidé par l’autre, avant qu’ils ne développent une véritable complicité : La seule chose qui le chagrinait un peu, c’était la retenue d’Elsa, parfois, quand elle se sentait observée par les autres mutants en compagnie du petit garçon. Ils passaient leurs soirées, leurs week ends ensemble, il lui paraissait naturel que l’enfant développe une telle affection pour elle, mais… Il savait que la mutante avait un rapport compliqué à la notion de parentalité, de famille, alors peut être craignait elle de ne pas être à la hauteur des attentes du petit garçon, alors qu’en réalité, elle les avait dépassé depuis bien longtemps.
Assis sur le lit, il la laissa s’asseoir à coté sans la quitter des yeux. Elle avait l’air triste, tellement triste, et il ne savait même pas pourquoi, ce qui l’inquiétait. Avait elle appris une mauvaise nouvelle qu’elle refusait de lui annoncer, de peur qu’il le prenne mal ? Avait elle eu une mauvaise expérience avec un des invités, et préférait quitter le manoir quelques temps ? La réponse d’Elsa ne se fit pas attendre, mais ne le convint qu’à moitié : elle ne lui disait pas tout, et il n’avait pas besoin de sa motiopathie pour s’en rendre compte. Mais pourquoi ?

- Hum, ce n’est peut être pas une mauvaise idée que tu puisses changer d’air, je me doute bien que de passer toutes tes journées au manoir, à voir toujours les mêmes têtes, ça doit être lassant … Mais tu es vraiment sure que Costia est formelle pour tes jambes, tu ne vas pas faire de rechute inopinée, j’espère ?

Evidemment qu’il n’avait rien compris. Il faut dire que tournée ainsi, l’excuse d’Elsa lui permettait d’espérer qu’elle reviendrait, ensuite. Comme si l’idée qu’elle décide de s’en aller, comme ça, sans un regard en arrière, lui était impensable. Elle ne pouvait pas partir comme ça du jour au lendemain, pas avant qu’ils aient pu en … En discuter ? Mais en même temps, lui soufflait une voix perfide dans un coin de sa tête, pourquoi Elsa se fatiguerait à lui demander son avis ? Il n’était rien pour elle, rien d’autre qu’un bon ami qui avait eu la galanterie de l’inviter chez lui le temps qu’elle se soigne, qu’elle redevienne autonome. Son autonomie reconquise, elle n’avait plus aucune raison de rester coincée au manoir, si ? Elle ne lui devait, absolument rien bien sur, il l’aurait fait pour n’importe qui, mais …

- … Tu comptes revenir ici ensuite ? ou te trouver un … Un nouveau chez toi ?

Sa voix était toujours aussi calme, mais moins assurée. Son regard coulait dans celui d’Elsa, presque timide, comme s’il ne savait pas si il était autorisé à lui poser une telle question. Pourtant, elle était importante : Si elle lui confirmait qu’elle reviendrait, plus tard, il pourrait réconforter Peter, lui dire qu’Elsa allait simplement partir à l’aventure, prendre des vacances, et l’enfant comprendrait. Si elle lui annonçait l’inverse… Son cœur se serra à cette évocation. Elle en avait le droit bien sur, c’était sa vie après tout. Une vie qu’ils partageaient en bonne intelligence depuis quelques mois, mais en tout bien, tout honneur. Jamais Malachi n’aurait envisagé de profiter d’une jeune femme ayant trouvé refuge sous son toit. Tout ce qu’il avait tâché de faire, c’est qu’elle s’y sente bien. Comme chez elle en fait. Petit à petit, il s’était lui-même habitué à la présence discrète mais réconfortante de la jeune femme entre les murs de la maison, son rire qui se mêlait à celui de Peter, sa façon de lui prendre les assiettes des mains parce que, merci bien, elle pouvait mettre la table toute seule. Si elle partait, vraiment, cela ferait bien vide dans le manoir. Un vide que Malachi n’était pas sur d’être capable d’affronter.


   

Malachi n’était pas sur de comprendre les raisons du départ d’Elsa, et peut être que c’était ça qui le gênait vraiment. Il avait besoin d’explications, de justifications concrètes pour se raisonner et se dire qu’elle faisait le bon choix. C’était illogique, puisqu’elle n’avait en principe pas à se justifier de quoi que ce soit, même … Il en avait besoin, c’était évident. Surtout que ce qu’il voyait dans l’aura d’Elsa ne collait absolument pas avec le peu d’informations qu’elle voulait bien lui donner, et ça l’inquiétait d’autant plus. Si elle était aussi triste de s’en aller, pourquoi le faire ? Peut être bien qu’il laissait ses propres craintes de la voir partir comme ça, toute seule, affronter le monde qui déteignaient sur sa perception des émotions d’Elsa, mais… Mais tout ça ne tenait pas debout, et il avait besoin de comprendre. Vraiment besoin.

- Elsa … Tu peux tout à fait rester ici, mais avec plus d’autonomie aussi … Le manoir est grand, tu n’es même pas obligé de nous croiser dans la journée si tu t’installes dans une des chambres de l’étage…

Certes, ils partageraient toujours un salon, une cuisine, mais n’était ce pas une bonne solution de transition ? A moins que leur présence l’insupporte au point de préférer être seule plutôt qu’avec eux. Oui, Malachi Eux, pour éviter de penser Lui. Ils passaient tellement de temps ensemble depuis des mois qu’il avait l’impression qu’elle avait toujours été là, présence discrète mais réconfortante à ses côtés. Il n’avait pas besoin de se forcer pour apprécier de vivre avec elle : ils avaient mille points communs, les mêmes centres d’intérêt ou presque, le même caractère ou presque … Bien sur, elle était naturellement plus enjouée et extravertie que lui, mais c’était ce qui était si agréable dans sa compagnie. Il n’avait jamais eu le temps de s’ennuyer, une seule seconde, même lorsqu’ils se contentaient de travailler ou de lire, chacun de leur coté, dans le salon. Cette complicité silencieuse n’avait échappé à personne, et plus d’un de ses amis lui en avaient fait par, lui demandant si il était conscient de ce qui était en train de se passer. Souvent, il haussait les épaules avec un sourire et leur assurant qu’Elsa n’était qu’une amie, qu’elle aurait bien le temps de se reconstruire une vie normale une fois qu’elle serait sortie d’affaire. Sauf qu’il ne s’attendait pas à ce que cela arrive s’y vite. Il ne s’attendait pas à ne pas y être préparé, ni à ne pas en avoir vraiment envie.

Dans d’autres circonstances, il se serait levé et aurait souhaité le meilleur à une amie qui s’en va, sa mission auprès d’elle accomplie. Sauf que lorsque la jolie blonde vint poser sa tête sur son épaule, Malachi sentit son cœur se serrer dans sa poitrine, bien plus qu’il ne l’aurait cru possible. Doucement sa main vint gratter la nuque de la jeune femme dans un geste de réconfort, alors qu’il cherchait les mots pour répondre à la dernière phrase d’Elsa :

- Hum … Tu vas manquer à tout le monde ici aussi, si tu t’en vas … Et ce serait encore pire si tu le fais pas pour les bonnes raisons.

Peut être qu’il se faisait des idées, et si c’était le cas, Elsa allait le trouver vraiment, vraiment insistant, mais tant pis. Il n’avait pas envie de la laisser partir sur un secret, sur des non dits qui risquaient de le retenir éveillé la nuit. Il avait vraiment l’impression qu’elle n’avait pas tout dit, et son instinct ne le trompait que rarement… il secoua la tête doucement, avant de poser le menton sur le sommet du crâne de la jeune femme et de murmurer doucement :

- Tu es vraiment, vraiment sure qu’il n’y a que ça ? Parce que si il s’est passé quelque chose, n’importe quoi, je préférerai être au courant… S’il te plait…

Il continuait de caresser la nuque de la jeune femme, à la base de ses cheveux, attendant sagement qu’elle s’explique, au moins une toute dernière fois. Si elle se faisait ferme et déterminée, alors il n’insisterait plus, et il irait expliquer à Peter ce qui était en train de se passer. Mais dans la manière donc la tête d’Elsa était tombée sur son épaule, la façon dont sa main était ensuite venue se loger dans la sienne, il sentait qu’il y avait plus qu’une envie d’émancipation subite. Et il avait simplement besoin de savoir quoi.



   

S’il y avait peut être quelque chose de pire que de sentir la détresse de quelqu’un, c’était surement de voir cette dernière, littéralement. D’abord en voyant Elsa se prendre le visage dans les mains, crispée comme si elle allait éclater en sanglots, mais aussi par cette aura que Malachi devait ignorer délibérément pour ne pas céder à la tentation d’y effacer toute émotion négative. Il ne touchait pas aux émotions d’Elsa, pas sans y être autorisé ; même si il en avait vraiment, vraiment envie. Il ne supportait pas de la voir comme ça, et encore moins de ne pas savoir ce qui la mettait dans un état pareil. La jeune femme resta un moment silencieuse, Malachi tout aussi muet à ses cotés, patient et anxieux de savoir ce qui semblait lui brûler le bout de la langue. Elle commença sa phrase une première fois, puis s’interrompit, se leva, comme si elle avait besoin d’une distance de sécurité entre eux pour lui avouer la vérité. Alors il restait assis sur le bord du lit, les mains sur les genoux, avec son air de chiot que l’on va abandonner, jusqu’à ce qu’enfin, Elsa crache le morceau. Et quel morceau.

- …Oh.

Oui, c’était tout ce que le brillant professeur avait réussi à dire devant la révélation de la mutante, lui d’habitude tellement éloquent. Les mots lui manquaient, parce qu’il ne s’y attendait pas. Ou plutôt, il n’avait jamais songé qu’elle puisse penser ce genre de choses, ressentir ce genre de choses pour lui. Elle était tellement pleine de vie, de projets, d’ambition, alors qu’il était tellement … Tellement lui. Il avait sa routine dans son grand manoir, avec ses cours, ses étudiants, son fils maintenant et son chien, et Elsa était de ces gens qui voulaient parcourir le monde et le dévorer à pleines dents. Il s’était toujours imaginé qu’elle s’ennuierait fermement avec lui, que peut être qu’elle s’ennuyait déjà enfermée dans les murs du manoir. Et maintenant, ça …Il se sentit soudain très, très, très bête. Et gêné, aussi, parce qu’il n’avait jamais songé à la situation. Parce qu’à cause de son aveuglement auto centré, il avait sans doute fait plus de peine à Elsa qu’il n’avait jamais voulu lui en causer. Il se passa la main sur le visage, alors qu’elle se redressait pour faire sa valise dans des gestes saccadés et tendus. Il l’observa faire, moins d’une poignée de secondes, juste assez pour se rendre à l’évidence : il n’avait pas envie qu’elle parte. Il ne voulait pas être seul. Plus précisément, il ne voulait pas être seul sans elle. Il n’était pas totalement sur de ce que cela voulait dire –rappelons que le mutant n’était tombé amoureux que d’une seule et unique femme dans sa vie-, mais il ne pouvait pas la laisser s’enfuir comme ça. Il ne pouvait pas ajouter son départ à la longue liste des regrets de sa vie.

Il prit appui sur ses genoux pour se redresser à son tour et, doucement, prit le poignet de la jeune femme pour l’empêcher d’attraper le pull qui se trouvait sur la chaise juste à côté. Sa voix se fit basse, plus grave encore qu’à l’habitude, alors que le rouge lui montait déjà aux oreilles et dans le cou pendant qu’il cherchait ses mots :

- Je …

Non, décidément, ça ne voulait pas sortir. Il n’avait plus l’habitude de tout ça, il était totalement rouillé dès qu’il s’agissait de verbaliser le moindre sentiment intime. Il n’avait pas eu le temps de se rouvrir auprès d’Evangeline, pas totalement. Pas en quelques pauvres mois, alors il ne savait plus trop faire. Il secoua la tête, comme pour se remettre les idées en place et, dans un dernier élan de courage, il enveloppa Elsa dans ses bras et la serra contre lui. Fort. A cet instant même où leurs peaux entrèrent en contact, il se mit à peindre l’aura de la jeune femme, délicatement. Il n’altéra en rien les émotions qu’elle ressentait déjà, simplement, il y instilla d’autres choses : de la joie, beaucoup, une sensation de calme et de sécurité aussi. Un peu d’amusement, juste assez pour la faire sourire, et puis … Un truc indéfinissable, qu’il n’était pas capable de nommer, mais qu’il avait vu briller dans les auras de Viktor et Eleanor plus d’une fois, quand ils se regardaient tous les deux. Il ne savait même pas si il pourrait trouver ça dans la palette des émotions d’Elsa mais… finalement, si. De ce qu’il en avait compris, à force d’observation, c’était ce qui se rapprochait de le plus de l’émotion qui nous mettait des papillons dans le ventre quand on voyait quelqu’un, qui nous faisait irradier d'une chaleur douce et réconfortante. Il n’était pas certain que cela marche sur Elsa, mais au moins, il aurait essayé. Tenant toujours la jeune femme contre lui, il inspira profondément, avant de chuchoter d’une voix incertaine au creux de son oreille :

- Je … C’est à peu près tout ce que je peux ressentir pour toi, quand tu es avec moi… Je sais pas si c’est clair, si c’est brouillon ou si tu n’as rien senti mais … Voilà. Je ne veux pas que tu partes. Je veux que tu restes. S’il te plait…

   

Dire que la situation était inédite pour Malachi relevait de l’euphémisme : jamais de sa vie il n’avait été confronté à une situation pareille. Jamais il n’avait eu à retenir quelqu’un comme ça, pas de force, mais avec toute la conviction dont il était capable. Parce que depuis qu’Elsa s’était installée, il ne pouvait pas nier que son quotidien s’était fait plus doux, malgré la douleur de la perte et le stress de ses missions toujours plus dangereuses pour l’organisation. Bien sûr, Elsa n’était pas Evangeline. Tout comme Evangeline n’était pas Elsa. Elles se ressemblaient, sur certains points, mais s’éloignaient considérablement sur d’autres, impossible de les confondre, ou même de les comparer. D’ailleurs, ce qu’il ressentait pour l’ancienne mutante pour l’instant ne ressemblait pas à l’amour dévoué qu’il avait eu pour sa femme. Tout simplement parce qu’il n’était plus le jeune homme de dix-huit ans qu’il avait été en rencontrant Evangeline. Parce que les sentiments qu’il savait naissants pour Elsa était ceux d’un homme qui avait dépassé la trentaine, qui était passé au-dessus des idéaux des jeunes gens et de leurs premiers amours. Il n’était plus un amoureux flamboyant comme il avait pu l’être pour son épouse, mais pour autant, son cœur n’en avait pas fini gelé. Il avait perdu Evan’ deux fois, deux fois en presque dix ans, et à présent il était conscient qu’il n’y avait pas de temps à perdre avec les gens auxquels on tenait : et Actuellement, Elsa faisait partie, dans son paysage, des gens auxquels il tenait le plus, tout simplement. Il sourit doucement, timidement aussi, avant de répondre aux interrogations de la jeune femme :

- Une bonne idée, je sais pas, ce sera à toi d’en décider, à terme.

Il rougit devant la suite de la réponse de la jeune femme, comme si c’était encore possible d’être plus rouge qu’il ne l’était depuis cinq minutes. Est-ce qu’il avait envie qu’elle lui saute au cou ? La réponse était Oui. Est-ce qu’il pensait à elle quand elle n’était pas là ? La réponse était la même. Est-ce qu’il lui était arrivé de s’imaginer s’endormir à ses côtés le soir ? Idem, puis il s’était réprimandé de penser des choses pareilles alors que la jeune femme n’avait rien demandé. Mais maintenant qu’ils en étaient rendus là… Probablement qu’ils en avaient déjà trop dit, trop fait, pour s’arrêter en si bon chemin. Il écarta une mèche de cheveux de la jeune femme pour la ranger derrière son oreille, ne cherchant même plus à cacher le trouble que provoquait sa présence, là tout contre lui :

- Je suis, euh … Je suis probablement pas mal rouillé en ce qui concerne ce genre de relations, si il y a des étapes à franchir ou je ne sais quoi, alors …

Il faut dire que ce n’était pas comme si il avait eu un million de conquêtes dans sa vie. Et même si cela avait été le cas, les circonstances étaient bien éloignées de celles d’un couple normal : ils avaient atteint un degrés d’intimité dans le quotidien que n’aurait jamais atteint un vrai couple avant plusieurs mois. Or, ils avaient déjà vécu tellement de choses ensemble, sans l’être eux même, qu’il lui paraissait totalement farfelu d’inviter la jeune femme au cinéma ou au restaurant juste pour faire connaissance. Ils se connaissaient déjà bien, ils n’avaient déjà pas besoin de ça pour s’assurer de leur compatibilité. Tout ce qui leur manquait, c’était juste une demi seconde de courage. Demi seconde que Malachi attrapa en vol en fermant les yeux, comme avant un accident de voiture ou une chute, alors qu’il effaçait les quelques ridicules centimètres qui séparait son visage de celui d’Elsa. Sans réfléchir, il avait pris le visage de cette dernière en coupe pour l’embrasser doucement, posant simplement ses lèvres contre les siennes. Elle sentait bon, et Malachi avait l’impression que son cœur allait exploser dans sa poitrine tant il s’agitait de cette décision soudaine. Sauf qu’il ne voyait plus comment convaincre la jolie blonde de rester, de rester auprès de lui, autrement que comme ça. Jamais il ne lui ferait du mal, et il essayerait de ne pas la décevoir, non plus. Il ne pouvait pas lui promettre d’être l’homme de sa vie, mais il voulait bien essayer. C’était même la chose qui l’enthousiasmait le plus à cet instant précis. Leur baiser se prolongea un peu, timidement d’abord, avant que le professeur ne recule un peu la tête, à regret, guettant avec un peu d’appréhension la réaction de la jeune femme :

- Reste …


   

Malachi n’avait pas embrassé qui que ce soit depuis très, très longtemps. Il avait l’impression d’être une vieille machine un peu rouillée que l’on remettait en marche après l’avoir oublié dans un coin pendant un moment. Mais il n’y avait des choses que l’on oubliait pas, et embrasser une femme en faisait partie. Malachi avait pris le visage délicat d’Elsa entre ses grandes mains, et l’avait embrassé une première fois dans l’espoir qu’elle lui rendrait la pareille. Son cœur menaçait de flancher dans sa poitrine, alors qu’un univers de possible s’ouvrait à lui alors que les bras de la jolie blonde se nouaient autour de son cou. Il ferma même les yeux pour profiter de ce second baiser, avant de laisser son nez s’enfouir dans la chevelure parfumée de la jeune femme, souriant malgré lui devant les excuses maladroites d’Elsa. Qu’elle ait de « l’expérience » ou pas, il s’en fichait bien. Et qu’elle soit Elle, c’était bien tout ce qui comptait.

- Et bien entre néophytes, on ne pourra être que patients l’un envers l’autre, c’est plutôt un bon point non ?

Certes il avait eu Evangeline, comme elle le disait, mais leur relation en bonne et due forme remontait à plus de sept ans, sept longues années où il n’avait pas réussi à aller plus loin qu’un baiser hésitant avec celle qui deviendrait plus tard une de ses meilleures amies. Alors non, vraiment, on ne pouvait pas dire qu’il débordait d’expériences, tel qu’il était à présent. Il sourit à nouveau à Elsa timidement – pouvait il seulement la regarder sans un doux sourire sur le visage ?- alors qu’il se rendait lentement compte qu’il avait envie de l’embrasser à nouveau. Il avait envie de parsemer son visage de baisers jusqu’à la faire rire ou rougir à nouveau, une audace qui n’était pas vraiment coutumière au si pudique Porter. Pourtant, il y avait cette chaleur en lui qu’il n’avait pas ressentie depuis très, très longtemps, et que le regard de la jeune femme dans le sien réveillait comme des braises sous la cendre. La remarque de la jeune femme lui tira un petit rire, alors qu’il l’attirait à nouveau contre lui pour l’étreindre tendrement. De la tendresse, il avait l’impression d’en dégouliner maintenant que le verrou sur son cœur avait sauté allègrement.

- Ca se défend comme argument. Je suppose que moi non plus je ne pourrais pas me passer de mes propres talents de cuistot. Qui sait, tu auras peut être même le droit au petit déjeuner au lit, à l’occasion.

C’était un peu audacieux de la part de Malachi de parler de nouveaux petits déjeuners qu’ils pourraient dévorer ensemble, et au lit … Sous entendait il qu’ils en partageraient un, bientôt ? Peut être sans le vouloir, parce que jamais il ne contraindrait Elsa à changer de chambre avant qu’elle ne le décide elle-même. Mais dormir avec la chaleur de la peau de la mutante contre lui, il y avait déjà pensé. Plusieurs fois. Et ce n’était jamais une idée déplaisante, plutôt l’inverse, même. Mais il préférait se calquer sur le rythme de la jeune femme, sans se douter une seule seconde que ses propres envies étaient largement partagées. Sans relacher un instant son étreinte autour de la taille gracile de la jeune femme, il glissa son nez contre celui de cette dernière, tachant de calmer les battements désordonnés de son cœur tout en fixant son regard azuré dans le sien.

- Que dis tu de laisser tes affaires comme elles sont et d’aller rejoindre Pete’ pour le rassurer ? je suis sur qu’il pourrait même te proposer de les faire se ranger toutes seules, tellement il sera soulagé de savoir que tu ne pars pas …

Il avait murmuré ces quelques paroles comme si il avait peur que quelqu’un puisse les entendre, mais en réalité c’était seulement que sa bouche était encore tellement proche de celle d’Elsa qu’il en avait le souffle coupé, oubliant même parfois de respirer. Et puis il y avait quelque chose dans le regard de la jolie blonde qui l’empêchait de faire le moindre geste, incapable de savoir ce qu’elle voulait faire de lui à présent. D’ailleurs, elle pourrait bien décider n’importe quoi, il suivrait probablement sans rechigner, tant qu’elle ne sortait pas des murs du manoir …



   

A chaque baiser qu’ils échangeaient, l’évidence apparaissait devant les yeux de Malachi avec un peu plus d’insistance : Ils s’étaient tournés autour pendant des semaines, des mois peut être même, chacun étant persuadé que l’autre était à des milliers de kilomètres de partager ses sentiments. Il y avait probablement eu des signaux d’envoyé, d’un côté et de l’autre, et pourtant, ils avaient tous les deux fait l’autruche, exactement pour la même raison : la peur du rejet et d’une nouvelle solitude. Ils étaient tous les deux en manque évident d’affection et de tendresse tout en ayant énormément à offrir en échange. Alors si Elsa voulait bien de lui, tout aussi incomplet et imparfait qu’il soit, il n’allait pas laisser passer sa chance. Il sourit devant le fard que venait de piquer la jeune femme suite à sa remarque, pourtant presque totalement innocente, mais ne lui fit pas la remarque. Il aurait tout le temps de la taquiner quand les émotions ne seraient pas aussi… Exacerbées. Il la laissa prendre l’initiative de se détacher de lui, un peu à regret, pour la suivre à la recherche de Peter, qui s’était réfugié dans sa chambre pour bouder un peu, attendant de voir revenir son père qui lui expliquerait un peu plus cette situation qu’il ne comprenait pas.

Malachi laissa Elsa entrer dans la chambre en se tenant un peu plus en retrait pour laisser la jeune femme expliquer son changement d’avis à l’enfant. Peter leva ses yeux encore humides de larmes vers cette dernière, la moue boudeuse, dans l’attente de la sentence. Ses petits yeux d’enfant s’écarquillèrent de soulagement quand il comprit que finalement, Elsa ne partait pas. Le nœud qui lui nouait l’estomac s’envola alors qu’il se jetait dans les bras de la grande blonde en hoquetant de soulagement :

- Alors … tu …. Nous aimes… Toujours ? Tu… nous… Quitteras plus jamais hein ?

Malachi décida qu’il était le moment de les rejoindre, passant sa main dans la chevelure du petit garçon dans un geste tendre, alors que son autre main trouvait naturellement sa place sur l’épaule de la jeune femme :

- En tout cas elle ne partira pas de si tôt, parce qu’elle sait que si elle part, on serait bien trop malheureux tous les deux… Allez viens mon chat, on va tous aller gouter dans la cuisine, prendre un jus de fruit et du gateau, d’accord ?

Le petit garçon hocha vivement la tête, sautant sur ses jambes pour déguerpir dans la cuisine à la vitesse de la lumière : il savait que s’il voulait boire son jus de fruit dans son verre Cars, il devait aller le rincer dans l’évier avant, et il ne pouvait décemment prendre un vrai gouter sans son verre préféré. Il laissa donc les deux adultes dans sa chambre tranquillement, alors que Malachi secouait la tête, amusé :

- Et bien, je crois que tant d’émotions lui ont ouvert l’appétit…

Sa main glissa doucement de l’épaule à la nuque d’Elsa, qu’il caressait doucement du bout du pouce. C’était un geste tendre, qui lui paraissait terriblement naturel, alors qu’il continuait d’une voix calme, bien que toujours un peu retenue :

- Tu es sure que tout cela te conviendra ? Vivre avec moi, avec Peter, et tout le monde autour ? Je ne veux pas qu’il y ait quoi que ce soit qui te mette dans l’embarras, et si il y a des choses à changer, il  faudra me le dire, ne pas hésiter …

Il voulait simplement que tout se passe bien pour Elsa. Enfin, il avait toujours voulu que tout se passe bien pour la jeune femme, mais aujourd’hui un peu plus encore. Si elle était destinée à rester au manoir, dans la durée, il tenait à ce qu’elle se sente chez elle. Chez eux.




   

Le professeur laissa le petit garçon filler à toute allure, pour mieux se concentrer sur la jeune femme qui souriait en face de lui. C’était surement ce qui était le plus beau chez Elsa, parmi tant d’autres délicatesses, son sourire lumineux et communicatif. A cet instant, il lui paraissait absolument impensable qu’on puisse un jour lui avoir voulu du mal, elle si douce, si gentille. Et pourtant. La réponse de la jeune femme finit de le réconforter, alors qu’elle venait nouer ses doigts aux siens tendrement. Ce genre de gestes, il allait devoir les réapprendre, mais il était un élève appliqué dans ce genre de matières. Attentif, surtout, il fallait dire en même temps que peu de chose pouvait lui échapper, de ce coté là.

- Si tu te sens bien, c’est tout ce qui compte. Et puis il faut dire que je me suis habitué aux tiennes, d’attention. J’espère simplement que nous pourrons continuer ainsi, à notre rythme.

Le sien à lui, qui n’avait jamais connu qu’une seule femme, et qui pour la première fois, avait envie d’en découvrir pleinement et entièrement une autre. Le sien à elle, qui n’avait jamais eu de relation vraiment sérieuse, et qui devait probablement encore trouver sa place dans le monde tellement mouvementé et surchargé de Malachi. Pourtant, il n’était pas spécialement inquiet : il ne se jetait pas dans l’inconnu, et encore moins avec une inconnue. Il voulait faire les choses bien avec Elsa, et il ne doutait pas qu’elle voudrait faire de même. Et tant pis s’ils y allaient par petits pas timorés, au final, c’était juste leur tout nouveau bonheur tout neuf qui comptait, et quelque chose le poussait à croire que ce dernier n’était pas près de s’arrêter. Il vint embrasser délicatement les doigts de la demoiselle rougissante, puis l’invita à quitter la chambre pour rejoindre l’enfant et le chiot dans la salle à manger : ce n’était pas leur premier gouter ensemble, mais celui-ci allait, à n’en pas douter, avoir une saveur toute particulière….