And there's a storm you're starting
now graham & octavia.
Kingsley était mort. On lui avait appris la nouvelle près d'une heure plus tôt, et elle n'avait pas eu à feindre une seconde les traits décomposés, les yeux écarquillés. Certainement qu'elle devait être très ébranlée d'apprendre que son mentor était décédé, lui qui l'avait prise sous son aile depuis des mois, à guider ses gestes, à lui apprendre comment se battre dans les règles, et non comme une gamine de la rue. Elle lui avait pourtant camouflé ses manières de chat sauvage et son langage de charretier, se compliant à ses demandes et s'exécutant docilement. C'était ses coups qui l'avaient trahie, qui avaient fait voler en éclats cette image de jeune fille respectable venue se mettre au service du bien commun. Ces poings qui s'abattaient sans retenue, cette hargne qui résonnait derrière chaque mouvement, de plus en plus fort, mais sans véritable technique. Kingsley avait voulu lui apprendre, lui faisant semblait-il une sorte d'honneur en la choisissant comme recrue, sans se douter une seconde des profonds griefs de la brune à son égard. Il avait tué Diondra, sa Diondra, la seule amie qu'elle avait trouvé dans ce trou à rat, l'une des seules personnes à qui elle s'était attachée
pour de vrai. Il l'avait abattue comme la dégénérée qu'elle était, sans pitié, sans qu'Octavia ne soit là pour la protéger, elle qui s'était pourtant juré de le faire. Alors, sa gueule défaite lorsqu'un hunter qu'elle connaissait à peine lui annonça que Kingsley Moren était mort, c'était surtout pour ça. Parce qu'elle voulait mettre fin à sa misérable existence
elle-même, voir cet éclat malsain s'éteindre au fond de ses prunelles de son fait à
elle. Et il était mort, comme ça, et ça lui pesait au fond de l'estomac depuis près d'une demi-heure à la voleuse, une foutue amertume collée en travers de la gorge sans qu'elle ne cherche à donner le change. Après tout, on se dirait juste que ça la touchait de savoir que son entraîneur n'était plus, et ce serait très bien comme ça. On lui foutrait la paix pendant qu'elle ruminait, et que personne ne vienne s'y frotter de trop près.
Sauf que voilà, personne ne lui foutait la paix. Bras croisée sur son débardeur, adossée à l'un des murs de l'entrepôt, à l'appel de son nom la brune leva un oeil morne vers le supposé entraîneur. Réalisant que tous ces gens dont elle avait ignoré l'arrivée avec brio se trouvaient désormais tous gentiment autour du hunter, à attendre qu'on les foute en binôme. Encore un peu et elle n'aurait pas retenu le rictus qui montait à ses lèvres. Putain, qu'est-ce-qu'elle détestait ce genre de connerie, fallait peut-être aussi qu'ils se mettent deux par deux en se tenant la main comme les gentils écoliers qu'ils semblaient être ? Arquant un sourcil inquisiteur à l'égard de l'homme, celle-ci finit par suivre son regard pour tomber sur la personne avec qui il l'avait visiblement affiliée. Ses ongles s'enfoncèrent dans les muscles de ses bras tandis qu'elle fixait son adversaire du jour, mâchoires serrées et coeur manquant un battement dans la foulée. Il n'y eut qu'une seconde flottement, un instant durant lequel la brune dut se faire violence pour réprimer toutes les émotions qui risquaient de transparaître dans ses prunelles, toutes les expressions de haine purement viscérale qui manquèrent de peu de déformer son doux visage. Peut-être que si elle avait entendu son nom, au lieu de se retrouver prise de court comme ça, elle aurait moins eu l'impression qu'on venait de lui coller un uppercut dans le ventre. Ce n'était pas la première fois qu'elle le voyait se pavaner durant les entraînements, toujours suffisamment éloignée pour l'observer d'un oeil tout en laissant ses nerfs s'affoler, détournant toute sa tension contre Kingsley. Il y avait eu quelques mots échangés, par presque inadvertance, fortement provoquée par la brune qui cherchait à établir un premier contact, en douceur. Elle n'avait jamais tenu bien longtemps avant de s'esquiver, au risque de perdre le contrôle de ses muscles crispés et tout bonnement lui sauter à la gorge. Peut-être qu'il eut mieux valu rester éloignée, comme le lui avait demandé Priam. Ne pas chercher à se renseigner, à l'approcher. Mais plus elle le voyait, plus elle s'en construisait une image bien définie, plus il était difficile de garder ses distances. Ce fut donc avec un sourire tout feint que la brunette l'observa alors qu'il s'approchait, décollant son échine du mur en frottant l'arrière de son short pour en décoller les quelques traces poussiéreuses. Comme si ça l'avait jamais importée, d'avoir des vêtements dégueulasses. Mais le personnage était incarné, les petites manies retrouvées, ses grands yeux braqués sur Graham en sachant pertinemment quel comportement adopter dans un premier temps. La remarque qui sortit de la bouche du hunter lui aurait presque arraché un sourire narquois, si la colère n'avait pas tant rythmé chaque battement dans sa poitrine. Non, elle n'avait pas envie de lui sourire, de rentrer dans son petit jeu. Elle voulait sa peau, c'était tout, faire disparaître ce rictus suffisant et lui cracher à la gueule. Mais elle ne pouvait pas, Octa, encore trop certaine de devoir courber l'échine pour l'approcher, s'improviser proie docile envers le prédateur, le laisser prendre l'avantage pour mieux se retourner lorsqu'il ne s'y attendrait pas.
Mais elle n'était pas si forte, Octa, elle n'arrivait pas à réprimer la haine qui s'écoulait tumultueusement derrière ses tempes, elle n'arrivait pas à jouer la comédie aussi facilement qu'avec tous les autres. Pas avec lui. Pas avec ce qu'il faisait de Priam. Le premier coup la bouscula légèrement, la laissant tanguer plus que de raison tandis qu'elle exagérait légèrement le mouvement, comme une plume qu'une bourrasque viendrait de heurter. Ce fut la seconde remarque qui la conduisit à réprimer le soupire d'exaspération qui emplissait ses poumons, la laissant braquer un regard électrique sur le hunter, dents serrées. Elle aurait dû la fermer, tenir ses poings et feindre la délicatesse, l'innocence de ce personnage qu'elle avait songé bon d'incarner les fois précédentes. Mais déjà, il y avait cette tension orageuse qui envahissait ses iris, tandis qu'elle demeurait strictement immobile, ignorant cette épaule qui la lançait encore et encore, le sang s'agitant là où le poing de Graham venait de l'atteindre, ce contact physique qui lui avait hérissé le poil comme à une bête sauvage incapable de réprimer sa rage.
« Si tu étais là pour me tuer ? » Arquant un sourcil en le fixant sans ciller, le poing de la brune partit sans qu'elle n'ait pris la peine de monter ses poings en garde, de se la jouer à la loyale. Sa force était maîtrisée, pourtant, frappant le plexus solaire en avançant d'un pas, simple mise en bouche destinée à dénouer légèrement ses muscles tendus, à l'empêcher d'imploser ici et maintenant.
« Faudrait déjà que tu me donnes l'impression d'en être capable, pour que je m'inquiète. » Maîtriser le timbre de sa voix, laisser le corps exprimer la violence tandis que les mots restaient sous contrôle. C'était l'un ou l'autre.
« Qu'est-ce-qui a, t'as peur de faire mal à une fille ? » Un ricanement lui échappa alors qu'elle esquissait un pas sur sa gauche, sans le lâcher du regard.
« Ou t'as peur qu'une fille te fasse mal, peut-être ? » Peut-être qu'il était misogyne, aussi, pour parfaire le tableau. Peu importait, de toute manière. Depuis qu'elle était gosse, les garçons de son quartier lui avaient toujours balancé à la gueule qu'elle n'était pas
une vraie fille. Trop violente, trop téméraire, trop grande gueule, trop casse-couilles. Ce n'était pas ces facettes qu'elle exposait à la vue du hunter, sûrement qu'elle pourrait les camoufler longtemps, jusqu'à ce qu'elle l'ait mis suffisamment loin dans sa poche pour qu'il ne voit jamais quelle véritable identité se cachait derrière ses traits soigneusement ciselés. Il n'y avait que quelques mots, et quelques éclats plus sombres qui cernaient ses pupilles, qui laisseraient deviner à un oeil attentif que la brune n'était pas tout à fait ce qu'elle semblait être. Qu'elle pouvait sûrement frapper vite et fort, qu'elle avait sûrement du venin à déverser et des ténèbres à satisfaire.