“ Crumble. This is not your destruction. This is your birth. ”

« Evelyn ! Ça va aller ma jolie. » Elle regardait les milliers de morceaux de verres étalés sur le sol de la cuisine. La petite gamine d'à peine six ans ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Elle avait failli accroché le tapis menant vers la salle à manger et dans sa chute, on aurait dit que toute la cuisine avait explosé en même temps qu'elle. Les verres sur la table tombées en miettes sur le sol froid, juste devant ses yeux. La gamine avait quelques coupures dans le visage, plusieurs même. Tout de suite, sa mère accourait vers l'enfant et passa un linge sur les quelques plaies. Elle tenait sa tête entre ses deux mains maternelles alors que sa soeur sortait du sol pour voir ce qui se passait. Aurora essayait de nettoyer le sang sur les traits de la petite fille qui était encore sous le choc, paralysée par l'incompréhension. Elle était comme la voisine ? Comme Cecily ? C'était elle qui avait fait explosé tous les verres ? Tout comme elle avait pratiquement démoli la clôture de la cour l'autre jour alors qu'elle jouait au ballon avec Amelia ? Dès qu'elle touchait quelque chose, la catastrophe n'était jamais loin d'arriver. Au départ, elle se croyait seulement maladroite mais la petite fille commençait à se demander... s'il n'y avait pas plus. « Maman... Je crois que c'est moi qui a fait ça. » dit'elle d'une voix brisée, se sentant infiniment coupable. La gamine tremblait soudain, mais sa mère resserra son étreinte sur elle, couvrant ses épaules, comme pour la protéger du froid pourtant bien loin dans la chaleureuse cuisine des Anderson. « Je sais chérie. Ne t'inquiètes pas, tout va bien aller. » Et sa soeur s'en mêla, commençant déjà en ramasser les morceaux de verre en faisant un clin d'oeil à la petite mutante bien confuse de ses nouveaux pouvoirs.

“ I loved you before I even knew what the word love meant ”

La fillette avait le regard perdu dans la foule, la fête locale réunissait toute la ville pour quelques jours de célébration pour profiter des rares journées d'été de leur coin de pays constamment gelé. Son petit verre de jus à la main, elle observait la tête blonde de son voisin qui dépassait la plupart des autres enfants. Elle ne touchait pas à sa boisson, car elle avait l'esprit ailleurs. C'était souvent ce qui arrivait lorsque Adrian était dans les parages. C'est à dire toujours puisqu'ils grandissaient une maison, l'une à côté de l'autre. Elle fut soudain tirée de sa rêverie par un coup de hanche qui l'obligeait à se pousser un peu sur son banc pour faire de la place à la nouvelle venue. La jeune Evelyn tourna les yeux sur le visage d'Amelia qui venait de prendre place à ses côtés, un air moqueur sur les traits. Comme toujours. « Qu'est-ce que tu regardaaaiiis. » Oh, elle le savait très bien. Elle était sa meilleure amie, elle n'avait pas de difficultés à lire dans ses pensées - et cela - sans être une mutante comme elle. Evelyn se contenta de lui faire une grimace avant de siroter enfin un peu de son jus. Elle ne comprenait pas encore quelles étaient ses drôles de sensations qui explosaient en elle quand Adrian lui parlait, lui souriait, marchait avec elle vers l'école ou simplement lorsqu'elle posait les yeux sur lui. Tout ce qu'elle savait c'était que quand - avec Amelia - elles s'amusaient à imaginer le prince charmant comme dans leurs films de Disney, c'était lui qu'elle voyait. Amelia allait d'ailleurs continuer à l'agacer, ouvrant la bouche pour ajouter quelque chose, lorsque soudain, un énorme husky argenté jappa et se précipita sur la gamine aux boucles d'or. Lui léchant disgracieusement la bouche, Evelyn éclata de rire en se passant la main sur ses propres lèvres pour essayer de trouver un peu de contenance. « Rex, viens ici. » finit-elle par l'appeler. Le gros chien de son père abandonna sa joyeuse proie et Evie se mit à le flatter chaleureusement, sauvée de justesse par le canin. « Bon chien ! »

“ ... and they lived happily ever after. ”

Il avait plié le genou, à ses pieds. Le regard rivé sur elle et il avait sorti une petite pierre montée sur un anneau de sa poche pour la tendre vers elle. Le coeur de la jeune femme avait arrêté de battre. « Evie, voudrais-tu m'épouser ? » Puis il avait explosé littéralement entre ses côtes. Les paroles d'Adrian la retournait tellement, elle était émue, s'était jetée sur lui sans être capable d'arrêter de lancer des oui, oui, oui qui ne faisaient pas de sens tellement ils se précipitaient dans sa bouche. Elle l'aimait depuis toujours, il n'avait même pas besoin de poser la question. Mais s'il s'absentait souvent pour l'armée, même si chaque fois qu'elle le retrouvait, il avait un peu changé. Après tout, elle changeait aussi un peu à chacune de ses permissions. Et malgré tout, elle l'aimait autant, voir plus à chaque fois. Dès qu'elle le retrouvait, elle en oubliait les mois passés sans lui. Et pour le peu de temps que ça durait, ça en valait chaque instant. Et alors qu'il passait la bague à son doigt, elle ne pouvait en être plus convaincue. Ce fut une cérémonie brève, pratiquement précipitée avant qu'il ne quitte de nouveau pour la guerre, mais elle en savoura chaque moment, malgré sa famille qui jouait aux rabats-joies en pariant combien de temps cela allait durer. Ils étaient jeunes et inexpérimentés après tout seulement âgés de vingt-et-un ans, ils se jetaient aussi dans le vide bien rapidement. Pourtant, cela venait tout naturellement. Elle ne voyait pas ce que tous ceux autour d'eux s'entêtaient à dire. Elle était heureuse malgré la vie de militaire du jeune homme, c'était lui qu'elle voulait. Elle voulait être mademoiselle Blackwood, peu importe ce que la vie lancerait de leur côté et peu importe les avis contraires. Peu importe leur âge, peu importe les kilomètres, peu importe toutes ses choses que les autres s'acharnaient à lui dire que c'était des problèmes dans un couple normal, à essayer de rationaliser avec elle, Evelyn s'en foutait. La raison n'avait pas de place dans le coeur de la jeune femme alors qu'elle prononçait les fameux oui je le veux. Puis, le baiser qui scellait leur union, déjà si fusionnelle depuis tant d'années. Maintenant, ce serait jusqu'à ce que la mort les séparent, pourquoi donc s'apitoyer sur les mauvais côtés... non, elle ne voyait que la légèreté qu'elle ressentait quand elle était avec lui... et elle aurait tant voulu que ça reste ainsi pour toujours...

“ The Road goes ever on and on Down from the door where it began. ”

Amelia s'était trouvée un nouveau boulot au Kentucky. À force de emails et d'appels coûtant un bras et une jambe, elle avait convaincue Evelyn à quitter l'Alaska pour quelques semaines et visiter cette nouvelle ville. Radcliff. Elle avait trouvé un boulot d'avocate et était certaine de pouvoir lui décrocher un poste au journal de la ville pour elle. L'Alaska lui permettait de prendre des clichés de paysages superbes, mais ce n'était pas ce qu'elle voulait faire. Elle voulait capturer la vie, les gens. Au départ, elle était venue à Radcliff pour voir, curieuse. Elle avait planifié retourner dans sa ville natale ensuite mais elle avait finalement craqué, à coups d'arguments d'Amelia en grande partie, mais aussi parce qu'elle se surprit à bien aimer son nouveau boulot qu'elle obtint sans aucun problème. Un nouveau souffle, une nouvelle aventure dans laquelle elle se lança avec son amie de toujours, Adrian la rejoignant de temps à autre quand sa vie de militaire le lui permettait. Ce fut aussi à son arrivée qu'elle découvrit qu'elle n'était pas la seule mutante, au contraire. Elle savait que la grande soeur Blackwood en était une aussi, mais depuis longtemps, elle s'était toujours sentie un peu seule dans sa situation. Dans cette ville, elle avait découvert d'autres gens comme elle. Elle se fascinait de la ville, de ses habitants, de ses fêtes. Et bien vite, elle embarqua son appareil photo pour piéger les instants, les paralyser. Quelques années d'une vie paisible, Adrian de plus en plus présent malgré les traumatismes évidents que la guerre avait laissée sur - corps et d'esprit. Pourtant, elle ne pouvait demander mieux. À cette époque, elle était bien. Elle n'avait que vingt-trois et la vie ne pouvait rien lui donner de plus qu'elle n'avait déjà, sauf peut-être un enfant qu'elle désirait depuis longtemps déjà, mais elle ne désespérait pas et savait que cela viendrait un jour. Elle croyait que rien ne pourrait entacher ce bonheur presque irréel qu'elle ressentait dans cette nouvelle ville. Cela avait duré trois ans... mais toutes bonnes choses ont une fin... Quand Amelia fut tuée par des mutants lors d'une prise d'otage, son monde sembla s'écrouler, et ce n'était que le commencement...

“ when i can't sleep at night, i stare at the empty side of the bed. ”

La sentence était tombée comme un écho lointain aux oreilles de la jeune femme alors qu'elle observait Adrian. L'accusé, le coupable, le meurtrier. Il avait tué ceux qui avaient fait du mal à Amelia. La guerre l'avait durci, elle le savait mais jusqu'à se venger ? À tuer ? Elle ne voulait pas y croire mais elle savait. Quand elle regardait dans ses yeux, elle voyait tout. Il l'avait fait. Tout ce qu'on disait. Les preuves présentées par la couronne. Ses yeux disaient tout, il avait commis tout cela. Elle voulait le détester pour ce qu'il avait fait. Elle voulait lui faire comprendre qu'il avait tout gâché, qu'il ne pourrait plus revenir en arrière. Que cette fois, elle n'allait pas l'attendre comme l'idiote de service. Elle avait essayé - tant bien que mal - de passer à autre chose. D'abord en se plongeant dans son travail, puis en trouvant du réconfort dans les bras de sa soeur. Celle-ci ayant quitté l'Alaska seulement pour venir la rejoindre. Elle avait essayé de fréquenter un autre homme. Au début. Elle avait essayé de ne pas aller voir Adrian en prison. Au début. Elle avait hurlé de l'autre côté de la vitre, téléphone à l'oreille alors que les gardiens les surveillaient. Au début. Mais au final, elle souffrait loin de lui. Au final, elle avait décidé de l'attendre, comme elle l'avait fait quand il était militaire et à l'autre bout du monde. Elle avait été bouleversée par la mort d'Amelia - certes pas autant que lui, puisqu'il était après tout son jumeau - et savait qu'il avait tué par amour pour la défunte jeune avocate. Elle ne pouvait pas lui en vouloir bien longtemps, elle ne pouvait rester éloignée de lui, alors, elle avait attendu. Il avait essayé de la consoler le mieux qu'il pouvait même derrière les barreaux quand Evie avait appris la grave maladie de sa mère. Elle était retournée en Alaska sans lui pour passer les derniers jours avec Aurora qui avait été un pilier dans la vie de la mutante. Elle avait pleuré quand sa mère avait rendu son dernier souffle... et ce fut sa soeur qui fut, à ce moment, la seule à pouvoir la consoler, à être là pour elle, à toutes heures du jour et de la nuit, renforçant encore plus leurs liens déjà si étroits. Pendant un instant, elle se crut à son plus bas mais quelques moments heureux l'attendaient au détour du chemin.

“ to be fair, i grow humans, what's your super power ? ”

« C'est une fille. » lança le médecin. Un sourire éclaira le visage d'Evelyn. Son ventre de plus en plus rond, le médecin passait la petite machine sur son nombril, puis les côtés alors que dans l'écran, s'agitait une image floue, en noir et blanc. Evie serra les doigts d'Adrian entre les siens et leva les yeux pour croiser son regard. Elle n'arrivait pas à croire que malgré toutes les épreuves, ils y étaient. Là maintenant... de nouveau heureuse. Avec la seule chose qui lui manquait. Un enfant. Et ce serait une petite fille. Émue, elle n'arrivait pas à cesser de sourire, le regard brillant. « Aurora. J'veux qu'on l'appelle Aurora, comme ma mère. » Cette femme qui avait été là pour elle depuis toujours, qui avait accepté sa mutation, avait même accueilli Adrian à bras ouverts dans la famille malgré les premières réticences. Le grand blond ne pouvait pas vraiment lui refuser et sembla heureux de ce choix. Le sourire qui glissa sur ses lèvres, fit fondre un peu plus la future mère qui baissa ensuite les yeux vers l'écran une nouvelle fois, sans relâcher la force avec laquelle elle serrait les doigts de son mari. Elle ne voulait pas lâcher prise, elle ne voulait pas que l'extase de ce moment ne se termine jamais. Elle voulait figer le temps sur place mais ce n'était pas ça son pouvoir...


Depuis qu'elle avait appris qu'elle était enceinte, quelques semaines à peine après la sortie de prison d'Adrian, elle ne pouvait être plus comblée. Ce fut jusqu'à ce qu'elle se fasse attaquer par des mutants, deux mois avant l'accouchement prévu. Elle s'en était sortie, mais à partir de ce moment, elle devait être suivie à chaque semaine pour s'assurer que le bébé allait bien. Un moment d'angoisse bref, puisqu'elle accoucha deux semaines avant la date mais tout se passa pour le mieux. Elle n'avait d'yeux que pour cette petite boule de vie dans ses bras, les bras rassurants d'Adrian autour de ses frêles épaules. Encore un de ses moments qui venait effacer toutes les époques plus sombres, toutes les douleurs passées. La douceur odeur d'Aurora, la présence rassurante de son mari, bouclier qui allait la protéger contre le monde entier, elle le savait. Les protéger.

“ The dreams in which I'm dying are the best I've ever had. ”

Evelyn pleurait, Aurora dans son berceau également. Assise, seule dans le fond de la baignoire pendant que sa fille hurlait à pleins poumons dans sa chambre pour enfants de l'autre côté du mur. Elle l'avait foutu dehors après avoir hurlé à s'en briser la voix. Le sol était couvert de traces de sang laissées par les bottes d'Adrian. La porte avait claquée quand il était parti et le bébé s'était mis à pleurer. Mais pas autant qu'Evelyn qui avait la tête enfouie dans ses mains, assisse dans le bain alors que l'eau ne coulait même pas. Elle aurait pu appeler sa soeur, aller prendre soin d'Aurora pour se changer les idées mais elle n'y arrivait pas. Elle était paralysée. De rage, de tristesse, de confusion. Elle ne savait pas trop. Pendant que les pleurs du bambin se calmait lentement, la petite fille retournant à ses sommeils enfantins, la jeune femme, elle, n'arrivait pas à se calmer. Au contraire, elle sentait l'air tambouriner autour d'elle, ses pouvoirs sur le point de déborder. Elle réussissait à les garder en laisse, mais l'ambiance autour d'elle était agitée, l'empêchait de réfléchir normalement. S'extirpant lentement de sa torpeur, elle avait nettoyé le sang dans la salle de bain avant de croiser son reflet dans le miroir. Pourquoi Adrian l'aimait-il encore alors qu'elle était elle-même une mutante ? Pourquoi l'aimait-elle encore alors qu'elle venait d'essuyer du sang de dégénéré qu'il avait laissé sur le sol ? Ça n'avait pas de sens. Elle ne voulait plus de cette vie, elle ne voulait plus de ses pouvoirs. Elle ne savait plus ce qu'elle voulait. Elle voulait qu'Adrian lui revienne, mais elle ne pouvait pas tout pardonner, elle avait ses limites, non ? Adrian... Adrian... Adrian... Pourquoi ? Calmement, froidement, elle ouvrit la pharmacie et en tira une seringue bien cachée. Une dose du vaccin NH24 pour supprimer le gène mutant. Ça faisait un moment déjà qu'elle se l'était procurée, sans oser passer le pas. Mais après ce soir, elle n'en pouvait plus. Elle retrouva sa place dans la baignoire, releva sa manche. Une hésitation et elle planta l'aiguille dans sa chair en faisant une grimace. Projetant cette image de fille droguée, pathétique, le regard vide. Et elle resta ainsi de longues heures. C'était fini, elle le sentait. Tout autour d'elle, le calme revenait. Pour un temps. Le calme avant la tempête.