neuf ans, Nashville, quartier modeste, maison des White

Elle court à toute vitesse, slalomant entre les piétons qui parsèment le trottoir. Elle court tellement vite que ses poumons lui font mal, mais elle ne semble pas s’en soucier. Sourire aux lèvres elle arrive finalement à destination. Elle adresse un bonjour précipité au voisin de la maison d’à côté avant de laisser tomber son sac sur le porche de chez elle. Assise dans un rocking-chair, sa grand-mère la regarde avec un sourire qui fait écho au sien. La petite fille s’assoit devant la femme aux cheveux blancs comme neige, jambes croisés elle élargit son sourire comme une démente ce qui fait rire la vieille femme. Amusée, elle agite ses mains et ses doigts plein d’arthrite dans une succession de mouvements auxquels se joignent les gestes plus rapides et brouillons de sa petite fille. Sa grand-mère n’a jamais pu parler, ses parents lui ont expliqué que parfois certaines personnes ne peuvent simplement pas parler, entendre ou voir et que c’est ce qu’on appelle un handicape, mais Thalie ne voit pas les choses comme ça, elle trouve ça génial de pouvoir communiquer avec sa grand-mère sans que personnes d’autres ne puissent comprendre ce qu’elles peuvent se dire. Sa mère sait bien signée elle aussi, mais elle n’en prend pas la peine car la vieille femme, bien que muette, n’est pas sourde. Peu importe pour Thaleia, ça rend le lien qui l’uni à sa grand-mère encore plus spécial, elle l’aime plus que n’importe qui et se sent plus proche d’elle que de sa propre mère.

treize ans, Radcliff, quartier en centre, appartement au deuxième étage

Elle enjambe la baignoire pour en sortir et s’enveloppe dans une serviette avant de se diriger vers le lavabo. D’un geste elle attrape une brosse et commence à peigner ses longs cheveux noirs de jais. Avant sa grand-mère le faisait toujours à sa place, elle adorait qu’elle le fasse, ça lui manque aujourd’hui encore. Ca fait presque un an qu’elle est décédée, mais le vide qu’elle a laissé derrière elle est tel que Thaleia à parfois l’impression que son manque est bien plus ancien encore. Perdue dans ses pensées elle quitte son reflet dur regard, pour le laisser glisser vers le sol. Elle s’aperçoit alors que ses jambes semblent être en train de s’enfoncer dans le sol. De surprise elle hoquette de peur et s’apprête à appeler son père quand elle se souvient qu’il n’est pas encore rentré, quant à sa mère, elle n’habite plus avec eux. Après leur installation à Radcliff, les tentions étaient devenus monnaie courante entre ses parents qui avaient fini par n’en plus pouvoir. Sa mère était aller vivre à New York près de chez sa sœur. La garde de Thaleia avait été assez rapidement décidé, même si elle ne sentait pas particulièrement l’enthousiasme de son père à l’idée de devoir gérer sa fille seule... Elle s’occupait plus de lui qu’il ne le faisait et avait rapidement pris le rôle de maîtresse de maison. Elle n’avait rien perdu de son énergie et de sa bonne humeur, malgré les événements qui s’enchaînaient et semblaient tout mettre en œuvre pour la briser. Pourtant, un nouveau coup du sort semblait s’abattre sur elle à cet instant. Elle s’agite dans tous les sens pour échapper à l’espèce d’attraction que semble exercer le sol sur elle. Arrivée à mi-cuisses, Thaleia se rend compte que si elle semblait en effet disparaître ce n’était pas le cas de son ombre qui bizarrement se dessinait au fur et à mesure. Elle tente tant bien que mal de s’accrocher au pied du lavabo, mais rien à faire, la force est bien trop importante et bientôt ses doigts lâchent prise. Dressant haut son cou elle essaye de prendre son souffle comme on le ferait avant de plonger sous l’eau, puis finit engloutie par les ténèbres de son ombre. Elle lève les bras, du moins, l’ombre qu’elle est le fait, elle ne comprend pas ce qui se passe. Elle a envie de hurler, mais aucun son ne sort de sa bouche. Est-ce qu’elle est morte ou quelque chose du genre ? Est-ce que l’on devient une ombre quand on meurt ? Non, c’est stupide elle le sait bien, mais tout ça est tellement fou qu’elle ne sais plus quoi penser. Vous vous êtes déjà demandé ce que ressent une ombre ? Elle non plus... mais elle le découvrait et c’était très... spécial... Cherchant à « se redresser » elle tente d’atteindre le mur qui est derrière elle avant de se retrouver dessus. Dans le miroir en face d’elle elle ne voit que son ombre, rien d’autre. Elle souhaite fort que tout ça ne soit au final qu’un cauchemar, mais elle sait bien que ce n’en est pas un. Elle cherche à toute vitesse un moyen de sortir de cet état, mais elle ne sait absolument pas par où commencer pour tenter de maîtriser ce phénomène, si elle a bien un moyen de le faire. De l’autre côté de la porte elle entend les clefs de son père qui tourne dans la serrure de l'entrée. S’il l’a voit comme ça il va sûrement prendre peur, enfin si il fait attention à une ombre sur un mur... Il cogne à la porte de la salle de bain et l’appelle, mais impossible pour elle de répondre évidemment. Finalement, n’ayant pas obtenu de réponses, il entre dans la pièce, il est surpris de ne pas l’y trouver, mais ne semble pas s’inquiéter plus que ça. Il pense sans doute qu’elle doit être sortie. L’inquiétude viendra, plus tard, quand le soir elle ne fut toujours pas rentrée, puis quand les jours passèrent il s’était mis à boire, finalement ce sont deux semaines entières qui s’écoulèrent avant que Thaleia ne puisse reprendre une forme en trois dimension. Son père fut soulagé, en colère, déçu et bien d’autre choses, quand il put enfin la serrer dans ses bras. Elle dû inventer une histoire comme quoi elle avait essayé de rejoindre sa mère à New York en auto-stop et qu’elle s’était retrouvée complètement perdue, sans argent et sans moyen de communication. Son père qui n’avait jusque-là jamais été le père de l’année, se mit à devenir plus attentif envers elle et bien qu’il fut trop stricte en matière de règles, Thaleia ne lui en voulu jamais car elle savait qu’il avait très mal vécu sa "disparition". Elle le savait bien étant donné qu’elle l’avait vu tout ce temps, elle l’avait observer souffrir sans jamais pouvoir soulager sa peine.

vingt-deux ans, Radcliff, université de la ville

Un sac sur le dos, des pompons dans les mains Thaleia se dirige vers le bâtiment où son premier cours de la journée va commencer dans dix minutes. Non loin de là elle aperçoit une troupe massive d’étudiants qui semble planter devant l’entrée du bâtiment voisin au sien. Elle se tâte une minute, en se demandant s’il serait raisonnable ou non d’aller voir se qui pouvait tenir tout ce monde en haleine, mais son doute se dissipe rapidement et elle se précipite en sautillant vers la masse d’élèves. Reconnaissant une camarade à elle qui fait également partie des pom-pom girls de l’équipe de football, elle se dirige directement vers elle pour lui demander des infos. Son visage se décompose rapidement quand elle lui explique la situation. Aujourd’hui elle n’aurait à aller à aucun cours car derrière les hautes silhouettes de ses camarades se trouvaient un élève de troisième année qui s’était jeté du toit du bâtiment. Thaleia se sentit mal en apprenant les suppositions de sa camarade quant aux raisons qui auraient poussé le jeune homme à mettre fin à ses jours. Depuis un moment déjà, des rumeurs circulaient à son sujet, des rumeurs qui laissaient entendre qu’il était différent des autres, qu’il était quelque chose qui répugnait beaucoup de monde : un mutant. La demoiselle à ses côtés, sentant sans doutes que quelque chose n’allait pas, posa une main sur l’épaule de Thaleia, comme pour la réconforter, mais ses mots eux ne l’aidèrent pas « Si s’en était bien un, ce n’est pas si grave du coup » Thaleia ouvre de grands yeux, elle ne savait pas que cette fille, pourtant très sympa, pouvait avoir ce genre d’opinions. Elle ne pouvait pas rester là. Prétextant qu’elle allait profiter du fait qu’il n’y ait pas cours pour aller faire un tours, elle quitte les lieux en vitesse. Tout est brouillé dans son esprit, elle est en pleine crise de panique. Elle pensait que jamais ce genre de choses ne viendraient empiéter sur sa vie, mais elle se voilait la face. Dès qu’elle avait entendu parler des mutants elle avait compris que c’était ce qu’elle était, que cela expliquait son pouvoir, mais jamais au grand jamais elle n’en avait parlé à qui que ce soit. Secrètement elle avait espéré qu’il finirait par disparaître tout seul du jour au lendemain, comme il était venu. Maintenant qu’elle se trouvait confrontée à cette situation de si près, elle se rendait compte qu’elle ne pouvait pas rester sans rien faire, elle devait agir et vite !

vingt-deux ans, Radcliff, une pharmacie en centre ville (le même jour)

Cela fait bien cinq bonnes minutes qu’elle marche de long en large devant la pharmacie, ne se décidant pas à y entrer. Elle ronge nerveusement ses ongles en essayant de saturer son esprit avec suffisamment de motivation pour faire ce pourquoi elle est venu jusqu’ici. Finalement, elle prend une profonde inspiration et entre dans la  pharmacie, vide pour le moment. Elle marmonne rapidement ce qu’elle souhaite acheter à la femme derrière son comptoir et celle-ci semble autant agacée par son comportement qu’elle ne l’est déjà elle-même. Après avoir régler son achat elle sort en fourrant l’objet dans son sac à dos, renversant au passage une pile de boites sur l’étagère à côté d’elle. Elle commence à ramasser frénétiquement les boites quand elle s’aperçoit qu’il s’agit de préservatifs... elle balance la boite à travers l’allé comme si il s’agissait d’excrément en boite. Elle se relève nerveusement, sans finir de ramasser ce qu’elle avait fait tomber, elle salut la pharmacienne d’un geste de la main, lui offrant un sourire crispé avant de sortir de la pharmacie en courant presque. Elle fonce tout droit chez elle avec une vitesse record et s’enferme à double tour dans le petit appartement qu’elle loue en collocation avec une autre fille de l’université. Elle tend l’oreille, pas un bruit, elle est seule, heureusement. Elle se précipite dans sa chambre, ouvre son sac en faisant tomber la moitié de son contenu avant de se saisir du sac en papier contenant l’achat qu’elle vient d’effectuer. Elle passe une main tremblante sur son visage. C’est la seule chose à faire, elle le sait, alors pourquoi est-ce qu’elle a aussi peur ? Se mordillant la lèvre inférieur à s’en faire saigner elle ouvre la boite qui contient une seringue et un petit flacon. Elle se répète qu’il n’y a pas d’autre solution, elle se le répète encore et encore, comme un mantra. Les choses seront plus simples comme ça. Elle acquiesce à cette pensée, retire la protection en caoutchouc de l’aiguille et la plante dans le couvercle en aluminium qui protège le flacon. Une fois la seringue pleine du liquide sensé faire d’elle quelqu’un de "normal", elle déglutit avec difficulté. Elle relève d’une main fébrile la manche de son haut et en fermant les yeux elle le fait. Quand elle sent que tout le contenu y est passé elle rouvre les yeux, retire la seringue et la remet dans son paquet avec l’intention de s’en débarrasser discrètement dès qu’elle le pourrait, en attendant elle la remet dans son sac. Silencieusement elle s’assoit sur son lit et rive son regard sur un point fixe. Elle ne sait pas combien de temps il faudra pour que le produit agisse, n’y si elle doit s’attendre à ce que le processus soit douloureux, en fait elle ne sait pas grand chose sur le vaccin en dehors de son but final. Elle enfonce ses mains dans sa chevelure et s’y agrippe, elle n’a plus qu’à attendre.

vingt-deux ans, Radcliff, galerie d’art en centre ville (une semaine plus tard)

Il est tard, elle ne sait même pas si elle est plus proche du lever ou du coucher du soleil, en tous cas, elle n’en peut plus. Seule à finir de mettre en place l’exposition d’un artiste, en suivant les directives laissé par sa responsable, Thaleia regrette en son fort intérieur de ne pas avoir d’envie de vomir comme certains de ceux qui ce sont fait vacciner, parce qu’elle aurait bien vomit sur le tableau qu’elle était en train d’accrocher. L’artiste était une pseudo célébrité qui pensait que parce qu’il était célèbre depuis un quart de siècle, il pouvait se permettre de montrer à tous les œuvres qu’il avait faite et qui selon ses dires révélaient la véritable personne qu’il était et pas seulement la star que tout le monde s’obstinait à faire de lui. Pour Thalie c’était juste... à chi*r, mais bon son opinion ne comptait pas et cette exposition d’une personnalité aussi visible était une sacrée pub pour la galerie. Remarquant qu’il manque un des tableaux qu’elle est sensé installer, Thaleia se rend à la réserve pour aller le chercher et pouvoir en finir une bonne fois pour toute avec tout ça. Le désordre régnant dans cette pièce rappelle vaguement la chambre qu’elle occupe et où elle rêve de se trouver en ce moment même. Dégotant malgré tout le tableau qu’elle cherche, Thalie remarque soudain que son bras s’enfonce dans le tableau. Ça recommence... Depuis qu’elle a prit ce stupide vaccin, rien ne va plus, non seulement elle a toujours son pouvoir, mais en plus celui-ci ne lui obéit plus du tout ! Avec les années elle avait appris à le gérer et elle s’en sortait très bien, mais maintenant c’était une catastrophe. Il se manifestait n’importe quand sans qu’elle le veuille, c’était devenu un véritable enfer!