Les dessins s'enchainent, les coups de crayon se font de plus en plus brutaux sur les feuilles de ce calepin qui ne la quitte jamais, alors que Mina observe cet homme flirter avec cette jolie blonde si agréablement habillée pendant que l'ancienne dégénérée, elle, reste tapie dans l'ombre, à dessiner cette rencontre qu'elle aurait aimé vivre. Rêvant d'être à sa place, de connaitre l'affection d'une autre personne, de voir quelqu'un s'intéresser à Eggsy, simplement à Eggsy et non pas à une parfaite copie de Jemina. C'est comme ça que ça marche depuis que le monde s'est ouvert à cette jeune femme qui ne comprend pas ses propres envies ou plutôt qui a du mal à les accepter. La belle observe les autres vivre leur vie avant de se mettre à dessiner une version dans laquelle elle aurait une place, LA place, le premier rôle d'une pièce de théâtre qu'elle se contente pour l'instant de contempler avec envie, presque jalousie. La brunette n'ose pas faire le premier pas, tomber amoureuse, voyager, se faire des tas d'amis, vivre son art, non, tout ça serait trop personnel, trop simplement pour elle et que deviendrait Jema si elle s'amusait à vivre sa propre vie sans prendre la peine de lui en parler alors qu'elle souffre tant de ce qui c'est passé? C'était impossible, elles ne formaient peut-être plus une seule et même entité, mais le fait est qu'elles restaient la même personne, indubitablement lié par quelque chose de fort, si fort qu'on pourrait le comparer à une prison dorée. Elle aimerait s'en évader, fuir, oublier cette petite voix qui lui murmure qu'elle n'a pas le droit de faire des choix par elle-même et juste vivre, sans y parvenir malgré ses rêves. Après tout, pourquoi avait-elle eu cette chance d'être une vraie personne si ce n'est pour vivre une vraie vie? Jema ne voit en leur vaccination qu'un acte cruel qui a détruit tant de vies potentielles, tant de choix, mais Mina ne peut pas voir dans cette situation que le mal qu'elle a causé, elle voit l'opportunité que ça a créée pour elle et pour Jema, deux nouvelles vies ont vu le jour grâce à cet acte pourtant barbare, ne devraient-elles pas célébrer cette chance comme on célèbre en général la naissance d'un nouveau-né? C'est la question qu'elle se pose parfois, parmi des centaines d'autres, se demandant si finalement elles ne sont pas mieux sans pouvoir, si ce n'était simplement par leur destin de finir ainsi...

C'est en général à ce moment là qu'une peur la saisit, quand elle songe à tout ce qu'elle pourrait faire, à tout ce qui c'est passé, elle se demande alors si elle n'est pas simplement un effet secondaire indésirable et surtout temporaire, comme une migraine dont on veut se débarrasser. C'est Jema qui a reçu la vaccination au final, Mina, elle, était à des dizaines de kilomètres du drame ce jour-là et même si aucun clone original ne régissait leur pouvoir, le doute persiste dans son esprit. Et si un jour elle disparaissait? Comme ça, du jour au lendemain, sans raison, sans prévenir, sans pouvoir se préparer au pire, s'évaporant? Peut-être n'était-elle que l'ombre de Jema, qu'un clone qui aurait dû disparaître lorsque leur pouvoir a été neutralisé. À cette pensée la jeune femme cesse de dessiner, le regard dans le vide, la main presque tremblante. Elle la sent monter, cette peur panique qui semble rendre douloureux chaque partie de son corps, son coeur a des ratés, sa vue se floute. Elle a peur, simplement peur. Mina se lève alors, abandonnant ses œuvres pour se faufiler dans les toilettes pour dame de ce petit restaurant, refermant derrière elle avant de tomber au sol, les mains sur son visage, le souffle coupé. C'est une crise de panique comme elle en fait souvent depuis l'incident qui a changé leur vie, une crise due sans doute à cette ressemblance qu'elle partage avec Jema, à cette prison qu'elles ont construite autour d'elles sans vraiment s'en rendre compte. Ne rien faire l'une sans l'autre, être deux personnes tellement identiques, c'est nié l'existence de deux femmes bien distincte, c'est nier son existence à elle. Quand elle y songe, les crises font leur apparition, elle a l'impression de sombrer, de tomber dans le vide sans pouvoir y faire quoi que ce soit, elle se sent inutile et faible et pas uniquement lorsqu'elle observe sa propre existence bancale.

Mina se sent aussi perdue lorsqu'elle voit d'autres transmutant souffrir de ce vaccin ou simplement souffrir d'être ce qu'ils sont, chassé, exécuté, forcé de se cacher pour survivre. Elle se remémore alors cette stupide utopie qu'elle s'était construit en tant que Jemima, comme si personne n'allait jamais s'intéresser à elle, comme si utiliser son pouvoir à outrance n'allait jamais attirer le moindre ennui. La belle était persuadée de ne pas être assez dangereuse ou importante pour être la cible de qui que ce soit, vivant dans une espèce de monde parfait où la mort n'avait finalement pas sa place, où le pire n'arrivait qu'aux autres, sans souvenir qu'on est tous l'autre de quelqu'un. Et les voilà à présent, divisé en deux êtres humains, liés, emprisonné, autant par sa « jumelle » que par son sentiment d'inutilité, perdu entre le bien et le mal, incapable de savoir si au fond elle est capable de défendre la cause de ces êtres si singuliers ou si elle a envie de juste les pousser à accepter la vaccination, car sans elle, Mina ne serait pas là aujourd'hui. Comme la brunette le dit souvent, il y a un peu d'enfer dans son paradis et de paradis dans son enfer, une façon poétique de dire qu'elle ne trouvera jamais le courage de faire un choix, qu'elle subira toujours sans rien dire, parce que c'est la vie, parce que c'est plus simple...

Pour pallier cette peur, ce manque de courage, elle dessine, elle réinvente sa vie, créant un personnage qui lui ressemble physiquement et qui s'amuse à faire ce qu'elle n'ose pas faire. Ana, c'est comme ça que son héroïne se prénomme. Forte, indépendant et moulé dans son petit costumé multicolore, elle sauve la veuve et le transmutant des méchants chasseurs, du cruel gouvernement, n'hésitant pas à souffrir pour eux. La belle ne craint rien derrière son masque, elle combat sans jamais ressentir la moindre inquiétude. Mina s'inspire de ce qu'elle voit à la télévision ou de ce qu'elle observe dans sa vie de tous les jours, puis elle change les détails, elle rajoute à toutes ses scènes son petit héros, sauvant le monde tous les matins et vivant de torrides histoires d'amour le soir. Oui, l'imagination ne semble pas avoir de limite pour l'ancienne transmutante, d'ailleurs, son imagination, il ne lui reste apparemment que ça pour se défendre... Elle aimerait se battre, trouver la clé qui la mènera à son courage, protéger et aider ceux qui en ont besoin sans se poser mille et une questions, sans se demander si finalement elle suit ses propres envies ou si elle souhaite devenir un héros simplement pour devenir quelqu'un, sans vraiment y croire. Trouvera-t-elle le courage de vivre les histoires fantastiques qu'elle dessine ou se contentera-t-elle de les rêver le reste de son existence?... Elle se cherche. Elle cherche la Mina qu'elle veut devenir, ardemment, tout en étant effrayée par ce qu'elle risque de découvrir. Et si elle n'était pas l’héroïne dont elle rêve? Et si son esprit la poussait finalement du mauvais côté? .... Affaire à suivre.