bird on a wire

 

« Respire, Roos, respire. » disait-il, étirant le bras en direction de son amie pour lui frotter le dos. Il n’aurait pas dû la convaincre de monter avec lui. Contrairement à Roos et son vertige, la plus grande inquiétude de Viktor dans ce manège était que sa prothèse ne se détache et ne tombe sur la tête de quelqu’un. Pas exactement le scénario le plus réaliste, ou le plus dangereux. Mais si le vétérinaire s’inquiétait d’avoir mis son assistante dans une situation difficile à cet instant, ce ne fut rien comparé à l’explosion qui s’ensuivit. Il n’avait pas entendu les bribes de discours ayant figées la fête environnante, trop occupé à tenter de rassurer la rousse à ses côtés. Sans doute, s’il avait vu Johan tomber, il aurait réagi très différemment. Mais tout ce dont il se souvenait, c’était de l’explosion. Du bruit, des hurlements, de la vague de chaleur. Le réflexe de défaire son harnais fut plus instinctif qu’autre chose, un geste qu’il accomplit juste avant de se retrouver projeter dans un flash-back. Un instant il se sentit submergé, étrangement détaché de la scène. Il revenait à l’attentat sur la mairie, quelques mois plus tôt ; plus loin encore, au bruit de mitrailleuses dans le désert, des cris du marchand qu’on avait transformé en bombe humaine de force. De son visage juste au moment où il avait compris que c’était trop tard pour lui. Il ne sentit pas le choc de la chute, son corps ayant oublié toute sensation de la réalité en faveur de celle de ses souvenirs.

Il ne sut même pas combien de temps il resta étalé là, tentant de reprendre le contrôle de ses muscles. Peu à peu, il revint à la réalité, le cœur battant bien trop fort contre ses côtes. La douleur revint avec, et il fit un exercice rapide, cherchant à déterminer s’il s’était cassé quelque chose, ou s’il saignait au niveau du crâne. Il fut déconcentré par un bruit, comme une voix humaine. Le vétéran tourna frénétiquement la tête, cherchant à apercevoir la personne qui l’interpellait. Puis, une nouvelle fois, plus fort cette fois-ci, mais encore à peine un murmure : « Viktor ? Tu ... Tu es toujours là ? » « Roos ! » s’écria-t-il, et dans sa hâte il tenta de se relever. « Roo… Aïe ! » Le cri s’arracha de ses poumons et il retomba sur le sol, s’accrochant à son moignon de jambe. Merde. Merde, merde, merde. Grimaçant, Viktor rouvrit les yeux, toussant et jurant contre tout ce qu’il pouvait trouver à insulter. Dans la fumée noire qui lui brûlait les orbites et les poumons, il aperçut une figure, au loin, au-dessus. Un reflet roux, plus cuivré qu’enflammé, lui confirma sa peur. Roos était toujours accrochée à son siège, le harnais s’étant retrouvée coincé sous un bout de métal tombant non loin d’elle. S’il avait chuté quelques centimètres plus à droite… Il n’osait même pas y penser.

Rampant jusqu’à la barrière, Viktor se redresse péniblement, tentant de ne pas trop appuyer sur sa prothèse visiblement tordue, presque brisée. « Je vais trouver de l’aide, Roos ! Accroche-toi ! » lui cria-t-il, avant de se rendre compte d’à quel point l’instruction était stupide. La jeune femme s’agrippait déjà du mieux qu’elle le pouvait à son harnais, visiblement tétanisée. Se servant de la barrière comme soutien, Viktor se mit en route vers les restes d’une autre balancelle, espérant qu’il y trouverait quelqu’un.

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Le cri de douleur du vétérinaire ne fit malheureusement qu’affoler son assistante encore davantage. « Viktor tu vas bien ? Qu’est-ce qu’il se passe ?! Je … Je peux pas ouvrir les yeux, ça rendra les choses encore pire ! » Il tenta de la rassurer du mieux qu’il pouvait, secrètement rassuré qu’elle ne puisse pas voir le carnage qui les entourait. Entre le sang, les flammes et la fumée, la scène ne ferait rien pour amoindrir sa peur. Dans tous les cas, Roos semblait encore suffisamment elle-même pour lui adresser un commentaire sarcastique en réponse à son ‘accroche-toi’ un peu idiot. Ce n’était pas beaucoup, mais au moins elle n’avait pas complètement cédé à la panique. Au moment où le grand brun se mit en route vers la deuxième nacelle, une figure inconnue surgit de la fumée et manqua de le faire sursauter. Comment avait-il fait pour ne pas l’apercevoir ? Mais dans le chaos qui les entourait, il était peu étonnant que des choses pourtant évidentes lui échappe. « Hey ! Vous avez besoin d’aide ? » demanda l’homme, attirant l’attention de Viktor et Ross presque instantanément. « Il … Il y a quelqu’un d’autre ? » entendit-il la jeune femme demander, mais n’eut pas le temps de lui répondre qu’il manqua de tomber, sa prothèse tordue s’étant attrapée dans un câble traître. Il se rattrapa juste à temps, laissant un nouveau juron s’échapper de ses lèvres. L’inconnu pointa la jambe meurtrie du doigt.

« Vous voulez que j’y jette un coup d’œil ? » demanda-t-il encore. Mais Viktor secoua la tête, doutant fortement que l’homme face à lui soit médecin ou fabriquant de prothèses. Il n’avait pas ce genre de chance et dans tous les cas ce n’était pas sa priorité. Au-dessus d’eux, Roos lança d’abord un « Fais chier ! » puis, plus effrayant encore, un cri de détresse. La tête de Viktor se redressa si vite qu’il en eu le vertige, lui aussi. « Aidez-moi à la descendre ! » s’écria-t-il, s’appuyant à la rambarde pour éviter de chuter une nouvelle fois. Il avait de la chance que son moignon de jambe n’ait pas été pénétré par une partie de sa prothèse brisée, mais le fait en soi ne le réconfortait pas beaucoup en cet instant. « Elle a le vertige, elle n’aurait pas du être là-haut… » rajouta-t-il, presque penaud, comme si ces informations servaient d’une quelconque façon à aider Roos. C’était surtout sa culpabilité qui s’exprimait, la conscience qu’elle ne se serait jamais retrouvée dans cette situation s’il ne l’avait pas convaincue de montrer sur l’attraction. S’il n’avait pas insisté, ils se seraient trouvés à terre en cet instant, peut-être pas en bon état, mais certainement pas suspendus au-dessus du vide. Cherchant le regard de la jeune femme, le vétéran cria à nouveau : « Roos, on va te sortir de là ! Je te le promets ! » dans l’espoir de calmer quelque peu la terreur qu’il y lisait. Puis, il se retourna vers l’homme à ses côtés, comptant lui demander aussi discrètement que possible s’il avait une idée de comment la sortir de là, au juste.

« Vous… vous me dites quelque chose. » dit soudain Viktor, fronçant les sourcils. Un vague souvenir d’hôpital, un couloir blanc, l’odeur du désinfectant. Un médecin peut-être, ou un infirmier ? Peut-être un radiologue, ou un collègue d’Ezekiel. La liste de ses connaissances à l’hôpital de Radcliff était trop longue pour qu’il puisse trouver une explication à cette sensation dans l’instant, et y réfléchir trop longtemps ne ferait qu’aggraver le danger dans lequel il avait mis son assistante et amie. Cherchant du regard une échelle ou une corde sur laquelle l’homme pourrait grimper pour détacher cette dernière, Viktor tomba sur l’espèce de cabanon depuis laquelle le manège devait s’opérer, laissée vide par l’occupant dans sa hâte d’échapper aux explosions. Peut-être marchait-elle encore, peut-être pourraient-ils y trouver un mode d’instruction, quelque chose pour faire descendre Roos, ou au moins diminuer la hauteur à laquelle elle se retrouvait. Il tapota l’épaule de l’homme à ses côtés et pointa l’abri du doigt. « Est-ce qu’on peut remettre la machine en marche ? La faire redescendre doucement ? » demanda-t-il, comme si l’inconnu était un expert machiniste plus au fait de la situation que lui. Si seulement il ne s’était agi que de tirer sur des assaillants, ou désarmer une bombe, là au moins il aurait pu être utile… Mais il se devait d’essayer, au moins. Pour Roos.