J'ai vu le jour à Galway, en Irlande, le 15 Juin 1985. Mon père est chercheur en physique nucléaire et ma mère est biologiste, je vous laisse imaginer les surnoms auxquels j'ai eu droit de la part de leurs amis dès l'enfant... L'inconvénient ? On grandit seul, on a des parents trop occupés. L'avantage ? On voit le monde ! J'ai passé mon enfance à voyager à travers toute l'Europe et à dix ans, j'avais vu plus de capitales que la plupart des enfants de mon âge.

Mais laissons cela de côté, ça n'a rien de passionnant ! J'ai toujours été une gamine timide et renfermée, je n'allais pas à l'école car mes parents voulaient une éducation à domicile très poussée, j'apprenais la danse classique, le piano et le violon. Un joli cliché de petite bourgeoise bien rangée. Peu après mes quatre ans, j'accueillais mon petit frère comme le messie ou la promesse d'un avenir différent : A défaut de parler sérieusement avec mes professeurs ou d'inventer des histoires avec mon chien, j'avais enfin un véritable être humain avec qui faire la conversation. Aedan aura été un frère et un ami pendant des années, mais nous devons notre éloignement à ma mutation...

D'ailleurs cette mutation, parlons-en. Je n'ai que quelques vagues souvenirs de ce jour où mes parents m'emmenèrent avec eux dans ce lugubre laboratoire où des scientifiques blancs comme des cachets d'aspirine passaient leurs journées à étudier la radioactivité et armes meurtrières contenues dans de minuscules éprouvettes. En tout cas c'est ainsi qu'on m'expliqua les choses.
Ce que je renversait ce jour-là, c'était un concentré de plusieurs produits étranges avec tout un écosystème à l'intérieur... J'ai probablement du ruiner des heures de recherche, mais j'étais une enfant, ce n'était pas mon problème. Je me souviens simplement de cette vapeur bleutée et d'une abominable horreur d’œuf pourri et de brûler. Et après, le trou noir. J'entendais vaguement une alarme se déclencher avant de sombrer dans l'inconscience.

Cinq jours plus tard, je me réveillais à l'hôpital, entourée de mes parents et de médecins vêtus comme des cosmonautes. Je ne comprenais pas ce qu'on me racontait, j'étais trop jeune, j'étais perdue... Ma mère pleurait, les médecins me fixaient comme une miraculée, et je n'ai appris que récemment qu'il était étrange que j'ai survécu ce jour-là. Qu'est-ce que ça peut bien me faire, au final tout ce qui m'importe c'est de ne pas avoir passé bêtement l'arme à gauche à cause de l'incompétence d'une bande de geeks en blouse blanche.
Mais à mon réveil, je n'avais pas seulement l'impression de m'être faite renversée par un camion, j'étais aussi totalement incapable d'émettre le moindre son. Je ne pouvais même pas chuchoter, mes pleurs étaient silencieux, mes appels à l'aide étaient silencieux... Et à six ans à peine on commence tout juste à savoir écrire correctement des lettres capitales... Allez donc expliquer ce que vous voulez aux gens qui vous entourent, dans ce cas-là...

Les premiers temps furent difficile. J'étais forcée au silence et personne ne savait si je reparlerai un jour et, j'avais la désagréable sensation que les gens me pensaient aussi sourde : on me regardait comme un animal blessé en chuchotant à mon sujet... Mais je les entendais. « Pauvre petite », « quelle tragédie ! » Et ceci, et cela... J'avais commencé à apprendre le violon peu de temps avant l'incident et, c'est probablement la chose qui m'aida à ne pas devenir folle. Quand on a plus de voix pour s'exprimer, on trouve un moyen détourné. Je me renfermais encore plus sur moi-même, passant mes journées à répéter mes gammes, jusqu'à ce que les cordes de mon violon me coupent le bout des doigts. J'avais l'impression d'être une naufragée en pleine mer, peinant à me raccrocher à une bouée de fortune.

Huit ou dix mois plus tard, tout changea. C'était pourtant une journée comme une autre, je lisais tranquillement un petit roman illustré dans un coin du salon. Je me souviens qu'il m'avait été offert par ma mère pour mes sept ans, et racontait l'histoire d'un oiseau qui ne savait pas chanter... Étrangement je me retrouvais un peu en ce petit personnage luttant pour se faire entendre.
J'allais enfin connaître la fin de l'histoire, quand la nourrice de mon frère, qui lui courrait après pour lui donner son biberon, trébucha sur l'un de ses jouets et renversa le lait sur mon livre. Elle brisa la petite bulle de sérénité qui m'entourait, et même si je me savais incapable d'émettre le moindre son, j'ouvrais la bouche pour lui hurler de faire attention où elle mettait les pieds. La vitre du salon se fractura, les ampoules éclatèrent, la nourrice tomba au sol, inconsciente, et j'entendis mon frère pleurer dans la pièce d'à côté. Moi-même, j'entendais encore ce son assourdissant qui était sorti de ma gorge. Pour une raison que j'ignore, c'est ce petit événement pas si catastrophique que ça qui réveilla ce don si étrange qui dormait en moi depuis plusieurs mois.

A partir de ce jour, j'ai retrouvé l'usage de ma voix comme s'il ne s'était rien passé. A un détail prêt : je ne maîtrisais absolument pas mon don, et dès que j'ouvrais la bouche, mes interlocuteurs grimaçaient comme si je les avais frappés, apparentant ma voix à un crissement d'ongles sur un tableau noir. Si j'étais heureuse de pouvoir à nouveau parler, je craignais de le faire. La nourrice de mon frère ne retrouva jamais l'usage total de ses oreilles et refusa de revenir travailler chez nous. Quant à Aedan, il fut sonné lui aussi, chose que je ne me suis jamais pardonnée.

Avec le temps et les années, et avec beaucoup d'entraînement face à un miroir qui finissait souvent fissuré, je parvenais à contrôler mon don, jusqu'à pouvoir parler tranquillement avec n'importe qui sans craindre qu'il ne tombe dans les vapes. Je fais de l'effet aux gens mais tout de même... C'est un peu embarrassant. Mais à mesure que j'apprenais à maîtriser mon pouvoir, je m'éloignais d'Aedan. Plus il grandissait, plus il était amer vis à vis de ma « différence ». Il jugeait cela contre nature, dangereux, et aurait préféré que je fasse tout pour m'en débarrasser, plutôt que de jouer avec. Et à mon grand regret, les choses ne se sont pas arrangées de ce côté-là.

Vers l'âge de dix huit ans, tout me souriait ou presque. J'obtins mon certificat de fin d'études, ainsi que mes concours de conservatoire. Je délaissais totalement l'avenir de scientifique que mes parents auraient voulu que je suive et me consacrais pleinement à la musique. Je parcourais l'Europe pour donner des concerts, enchaînant des contrats de soliste grassement payés, et qui me donnaient une belle notoriété dans le monde musical. Bientôt je n'avais même plus à chercher quoi que ce soit, j'avais un agent pour ça. Agent qui me trouva de quoi m'occuper de l'autre côté de l'Atlantique. Alors, je quittais le vieux continent à regret pour gagner New-York. C'est impressionnant de voir à quel point j'exècre cette ville... Tout y est grand, démesuré, on s'y sent enfermé et j'ai fini par me dire que j'allais devenir claustrophobe si je restais plus longtemps.

J'avais 23 ans que je rencontrais William. Il avait cinq ans de plus que moi, était violoncelliste dans l'orchestre philharmonique de Chicago, et un véritable virtuose. Comme la plupart des musiciens, nous nous charriions pour savoir qui de nous deux avait l'instrument le plus noble, et de fil en aiguille, nous en vînmes à nous revoir après les répétitions, et même quand la tournée fut terminée. La suite vous vous en doutez : je tombais amoureuse, lui aussi, nous vivions la parfaite petite vie de couple idyllique. Jusqu'à ce qu'il commence à me parler de mariage. Jusqu'ici je lui mentais, je ne lui avais jamais dis que je n'étais pas une humaine comme les autres. Alors avant de m'engager, je préférais lui révéler qui j'étais réellement. Je prenais le risque de le voir me tourner le dos, comme Aedan quelques années auparavant...

Mais à ma grande surprise, il se contenta de sourire. Il le savait déjà. Je ne sais pas comment, mais il le savait déjà, car lui et moi nous étions pareils. C'était un mutant lui aussi. Lui avait le pouvoir de modifier la matière : Il pouvait faire éclater son propre corps en un million de particules et devenir ainsi invisible à l’œil nu, ou encore de changer un objet en autre chose. Il pouvait modeler le monde comme il le voulait. C'était à la fois terrifiant et très poétique.
Il ne m'en fallait pas plus pour accepter sa demande, car étant donné la haine de bien des Hommes vis-à-vis des mutants, je n'étais pas certaine de retrouver un homme comme lui par la suite...

Alors sur le papier nous en étions là : Nous avions une carrière de musiciens accomplis, nous nous aimions, nous étions des mutants pouvant agir devant l'autre sans craindre de représailles, nous étions prêts à nous marier... Que pouvait-il nous arriver ? Le pire, bien sûr.

Un mois avant la cérémonie, j'en étais à choisir ma robe, celles de mes demoiselles d'honneur, à batailler à William pour le convaincre qu'une pièce montée valait bien tous les fraisiers du monde... Les invitations avaient été envoyées depuis longtemps, la salle réservée, les alliances achetées... Et puis un soir, alors que je rentrais après une représentation éreintante, je trouvais notre appartement sans dessus dessous. Rien n'avait été volé, mais on semblait s'être battu, et je trouvais du sang sur le vieux buste en bronze qui ornait la cheminée.

Mais surtout, William n'était plus là. Je trouvais son téléphone portable posé sur la table basse du salon, son violoncelle, sa veste... Tout laissait à penser qu'il était arrivé et s'était fait surprendre par son assaillant. L'angoisse me pris à la gorge. Je commençais à réaliser que le pire des scénarios de film était en train de m'arriver : Quelqu'un avait enlevé mon fiancé. J'appelais ses proches, les musiciens de son orchestre, personne ne pu me dire où il était. Je contactais la police, ils mirent une heure à constater que « ouiiii en effet, peut-être que votre fiancé a été enlevé ! ». Et puis plus rien. Ils lancèrent des recherches, parlèrent de quelques pistes sérieuses puis le silence total.

Un silence assourdissant et une absence qui commença à peser sur mes épaules un peu plus chaque jour. Je ne supportais plus d'entrer dans cet appartement, tout ici sentait son odeur, sa présence... J'en devenais folle ! J'avais l'impression de le voir dans le moindre grain de poussière sur un meuble.
J'annulais le mariage sans explication et me renfermais un peu plus sur moi-même. Après quelques mois, je n'étais plus qu'une coquille vide.

Jusqu'au retour de mon frère. Un week end, on sonna à ma porte. A ma grande surprise, c'était Aedan. Je ne l'avais pas vu depuis mon départ, à savoir depuis presque sept ans. Il avait bien grandit, le gamin... J'oubliais alors nos anciennes dispute, mais je le sentais se raidir en le prenant dans mes bras. Je n'étais pas née de la dernière pluie, il n'était pas là pour me réconforter.
Alors je l'invitais à entrer, pour échanger quelques banalités... Jusqu'à ce qu'il me parle de William. Il se montre très curieux, il voulait savoir quand et où il avait été enlevé, si la police avait des pistes... Mais jamais il ne me demanda comment il était, ce qu'il faisait dans la vie... Il éprouvait une curiosité morbide vis-à-vis de l'enlèvement, rien de plus. Alors je m'énervais, lui demandant pourquoi il s'y intéressait à ce point.

Il resta un moment silencieux, avant de m'avouer qu'il savait qui était vraiment William. Il connaissait son don, il prétendait qu'il était dangereux pour la société et je ne sais quel groupe de fanatique qui se faisaient appeler « hunters ». A partir de ce moment-là, j'ai compris que je ne reconnaissais plus mon frère. Ce groupe, il l'avait rejoint. Et leur but était de traquer les mutants. Autrement dit les gens comme moi. Ce n'était pas une visite de courtoisie, c'était un interrogatoire et, s'il l'avait pu, une mise à mort. Le plus calmement du monde, je demandais à mon frère de sortir et de ne plus jamais remettre les pieds chez moi. C'était il y a cinq ans déjà.

Depuis, je n'ai pas revu Aedan. En revanche, il m'a aidé à faire le lien entre la disparition de William et ces abominables chasseurs. Je me suis mise en tête de dératiser le monde en faisant la peau à tous ces pourris, dussé-je y laisser ma peau. Aujourd'hui je n'ai plus rien à perdre. Je reste persuadé que William est en vie, quelque part, et j'espère bien le retrouver un jour... Quand à Aedan et bien... Je pense que la prochaine fois que nous nous croiserons, il y aura du sang de versé. S'il est apparemment connu pour sa cruauté, moi aussi. Pas de quartiers, c'est ma seule philosophie.

Je briserai le cœur de tous les chasseurs qui se mettront en travers de ma route à la seule force de mes poumons...

Je ne suis pas tendre, ça c'est certain... Je suis même une véritable con**sse, si on veut employer le langage des jeunes d'aujourd'hui. Mais j'ai une vengeance à mener, de la haine à revendre, et je ne veux plus me cacher. Je l'ai fais bien trop longtemps...

Ce qui ne m'empêche pas d'être charmante quand on ne me cherche pas des noises ! Je suis de bonne compagnie, il paraît... J'aime surtout celle des hommes... Chéri, si tu es en vie je t'aime toujours mais il faut bien s'occuper, car des années d'abstinence... Très peu pour moi.

Si je suis à Radcliffe depuis longtemps ? Non. Je viens juste d'arriver. Je n'ai pas supporté plus longtemps de vivre dans cet appartement qui me semblait hanté, et j'en ai eu marre des grandes villes. Petit coin perdu du Kentucky, me voici !