La Fête des Fondateurs. C’était une tradition à laquelle Maiken n’avait jamais vraiment pris part depuis qu’elle s’était installée à Radcliff, se sentant totalement étrangère à une telle célébration. Elle ne venait pas d’ici, elle n’avait rien à fêter avec les gens qui étaient natifs de la région. Les années précédentes, elle s’y était rendue avec Sigrid pour lui faire profiter des spectacles et des manèges, mais c’était bien tout. Cette année, ce serait différent … Felix l’avait invitée, quelques jours plus tôt, à s’y rendre avec lui. Ils s’étaient déjà vus plusieurs fois en dehors de leurs anciennes entrevues de "travail", et plus une seule fois il n’avait évoqué avec elle le problème des mutants. Sa compagnie était étonnement agréable, s’était-elle souvent fait la réflexion … Pour un hunter, il était charmant, et elle appréciait de se trouver avec lui. Ca n’avait pas été difficile d’oublier qu’il était le frère de la terrible Beatrix, du moment où il lui souriait elle avait tendance à ne plus rien voir d’autre de toute façon … Elle avait tout de suite accepté cette invitation à la fête, et pour la première fois depuis bien longtemps, elle avait passé toute une semaine à s’inquiéter de la tenue qu’elle porterait. C’était un bal costumé, et cette année il était hors de question de venir en touriste, habillée d’un jean tout simple ! Elle avait fini par se rendre, comme la plupart des femmes de Radcliff, chez un loueur de costumes, pour trouver une magnifique robe à crinoline qu’elle admira pendant des heures devant son miroir, toute ébahie de se voir porter une telle chose. Et quand fut venue l’heure où Felix devait venir la chercher chez elle – il faisait les choses dans les règles de l’art ! – elle se trouva toute fébrile, comme une lycéenne attendant son cavalier pour le bal de promo …

Felix était aux anges. Il était carrément aux anges, bien haut dans les nuages, le sourire étiré d’une oreille jusqu’à l’autre. Il courait dans son appartement, attrapant sa chemise, ses pantalons, et les autres pièces de son costume, il courait tout en chantant la dernière chanson populaire, Il se fichait bien du reste du monde à cet instant-là, parce qu’il se préparait pour la fête des Fondateurs. Non seulement Felix avait-il adoré cette fête depuis son arrivée à Radcliff, majoritairement parce qu’il était possible de se costumer – et il se faisait un point d’honneur de le faire chaque année. Mais aujourd’hui était spécial, très spécial, parce qu’il avait invité Maiken à l’accompagner. Ce n’était pas leur premier rendez-vous, loin de là, mais Felix se sentait toujours très fébrile, et même un peu nerveux. Il voulait faire en sorte que tout se déroule le mieux possible, parce qu’il voulait qu’elle s’amuse, il voulait la voir sourire. Felix chérissait chaque moment qu’il passait avec Maiken. S’il avait été sous le charme, auparavant, il était aujourd’hui carrément ensorcelé par la belle scientifique. Il aimait son petit rire, ses yeux brillant au soleil. Il aimait la prendre doucement par la main, et faire mine de rien. Il ignorait totalement ce qu’elle pensait – elle était tellement mystérieuse. Mais alors qu’elle acceptait rendez-vous sur rendez-vous, Felix commençait à avoir espoir. Et il comptait bien profiter de cette fête pour faire un pas en avant, et lui montrer l’affection qu’il portait pour elle. Le coeur lui débattant dans la poitrine, Felix termina d’enfiler son costume -  digne de l’époque victorienne, avec une veste en queue de pie, une chemise blanche, des souliers cirés et un grand chapeau haut-de-forme – et se dirigea vers l’appartement de Maiken, où il devait aller la chercher. Il cogna à la porte, se tenant droit, tenant sa canne d’un air sophistiqué, espérant que ça la ferait un petit peu rire. La porte s’ouvrit quelques secondes après qu’il ait cogné. Il eut le souffle coupé – Maiken  était magnifique dans sa longue robe à crinoline. Il se racla la gorge, conscient du petit silence qui s’était installé entre eux. “Bonsoir, madame” dit-il en retirant son chapeau, esquissant un sourire. “Vous êtes magnifique – et très élégante.”

On sonna à la porte, et Maiken bondit hors de son fauteuil – où elle avait eu tant de mal à s’asseoir, grâce à cette robe si imposante – pour aller ouvrir. Derrière la porte se tenait Felix, comme elle ne l’avait jamais vu : son costume d’un autre âge lui allait étrangement bien, et un sourire irrésistible naquit sur les lèvres de la jeune femme en le détaillant. Dans cette tenue … Il lui plaisait. Beaucoup. Et visiblement, elle lui plaisait aussi dans cette robe qu’elle avait eu tant de mal à choisir. Elle s’inclina en une petite révérence pour le saluer à son tour, ravie du compliment qu’il venait de lui faire. « Monsieur … Vous êtes charmant vous aussi. » Elle le prit ensuite par le bras et l’entraîna au-dehors impatiente de rejoindre la fête. Sur tout le chemin, elle fut plus bavarde qu’elle ne l’avait été durant toutes leurs autres rencontres, jacassant sur tout et rien, avec l’impression se de sentir un peu idiote mais sans vraiment avoir envie d’y changer quoi que ce soit. Etait-ce le fait qu’ils soient costumés, ou que le cadre de leur rendez-vous soit plus "officiel", mais elle se sentait différente des autres fois où ils s’étaient vus. Plus détendue, plus naturelle … Elle ne savait pas trop. Mais en tout cas, cela lui déliait la langue ! Et quand ils arrivèrent au centre-ville, où les festivités avaient lieu, Maiken se dirigea vers la buvette. Ca donnait soif, de parler autant ! « Tu bois quelque chose ? » Elle passa commande au bar, puis s’éloigna avec leurs consommations afin de pouvoir discuter sans avoir trop de monde autour d’eux. « Merci de m’avoir invitée, Felix. Je n’avais jamais profité de la fête sous cet angle ... » Fit-elle en montrant leurs costumes. Il n’y avait pas que ça, bien sûr … Venir accompagnée d’un homme, c’était bien différent que de venir avec Sigrid, mais ce genre de chose ne se disait pas à haute voix, n’est-ce pas ?

Elle l’avait appelé charmant. Elle souriait, elle riait, elle discutait, comme jamais auparavant. Felix se sentait vraiment comme l’homme le plus chanceux du monde. Maiken était resplendissante, après tout, mais ce n’était pas que ça – elle radiait, tout simplement. Il ne savait pas trop ce qui s’était passé, mais il aimait beaucoup ce côté d’elle, qu’elle semblait montrer de plus en plus, au fur et à mesure qu’ils passaient du temps ensemble. Felix était ravi de la voir se détendre, et commencer à lui faire davantage confiance. C’était tout ce qu’il demandait, après tout. Maiken heureuse, à ses côtés. S’il pouvait avoir ça, tout irait soudainement bien mieux. Ils arrivèrent finalement aux festivités, et Felix souriait à pleines dents. Quelque chose en Maiken parvenait juste à la rendre heureux, et léger comme une plume. Elle alla leur commander des boissons au bar et ils s’éloignèrent un peu de la foule, pour pouvoir discuter tranquillement. Felix était incapable de détacher son regard d’elle. Il aimait tellement la voir sourire – et elle semblait sereine. “Merci de m’avoir invitée, Felix. Je n’avais jamais profité de la fête sous cet angle…” Elle désigna son énorme robe, et Felix eut un petit rire. “Tout le plaisir est pour moi” répondit-il, tout en penchant légèrement son chapeau, tel un vrai gentleman. “Je dois avouer que c’est mon aspect préféré de la fête, les costumes. Même gosse, j’ai toujours adoré faire ce genre de choses – même que je fabriquait moi-même mes costumes d’Halloween” raconta-t’il avec un sourire. “Ils étaient absolument horribles, bien sûr. Une année, l’école m’a obligé à retirer mon masque de Frankestein parce qu’il était tellement raté qu’il en était véritablement effrayant.” Felix espéra que ça ferait un peu rire Maiken. Il tenait à garder l’ambiance détendue – il se sentait tellement bien comme ça, après tout, en sa compagnie. “Plus sérieusement… c’est vraiment un plaisir d’être ici avec toi. Après tout, c’est moi qui a la plus belle cavalière” dit-il avec un petit sourire.

Maiken se mit à rire quand Felix évoqua ses souvenirs d’enfance, et elle essaya de l’imaginer petit, vêtu de son costume de Frankenstein fait main. « Tu m’avais caché tes talents de costumier ! Ne le dis surtout pas à Sigrid ou elle risquerait de te forcer à lui faire le même pour Halloween. » C’était sorti tout seul, dans l’euphorie de la soirée, et Maiken ne songea même pas à ce que sa phrase pouvait sous-entendre. Mais Felix était devenu bien plus proche de la famille que beaucoup de gens à Radcliff, et Sigrid l’adorait. C’était un fait assez rare pour être noté, mais en temps normal Maiken détestait que des adultes soient trop proches de sa fille … Et pourtant, l’idée que Felix prenne plus de place dans leur vie ne la dérangeait plus tant que ça. Cela faisait longtemps que Maiken n’avait pas eu d’homme auprès d’elle, et sous certains aspects cela lui avait énormément manqué … Il y avait toujours une limite qu’elle n’était pas prête à franchir, mais l’évolution en douceur de sa relation avec Felix lui semblait naturelle, et si agréable qu’elle ne parvenait pas à la freiner. Et ce soir, elle avait encore moins envie de faire ralentir quoi que ce soit, bien au contraire … Mais une explosion assourdissante retentit soudain à quelques centaines de mètres d’eux, et Maiken s’agrippa au bras de Felix, paniquée. Le sol semblait trembler sous le choc, et une épaisse fumée s’éleva bientôt. La jeune femme n’eut pourtant pas le temps de se demander ce qui s’était passé, et ils ne purent pas bouger de là où ils étaient, au milieu de la foule choquée : dès que le vacarme s’arrêta, une voix s’éleva et se mit à accuser le gouvernement local. Maiken mit quelques secondes pour comprendre que l’explosion était sans doute un attentat de représailles, mais elle n’avait absolument pas entendu parler de ça chez Uprising, s’agissait-il de mutants isolés ? Les accusations portées sur Thaddeus Lancaster étaient pourtant dignes d’Uprising, et Maiken baissa les yeux, des sentiments mêlés l’assaillant. Quelqu’un avait enfin agit publiquement contre le maire, pourtant le prix à payer serait lourd. Mais elle releva soudain la tête en entendant les noms que la voix se mit à citer, et elle lâcha le bras de Felix. Avait-elle bien entendu ? « Lecter ? » Balbutia-t-elle à l’attention de son cavalier. Ce n’était pas Felix qui avait été cité, ni Beatrix, mais la famille Lecter ne se résumait pas aux deux membres qu’elle connaissait. Et malheureusement pour elle, ce nom était trop singulier pour espérer qu’il y ait plusieurs familles le portant à Radcliff. « Tu étais au courant de ça ? » Demanda-t-elle d’une voix glaciale. Qui que ce fut, son père, son frère ou même son cousin, il avait pris part à la machination du meurtre de Hope Hawkins. Maiken avait appris il y a des semaines que la jeune mutante était innocente, mais elle n’aurait pas imaginé que Felix puisse y être mêlé, même de loin. Quelle idiote elle avait été. Elle recula d’un pas, le cœur battant. Elle avait trop vite oublié qui il était, derrière ses sourires et sa compagnie si plaisante.  

“Tu m’avais caché tes talents de costumier ! Ne le dis surtout pas à Sigrid ou elle risquerait de te forcer à lui faire le même pour Halloween.” Felix éclata de rire, s’imaginant déjà l’adorable petite fille vêtue d’un de ses costumes pourris, et sentir son coeur s’emballer. Si Maiken disait ce genre de choses, c’était certainement bon signe… Peut-être commençait-elle vraiment à lui faire confiance, et à s’ouvrir de plus en plus à lui. C’était un peu étrange, comme sentiment, après tout ce qui s’était passé entre eux. Mais Felix n’allait certainement pas s’en plaindre. Il adorait Maiken, et il adorait Sigrid. Il était plus qu’heureux de pouvoir passer du temps avec eux, et le fait que la scientifique commence à l’accepter parmi eux était vraiment extraordinaire pour lui. Il se sentait bien chanceux – mais il savait également que c’était une alliance fragile, et qu’il devait en prendre bien soin. Il était prêt à tout à présent pour conserver ce qui se bâtissait entre lui et la scientifique. Prêt à absolument tout. Felix ouvrit la bouche pour demander à Maiken si elle avait envie d’aller danser lorsqu’un bruit soudain l’interrompit. Il se tourna vers l’origine du bruit, le coeur débattant, prenant Maiken et la serrant contre lui comme par réflex. Une explosion. Felix n’en croyait pas ses yeux. Pas ici, se dit-il. Pas ici, pas maintenant. Choqué, il n’eut cependant pas le temps de réfléchir à ce qu’il devrait faire – il était policier, après tout, peut-être devrait-il aller voir ce qui s’était passé ? – qu’une voix commença à scander des accusations envers le maire et son gouvernement. Était-ce une action de ce groupe rebelle qui commençait à faire de plus en plus de vagues dans la ville ? Felix était abasourdi. Il n’aurait jamais pensé qu’ils pourraient se rendre aussi loin – mais c’était vrai qu’ils voulaient s’attaquer aux hunters, et Felix était conscient de ce qu’eux était capable, mieux que n’importe qui. La gorge serrée, Felix écouta le discours sans ciller… Jusqu’à entendre un nom qui lui fit glacer le sang. Desmond. Desmond, son petit frère Desmond. Serrant les poings, Felix se tourna immédiatement vers Maiken, ignorant le reste du discours. Elle avait déjà lâché son bras, les yeux hagards. “Lecter ?” Felix la fixait, incapable de formuler une pensée cohérente. Il ignorait totalement que son petit frère était mêlé à tout ça – c’était la vérité. Il savait que Desmond était bien plus impliqué que lui chez les hunters, et qu’il avait toujours été un peu plus extrême que le reste de la fratrie, mais Felix ne s’était jamais attendu à cela. “Tu étais au courant de ça ?” La voix de Maiken était froide, dure. Elle s’éloignait déjà. Il pouvait voir tout le progrès qu’ils avaient fait disparaître doucement avec la fumée. Felix savait qu’il devait lui expliquer, là, maintenant, avant qu’elle ne s’éloigne pour de bon, et qu’il ne la perdre. Mais il avait la gorge serrée – des explications, il n’en avait pas. “Maiken…” dit-il en avançant d’un pas vers elle. Elle recula aussitôt. Felix sentait son coeur battre fort dans sa poitrine. “Maiken, je te jure que je ne savais pas.” Il lui disait la vérité – il lui dirait toujours la vérité, il se l’était promis – mais sa voix tremblait tout de même, incertaine, encore bouleversée par le choc. “Je n’étais pas au courant, pas du tout. Ça fait des semaines que je n’ai pas vu Desmond.” Felix commençait à s’agiter. Comment pourrait-elle le croire ? Il la sentait s’éloigner de plus en plus, bien qu’elle ne bougeait pas. “Je t’en prie, il faut que tu me crois. Laisse-moi t’expliquer…” Mais les mots lui manquaient. Il ne pouvait qu’espérer qu’il reste une parcelle de confiance en elle, et qu’elle le laisse s’expliquer.

Maiken était dévastée. Pourtant ce n’était plus l’attentat qui occupait ses pensées, elle ne parvenait malheureusement pas à y penser et elle se traiterait d’égoïste quand tout ceci serait terminé, mais la seule chose qui restait dans sa tête était ce nom qui avait été annoncé à toute la ville. Desmond Lecter. C’était comme une claque qu’on venait de lui asséner pour qu’elle se réveille de ce rêve où elle déambulait depuis des semaines. Elle s’était plongée toute seule dans cette illusion parce qu’elle avait désespérément besoin de normalité et d’un peu de plaisir, pourquoi fallait-il que même ça, ça lui soit refusé ? Quelle idiote, vraiment. Elle se sentait exactement comme la première fois où elle avait rencontré Beatrix : glacée, terrorisée. Le nom de Lecter avait retrouvé toute sa puissance, cette aura de souffrance qu’elle n’aurait jamais du quitter. Maiken avait délibérément mis tout ça de côté quand Felix était entré dans sa vie, comme s’il n’était pas vraiment comme les autres membres de sa famille … Et peut-être qu’il ne l’était pas, mais elle ne pouvait pas parier sa vie là-dessus. Et surtout, elle ne voulait plus être associée à son nom, de quelque façon que ce soit. Elle regardait Felix avec un regard empli de colère, mais également de désespoir, et elle attendait qu’il se défende, qu’il prononce les mots qui le disculperaient définitivement. Ces mots n’existaient pas, elle le savait, mais une part d’elle espérait encore … Quand il lui jura qu’il n’était pas au courant, elle secoua la tête, outrée d’un tel mensonge. Comment pouvait-il ignorer une chose pareille, alors qu’il était un hunter ? Ils devaient tous être au courant, et ils devaient se raconter cette histoire autour d’un verre à chaque fois qu’ils se voyaient dans leurs petites réunions glauques. « Qui c’est, Desmond ? Ton cousin ? » Elle ne savait rien de sa famille, il avait évité d’en parler et elle avait bien évidemment évité d’en savoir plus. Ce qu’elle savait des Lecter était déjà bien trop, et Felix savait que c’était un sujet sensible. Mais soudain elle voulait tout savoir à propos de ce Desmond qui avait participé si intimement à la plus grande mascarade de Radcliff. Et elle espérait que ce n’était qu’un cousin très éloigné et pas son père ou son frère. « Qu’est-ce qu’il y a à expliquer ? Le message n’était pas assez clair ? » Elle avait très bien compris, merci bien. « Tu es flic, et tu es hunter. Si tu ne l’as pas su par les uns, alors tu l’as forcément su par les autres. Ou même par ta famille. Vous n’échangez pas vos souvenirs de chasse quand vous vous réunissez, le dimanche ? » Son ton était amer, montrant à quel point elle se sentait trahie. Mais finalement, Felix n’avait rien fait de plus que ce qu’elle savait déjà, c’était elle, la fautive. C’était elle, qui avait choisi d’oublier ce détail si énorme … Alors que dès le début, elle s’était juré de se méfier. C’était un Lecter, bon sang ! « Ne me fais pas croire que tu n’étais pas au courant. Tu es comme eux, si Lancaster t’avais demandé de le faire, tu l’aurais fait. Et ce serait ton nom qu’on aurait entendu dans les haut-parleurs. Ca n’aurait pas changé grand-chose. » Lâcha-t-elle finalement, le visage défait. Qu’il ose lui dire que ce n’était pas vrai. Qu’il ose dire qu’il n’était pas comme les autres, un bon toutou obéissant et prêt à tout pour tuer des mutants si on le lui ordonnait.

Felix cherchait les bons mots à dire. Il les cherchait, désespérément, tentait de les accrocher, de s’y aggriper, mais c’était sans espoir. Ils se défilaient, ils s’enfuyaient. Peut-être que les bons mots à dire n’existaient pas. Peut-être que c’était véritablement la fin, le point de non-retour. Peut-être qu’il ne pourrait jamais s’expliquer sufisamment. Peut-être que Maiken ne comprendrait jamais. Il ne pourrait pas vraiment la blâmer, s’il était totalement honnête. Cette situation le dépassait complètement. Il était désorienté, confus. Il ne voulait qu’appeler Desmond, et lui demander qu’est-ce que tout cela voulait dire, et lui exiger des explications, à lui. Felix n’avait pas d’explications. Après tout, il n’avait pas été très impliqué chez les hunters récemment, donnant toute son énergie à son véritable boulot d’officier de police et à Maiken et Sigrid. Ce qui comptait vraiment pour lui. Les hunters n’étaient plus rien à ses yeux. Mais entendre le nom de son frère venait de le ramener à la réalité, de manière brutale et violente. Il était un Lecter. Les Lecter avaient toujours été des hunters. Peut-être ne pouvait-il pas y échapper. Une vie tranquille, normale, avec une belle femme, et une adorable petite fille – sans violence, sans batailles. Il y avait cru. Peut-être que ça avait été stupide. Mais Felix n’abandonnerait pas. Il était beaucoup de choses, mais il n’était pas un lâche. Il ne laisserait pas Maiken s’en aller sans se battre pour elle. Sans tout essayer. Il lui dirait tout. Il ferait tout. C’était aussi simple que cela. “Qui c’est, Desmond ? Ton cousin ?” Le mot s’étrangla dans sa gorge. Non, pas son cousin. Son frère. Avec qui il avait grandi. Avec qui il avait joué dans le jardin. Avec qui il avait suivi son entraînement. Ce petit frère là, qui était soudainement devenu comme un étranger. Felix et Desmond n’avaient été très proches, jamais comme avec Bea. Mais c’était tout de même son frère, son sang, sa famille. Il aimait son frère. Mais ça ne voulait pas dire qu’il était d’accord avec ce qu’il avait fait – même si, au fond, ça le ne surprenait pas vraiment. “Qu’est-ce qu’il y a à expliquer ? Le message n’était pas assez clair ?” Elle était en colère. Felix secoua la tête. Elle lui échappait. Il la sentait s’éclipser, un peu plus à chaque mot prononcé. “Tu es flic, et tu es hunter. Si tu ne l’as pas su par les uns, alors tu l’as forcément sur par les autres. Ou même par ta famille. Vous n’échangez pas vos souvenirs de chasse quand vous vous réunissez, le dimanche ?” Felix prit une longue inspiration. “Ce n’est pas…” “Ne me fais pas croire que tu n’étais pas au courant. Tu es comme eux, si Lancaster t’avais demandé de le faire, tu l’aurais fait. Et ce serait ton nom qu’on aurait entendu dans les haut-parleurs. Ça n’aurait pas changé grand-chose.” Felix la fixa, le regard dur, froid. Ça, c’était douloureux. Il prit une longue inspiration. Il ne pouvait pas la laisser continuer. “Très bien. Tu veux la vérité ? La voilà.” Fini, les jeux. C’était le moment. “Ce que tu viens de dire, ça aurait été vrai, il y a quelques mois. Je ne vais pas nier d’où je viens. Ma famille est dans le business depuis des décennies. J’ai grandi parmi eux. J’ai été éduqué par eux. Je ne suis pas un idiot, je sais qui est ma famille. Et je sais ce qu’ils ont fait, ce qu’ils font encore, et… je sais ce que j’ai fait, moi.” Mâchoire serrée, poings fermés. Felix voulait tout mettre sur la table. Puis, ça serait à Maiken de prendre une décision. “Mais je ne suis plus comme ça. Je n’ai pas chassé depuis trois mois. Auparavant, je le faisais presque chaque semaine.” Felix secoua de nouveau la tête. “Merde, je suis complètement désorienté, en ce moment. Je comprends rien à ce qui se passe. Tout change. Je pensais connaître ma soeur, et voilà qu’elle disparaît sans dire quoi que ce soit. Je pensais connaître mon frère, et voilà que son nom apparaît dans ce message. Et tu débarques, toi, et tu bouleverses carrément tout. Maiken, je suis beaucoup de choses, mais je ne suis pas un menteur. Je ne te mens pas. Il faut que tu me crois. Je t’en prie. Ne pars pas.”

C’était si facile de superposer l’image que Maiken avait de Felix, à celle des hunters classiques. Elle en était presque effrayée, mais elle ne pouvait pas s’en empêcher. Elle ne l’avait jamais vu chasser – Dieu l’en garde – mais son imagination fonctionnait très bien sans ça. L’homme prévenant pouvait soudain devenir un tueur sans pitié, qui assassinerait des familles entières sans remords, juste parce qu’on le lui aurait ordonné. Avant qu’ils ne se connaissent, il était prêt à faire du mal à Sigrid, après tout … Si à cette époque sa sœur lui avait demandé, est-ce qu’il serait entré chez elle pour tuer sa fille, de sang froid ? Un frisson glacial la transperça à cette idée, qu’elle rejeta de toutes ses forces. Elle ne pouvait pas penser à ça. Elle ne le voulait pas ! Il avait si bien réussi à la convaincre qu’il était différent des autres qu’elle souhaitait toujours que ce soit le cas … Mais elle ne savait plus si c’était très sage. Le plus sage, de toute façon, aurait été de ne jamais céder à ses avances. Sachant ce qu’il était … Elle n’avait jamais ignoré que cette relation serait difficile, mais elle s’était tout de même laissé aller. Et elle en payait les conséquences aujourd’hui. Et il la regardait avec un air si désespéré qu’elle sentait son cœur se déchirer dans sa poitrine. Mais elle ne voulut pas faire un pas vers lui, elle attendait, résolue, qu’il s’explique ou qu’il s’en aille. Il n’avait pas d’autre option. Et finalement, il prit un air plus dur, comme déterminé d’enfin vider son sac, et elle se raidit légèrement, s’apprêtant à tout entendre. Il commença par reconnaître son ascendance, ainsi que son appartenance aux hunters. A nouveau, des images de massacres s’imposèrent à Maiken, mais elle essaya de ne pas s’y attarder. Voir Felix avec du sang sur les mains était une épreuve qu’elle ne pouvait pas encore supporter. Elle ne mit pas sa parole en doute quand il affirma n’avoir pas chassé depuis trois mois, et fut presque heureuse de cette nouvelle, sachant qu’il l’avait fait pour elle. Mais ça ne faisait pas de lui quoi que ce soit d’autre qu’un chasseur, malheureusement. Elle eut une petite grimace quand il évoqua sa sœur, et son cœur se serra quand il confirma que Desmond était bien son frère, et non pas une relation éloignée avec qui il n’aurait pas vraiment eu d’atomes crochus. Finalement, elle secoua la tête et soupira. « Tu ne comprends pas ? Mais qu’est-ce que tu ne comprends pas ? Tu as décidé de protéger ma fille alors que ta sœur veut la voir morte, je pense que c’est effectivement un changement assez énorme ! Mais le problème, c’est que tu ne veux pas assumer cette décision. Tu essayes de rester sur les deux fronts à la fois sans prendre une décision définitive. Mais il va falloir que tu la prennes, cette décision ! Si tu veux que je réagisse autrement, ou n’importe qui d’autre en entendant ce message, tu ne peux pas continuer comme ça ! Ce n’est pas ta sœur ou ton frère qui ont soudain tant changé que tu sembles surpris d’entendre ton nom dans ce message. Ce sont des hunters. Ce sont des tueurs, Felix. » Elle n’avait jamais eu l’intention de le mettre au pied du mur, pourtant c’est ce qu’elle faisait, et elle n’en ressentait aucun remord. Le message qui était passé dans les haut-parleurs lui avait fait réaliser qu’elle ne serait pas capable de continuer cette relation avec lui tant qu’il garderait son rôle chez les hunters, même s’il avait pris du recul depuis quelques mois. « Les choses changent, c’est vrai. Mais c’est toi qui as changé le premier. Essaye de ne pas l’oublier. » Il devait arrêter de se voiler la face, il se mentait à lui-même en ne voulant pas reconnaître la vérité. Soit il acceptait les agissements des hunters et de sa famille toute entière, soit il ne le faisait pas, mais il ne pouvait pas jouer sur les deux tableaux. « Je ne peux pas … Je ne mets pas ta parole en doute, Felix. Mais tu … Tu restes un Lecter. Et je ne peux pas être avec un Lecter. C’est contre tout ce en quoi je crois. » Elle se battait contre les hunters, à la hauteur de ses moyens, mais lui … Il restait l’un des leurs. Un ennemi, même s’il était également si cher à son cœur. Elle voyait tous les efforts qu’il avait fait si louablement ces derniers mois partir en fumée et elle avait la gorge serrée, mais sa décision était prise. Cet attentat l’en avait décidée, quoi que cela lui coûte.

Il était bien rare de voir Felix dans un tel état. Même que personne ne l’avait jamais vu dans cet état auparavant, sauf peut-être Bea. Mais Felix lui-même en doutait, car c’était la première fois qu’il se sentait comme cela. Désespéré. Carrément désespéré. Prêt à tout. Tout s’écroulait sous ses pieds. Il tombait doucement dans la noirceur, sans rien à quoi se rattacher, sans personne pour l’aider. Il n’y avait que lui, et lui seul, pour tenter de reconstruire les choses. Mais Felix ne se sentait pas à la hauteur. Jamais, de toute sa vie, il n’avait eu à se battre pour ce qu’il voulait – du moins, rien qui était vraiment important à ses yeux. Son nom, on lui avait donné. Son job, on lui avait donné. Sa nature, on lui avait donnée. Mais il commençait, pour la première fois, à tout douter. À tout remettre en question. On ne lui donnerait pas Maiken. Maiken ne pouvait pas être donnée, elle ne pouvait même pas être gagnée. Elle devait être méritée, et Felix commençait à le comprendre. Il écouta Maiken en silence, comme un enfant. Elle avait raison. Il n’assumait rien. Peut-être s’était-il fait de fausses idées depuis le début. Peut-être, après tout, n’avait-il jamais été assez bien pour elle. Peut-être avait-elle raison – il était un hunter, il était un Lecter. Comment pourrait-elle être avec lui ? Comment pourrait-elle même l’aimer, un tant soit peu ? Felix se tenait devant elle, se mettant à nu, mais ce ne serait jamais suffisant. S’il voulait Maiken, il devait se battre pour elle, et lui prouver qu’il était sincère, que pour elle, il était prêt à tout. “Les choses changent, c’est vrai. Mais c’est toi qui a changé le premier. Essaye de ne pas l’oublier.” Felix avait les yeux fixés sur le sol, soudainement incapable de faire face à Maiken. Que devait-il faire, à présent ? Il ne s’était jamais senti aussi perdu de toute sa vie. Il ne savait plus trop où se tenir. Ce qu’il était. Ce qu’il voulait être. Il quitterait toute sa vie d’avant pour être avec elle, mais le voulait-il ? Qui serait-il s’il le faisait ? S’il n’était plus un hunter, plus un Lecter ? Felix était désemparé. Il ne savait plus du tout quoi faire. Il espérait juste que Maiken lui donne une chance. Qu’elle ne se referme pas complètement, qu’elle ne disparaisse pas complètement. Son esprit était en ébullition. Il n’avait envie que de s’enfuir, et de prendre le temps d’y réfléchir, mais il savait à quel point le temps était compté. S’il partait maintenant, il perderait Maiken à jamais. Felix cherchait quoi dire, les bons mots, les bonnes promesses, mais rien ne semblait faire de sens pour lui. “Je ne peux pas… Je ne mets pas ta parole en doute, Felix. Mais tu… Tu restes un Lecter. Et je ne peux pas être avec un Lecter. C’est contre tout ce en quoi je crois.” Felix serra la mâchoire. Il se sentait au pied du mur, comme un enfant, et son incapacité à remettre ses idées en place commençait véritablement à le mettre en colère. Il releva la tête, plongeant son regard dans celui de Maiken. “Que veux-tu que je fasse, au juste ? Que je renie ma famille ? Il s’agit de mon nom. Je ne peux pas juste le faire disparaître comme ça, comme par magie !” Il savait que se mettre en colère n’était pas une bonne idée. Ça la ferait fuir. Mais Felix voulait rester honnête, et le tact n’avait jamais été son fort. “Tu te rends compte de ce que tu me demandes ? Comment veux-tu que je balance trente-quatre ans de ma vie par la fenêtre ? Tu penses que ce serait facile pour moi, de juste quitter le business, de tout abandonner ? Je sais beaucoup trop de choses, je me ferais tuer ! Ou pire, ils tueraient Bea, et puis ils s’en prendraient à toi, et à Sigrid !” Felix se mit à faire les cents pas. Il ne pouvait plus rester en place. C’était comme s’il ne parlait plus vraiment à Maiken – il ne parlait qu’à lui-même. Il réfléchissait à voix haute – ce qui n’était sans doute pas une bonne idée. Il se tourna vers Maiken, le regard plus doux. “Merde !” s’écria-t’il, ne trouvant vraiment rien d’autre à dire. “Je suis désolé. C’est juste que… Je ne sais pas quoi faire.”

Les mots étaient lâchés, elle ne pouvait plus revenir en arrière, même si elle l’avait souhaité. Maiken avait prononcé tout haut ce qui la torturait depuis des semaines sans même qu’elle ne sache le formuler, mais elle avait enfin compris, et elle avait besoin de le dire à Felix. De lui faire comprendre la réalité de leur situation. Ce n’était pas possible de continuer ainsi. Elle serait toujours une femme qui tentait de protéger sa fille mutante, et qui essayait de s’impliquer dans un groupe de rébellion. Il serait toujours un hunter … il serait toujours un gentil garçon embarqué dans une histoire trop violente pour lui. C’était ça la vérité. Il ne décidait pas de sa vie, d’autres prenaient les décisions pour lui, et Maiken était persuadée, tout au fond d’elle-même, qu’il ne voulait pas de ça. Il fallait juste qu’il s’en rende compte. Et décider de la protéger, elle et sa fille, c’était le tout premier pas vers cette réalisation. Elle n’avait pas la prétention de le faire changer de vie, mais elle voulait qu’il réalise au moins ce qu’il faisait. S’il tenait à elle comme il le disait, il ne serait pas insensible à ses arguments … Enfin, elle l’espérait. Elle n’en savait rien. Qui était-elle, pour espérer qu’il vire de bord juste parce qu’elle le lui demandait ? Juste une femme sortie de nulle part, qu’il avait promis d’aider. Et qui était carrément en train de l’insulter aujourd’hui, sans y réfléchir à deux fois. Elle vit la colère se peindre sur ses traits quand elle parla des Lecter, mais elle soutint son regard tant bien que mal. Non, elle ne demandait pas à ce qu’il fasse disparaître son nom ou qu’il renie sa famille. Elle ne voulait pas non plus qu’il se fasse tuer en abandonnant les hunters ! Elle ne voulait aucune des alternatives qu’il proposait. Elle voulait … Des choses trop compliquées, sans doute, qui auraient des conséquences très négatives. Bien sûr, elle voulait qu’il quitte les hunters, qu’il cesse d’être attaché à sa famille de tueurs, qu’il devienne un homme normal qu’elle puisse fréquenter sans y réfléchir à deux fois. Mais c’était plus facile à dire qu’à faire, elle en était bien consciente ! Et le fait qu’il le dise aussi clairement la fit chanceler. Il n’y avait pas d’issue. Elle sursauta quand il jura, et ses épaules s’affaissèrent quand il s’excusa immédiatement derrière, toujours aussi prompt à veiller à ce qu’elle ne soit pas blessée par ses paroles. Elle ne pouvait pas supporter ça. Son impuissance, sa colère, et ses excuses invariables. Felix Lecter, le parfait gentleman qu’elle ne pourrait jamais avoir pour elle. « Je … » Quoi ? Qu’allait-elle dire, au juste ? Des excuses, elle aussi ? Elle ne pouvait pas s’excuser pour ce qu’il était, ni pour leur situation. Elle ouvrit à nouveau la bouche pour tenter de s’exprimer, mais sa langue refusa de s’activer. Les mots restaient bloqués dans sa gorge, serrés dans un étau douloureux. Elle aurait voulu le prendre dans ses bras et n’avoir rien à dire, mais ce geste lui semblait injuste. Il méritait mieux qu’un faux espoir ou un souvenir amer. « Tu as parfaitement raison. Je ne peux pas te demander tout ça. » Elle s’arrêta avant de prononcer une phrase supplémentaire qui aurait sonné comme un reproche. Il n’était pas complètement responsable de la situation où il se trouvait, elle devait s’en souvenir. « La seule chose à faire, c’est d’arrêter de se voir. Merci de ce que tu as fait pour Sigrid et moi, Felix. Je suis … » Sa gorge se serra à nouveau et elle carra les épaules, tentant de paraître aussi forte et déterminée que possible. « Au revoir. »