Un sourire pour naître sur ses lèvres, Ava passe le seuil, se tend et bascule, le geste bref, le bouton sur on. La musique s’élève aussitôt dans toute la salle de pause ; ce sont ses hanches qui décrivent de longues courbes ; ses yeux qui cherchent d'autres regards ; et ses mains qu'elle fait couler le long de ses joues. Elle danse et elle ondule, le rythme pour tressaillir sous sa peau. C'est une demi douzaine d'hommes qui la dévisage bientôt, lui rendant tout son enthousiasme d'un grand rire de concert. « Ramenez-vous, les gars ! dit l'un d'entre eux.  Y'a Ava qu'a couché ! » L'on rit et l'on s'approche, pendant que les prunelles de la belle fondent sur lui et qu'elle lui tend les mains pour toute invitation. « Je suis de bonne humeur, répond-t-elle – mais ces yeux-là ne parlent qu'un langage mutin. C'est tout. » Il se lève, oui, mais d'abord pour répondre : « Quoi, deux fois ? qu'il renchérit. » « Et aucune n'était avec toi, conclut-elle d'un bref éclat de rire. » Alors Ava tourne sur elle-même, les fesses pour toute devanture.

Ils rient et ils commentent encore, tous assis devant leur café. « C'est John, propose quelqu'un. » « Non, Denis. » L'on frappe ce dernier derrière la tête. « N'importe quoi. Zach ! » Ils la scrutent tous avec beaucoup d'intérêt. Ava les dévisage tour à tour en silence, la cuillère occupée à mélanger son café dépourvu de sucre. « Faux. Faux, et faux, les désigne-t-elle chacun leur tour. Vous êtes... mais alors tellement loin de la réalité. » Les propositions redoublent, et elle les écoute avec grand appétit. C'est un jeu distrayant. C'est un jeu peu permis pour une femme dans une équipe d'hommes. Des hommes dont elle n'a jamais partagé le lit, ou un coin de ruelle. De simples collègues, qui la respectent comme un homme mais la voient toujours comme une femme. L'avantage qu'elle en retire lui semble inestimable : elle peut bien concourir à leur maudit concours de qui pisse le plus loin. « C'est Jules ? » « Elle a jamais couché avec Jules. » « Moi, j'aurais bien couché avec Jules. Quoi ? Elle était bien... » Ils rient davantage, et le sourire d'Ava croît. « Ce n'est pas Jules, confie-t-elle. Mais vous approchez, les gars. » Puisque leurs propositions perdent en originalité et en pertinence, elle mime son désintérêt. « Attends, attends. C'est une fille, c'est ça ? » « Oh non, s'exclame un homme à sa droite. Pas encore, Av' ! T'avais promis... où va-t-on aller pêcher si tu chasses aussi chez les gonzesses ! » « J'ai entendu dire, confie-t-elle d'un sourire, que la nouvelle secrétaire de Mitchell, et ses trente années d'expérience, attendaient le Prince Charmant. » Il grogne, mais les autres rient encore.

Il est encore tôt lorsque toute l'équipe s’attelle enfin au travail. Leur responsable, James, leur rappelle l'urgence de la situation, des dispositions politiques récentes et leur rôle crucial dans un gigantesque processus sur le départ. « Oui, les mecs, lâche Ava une fois son supérieur avalé par la porte, ne prenez pas une minute de repos avant d'avoir découvert comment James a acquis le super-pouvoir de n'attirer que sa mère ou sa soeur ! » L'on s'accorde sur cette dernière plaisanterie, mais il reste que le dénommé James a raison : dépister les transmutants fait partie intégrante de leur job – c'est même tout ce que l'on demande aux petits ouvriers comme eux. Et même si Ava n'en a pas l'air, elle prend encore sa mission très au sérieux. Tant et tant qu'il ne lui faut pas davantage qu'un quart d'heure pour s'absorber dans ses recherches, au point de siffler, entre ses dents, quand une main interpelle son épaule. « Elle s'appelle comment ? Allez, dis-le moi. » « Siobhan, sourit doucement Ava. » « Siobhan, répète l'homme en lorgnant un point imaginaire. » Elle le frappe aussitôt au bras, du revers de la main. « Arrête d'imaginer ! » « De quoi ?! feinte-t-il l'innocence. » Ava se penche sur son plan de travail. « Entre femmes, ça ne se passe pas du tout comme vous l'imaginez, vous, les mecs... » « Et ça se passe comment ? » Elle sourit sans le regarder. « Allez, dis-le moi. Je n'aurais pas besoin d'imaginer si tu me le dis. » Le rictus s'accentue. Silence. Et, enfin : « On se baise si bien sans vous, les hommes, soufflent ses lèvres malicieux, que, quelque part, on vous baise un peu aussi. »