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 misspoken words. (loeven)

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MessageSujet: misspoken words. (loeven)   misspoken words. (loeven) Icon_minitimeDim 29 Mar 2015 - 18:59

― loeven & lyudmila ―
my words can come out as a pistol,
i'm no good at aiming but i can aim it at you.

Ça doit être le cent-cinquantième soupir qu’elle pousse. Cent-cinquante-et-unième ? Allez savoir, c’est pas comme si elle comptait franchement. Moue exaspérée sur le visage, elle extirpe son portable de sa poche pour savoir l’heure qu’il est. Et une fois de plus, elle souffle. Ça fait déjà une demi-heure qu’elle attend là, comme une conne. Tout ça parce qu’elle a perdu ses clés on ne sait trop où. Rien que d’y penser, ça la fout en rogne. Depuis quand elle perd quoi que ce soit ? Jamais, voilà la réponse. Elle perd jamais rien, Mila. Parce qu’elle fait toujours attention à tout. Parce que sa presque paranoïa la pousse à toujours prêter attention à tous les détails. Alors elle comprend même pas comment ça a pu arriver. Elle a retourné ses poches dans tous les sens, fait le tour de sa voiture au moins trois fois. Rien à faire, ses clés sont portées disparues. Ça lui apprendra à pas les attacher avec celles de sa bagnole ; elle s’est promis d’y remédier dès qu’elle aura de quoi remplacer celles paumées. En attendant, appeler un serrurier, c’est suffisamment agaçant à son goût. Mais savoir qu’il y aura un délai d’au moins une heure ou deux parce qu’il est overbooké, c’est encore pire. Quel genre de serrurier a trop de travail, au juste ? Dans quelle dimension ça existe ? Peut-être que le type voulait juste faire sa sieste avant de se pointer – ça lui paraît sacrément plus plausible. Quoi qu’il en soit le résultat reste le même : elle est assise par terre dans le couloir de son immeuble, comme une gosse perdue. Elle lance des regards noirs à chaque personne qui croise son chemin en se risquant à la fixer un peu trop longtemps, et elle cherche désespérément un moyen de s’occuper. C’est compliqué, quand on peut pas rentrer chez soi. Surtout qu’après une journée de travail, elle a qu’une envie – filer sous la douche. Les résidus de cambouis se baladent sur son épiderme et l’odeur des moteurs reste cramponnée à son être tout entier. Elle se sent comme une station essence ambulante.

Le plus con dans cette histoire, c’est qu’elle aurait pu attendre ailleurs, au chaud et pas sur un carrelage dégueulasse. Elle aurait pu si elle s’était montrée un peu plus gentille avec son voisin. Oui mais voilà, c’est pas n’importe qui. C’est Loeven. Un petit bout de son passé, presque oublié, presque balayé par le temps, cet impitoyable. Loeven, le foutu squatteur qui lui a piqué son endroit favori – ce vieux toit devenu son refuge. Elle aime pas partager. Elle aime pas le croiser. Elle aime pas le voir, avec sa tignasse en vrac et sa barbe trop négligée, son sourire qui l’horripile et sa désinvolture à peine supportable. Alors forcément, elle mord. Elle attaque quand il est dans les parages et elle grogne s’il vient un peu trop près. Il est passé là, juste à côté, y a pas si longtemps que ça. Les minutes s’égrainent et elle sait plus combien de temps s’est écoulé. Il est arrivé, l’a observée du haut de sa stature – et elle l’a toisé de là, d’en bas. Lui trop grand et imposant, comme un géant qui la surplombe de toute sa force. Elle trop minuscule et froissée, l’abandonnée sur le sol qui ploie sous le poids du brasier. Leurs regards se sont happés et elle l’a prévenu en silence mais il n’a pas écouté. Les lèvres retroussées et le ton railleur, il lui a demandé si elle voulait entrer chez lui. Et elle l’a envoyé chier avec sa délicatesse légendaire. Sans pitié, elle a préféré aboyer. Et le géant s’est évaporé sans plus de cérémonie, la porte claquant comme une langue contre un palais. Alors Lyudmila, elle est toujours là. Et plus ça va, plus elle se sent stupide. Ça lui tape sur le système d’être assise là à rien faire, sachant que ça risque de durer encore longtemps. Plutôt crever que l’admettre, mais elle regrette d’avoir été exécrable avec Loeven. Attendre chez lui, ça serait toujours mieux que rester bloquée là, en essuyant les regards interrogateurs de tous les habitants de l’immeuble et les airs méprisants des vieilles dames aigries.

Mila hésite. Elle réfléchit un moment, incapable de dire si le plus désagréable serait de céder ou de persister dans sa bêtise. Et puis elle manque de se faire écraser les pieds par un gosse qui passe en courant, faisant autant de bruit qu’un troupeau d’éléphants tout entier – bon, elle exagère peut-être un peu, mais c’est presque ça. Elle abandonne. Ses genoux craquent lorsqu’elle se lève, et elle soupire en s’approchant de la porte close. Plantée là un instant, elle évalue la possibilité de changer d’avis en se rétractant. Mais son doigt presse la sonnette de lui-même, comme s’il avait choisi à sa place. La poignée ne met pas longtemps à s’actionner, laissant apparaître l’hirsute qui habite là. Elle plonge son regard dans le sien, ne se laissant pas démonter par le fait que ça ressemble foutrement à une capitulation de sa part. « Je m’ennuie, alors j’ai reconsidéré ton offre. J’sais pas quand le serrurier compte m’honorer de sa présence donc... » Elle hausse légèrement les épaules en jetant un œil à l’intérieur, examinant ce qu’elle peut apercevoir derrière Loeven. Peut-être que certains trouveraient ça impoli – elle sait pas et elle s’en fout, c’est pas quelque chose qui lui vient à l’esprit. « J’vais pas m’éterniser. C’est juste que ton appart’ sera toujours mieux que ce couloir tout pourri. » Ses prunelles se fondent à nouveau dans les siennes, et elle esquisse un petit sourire moqueur. « Du moins j’ose espérer pour toi. » Non parce que sinon, elle veut même pas imaginer l’état de son chez lui. Mais c’est plus un sarcasme qu’autre chose, le langage qu’elle maîtrise certainement le mieux après l’ukrainien. Elle espère juste qu’il va pas lui claquer la porte au nez. Ça lui foutrait un sacré coup à l’ego, étant donné qu’elle est déjà pas en position de contrôle. En même temps c’est risqué, de se pointer comme une fleur alors qu’il était pas forcément sérieux et qu’elle l’a, de toute façon, rembarré sèchement. Elle fera mieux la prochaine fois.


Dernière édition par Lyudmila Kovalenko le Mer 29 Avr 2015 - 15:27, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: misspoken words. (loeven)   misspoken words. (loeven) Icon_minitimeDim 29 Mar 2015 - 22:26


Je taille au couteau des sourires sur les joues des princesses.


Ah, la politesse. Fait indéniable qu'on vous apprend quand vous êtes à peine plus haut que trois pommes, ça vous forge un homme et une femme aussi, ça vous impose le respect et surtout ça vous pousse à être aussi poli que possible envers autrui ; parce que faudrait pas attirer trop de regards parce qu'on a osé dire merde ou jouer la carte de l'indifférence. Pourtant, quand on se fait royalement envoyer dans les roses on se demande franchement ce qui a pu pousser cette civilisation de soi-disant nomades à se lancer dans une vision idéaliste de l'univers. C'est ce que ce demande Loeven en claquant la porte de son appartement, soupirant il passe une main lassée dans sa tignasse avant de lancer son sac contre le mur à peine plus loin. Elle lui a dit d'aller se faire voir, elle a ouvert sa grande gueule pleine de canines pour lui confirmer qu'elle avait pas besoin de lui. Sacrée voisine, ou plutôt ridicule Lyudmila qui arrive plus à rentrer chez elle. Alors soit, si elle veut pas de lui autant qu'il se marre de son malheur puisque de toute manière c'est tout ce qu'il lui reste d'elle, un sentiment d'amertume, quelque chose qui fait mal là où il aurait préféré oublier sa trogne d'ange en perdition. Elle était pas qu'un souvenir à l'époque, elle était une blessure aussi et même si actuellement celle-ci a franchement bien cicatrisée, n'empêche qu'elle reste présente et que parfois dans ces moments perdus elle lui démange la peau. Il voudrait se l'arracher, lui hurler de lui foutre la paix puisque lui, il lui demande strictement rien si ce n'est la paix. Aussi coriace qu'un bestiau ayant la rage, elle continue son petit manège avec ses yeux qui pourraient le zigouiller à chaque fois qu'ils se tombent dessus sur le toit. Il préfère l'ignorance, ça vaut mieux que l'énervement puis de toute manière le vendeur il se dit que ça va finir par lui passer. Peut-être qu'elle fait une crise d'adolescence retardée, qu'est-ce qu'il en sait exactement ? Pendant près de quinze ans il a plus revu son sourire si ce n'est dans quelques rêves raccrochés au passé. Relativiser ça lui a toujours sauvé la mise, et si quand elle l'avait connu il était encore Borthwick, dorénavant il est un Dickens ; c'est-à-dire un autre homme qui n'est plus tant similaire à l'ancien. Le feu de sa niaiserie s'en est allé à cause du vent, il a préféré la compagnie des nuages plutôt que de rester dans le squelette d'un type qui n'est pas capable de convenablement s'en occuper. Sa faute à lui, ou au destin probablement qui aime le foutre dans des situations très peu probables. Il s'étonnerait même pas un jour de tomber dans une mésaventure digne d'un film de science-fiction - ou plutôt navet. Retenant un rire sec à cette simple idée, il dégage sa veste qu'il place sur le dossier de son canapé. Qu'elle râle si elle veut ; ça le concerne plus. C'est ce qu'il croit, c'est ce qu'il se dit, alors pourquoi il y pense encore ? Nom de dieu, ça va plus ces conneries. Il pince sa lèvre inférieure, divague vers autre chose pour la sortir de ses pensées alambiquées et attrape du matériel de quoi se faire un thé. Au moins est-ce le point positif de la journée, alors qu'il avait passé la matinée à conseiller des donzelles qui voulaient seulement de la compagnie dans son pieu. Qu'est-ce qu'il y connaît lui en décolletés si ce n'est qu'on peut se plonger aussi vite dedans que s'en faire ressortir par le biais d'une beigne ? Décidément, elles manquent cruellement d'imagination. Ce qui est rassurant par contre, c'est de se dire qu'il est encore capable de plaire malgré son manque à crever de sourire constamment. Il fait plus tellement sur commande, même si mentir est une philosophie de vie qu'il se cantonne à respecter plus que possible. La flotte se mettant à bouillir tout doucement, il s'effraie presque en entendant la sonnette résonner pour lui et pas pour un autre. Quelques secondes durant pourtant, Loeven se demande si c'est pas la voisine - l'autre encore - qu'a montée le son de la sienne - c'est même pas possible d'ailleurs. C'est pour lui, et il se doute de qui vient la queue entre les jambes pour lui demander l’aumône. Porte une fois ouverte, la vision qui s'offre à lui est loin d'être nouvelle ; demoiselle Kovalenko mâchoire décochée s'est décidée à bouger son royal fessier jusqu'ici. Fort bien, c'est un bien beau début pour une éventuelle réconciliation si au moins elle veut bien arrêter de cracher son venin de vipère. Autant demander dans ce cas à un chien de faire des chats, même s'il a pu la connaître autrement elle est tout comme lui ; brisée sous les coups du temps.

Pauvre gosse, pour peu il en viendrait à la comparer à causette si elle était plus docile. Or, le souci chez elle c'est qu'elle veut pas se faire tenir en laisse, ni par quelqu'un ni par la société actuelle. Elle est un esprit libre à sa manière, libre mais surtout chiant. Faudrait qu'elle arrête sa mascarade de petite fille en pleine crise parce qu'elle a pas eu sa Barbie capable de lui chanter une berceuse lorsqu'elle appuie sur un bouton. Sourcils froncés, un semblant de sourire satisfait apparaît sur les lèvres de l'aîné alors qu'il laisse le silence pour qu'elle puisse littéralement l'exploser. Elle entame les hostilités en lui déblatérant qu'elle s'ennuie, étrangement la glorieuse Lyudmila a l'air plus apaisé qu'y'a quelques secondes - au moins elle lui arrachera pas les yeux tout de suite. Elle continue son monologue en affirmant qu'elle va pas s'éterniser et joue de son claquement de langue pour à priori le plaindre si jamais le serrurier prend trop de temps à débarquer. Il a été galant, il a plus trop le choix maintenant et à moins d'avoir un invité de marque dans le salon il peut plus faire marche arrière. Est-ce qu'il regrette pour autant ? Presque, oui et non, non et oui, elle lui retourne le cerveau en moins de deux. « Au pire, si tu m'emmerdes j'te jette par la fenêtre et l'affaire est close. » Aussi charmant qu'une catastrophe et que la fonte des glaces, il se dégage quand même de l'entrée et d'un mouvement de bras lui fait le signe d'entrer tout en faisant une légère courbette pour souligner le risible de son débarquement surprise. Une fois la sauvage rentrée dans son antre, il ferme d'un petit coup de pied la porte puis continue son chemin l'air de rien, il ose pas tant la défier que ça ; libre à elle de sortir les armes ou de les ranger. Faut juste qu'elle se rende compte qu'ici elle est en territoire ennemi, qu'il connaît que trop bien ces quatre murs et que si elle souhaite s'enfuir elle devra au moins à peine mieux se conduire. Surtout que Loeven reste profondément paumé, encore plus qu'un aventurier à la recherche de son trésor. Il sait pas pourquoi elle lui en veut, il sait pas pourquoi elle s'est barrée, il sait pas ce qu'il a pu faire de mal pour qu'elle puisse grincer des quenottes à chaque fois qu'elle l'aperçoit. « Ah, j'suis presque tenté de t'dire de faire comme chez toi mais... Si c'est pour qu'tu foutes le feu à tout ça, j'sais pas trop, y'a des bouquins auxquels j'tiens encore. » Tout comme celui qu'il a pu lui offrir, si cette petite pique est lancée sur le ton de l'amusement le plus pur et ironique qui puisse se faire, ça l'étonnerait même pas qu'elle prenne la mouche. Tant pis, il a plus rien à perdre avec elle puisqu'ils sont dorénavant destinés à se claquer des poings dans le menton. C'est triste, ça lui fait un mal de chien même s'il veut pas se l'avouer ; il est pas non plus à pas en dormir, c'est juste que ça pique au fond de son palpitant fatigué de battre pour des raisons qui n'en valent même plus le coup. L'ironie du sort veut que dans la cuisine y'a le vacarme de l'eau qui crépite et pressant le pas pour ne pas que l'engin explose, il arrête l'horrible usine puis se sert une tasse en essayant de faire comme si. Il est pas mauvais pour ça Loeven, il aime bien jouer des apparences plus que des autres, alors autant faire comme si rien ne s'était passé, comme si tout avait été oublié, comme si maintenant ils devaient tout recommencer. Alors il change pas ses habitudes, il se recule du meuble la tasse entre les doigts puis, ouvrant la fenêtre, il laisse la fumée s'évaporer du récipient tout en priant le seigneur d'avoir réponse à ce qui continue de le pourrir de l'intérieur, il s'accoude sur le rebord. De la rouille sur les aiguilles ça fait jamais du bien, surtout quand la plus grande est coincée à une heure bien précise.


Dernière édition par Loeven Dickens le Ven 24 Avr 2015 - 16:35, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: misspoken words. (loeven)   misspoken words. (loeven) Icon_minitimeLun 6 Avr 2015 - 21:39

L’attaque. Parfois c’est le meilleur moyen de défense. C’est surtout le seul que Lyudmila connaît, le seul qu’elle a su apprendre à maîtriser en grandissant. Elle sait pas communiquer autrement, elle sait pas exister sans avoir à s’enfermer à double tour derrière une façade suffisamment solide pour décourager tous ceux qui chercheraient à s’y attaquer. Un gigantesque mur de glace qui se transforme pourtant en une coulée de lave beaucoup trop souvent. Avec Mila on sait jamais sur quel pied danser – il suffit d’un rien pour la faire partir au quart de tour, puis parfois elle se marre face à des choses qui en blesseraient d’autres. Son fonctionnement est pas des plus conformes. Elle rentre dans aucune case définie par la population et il faut un temps pour la cerner ; puis quand on croit y arriver, elle prouve que c’est loin d’être le cas. C’est une inadaptée à la société et même à la vie tout court, une marginale qui se fond parfois parmi la foule pour mieux la fendre une seconde plus tard. La vérité c’est juste que personne lui a jamais inculqué un comportement par défaut et les choses à faire ou ne pas faire, ce qui peut se dire et ce qui doit se taire. Elle fait aucune différence, vit les choses comme elles viennent dans une pureté surprenante. La sauvageonne pense que les seules séquelles visibles sont celles qu’elle a au corps, logées dans les recoins de son épiderme, planquées sous un tas de fringues négligées. Elle croit qu’une moitié de vie passée entre quatre murs et souillée par trop de sang ne résulte qu’en quelques cicatrices facilement camouflables. Elle voit pas que ça se sent à chaque pas qu’elle fait, toujours sur ses gardes, cherchant à limiter le contact physique. Dans son regard trop perçant, qui se veut intimidant mais qui laisse deviner un océan de doutes. Au travers de sa brutalité générale, quand ses mots s’entrechoquent, que la compassion vient à lui manquer, là où sa maladresse devient aussi palpable que déroutante. Lyudmila démange, dérange et tache le monde du bout de ses phalanges. Lyudmila est cet électron libre qui se heurte à tout ce qui l’entoure, inlassablement. Loeven est l’obstacle qui se dresse sur son chemin, encore et toujours. Alors elle s’y cogne, puis le cogne en retour. C’est comme un ballet agressif – un tango porté par l’orage.

Pendant une seconde, elle regrette d’être venue sur le pas de sa porte. C’est pas trop tard pour faire marche arrière, lui balancer une connerie et repartir directement là d’où elle est venue. Ça serait facile. Mais ça serait surtout une fuite. Et Lyudmila, elle fuit pas. Ou du moins pas volontairement. Alors elle affronte le léger sourire de Loeven et ne relève pas même si ça lui plaît pas – parce qu’à ses yeux, c’est comme s’il se retrouvait victorieux de la situation. Pour toute réponse à son petit discours, il signale être prêt à la faire passer par la fenêtre. Elle ricane, ne se faisant pas prier pour s’introduire dans l’appartement quand il se pousse pour lui faire un peu de place. « J’aimerais te voir essayer. » Façon de parler. C’est pas forcément son but de se faire balancer par la fenêtre, mais c’est pas comme s’il oserait mettre ses paroles à exécution de toute manière. Pour le coup, elle trouve ça plus facile à imaginer avec les rôles inversés. Non pas qu’elle ait envie de le jeter – littéralement – hors de chez lui, c’est plutôt qu’elle sera plus facilement poussée à des extrêmes du genre que Monsieur Blasé. Y’a qu’à voir le calme olympien dont il fait généralement preuve quand elle l’attaque sans pitié, avec cet air nonchalant dans sa posture et la lassitude au fond de ses prunelles si familières. Elle comprend pas comment il fait et ça a le don de l’agacer encore plus, sans même qu’il ait besoin d’ouvrir la bouche. En attendant c’est elle qui se tait ; une fois n’est pas coutume. Il la dépasse mais elle ne lui prête pas attention, observant l’intérieur qui s’offre à elle. Elle ne s’avance pas dans l’appartement pour autant, plantée dans le couloir de l’entrée, mais elle prend le temps de détailler chaque chose qui l’entoure. Les murs, les meubles, les effets personnels. Tout passe au scanner en quelques secondes à peine, et ce n’est que lorsqu’elle a fini qu’elle daigne suivre la direction de son hôte dans ce qui semble être la cuisine. Il prend la parole à nouveau, et elle darde immédiatement ses prunelles ambrées sur lui. La première chose qui lui vient à l’esprit quand il mentionne ses bouquins, c’est celui qu’elle a rangé sous un tas de vêtements dans son placard. David Copperfield, de Charles Dickens. C’est Loeven qui lui a offert cet exemplaire, dix ans auparavant. Quand ils étaient ces gosses qui se sont rencontrés par hasard et qui se sont retrouvés aimantés l’un à l’autre, quand il l’aidait un peu à améliorer sa lecture et qu’il souriait à chaque fois qu’elle roulait ses « r ». Ce qu’elle a toujours tendance à faire, mais ça suffit plus pour étirer leurs lèvres. Les gosses se sont perdus. D’eux, il ne reste que des vieux souvenirs poussiéreux, une frustration tacite, un arrière-goût d’inachevé. Et les mots de Dickens, étouffés par une pile de jeans aussi troués que leurs sourires.

« T’inquiètes pas, si j’dois foutre le feu, je ferai en sorte que tu sois le seul à cramer. » Sous-entendu : tes bouquins risquent rien. C’est con, mais Lyudmila a développé une relation particulière avec la littérature depuis le temps. Elle feuillette encore régulièrement le cadeau de Loeven, et quelques ouvrages de Shakespeare – ce sont les premiers qu’elle s’est mise à déchiffrer alors ils ont une valeur particulière pour elle, puis ils la font beaucoup rire avec toutes les blagues douteuses qui se planquent entre les lignes ; d’ailleurs elle comprend pas ceux qui traitent Shakespeare avec autant de sérieux, mais tout doit être une question de perception probablement. Alors elle risque pas de faire du mal à une bibliothèque, surtout lorsqu’elle est aussi fournie que doit l’être celle du barbu. Malgré le temps, elle a pas oublié l’amour qu’il porte aux livres. Peut-être même qu’il le lui a un peu transmis, allez savoir, elle s’est jamais vraiment penchée sur la question. « Mais t’sais si t’as si peur que je maltraite tes trésors, fallait pas m’en confier un. À croire que t’es un peu con sur les bords. » D’accord, cette remarque est gratuite. Mais c’est lui qui l’a piquée au vif en empruntant ce terrain glissant, et comme toujours elle fonce tête la première, c’est plus fort qu’elle. Comme un putain de taureau, elle serait même prête à l’embrocher au passage. Pourtant son regard se détourne de sa cible, allant se perdre du côté de la fenêtre ouverte, dans le ciel trop gris et l’air frais qui s’engouffre dans la pièce. Un frisson lui traverse l’échine mais elle ne laisse rien paraître, se mordant la joue. Et puis elle peut pas s’empêcher d’en rajouter une couche. « J’peux même te le rendre, ton foutu bouquin. » C’est balancé du bout des lèvres, presque craché comme du venin. Elle veut avoir l’air désinvolte mais ça marche pas – ça lui va pas, elle sait pas y faire. Elle réalise même pas que ça revient à avouer que oui, elle a gardé son livre, et que oui, elle est vexée par la remarque qu’il lui a faite. C’est stupide. Tellement que Mila se sent ridicule, et fait volte-face avant même qu’il n’ait eu le temps de lui répondre. Elle quitte la cuisine sans plus de cérémonie, et sans même lui demander son avis, de toute façon c’est pas comme si elle en avait besoin. Elle se rend au salon en faisant comme chez elle ou presque, se contentant d’un rapide coup d’œil panoramique avant de se diriger dans un coin de la pièce, analysant la couverture d’un livre qui traîne là. Encore un putain de livre. À croire que ça les poursuit, que c’est attaché à eux, ancré dans les racines de leur histoire – aussi courte qu’elle ait pu être. Ça lui filerait presque envie de le jeter à l’autre bout de la pièce mais elle est pas assez énervée pour ça, alors c’est un simple soupir exaspéré qui lui échappe. Finalement c’était peut-être une mauvaise idée de se pointer là, mais maintenant qu’elle y est, elle est trop fière pour retourner se terrer dans le couloir. Si elle pouvait rentrer chez elle par contre ce serait une autre histoire, mais si c’était le cas la question ne se poserait pas puisqu’elle n’aurait jamais foutu les pieds chez Loeven. Son écran de portable est tellement vide que ça en serait presque triste, la déception se lit sur ses traits et dans le froncement de ses sourcils ; elle espérait presque un appel du serrurier pour avoir une bonne raison de se tirer d’ici. Mila ne fuit jamais, certes. Pourtant elle en crève d’envie. La faute à Loeven et ses mots, Loeven et ses cadeaux. La faute à ce putain de Dickens.
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MessageSujet: Re: misspoken words. (loeven)   misspoken words. (loeven) Icon_minitimeVen 24 Avr 2015 - 16:34


Je taille au couteau des sourires sur les joues des princesses.


Cette gonzesse, c'est de l'acier trempé, brûlé, maltraité, si bien qu'il laisse plus rien passer. C'est un robot un peu trop développé qui permet à aucune arme de le transpercer, et dans toute sa solitude Lyudmila se complaît plutôt bien, elle se moque du monde sur son trône imbibé de poison. De lui, surtout qui ne lui adresse aucune oeillade compatissante, même si dans son esprit tout se bouscule, même s'il aimerait tout reprendre comme avant. Pas jusqu'à ce qu'ils se comprennent en un regard, juste cette complicité niaise qu'ils pouvaient se farcir à chaque fois qu'ils se croisaient, ce petit truc qui rendait leur relation si particulière - assez pour qu'il en souffre encore maintenant. Parce que mis à part se remettre en question, le Loeven il peut pas agir, ni réagir même face au souffle dragonesque et carbonisé qui sort de la gueule de son amour d'adolescent. Pinçant sa lèvre inférieure il continue sans se lasser de détailler les nuages vicelards qui, perchés là-haut, n'ont pas à redouter de se faire gueuler dessus. Avalant un peu de sa mixture, étrangement elle apaise à moitié toute l'amertume qu'il a pu accumuler depuis qu'elle a déboulé une seconde fois dans son existence. Y'a de ces petits trucs dans la vie qui rappellent à quel point celle-ci peut être vachement plaisante, comme une cochonnerie piquée à la boulangerie du coin ou encore se foutre sous la couette quand il fait trop froid. C'est rien, pourtant aux yeux de l'Ecossais ça vaut bien plus qu'un pesant de billets. Retenant un petit sourire en coin de lèvres, il accueille avec un calme olympien les remarques qui claquent contre sa trogne. Il s'est juré, oh ça oui, il s'est juré depuis une éternité de pas lui faire ce plaisir de répondre à sa provocation ; parce que ce serait tomber aussi bas qu'elle, ça, Loeven il se le refuse autant que possible. Alors il se met les nerfs en friche, il se bouffera sûrement des ulcères à force de la boucler, n'empêche que pour une revanche personnelle ça fait plutôt du bien de la voir s'exciter toute seule dans cet espace vide qu'elle comble avec ses mots, son accent à deux balles qui lui refile des frissons. Allons bon, ça continue dans l'amour dégoulinant par le nez, maintenant elle voudrait bien lui foutre le feu. Qu'elle essaie seulement, il aurait de quoi l'en empêcher, après tout cinq doigts suffisent à la faire passer ici ou là, selon ce qu'il veut. Faudra juste pas qu'elle voit. Parce que là, l'ironie du sort voudrait bien sûr qu'elle sorte un flingue à ce moment, le menace et le foute dans une caravane pour l'emmener se faire tripoter par des scientifiques louches. Cette idée lui plaît pas. Il en grimace, ça donnerait presque l'illusion qu'il répond à sa boutade foireuse ; il en est rien pour autant, ça rentre et ça sort par une oreille. Parce que maintenant c'est comme ça que ça marche, encore plus déplorable qu'un dîner de cons, aussi risible qu'une conversation entre sourds, ils signeront jamais le contrat pour plus se faire la guerre - du moins, pas du moment que le mâle du duo continue de se mettre la tête dans la terre, pire qu'une autruche. Inspirant profondément, il reprend dignement une gorgée de son thé avant de le déposer sur le rebord de la fenêtre, tout en se redressant alors que Lyudmila aborde un sujet qui pique, un cadeau pendant qu'elle le traite de gros con. C'est pas une nouveauté, quand il était plus jeune que ça, il l'était, et il l'avait encore plus été pour être tombé sous le charme d'un foutu virus comme cette donzelle aux mains crasseuses. Déglutissant à peine, il fronce les sourcils. Cet ouvrage lui appartient plus, il en a plus rien à faire, et si elle le rend, aucun doute qu'il le foute à couler aux toilettes - ou bien qu'il le crame parce qu'elle l'a touché, en plus gardé. Et ça, par contre, ça l'étonne au plus haut point. Lui qui pensait que la rebelle en chef allait s'en débarrasser dès lors qu'elle a pu en avoir l'occasion, rien, niet, que dalle même pas de quoi nourrir le doute. Elle l'a gardé, et ça devient tout chaud dans son palpitant, ça fait un bien fou, ça rassure sûrement et Loeven se dit que peut-être qu'il a pas été aussi odieux que ça à la base - et même si c'est qu'un début vers la réponse à sa question, c'est toujours ça de gagné. Il a compté, un peu, et ça fait du bien de se le dire. Haussant un sourcil sur deux, il pourrait même presque être attendri par le coup de grâce de son interlocutrice. Qu'elle le garde, ça lui ferait trop mal de disparaître totalement de son horizon, qu'elle le garde, ça lui fera toujours un souvenir d'avant.

Puis elle disparaît la glorieuse valkyrie, elle préfère la défense plutôt que l'attaque pour le coup et c'est en se repliant qu'elle lui donne la certitude qu'il y a là, une faille à creuser tout en profondeur. Même si ça l'énerve, même si ça le gave parce qu'elle se la joue petite gamine capricieuse. La regardant disparaître dans le couloir jusqu'à s'enfoncer dans le salon, c'est d'une traite qu'il termine le liquide verdâtre dans la tasse, déjà tiède il n'a pas eu le chic de faire souffrir sa gorge - tant mieux, elle aura pas de quoi le ridiculiser. Laissant la tasse sur la petite table casée dans un coin, c'est les mains dans les poches de son jean qu'il suit son petit poucet. Sans être réellement étonné, il la découvre qui trifouille sa bibliothèque, sa chère et tendre bibliothèque, son amour de jeunesse, de vieillesse, tout ce qu'il lui reste, sa part de liberté et de prison, sa haine et sa joie. Le truc qui peut les relier. Y'a toujours un bouquin entre les deux, toujours une belle histoire ou une affreuse nouvelle qui leur fait froid dans le dos. Y'a toujours ce lien. A chaque fois qu'il va s'en acheter un, il se rappelle les heures passées à essayer de lui faire comprendre des termes complexes. A chaque fois qu'il reprend les classiques, il se remémore la lassitude de Lyudmila et en même temps son entêtement d'âne. De quoi être bien, de quoi se dire que finalement tout n'a pas été qu'une seule et unique catastrophe dont il se veut victime. « Que veux-tu, la connerie humaine a pas d'limites, ni la mienne, ni la tienne. » Les hostilités reprennent de plus belle alors qu'il pose ses fesses sur l'accoudoir du canapé bleu foncé qui orne fièrement la pièce. Tout est bien rangé chez le Dickens, tout est trop bien rangé, on pourrait même se croire dans un magasin qui vend des meubles, chez Ikea en fait, parce que y'a pas tellement de mouvements, parce que y'a pas de coups, ni d'ébats qui se déroulent sur le tapis. C'est morne, à l'image de son présent. C'est fade, à l'image de tout ce qu'il a laissé derrière lui. « Donc t'as gardé l'bouquin, t'es pas si coeur de pierre que ça alors. Remarque, c'est plutôt bon à savoir, ça prouve que t'as une petite part d'humanité qui traîne ici ou là. Mais continue de l'chérir hein, j'voudrais pas empirer ton cas. » Elle est où ? C'est tout ce qu'il se demande. Elle est où celle qu'il a connu ? Elle est où cette midinette qui s'affirmait tout en sachant sourire avec sincérité ? Elle est où celle qui se livrait à lui sans faire des manières ? Elle est plus là, ou alors bien cachée derrière son armure d'or, d'argent et de bronze. Pinçant sa lèvre inférieure, il se la torture quelques secondes avant d'arrêter pour que ça saigne pas, il veut lui offrir aucun bénéfice ; il en est plus capable. « En plus, j'en f'rais rien, il est à toi. » Il baisse un peu sa garde, il déballe tout son bon sens en à peine trois petits mots. Non il est plus à lui, il est à elle, s'il lui a offert c'est pas pour des prunes et qu'elle aille se faire voir si ça lui suffit pas, la pauvre outragée. Secouant sa tignasse il reste bien posé sur son piédestal mollasson et de haut en bas il peut pas s'empêcher de retracer sa dégaine au crayon. Elle a changé, autant au niveau des fringues que son corps. Elle a grandi, lui aussi, ils sont loin les mouflets à la niaiserie grandiloquente, elles sont loin les erreurs minimes. Et ça commence à le fatiguer aussi qu'ils se querellent comme de vieux chiens qui se disputent un territoire, ils ont quel âge d'ailleurs ? Pas loin de trente, ils devaient pouvoir trouver un accord et se serrer la main sans se cracher dans la bouche. Que des conneries, des foutaises comme dirait l'autre, ils arrivent plus à se retrouver parce qu'ils se sont perdu dans un chemin beaucoup trop étriqué. Là où les injures signifient plus rien, où les putes sont nobles et les borgnes sont rois. « Enfin bref, si y'en a un qui t'intéresse Miss grande gueule tu peux t'servir, j'ai assez dépassé l'stade de la petite école pour encore t'faire confiance. » C'était quand même cool l'enseignement, il avait qu'à se demander quelle couleur il allait prendre pour son dessin. Il se demandait pas de quelle manière il allait la tacler ou encore comment survivre dans ce monde de tarés.
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MessageSujet: Re: misspoken words. (loeven)   misspoken words. (loeven) Icon_minitimeDim 26 Avr 2015 - 17:05

C’est moche le temps qui passe. Ça fait toujours des dégâts, ça laisse des empreintes dégueulasses, des bleus en-dedans et des écorchures au palpitant. La peau se froisse et les traits se creusent, les rêves explosent à la figure comme des pétards qu’on a allumés trop vite, qui viennent vous arracher la gueule sans pitié. Alors on change. Alors on se fait caméléon d’infortune pour mieux survivre, on ploie sous le poids du monde et on se façonne tout seul comme un forgeron bancal qui sait pas trop ce qu’il fout. C’est ce qu’a fait Lyudmila. Parfois elle se souvient des éclats d’insouciance qu’elle a voulu retrouver, quand son frère lui a offert le monde sur un plateau ; quand il l’a sortie de sa cage aux barreaux rongés par la crasse. Une gamine lâchée dans l’inconnu, dans tout ce qu’elle crevait d’envie de découvrir. Alors elle avait soif la sale gosse, soif de tout voir, tout savoir, tout entendre et tout apprendre. Soif de vivre, jusqu’à en crever. Elle avait peur de tout et de rien, chaque expérience devenait une aventure dingue à ses yeux, l’univers la cognait et elle lui foutait un coup de boule en retour. Elle voulait juste être libre. Mais même hors de sa prison, on l’a pas laissée faire. Parce qu’y a trop de fous prêts à faire la peau des gens comme elle, parce que le danger est à chaque coin de rue et que tout ce qu’elle a fait, c’est échapper à un calvaire pour fuir une sentence déjà prononcée. Alors Mila, elle a changé. Mila, elle a oublié la soif qui lui assèche la gorge et puis le cœur, elle s’est construit une armure trop lourde – même pour elle. C’est plus facile pour se méfier de tout le monde et les empêcher de l’attraper ; c’est son ticket vers une liberté qui a un goût plus amer que dans ses espoirs. C’est tout ce qu’elle a pour se protéger du monde entier alors elle se planque derrière sa cotte de maille en carton et puis elle crache à la gueule de quiconque ose s’approcher trop près. Elle crache tellement sur Loeven qu’elle épuise sa salive pour finir par projeter que du vent, que du sang qui lui brûle les lèvres comme de l’acide sulfurique. Loeven c’est l’incarnation d’un bout d’elle-même ; chaque fois qu’il est là elle les revoit, adolescents trop cons, enfants à la langue bien pendue. Elle revoit l’insouciance qu’elle a voulu retrouver et la complicité indiscutable, débile, sans pitié. Parce qu’y a des gens comme ça, qu’on croise et qu’on reconnaît sans comprendre pourquoi, alors on s’accroche pour réchauffer l’endroit trop froid qui se cache dans un coin du cœur, on s’ouvre et y a les rayons qui entrent sans préavis. Y a des gens qui s’impriment un peu à l’intérieur, dont on se débarrasse pas. Ces choses-là ne s’expliquent pas.

Loeven, elle aime pas le voir. Elle aime pas les trucs qu’il lui rappelle alors qu’elle a oublié ; c’est en oubliant qu’elle avance parce qu’elle sait pas faire autrement pour pas en crever. Il est ce p’tit morceau de liberté qu’elle a cru s’octroyer et qu’elle a dû abandonner lâchement, sans un mot. Forcément on s’en remet, forcément ça guérit et puis ça part dans un coin retranché de l’esprit. Mais c’est dur quand on est confronté à ce qu’on a été et ce qu’on aurait voulu – pu – être dans une autre dimension peut-être, une autre époque, une autre vie. Ça l’emmerde qu’il ait déboulé à nouveau dans sa vie comme ça, du jour au lendemain, d’abord dans l’appartement d’à côté et puis sur son toit préféré. Ça lui file la sensation qu’elle peut pas lui échapper et que le passé finira par la rattraper, elle qui a couru tellement longtemps, elle qui veut plus jamais fuir. Ses mots deviennent durs, sa langue est un marteau qui cogne derrière ses dents en espérant l’assommer lui, cet enfoiré. Tout ce qu’elle fait c’est se dégommer la mâchoire toute seule dans un spectacle qui n’impressionne aucun d’eux. C’est comme si elle avalait du poison en espérant le voir s’étouffer – ça peut pas fonctionner. Alors ses entrailles se tordent et ses veines bouillonnent, elle prend la mouche et puis elle se vexe comme la sale gosse qu’elle est. Elle en révèle un peu trop, plus que prévu, plus qu’elle ne l’aurait jamais voulu. Piètre comédienne, elle sait même pas jouer la carte de la nonchalance, elle peut pas se démêler du nœud qu’elle a fait toute seule comme une grande. Comme une grande idiote surtout. La guerrière bat en retraite. Elle déserte le front et son ego en prend un coup mais pas autant que si elle avait cherché à lire les prunelles de son adversaire ; elle a trop peur de ce qu’elle pourrait y trouver. Forcément il met pas longtemps à la suivre, forcément elle a pas passé cinq minutes à espionner sa bibliothèque qu’il est déjà là, juste derrière. Même si elle l’avait pas entendu arriver elle aurait senti sa présence, ça change l’atmosphère, ça lui fait raidir les muscles et serrer les dents. La connerie humaine est sans limite c’est un fait, il a pas besoin de le dire pour qu’elle le sache et vice versa – c’est quelque chose qu’ils ont certainement appris tous les deux à leurs dépens. Lentement la sauvage se retourne et elle le jauge du regard en silence, le barbu qui a posé sa carcasse contre le canapé, le seigneur qui a perdu son audace. Le combat se poursuit à travers sa bouche devenue toxique et Mila peut pas retenir une grimace à mi-chemin entre le rictus sarcastique et le mépris acide. « C’t’un bon bouquin, j’vois pas pourquoi je l’aurais jeté. C’est pas une question d’humanité, hein. Juste du bon sens. » Y a de la vérité dans ce qu’elle dit évidemment mais c’est pas tout : elle est quand même attachée à cet exemplaire-là. Seulement c’est pas un truc qui se dit, encore moins qui s’avoue à qui que ce soit, y compris elle-même. Elle fait mine de rester détachée mais dans le fond, elle est quand même soulagée qu’il se soit pas amusé à lui demander de lui rendre. Ça l’aurait blessée, tant dans son amour propre que son cœur tout simplement. Son sourire est furtif, à peine visible si on a pas fait attention, mais il est là ; elle a pas pu le retenir, elle a pas vraiment essayé non plus. On pourrait presque croire que ça laisse présager une trêve, avec Loeven qui lui offre même de prêter un de ses précieux livres. Mais le moment n’est que ça, c’est fugace, ça se fait malle aussi vite que c’est venu et Mila s’éloigne de la bibliothèque en croisant les bras contre sa poitrine. « Non ça va, j’ai tout c’qu’il me faut chez moi. » Ç’aurait pu être un refus poli mais ça l’est pas réellement et c’est palpable, dans sa posture sur la défensive, sa façon de s’éloigner des étagères comme si ça risquait de lui sauter à la gorge, l’intonation de sa voix un peu trop sèche. Entre les lignes c’est marqué au fer rouge : elle veut rien de sa part. C’est stupide, puéril aussi. Ça se sent dans sa façon de mettre une soudaine distance et son regard qui se fait fuyard, préférant lâchement s’arrêter sur les coins de la pièce plutôt que sur le visage trop familier d’un géant qu’elle préférerait voir à genoux. Elle peut pas s’empêcher de remarquer ; c’est vide. Rien qui dépasse, c’est presque trop lisse, ça ressemble pas à un endroit où on a envie de passer du temps tellement ça semble aseptisé. « T’es sûr qu’t’habites ici ? » Le changement de sujet est abrupte, le ton railleur. « Ça ressemble à une maison d’poupées – t’es prêt à t’barrer ou c’est juste que tu t’prends pour Monsieur Propre ? » Elle ricane doucement, se gênant pas pour avancer jusqu’à un meuble qu’elle observe un instant, et puis elle ouvre un tiroir au hasard, examinant vaguement le contenu. Aucune bonne manière, elle est sans-gêne et n’y voit rien de mal, se préoccupant même pas de connaître l’avis du propriétaire. « Puis t’façon, qu’est-c’que t’es venu faire à Radcliff ? J’pensais pas revoir ta tronche un jour. » C’est brutal mais spontané, elle s’est vraiment posé la question sans jamais avoir l’occasion ou l’envie de le faire à voix haute. Quand elle a su qui était son nouveau voisin, elle a cru que c’était une mauvaise blague et au final peut-être que ça l’est vraiment ; un coup de pute du destin, un juste retour des choses parce qu’à force de cracher à la gueule du monde il finit par vous pisser dessus. Elle attend pas réellement une réponse et déjà son attention est attirée par une trouvaille au creux du tiroir sur lequel elle a jeté son dévolu. C’est une montre à gousset, plutôt jolie d’ailleurs même si elle est loin d’être connaisseuse en la matière, et elle la coince entre ses phalanges pour venir la regarder d’un peu plus près. Trop pour quelqu’un qui se permet de tripoter un objet qui ne lui appartient pas. Trop pour une morveuse qui veut voler dans les plumes d’un albatros. À trop vouloir jouer avec le feu c’est elle qui finira par se cramer les ailes.
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MessageSujet: Re: misspoken words. (loeven)   misspoken words. (loeven) Icon_minitimeMar 5 Mai 2015 - 16:09


Je taille au couteau des sourires sur les joues des princesses.


Et à tous ces cadeaux empoisonnés, il a envie de leur gueuler d'aller se faire voir. Et à toutes ces gonzesses qui se sentent plus pisser droit, il a envie de leur crier alors dégagez de chez moi. Il voudrait bien faire une fois face à tout ce qui l'emmerde, dire à tout ce foutoir d'aller débarquer dans la vie d'un autre. Sauf qu'on lui la fait pas à lui, pas à Loeven, au contraire c'est même avec un malin plaisir qu'on viendra foutre en boxon ses tiroirs pour lui faire remarquer que rien n'est comme avant. La normalité, c'est relatif, celle d'un mutant l'est tout autant que tout autre chasseur ou timbré qui voudrait se débarrasser d'eux. Il voudrait pouvoir dire qu'il est un monsieur dans la foule qui se fond, c'est totalement faux, et à partir du moment où le concerné le sait, y'a comme un truc qui se brise, une sorte de machine mise en route qui explose entre ses doigts fins. Et Dieu seul sait à quel point il tient à ses mains, un bon nombre de fois ses miches ont été sauvées par celles-ci, un simple réflexe de protection ou encore un véritable désir de faire reculer quelqu'un ; il peut pas faire sans. Gamin il s'en amusait carrément, il faisait bouger des animaux de loin, arrivait à les rendre presque dociles lorsqu'ils étaient sous son emprise et c'était bien sûr sans compter sur des facteurs plus que dominants, en l'occurrence la peur que peut provoquer son marionnettiste. Il se considère pas tant attaché à ça à ce truc qui bouillonne en lui, à cette finesse d'attache, d'écoute, de lancer les fils pour les accrocher aux poignets, aux mollets et au cou de ceux qui sont victimes de sa dégénérescence. Il se voit plutôt à part, dans ce corps y'a deux trucs ; le Loeven et l'autre qui joue, sans pour autant en rire, c'est juste une faculté qu'il se voyait pas à voir, lui avait plutôt tendance à être bourru dès lors qu'il avait su marcher presque convenablement. Alors quoi ? Face à cette lionne malade, qu'est-ce qu'il devrait faire ? L'utiliser contre elle pour qu'elle ravale sa foutue fierté à la con qui empêche les deux d'avancer ensemble ? Oh s'ils sont pas un couple, n'empêche que ça marche comme ça dans les relations dites humaines. Or, ils le sont pas. Ou disons qu'elle semble pas l'être, pas avec cette manie de se mettre sur la défensive, de cracher son poison à partir du moment où il tend la main vers elle. Il voudrait l'aider, servir à quelque chose, avoir même un but - faut croire que c'est pas avec Lyudmila qu'il arrivera à combler le vide qui le fait saigner encore. Inspirant profondément, il tapote du pied sur le parquet tout en l'écoutant, d'une seule oreille évidemment, parce que dans le flot de conneries qu'elle déballe y'a parfois un peu de logique, même de la gentillesse. Il a appris à faire le tri. Il baisse les yeux un instant, arrive à les fermer se donnant presque la dégaine d'un dormeur éveillé. Puis le terme bon sens lui vient à l'esprit, il en retient qu'un pauvre rire sec en coin ; ah parce qu'elle en est dotée maintenant ? Merde, ça arrange pas son cas, le couteau il s'enfonce un peu plus avec ses quinze petites aiguilles qui tripatouillent avec gentillesse dans la chair. Il en grimace, il en tire la tronche jusqu'au fin fond de la terre. Si au moins elle était capable de se rendre compte de l'impact que son blabla peut avoir sur autrui, elle pourrait être pardonnée. Trop brute de décoffrage cette sauvage, on peut rien lui excuser, pas même d'essayer de faire de l'humour noir. Elle cause d'une maison de poupées, elle fait même pas si bien dire, ça lui redonne un semblant de sourire. Il a personne avec lui pour se créer de fausses histoires, pour posséder ; l'enfance elle est loin derrière lui, encore plus que la date de sa première dent tombée.

Restant les bras croisés sur son torse, il fronce un peu plus les sourcils en remarquant qu'elle s'aventure sans gêne dans le salon. Elle fouille, lui balance un sobriquet aussi risible que minable - le niveau Kovalenko - puis s'arrête subitement en s'attardant sur une question qu'il aurait jamais pensé sortir de sa bouche ; pourquoi ? Oui, même lui se le demande, pourquoi il est revenu alors qu'il aurait peut-être mieux fait de laisser pourrir son frère aîné dans son appartement, alors qu'il aurait pu s'éclater en Alaska ou même en France, dans un endroit où personne viendrait le pointer de l'index pour une anomalie qui à priori pourrait aider à sauver des bonnes âmes inconscientes. Pinçant sa lèvre inférieure, il se redresse aussi sec en apercevant un petit bout d'argent briller entre ses ongles crochus. Ses montres. Il apprécie leur tic-tac régulier, sans trop en connaître les origines, il adore les regarder pour se dire que ça c'était la classe intersidérale il y a presque une centaine d'années. C'est son jardin secret, et il voudrait pas que cette bornée doublée d'un âne lui pourrisse tout ce qu'elle touche. « Ouais j'habite ici, et ô pardon gente damoiselle si ça r'ssemble pas à l'appart' de tes rêves, vrai qu'c'est loin d'un squat comme tu dois bien aimer. Mais comme tu vois, y'en a qui s'donnent la peine de grandir. » Certains plus vite que d'autres, il perd un peu pied l'ancien Borthwick, surtout que ça s'enfonce un peu plus dans une vase dégueulasse qui pue le ressentiment. C'était pas une bonne idée de l'accueillir, encore moins dans son palpitant délabré. Comment elle a fait de toute manière, hein ? Elle est venue, elle a conquis son territoire et s'en est allée s'écraser sur d'autres, laissant son premier sur une route. Qu'est-ce qu'il a bien pu lui trouver ? Il sait pas, il sait plus, peut-être la gentillesse dont elle faisait preuve, cette rêverie attendrissante dont il pouvait en faire le partage, ce foutu sourire de bêtise qu'elle se coltinait jusqu'à ce qu'ils se séparent. A y repenser, ça lui refile des frissons et une fois n'est pas coutume, ses mains se glissent dans le fin fond de ses poches alors qu'au même moment il se retrouve juste derrière elle. Elle est petite, Lyudmila, bordel ce qu'elle est minuscule. « J'ai pas d'raisons à t'donner et d'toute manière j'vois pas en quoi ça pourrait t'concerner. J'te fais chier non ? Que j'sache, on en apprend pas plus qu'ça sur les personnes qu'on peut pas s'voir en peinture. La faute à pas d'chance. » Silence, il se penche pour presque murmurer à son oreille droite. « C'est d'bonne guerre, si j'ai rien t'auras rien non plus et vice-versa, karma et tout c'merdier, hm ? » Y'a comme un faux contact dans sa voix, ça tremble sans aucun doute un peu tout en étant franchement catégorique. C'est le début de la fin, c'est ça ? Oui, quelque chose du genre, même s'il s'attendait plutôt à un goût d'apocalypse. Il fixe un instant l'objet de collection qu'elle veut pas lâcher - de toute manière qu'elle ose faire un geste trop brusque et il lui fera regretter - et durant une seconde il maudit l'univers de pas lui avoir filé un machin pour remonter les siècles entiers. Il trouverait sa bonne période, y'aurait pas tout ça, y'aurait surtout pas la pouilleuse et il s'en sentirait d'autant mieux. Quoique, elle trouverait un moyen d'être omniprésente, probablement par le biais d'un ou deux dessins sans son carnet de croquis. Jamais de face, toujours de dos, elle mate un horizon qui lui échappe, qui lui déplaît, même si elle est heureuse dans toute cette pollution, dans la crasse qui a déformé sa candeur pour la rendre imbuvable. « Et si ça peut t'rassurer, t'enlever un poids sur l'coeur ; j'pensais pas te r'voir un jour non plus, non, j'croyais même que t'avais crevé dans un coin du globe. Surprise. » Qu'il balance sur un timbre cinglant avant de se reculer un peu pour éviter de se prendre un coup de coude en plein dans le pif. Elle peut la sentir, sa peine ? Elle peut la frôler, sa tristesse ? Bien sûr que non, elle serait même pas capable d'en comprendre la moitié du sens, faut tourner la page, l'arracher selon les philosophes de cette génération collée aux portables. Il en est pas capable, pas tant qu'il aura pas tout pigé. Et ce jour-là, ce putain de jour, il pourra foutre le feu aux chrysanthèmes et disperser ses cendres sur l'autel des désespérés.
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MessageSujet: Re: misspoken words. (loeven)   misspoken words. (loeven) Icon_minitimeJeu 7 Mai 2015 - 6:52

Parfois le meilleur moyen d’avancer c’est de tout effacer, on passe un coup de gomme et on fait comme si la page avait toujours été blanche, comme si les carreaux étaient aussi immaculés que la conception de ces crétins de chrétiens. Mais putain, tout le monde sait que la gomme ça marche jamais. Tout le monde sait qu’on peut faire tout ce qu’on veut, les traces sont toujours visibles en arrière-plan ; on en devine les sommets et puis les chutes, on aperçoit des formes qui sont plutôt informes justement, ça fait des traits assez moches qui ressemblent plus à grand-chose. Et puis y a le papier qui se froisse comme les draps de jeunes amants qui se découvrent, comme le cœur d’une victime de ce chagrin qu’on appelle amour pour faire joli, pour faire oublier que c’est franchement barbare ces choses-là. Y a qu’à voir comment ça vous prend, ça vous retourne dans tous les sens, ça tord et ça dévore puis ça finit par vous dégueuler. Alors on fout des coups de gomme comme on foutrait des coups de poignard, on plante et on cisaille, on frotte encore et encore mais ça suffit pas, ça suffit jamais. Les miettes s’éparpillent sur le papier noirci, taché, chiffonné et même déchiré. Mila, elle a tellement gommé que sa vie toute entière en est devenue fripée, y a des trous un peu partout et des bouts de scotch appliqués sommairement sur les lambeaux qui se sont fait la malle, tout se rafistole à la va-vite mais rien ne se répare. C’est comme mettre un pansement sur un os broyé en espérant qu’on pourra à nouveau s’en servir le lendemain – Lyudmila ça fait des années qu’elle avance avec un squelette en morceaux, quitte à s’écrouler et se foutre à ramper pour pas crever sur place. Elle gomme encore et encore, tellement que maintenant elle a plus que ses ongles pour racler en essayant de tout effacer. Le temps passé dans une cave lugubre, les traces que des cœurs trop noirs ont laissé sur sa peau fragile, la liberté touchée du doigt et puis arrachée brutalement, les premiers émois de son palpitant provoqués par un foutu môme aussi con qu’elle, les années à courir sans comprendre pourquoi, l’horreur devenue haine au creux de ses veines. Elle gratte et elle décape sa propre vie en se prenant pour Cendrillon mais le peu qu’elle arrive à décrotter reste coincé sur ses phalanges et elle l’étale sans le voir, partout sur sa sale gueule de gamine odieuse, partout sur sa langue au goût de rouille. Elle s’enduit toute seule et puis elle tartine les autres au passage ; ils ont rien demandé ces cons mais ils se retrouvent aspergés. Loeven c’est le plus con d’entre tous, il est au premier rang et il change même pas de place, il la laisse venir sur le bord de la scène et il se fait inonder, il est comme ce poteau planté dans le sable qui se fait avaler par la marée quand elle vient déferler. Il est trempé jusqu’à la moelle mais c’est pas de l’eau, non c’est pire que ça, l’odeur prend aux tripes et vient brûler les sinus et puis la gorge. C’est de l’essence à l’état pur, Loeven il a bouffé le bidon tout entier et Mila se balade avec une allumette entre les lèvres – faut qu’elle fasse gaffe, elle va finir par l’avaler et elle se carbonisera toute seule.

Elle balance des mots en vrac, tellement qu’ils sortent de sa bouche sans filtre, ils glissent à travers ses dents avec le vice des fourbes mais la maladresse des spontanés ; c’est un drôle de mélange entre son animosité débile et sa sincérité insupportable, ça lui donne un air de tête de mule, tête de pioche, tête à claques qui au final n’a même plus de tête à disposition. Elle est plus sur les épaules, elle s’est faite guillotiner et faudrait songer à lancer un avis de recherche parce que ça lui permettrait peut-être de commencer à réfléchir avant de l’ouvrir, avant d’agir, avant d’enchainer les conneries les unes après les autres. Elle veut plus le regarder son adversaire, on dirait presque qu’elle l’a même oublié alors qu’elle se penche sur sa trouvaille comme une pie qui a volé un vieux truc qui brillait, là-bas, dans le fond du jardin. Mais il lui laisse pas le choix, il lui rappelle que trop bien qu’il est toujours là quand il lui répond et puis elle lui lance un regard pas bien gentil, pas mauvais non plus, c’est le cul entre deux chaises – à leur image. « Un squat ça aura toujours plus d’âme qu’ton appart’. » Et puis il l’emmerde à parler de grandir, ça veut dire quoi de toute façon ? Grandir c’est devenir cet espèce de géant avec trop de poil au menton et sur le caillou ? Grandir c’est se transformer en grand con qui sonne trop acerbe ? C’est qui l’enfoiré qui fait les règles, hein ? Elle aussi elle a grandi, elle aussi elle a changé et pas pour le meilleur, à croire qu’ils sont dans le même bateau même s’ils s’exilent aux extrémités opposées pour pas avoir à se regarder. Ils sont à bord du Titanic et ils attendent de voir qui crèvera le premier, les paris sont ouverts : ça sera la noyade ou l’hypothermie ? Mila commence déjà à trouver qu’il fait trop froid, et ils sont là à se grogner à la figure comme des chiens, ils se battent pour un os en se léchant les babines devant le carnage qu’ils provoquent à deux. Ils sont que des animaux, des sales bêtes qu’on a oublié de dresser et qui veulent se ronger la gueule, tout ça pour quoi ? Elle sait même pas, c’est à se demander mais elle arrive plus à réfléchir avec l’autre enflure qui s’approche trop près, juste là, juste derrière. Elle le voit même pas mais il arrive quand même à lui donner l’impression qu’il est un colosse et qu’elle n’est qu’une brindille. Ses dents se serrent quand il glisse son poison à son oreille, elle est immobile comme une statue et pendant une seconde elle croit presque que le temps s’est figé avec elle mais évidemment que non, évidemment que ce salaud poursuit sa route sans elle, sans lui aussi, sans eux et sans personne d’autre parce qu’ils sont rien du tout, rien que des poussières d’étoiles qui auraient mieux fait de rester éparpillées plutôt que s’assembler pour former un truc aussi laid, un truc aussi carnassier. « Tu vois c’un peu compliqué quand les gens qu’tu peux pas voir en peinture viennent placarder leur tronche partout. Un tableau j’peux le dégager, mais avec ta gueule j’fais comment ? » Faut dire qu’il lui facilite pas les choses en étant partout, dans l’appartement d’à côté, sur le toit qu’elle a voulu s’attitrer, dans les rues de Radcliff et les vieux souvenirs qui veulent pas s’éradiquer. En même temps c’est con, elle aurait dû se douter qu’elle finirait par tomber sur lui, après tout elle a bien recroisé son frère alors c’était à prévoir ; ça l’aurait juste arrangée s’il avait pu éviter de l’envahir partout à la fois comme un putain de tsunami, elle a même pas eu le temps de fermer la porte. Et il sort les crocs le malotru, sa voix résonne, trop familière et pourtant tellement loin de celle du gosse d’y a dix ans, c’est le dernier coup, ça sonne comme le glas. Elle se retourne pour enfin croiser ses prunelles à nouveau et y a un sale rictus qui pointe au bord de ses lèvres ternes ; elle s’y attendait à celle-là, elle savait juste pas quand ça allait lui tomber au coin de la trogne. C’est elle qui a cherché, maintenant elle a plus qu’à faire avec ou se mordre la langue. « Bah non j’suis encore là, bien vivante en plus. Ça va, pas trop déçu ? » L’amertume est trop palpable dans sa voix, c’est ridicule. Elle est même pas foutue de la camoufler, puis même si elle avait su le faire ça aurait servi à rien – ça sort trop spontanément pour qu’elle ait le temps de tricher. Alors elle finit par lâcher un petit soupir en faisant mine de hausser les épaules. « Puis t’as raison, j’m’en fous de tout ça, tu fais bien c’que tu veux Dickens. » Y a ses yeux qui se plantent dans ceux de Loeven en espérant devenir des couteaux, en espérant que ça pourra le faire saigner ; même si c’est qu’en-dedans, même si elle voit pas l’hémoglobine et que le seul indice c’est une vague dans ses iris. Elle guette, parce que c’est à ça qu’ils en sont réduits finalement. « T’aurais juste pu songer à trouver plus original, quitte à changer d’nom. Et pis, j’veux dire, Borthwick c’était pas si mal tu sais, pas la peine de voler les morts. »  C’est ça quand on est voisins, on voit le nom qui est placardé sur la boîte aux lettres et puis la sonnette, on voit l’identité affichée par la porte à côté et on a parfois des surprises. Franchement, Dickens, quelle ironie ; elle en avait déjà assez d’un planqué dans le fond de son placard, maintenant faut qu’elle s’en coltine un en chair et en os, l’imposteur qui laisse un goût affreusement âcre au fond de la gorge. « Visiblement t’es venu terminer une partie de cache-cache à Radcliff, qu’est-c’que tu veux que j’te dise. » Son bassin se décolle du meuble où il avait élu domicile et elle s’approche, comme un fauve qui s’apprête à bondir sur sa proie, sauf que dans le cas présent les rôles font que s’échanger à chaque seconde – y a pas de vrai prédateur, juste deux cons qui savent pas quoi faire à part se tirer dans les pattes. Prunelles dardées sur les siennes, elle plaque brutalement sa main contre le torse de Loeven, mais entre ses doigts y a la montre à gousset qui forme une dernière barrière entre elle et lui. Elle lui rend, elle en veut plus si c’est pour s’y accrocher quand il lui envoie des coups rien qu’en utilisant les mots, pour lui rendre la monnaie de sa pièce, pour lui montrer qu’elle est pas la seule à pouvoir se servir de sa langue comme d’un missile. « La faute à pas d’chance, right ? » C’est lui qui l’a dit le premier, elle fait que lui rafraîchir la mémoire parce qu’après tout ce serait une honte qu’il ose l’oublier. Tout ça, ça rime à pas grand-chose, c’est le monde qui part en vrille parce que les résidus cosmiques qui le peuplent savent pas faire autre chose que se cracher à la gueule et filer des coups de pieds à des palpitants déjà essoufflés. C’est qu’une boucherie programmée, avec personne pour admirer le spectacle offert par les carcasses qui réussissent pas à s’achever mutuellement malgré tous leurs efforts. Les étoiles doivent bien se foutre de leur gueule.
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misspoken words. (loeven)

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