let me be your superman

   

  Le soir des funérailles de la fille de Thaddeus Lancaster, Dawson ne s’attendait pas à se retrouver dans son château. A vrai dire, il ne comptait pas aller à la cérémonie tout court : le dégoût que lui inspirait sieur Lancaster et ses disciples l’encourageait à se tenir aussi loin d’eux qu’ils pouvaient. Seulement, quelques heures avant le début de sa cérémonie, il avait raisonné que la fille du dirigeant du comté n’avait rien à faire dans ces affaires, et que sa morte – dont on accusait déjà le groupe rebelle Uprising – était une tragédie qui ne méritait pas d’être mêlée à des affaires de politique. Alors il enfila son costume noir, ainsi qu’une cravate en soie si mince qu’elle ne faisait qu’accentuer ses épaules surdéveloppées par des heures de réhabilitation et de natation, et s’engouffra dans l’air froid de la nuit.

Dans le château Redwood, l’ambiance vibrait de tension. Ordinairement aux aguets, Dawson l’en devint d’autant plus lorsqu’il ressentit les premières vibrations de cette atmosphère pour le moins étrange. Se débarrassant de son léger manteau, il desserra instinctivement sa cravate – de façon à pouvoir la retirer en cas de combat, car une cravate devient rapidement une garrotte dans les mains d’un agresseur – et s’empara d’une flûte de champagne qui passait sur un plateau. Ainsi équipé, il prit un air solennel et se mêla à la foule, préférant repérer les lieux que de discuter avec les autres invités, et ce autant par paranoïa que par timidité. Finalement, Thaddeus fit son apparition et monta sur scène. Dawson s’arrêta où il se trouvait pour pouvoir l’écouter, et sentit un bruissement de tissu à sa droite. Lorsqu’il tourna le regard, une petite blonde apparu dans son champ de vision : Cooke Dow, la protégée d’Ezekiel, dont le nom gourmand cachait son terrifiant vide émotionnel.

Elle-même s’aperçu vite de sa présence. « Viktor. » Elle avait l’air contente de le voir, dis donc. Dawson lui décocha un sourire radieux, et se détourna un peu du podium pour pouvoir lui parler. « Cooke ! Je ne savais pas que tu serais ici ce soir. » La moitié de la population de Radcliff était là, mais l’idée de voir quelqu’un qu’il connaissait n’avait visiblement pas effleurée le cerveau du brun. Il dévisagea brièvement Cooke, cherchant un quelconque signe d’émotion en elle. Avec son visage poupin et ses yeux vides, elle lui rappelait les enfants soldats qu’il avait rencontrés en Afghanistan, lors de sa première mission à l’étranger. Ezekiel ne lui avait soufflé mot sur le passé de la jeune femme, mais il ne fallait pas être devin pour comprendre qu’elle n’avait pas eue une existence facile, et qu’elle avait rapidement appris que montrer ses émotions était un signe de faiblesse potentiellement mortel.

« Tu la connaissais ? » demanda-t-il, avant de prendre une nouvelle gorgée de champagne. Les bulles lui picotèrent la gorge presque autant que le discours horrifiant de Lancaster ne lui brûlait les oreilles. Pour contenir son écœurement, il finit sa flûte plus vite qu’il n’aurait dû, et la rendit distraitement à un serveur qui passait. Puis, soudain, en plein milieu du discours de Thaddeus, le noir se fit.

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Communiquer avec Cooke, Dawson l’avait rapidement découvert, cela ressemblait le plus souvent à un enfant qui jetait une balle molle sur le sol avec l’espoir qu’elle finisse par rebondir. L’enfant avait l’air bien sot, et la balle ne rendait que des bruits exaspérés. A côté d’elle, sa timidité passait pour de l’extraversion, et son occasionnel bégaiement pour de la grande conversation. Il l’aurait bien taquinée à ce sujet, mais dans la noirceur qui venait de les envelopper, toute trace de gaieté avait disparue. La tension qui empoisonnait l’atmosphère depuis le début grondait maintenant au-dessus de leurs têtes comme aucun orage n’aurait pu. Dawson se tendit, et se rappela immédiatement le plan de la salle avec ses diverses entrées et sorties. Dans l’obscurité qui l’empêchait de comparer sa mémoire à ses alentours, il sentit brusquement une petite main se poser sur son torse – par réflexe, il l’attrapa et s’apprêtait à interroger la personne lorsqu’une voix familière se fit entendre. « Ne bouge pas. » Il n’en avait aucunement l’intention. Il relâcha sa main – non sans s’inquiéter de l’avoir potentiellement meurtrie – et sortit son arme de son holster d’épaule, se maudissant intérieurement de ne pas avoir pris le silencieux en quittant son domicile. Ceci dit, si on lui avait dit qu’il aurait peut-être besoin de sortir son arme  à des funérailles, il aurait bien ri.

« Suis-moi. » « Non, pas par là. » Sans hésitation, il attrapa Cooke par le bras et la força à faire demi-tour, pour se rendre vers la sortie de secours qu’il avait repéré cachée derrière une colonne. La présence de cette dernière pouvait sembler pour beaucoup un défaut dans le plan d’évacuation ; en réalité, une obstruction bien placée empêche les embouteillages et minimise l’effet de troupeau, permettant aux gens de s’écouler plus rapidement et avec moins de risques de piétinage et autres charmants accidents qui arrivent lorsqu’ils ne pensent plus à leur prochain mais seulement à leur propre sécurité. Lorsqu’ils arrivèrent à la sortie, Dawson rangea son arme temporairement – il préférait avoir au moins une main libre dans cette situation. Puis, il passa à l’action : avec l’aide d’une autre femme qui avait visiblement un peu plus d’expérience dans ce genre de situation que la majorité paniquée, il parvint à organiser le flot d’invités massés autour de la sortie de façon à ce qu’ils puissent tous quitter la salle au plus vite. Tout ce temps, il ne lâcha pas le bras de Cooke, suffisamment conscient d’à quel point elle était tendue pour ne pas lui faire confiance en la laissant seule. Il ne savait pas ce qu’elle avait vécu, mais si son premier réflexe en une telle situation était de tenter de prendre le contrôle, il avait visiblement beaucoup à en apprendre sur elle. Tant pis si elle ne lui reparlait plus après ce soir ; l’important, c’était qu’il la sorte de cette situation saine et sauve.

Lorsqu’ils furent les derniers restant de ce côté de la salle, il l’attira dans la sortie avec un « Viens » inhabituellement brusque pour ceux qui ne l’avaient connu qu’en civil. A peine engouffrés dans les escaliers, Cooke perdit visiblement patience et se dégagea de lui avec force. Déséquilibré, Dawson tenta de se rattraper à la barrière et manqua ; sa prothèse se déroba de sous lui et il chuta dix bonnes marches, atterrissant sur sa jambe droite avec un cri de douleur.

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Le cri qui échappa aux lèvres de Dawson eut rapidement fait de restaurer la pagaille et la panique qu’il avait tenté d’éliminer. Putain de merde. Trop occupé par la douleur qui fulgurait sa jambe, le vétéran ne se rendit pas compte que Cooke triomphait du haut des escaliers, ni même qu’elle tenait soudainement un couteau dans une main. Déplaçant son poids sur son côté gauche, il réussit à soutirer sa jambe droite de sous lui-même, et inspecta les dégâts. La prothèse elle-même ne semblait pas endommagée, seulement un peu fragilisée par la chute et le poids d’un homme baraqué d’un mètre quatre-vingt-cinq qui venait de s’écraser dessus. Mais quelque chose affectait l’implant dans son moignon : il ne transmettait plus les informations parfaitement, si bien que Dawson ne réussit à faire bouger la ‘cheville’ de sa prothèse qu’une fois sur trois. Merde.

« Et merde. » Il releva la tête vers Cooke, qui semblait seulement maintenant se rendre compte de la gravité de son acte. Une personne normale aurait eu l’air un tant soit peu désolée d’avoir fait chuter un vétéran de l’armée dans les escaliers alors qu’il tentait de l’aider, mais non, elle avait surtout l’air vexée. Mais le plus terrifiant, c’était ce couteau soudainement apparu entre ses dents – d’où l’avait-elle sorti ? Dawson se rendit brutalement compte que ses manches étaient suffisamment longues pour y cacher une arme – comment avait-il fait pour ne pas s’en rendre compte ? Dans son désir de l’aider, il avait négligé de la considérer comme un potentiel danger, au même titre que tous les autres invités. Une erreur de débutant Une fois arrivée au bas des escaliers, elle tente de lui dire quelque chose qui ressemblait à « Dépêche toi, on doit bouger. Vite. », avant de se rendre compte que le couteau la rendait à moitié incompréhensible. Elle l’attrapa avec une force surprenante et tenta de le forcer à se relever, non sans lui arracher un autre cri de douleur. « Putain Cooke, laisse moi me lever seul, quand t’auras ta propre prothèse tu pourras venir me dire quoi faire. » Se dégageant d’elle, il réussit à s’appuyer au mur, et appuya progressivement sur sa jambe droite. La douleur le fit grimacer, mais c’était supportable.  

La blonde jeta un coup d’œil énervé à sa jambe, et lâcha : « Comment tu fais pour être un boulet pareil ? » « Avec la même facilité que tu as pour être plus sèche qu’un midi au Sahara. » lui répondit-il avec humeur. Cooke lui avai largement compliqué la vie, et il n'appréciait pas qu'elle le traite comme responsable de ce dernier problème. Il se redressa du plus qu’il pû, et toisa Mlle Dow d’un air méfiant. « Qu’est-ce que tu fait avec ce couteau, Cooke ? » Elle ne lui répondit pas immédiatement, mais le dévisagea avec un air féroce, plus digne d’une bête sauvage qu’une jeune femme victimisée. Mais cette jeune femme, Dawson commençait à s’en rendre compte qu’il l’avait du moins partiellement imaginée. Et, alors qu’elle allait ouvrir la bouche, la femme qui l’avait aidé à gérer l’issue du secours réapparu dans les escaliers, effarée. « Une espèce de dôme recouvre le château, personne ne peut sortir ! » Un dôme ? Dawson fronça les sourcils – un mutant aurait pu réussir ce coup, mais la puissance d’un tel don était redoutable. Emprisonner un énorme domaine et tous ces occupants n’était pas donné au premier venu. Oubliant pendant un moment l’arme de Cooke, il fit signe à cette dernière de l’aider à descendre les escaliers pour aller voir ce qu’il se passait.

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  « T'as qu'à en parler à Zeke, je suis sûre que ça te ferait un plaisir fou de me faire une psychothérapie avec lui. » Dawson se retint de ne pas rouler ses yeux au ciel. Ah oui, la psychothérapie, le grand signe de faiblesse pour les gens terrifiés à l’idée de montrer la moindre faille dans leur armure. Il avait rencontré suffisamment de soldats du style dans l’armée pour ne plus en être surpris ; et, dans tous les cas, il était trop occupé à tester sa prothèse et ses réflexes pour lui répondre. L’annonce faite, la brune disparu prévenir les autres invités qui restaient encore dans le château, le laissant seule avec une Cooke qui l’aida à descendre les dernières marches, non sans un soupir. Arrivés en bas, elle cacha de nouveau son arme dans sa manche – Dawson fit bien attention de mémoriser dans laquelle elle avait placé le couteau – et se tourna vers lui.

« Voilà pourquoi j'ai un couteau Viktor. On ne sait jamais ce qui va se passer, encore plus quand on n'est qu'une jeune femme. On a pas la prestance que vous avez, vous les hommes. » Cette fois-ci, Dawson ne put s’empêcher de lui rire au nez. « Je sais pas de quel monde tu sors, Cooke, mais dans le mien les femmes ne sont pas des petites greluches faibles et tremblantes dont le premier méchant va s’emparer. » Il lui jeta un regard entendu, et ajouta: « Et je pense qu’il en va de même dans le tiens. » Il avait eu suffisamment d’amies vétéranes pour savoir qu’une femme est toute aussi dangereuse qu’un homme si elle le veut, voir plus. Cooke, avec ses cheveux blonds et son visage angélique, avait visiblement l’habitude d’être prise pour une gentille damoiselle en détresse – après tout, il avait lui-même commis cette erreur, n’est-ce pas ? Seulement les évènements de cette soirée lui laissaient entendre qu’il avait simplifié l’affaire. Mais qu’importe. La jeune femme qui se tenait à ses côtés, le dévisageant avec un mélange de méfiance et de désintérêt, il était sûr qu’elle avait vécu quelque chose de difficile, peut-être même de terrible. Et même si elle semblait aujourd’hui beaucoup plus sombre et manipulatrice qu’il ne l’avait cru, elle demeurait quelqu’un qu’il souhaitait aider, sincèrement.

C’est pourquoi lorsqu’elle finit par grommeler « On va voir ? », il accepta qu’elle passe son bras autour de son épaule et l’aide à franchir les quelques pas les séparent de la porte de secours. Il s’appuya un instant au mur pour qu’elle puisse ouvrir ladite porte, et ne commence à les mener vers la sortie principale, et la terrasse qui donnait vu sur le parc du château. Il y avait de bonnes chances qu’ils y retrouvent un bon nombre d’habitants de Radcliff, et Dawson voulait être préparé lorsqu’ils y arriveraient. Mais la lenteur de leur rythme lui laissait le temps de réfléchir, et surtout de faire une liste des questions et objectifs qu’il comptait remplir. Après quelques secondes de silence, il s’addressa à Cooke : « Tu penses que c’est Uprising qui est à l’origine de ce dôme ? Ou plutôt un mutant solitaire ? » Leur stratégie dépendrait forcément des informations qu’ils pouvaient rassembler sur la provenance du bouclier énorme recouvrant Redwood, et il avait comme l’impression que Cooke en savait plus long qu’elle ne voudrait l’avouer. Tant pis, s’ils voulaient s’en sortir ils allaient devoir coopérer. « Il faudrait voir s’il existe des sorties souterraines, un tunnel ou même un égout, et découvrir jusqu’à quelle profondeur le dôme bloque la sortie. »
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