i. êtes-vous originaire de radcliff ?
Noeh n'est pas né à Radcliff, mais cette ville est inévitablement ancrée en lui. Fief des Callahan depuis plusieurs générations, elle a vu naître son père et bien d'autres avant lui. Puis, elle a finalement abrité Noeh et le reste de sa fratrie, devenant au fil des saisons ce que l'on appelle un chez-soi, cet endroit où l'on aime revenir et que l'on quitte si difficilement. Le jeune homme s'en est allé pourtant, pour ses études, pour mieux fuir les traditions familiales, pour ne plus sentir le poids des fantômes qui règnent au manoir.

  ii. avez-vous déjà eu affaire à un ou plusieurs hunters ?
Noeh est né dans une famille de hunters, destiné à devenir l'un d'entre eux avant qu'il ne décide de tordre le cou à la coutume familiale. Ce n'était pas en lui, il ne pouvait pas, il ne voulait pas, et son choix s'est imposé de lui-même, sans véritable conflit, malgré les regards, les jugements muets. Il se tenait simplement là, neutre, au milieu des combats, refusant de prendre part dans une lutte qu'il n'estimait pas être la sienne. Sauf que le destin est joueur, et il n'a pas oublié l'affront de Noeh, il a simplement attendu qu'il cesse de se méfier, pour déclencher son don, pour que sa nature vienne le forcer à choisir un camp et redéfinir les fondements de son monde déjà bien chamboulé.

  iii. utilisez-vous beaucoup votre don ?
Encore faudrait-il qu'il en ait conscience. Il met les évènements étranges sur le compte des hallucinations. Il se dit que ses meubles qui tremblent, ces vases qui éclatent et se fondent ne sont que les mécanismes rouillés et pervers de son esprit encore embrumé par les parasites qu'Adriel y a laissé. Tout ce qui pourrait le pousser à se rendre compte de ses capacités, il les ignore, persuadé que la folie fait chaque jour un peu plus son chemin, finissant de l'achever, et il agonise dans sa propre démence alors qu'ils sont là, bien réels, n'attendant qu'à être maitrisés.

  iv. pensez-vous que les mesures mise en place par le gouvernement sont suffisante ?
  Les lois, quelles qu'elle soient, n'ont jamais endigué le crime, elles n'ont jamais freiné la violence et la crainte. Les lois ne sont que des mots, des textes, une illusion de la sécurité, un voile que l'on pose sur les yeux du peuple pour lui faire croire que l'on maîtrise la situation. Les mesures mises en œuvre en ce qui concerne les transmutants relèvent du même acabit pour Noeh, ça ne l'a pas empêché d'être la cible de l'un d'entre eux, ça ne protègera pas non plus ceux qui, parmi eux, ne veulent de mal à personne. Inutile, miroir sinistre d'époques où l'on jugeait les autres pour leur couleur de peau, pour leur religion, pour leur droit de vivre.

Noeh, il a l'esprit embrouillé, il ne se rappelle plus bien, de cette histoire, de son histoire. Noeh, il a mal au ventre et des bleus au cœur, il tremble, seul, dans le noir, et les voix le hantent.
Noeh c'est l'artiste, le rêveur, celui qui transforme et qui créé, qui donne vie à des bouts de papiers, en quelques coups de crayons, en quelques coups de génie. C'est l'art et la force, la puissance des mots et les ravages de la poésie. Il lit Shakespeare et admire Turner, il se noit dans les nuances, dans les lumières, entre les lignes. Noeh a le charme du diable, cette insolence intriguante, Noeh on l'aime comme ça, en un sourire.

Le petit garçon file dans les couloirs du manoir, il rit pour répondre aux échos qui lui renvoient les éclats de sa sœur. Noeh, c'est la moitié d'un tout, et Salomé est son autre, son âme sœur. Il s'arrête et la regarde qui le poursuit. Il continue de sourire, elle peste, mais il ne fait que rire de plus belle, jusqu'à l'entraîner dans son délire. Il observe les murs qui entourent leurs deux silhouettes, il les sent qui l'étouffent, qui l'oppressent, l'héritage de la famille Callahan est imprimé dans chaque nervure, dans chaque recoin, jusqu'au fond des bois et de la pierre. Il sait qu'il n'en veut pas. Il ne veut pas tuer les autres, ces autres, qui ne sont pas comme lui, qui ne lui ressemblent pas, mais il regarde autour de lui et personne, absolument personne, ne se ressemble. Ça pourrait faire mal, ça pourrait être inacceptable et il pourrait en avoir honte, mais non, il l'a dit, il l'a fait comprendre, il ne sera pas un chasseur, jamais. Et le temps n'aura pas d'emprise sur sa décision, et le destin lui rendra coup pour coup les écarts qu'il se sera amusé à prendre.

Il entend des sons, des murmures lointains, les accents d'Adriel. Il les perçoit au fond de son cerveau, qui grattent et qui creusent, qui ravagent. Il n'est pas en danger pourtant, Adriel est son ami, son ami le plus proche, le seul qu'il ait vraiment depuis son retour à Louisville. Il secoue la tête, espérant en chasser ce bourdonnement qui le fatigue, qui le coupe au reste du monde. Parce que le monde file Noeh, il file sans toi. Et lui ne comprend pas, ne comprend plus, pourquoi ses pensées s'égarent, pourquoi il change si subitement et si souvent d'avis, d'opinions. Pourquoi ne peut-il plus dessiner ? Ses traits se perdent quand il s'éteint et qu'il rencontre le vide, que ses yeux fixent sans la voir la vie qui se développe autour de lui. Simplement pas là, hors du temps, hors du monde, hors de lui. Noeh s'est perdu, Adriel l'a abîmé, déchiré, de la plus belle et de la plus cruelle des manières. Ce mutant lui a ôté la volonté et même la possibilité de penser par lui-même, faisant de lui un simple pantin, une figure pâle de ce qu'il a jadis été. Il lui reste une chose à faire oui, encore une chose, puisqu'avec le libre-arbitre s'envole même la force de vivre, puisqu'il n'y a rien d'autre qu'il puisse faire pour se débarrasser de l'assourdissant silence de ses propres désirs. Peut-être est-ce son instinct qui le pousse à l'impensable, au saut, violent, implacable, sous le regard de sa sœur, sous celui de son bourreau, qui le précipite sur le toit de cette voiture, quatre étages plus près du sol.

C'est un flot, qui se déverse dans sa tête. Après le silence. Après les ténèbres. Après la solitude. Ses pensées déferlent en dedans comme autant de coups dans la poitrine et il ouvre les yeux sur le plafond immaculé qui le couvre et ignore, qu'à cet instant, sa sœur arrache son dernier souffle au parjure. Noeh prend une inspiration, son premier souffle de vie, à lui, le premier depuis des mois, depuis une éternité. Il ne bouge pas, il guette le chuchotement, et les larmes roulent sur ses joues sans qu'il puisse les contenir, il attend l'inévitable. Sans qu'il ne vienne.

Les doigts couverts de pansements, le visage caché dans ses paumes, Noeh tremble, enfermé entre les murs de sa chambre, il écoute les bruits et la vie qui se meuvent au-delà de la porte, de sa seule frontière avec les autres. Il sera bientôt dehors, il sera bientôt errant dans le brouhaha, seul, entouré, mais désespérément seul. Adriel s'est ancré trop loin, trop profondément, pour ne pas laisser une marque indélébile. On n'efface pas la démence et le malêtre, on les panse, on les recouvre un temps, mais ils restent là, tapis dans les ténèbres, enfermant avec eux les souvenirs. Noeh tremble, parce qu'il a peur et qu'il ne veut pas sortir de là, mais il fait illusion, il redresse les épaules et le menton, étire ses lèvres en un sourire esquinté. Il ne remarque pas cette chaise qui tremble de concert avec ses propres tressaillements, perturbée par les échos de son esprit.