Inspiration. Expiration. Tout va bien se passer. Toooout va bieen. Je ne vais pas m’énerver. Après tout, il n'est pas encore connu, non ? Alors c'est normal qu'il ne m'emmène pas dans un restaurant quatre étoiles. Et puis, Radcliff c'est un peu mort quand même, alors finalement, la pizzeria bondée de la ville, c'est pas si mal. Car oui, là-bas y'aura la moitié de la ville en train de savourer leur pizza grasse, et moi je serais avec Ewen et je pourrais montrer aux minettes qu'elles n'auront pas son argent. Et puis, ce n'est pas comme s'il était en retard, non ? Ce n'est pas comme si j'attendais sur ma chaise depuis dix minutes en faisant semblant de ne pas remarquer le petit vieux assis à côté qui lorgnait sur mes jambes depuis que j'étais arrivée.

Bordel de merde, il va se dépêcher ? Et je peux même pas faire semblant de m’énerver avec lui. Peut-être un petit peu quand même ? Juste pour lui rappeler que mon corps de déesse n'est pas un du, et qu'il doit le mériter ? Oui, c'est ça, je me la jouerai inaccessible pendant quelques minutes, puis je flirterai outrageusement avec lui, et quand il tombera de nouveau sous le charme, je me la ferai reine des glaces. Et ouais mon gros, t'as que ce tu mérites.

Un coup de pinceau, geste presque rageur contrastant avec une neutralité apparente sur les traits d'Ewen. Il était calme, détendu, et pourtant, chaque nouvelle touche de peinture était empreinte de colère. Un soupir s'échappa de ses lèvres rosées avant qu'il ne repose sa palette, pinçant délicatement l'arrête de son nez pour esquisser un coup d'oeil vers l'horloge murale de son atelier.. Et bordel de merde. Il avait totalement oublié jusqu'à cet instant que Sega l'attendait à la pizzeria. Ce n'était certes, pas le lieu le plus romantique ou luxueux du monde mais, c'était convenable. Il n'avait jamais adoré les restaurants grandioses où les costumes pingouins étaient préférables aux tenues habituelles. Il aimait avoir un certain confort, et, par dessus tout, il préférait ne pas raviver les flammes de son passé. Fils de bonne famille, il n'avait jamais été friand de ces endroits. Alors, rendez vous ou non, une pizza était largement meilleure que du homard.

Pressé par le temps, il passa négligemment la main dans ses cheveux indomptés, et indomptables, avant de prendre la veste en cuir qui l'attendait à l'entrée. Se dépêcher était de prime abord, mais, il détestait avoir à se presser. Cependant.. faire poiroter les autres n'était pas une bonne solution pour garder des relations stables. Bien que stables était un grand mot. Les amis, la famille.. les coups, ce n'était en rien stable, il ne souhaitait pas la durabilité. Il faisait primer l'honnêteté d'ailleurs bien qu'il en soit lui même dénué.  

Essoufflé de sa course, le blond poussa d'un mouvement de l'épaule la porte battante, offrant un charmant sourire à la «réceptionniste». Il n'avait pas besoin de demander une place après tout, une table lui était déjà réservée. Qu'est-ce qu'il en avait de la chance d'avoir cette petite Sega, aussi adorable et volage qu'elle était. Sans oublier cupide, mais, soit, il ne pouvait pas lui en vouloir. Lui offrant le plus beau des sourires, il alla lui embrasser le front avant de s'asseoir.

Bon d'accord, j'en avais officiellement marre d'attendre comme une conne. Fusillant du regard le petit vieux pervers, je me laissais couler contre le dossier de la chaise. Il me croyait acquise ou quoi ? C'est pas parce qu'il était sexy et peintre que j'allais tout lui pardonner. Il se met le doigt dans l’œil, profondément, jusqu'au coude et même l'épaule; on me le fait pas à moi, je suis pas née de la dernière pluie. Soudain, je le vis à l'encadrement de la porte, visiblement essoufflée. C'est ça les artistes, ça se la joue mystérieux, ça regarde jamais sa montre et sa vie dans un autre monde. Des fois, c'est presque chiant ce côté autiste peintre, mais bon, ça fait partie des raisons pour laquelle je le fréquente, non ?

Je lui offris ma plus belle moue boudeuse quand Ewen m'embrassa sur le front malgré son sourire absolument sexy et le reflet rouge sur ses joues, vestige de sa course. Bon, après tout, il s'est dépêché, non ? Croisant son regard, je gonflais mes joues tout en collant mes bras sous ma poitrine, quand même vexée par son retard. On ne fait pas attendre une dame.

« Tu m'avais oubliée ? »

Posant ma main sur la sienne, je jouais avec ses doigts, remarquant au passage le reste de peinture sous ses ongles. Bordel, j'espère qu'il me peignait et qu'il kiffait ça. Laissant tranquille sa main, je poussais le menu dans sa direction, avec son retard, j'avais eu largement le temps de choisir.

« Pendant un moment, je me suis dis que j'allais finir avec le petit pervers à côté »

Et si ma voix était assez forte, j’espérais vraiment que le petit vieux se rende compte de ce qu'il faisait il y a encore une minute. Beurk.

Les joues rosies, le souffle court, et, les cheveux éternellement en bataille, Ewen reprit doucement de sa petite course une fois tranquillement assis, sa fidèle veste en cuir posée fièrement sur le dossier de sa chaise. C'était décidé, plus jamais il ne courrait.. ou tout simplement, plus jamais il ne s'embêterait à donner de stupides rendez vous comme celui ci à une femme. À quoi bon ? Il pouvait très bien manger seul sans avoir à se faire sermonner pour quelques minutes de retard qui plus est. Levant doucement ses iris bleutés vers sa conquête, il arqua un sourcil parfaitement dessiné avant qu'un léger rire moqueur ne brise la barrière que formaient ses lèvres. C'était ça la jeunesse, de belles courbes, un avenir dessiné tel un rêve posé sur le papier et, des réactions prévisibles. Il l'observa d'un air narquois avant de lâcher.

- Non, bien sûr que non, comment pourrais-je ?

La force de l'habitude avait fait de lui un menteur hors pair. Le ton de sa voix ne laissait pas place au doute quant à la sincérité de ses paroles qui s'avéraient pourtant aussi fausses que pouvaient l'être les notes d'une guitare mal accordée. De plus, les mimiques qu'offraient ses traits semblaient des plus vraies. Pour couronner le tout, il lui offrit de nouveau un sourire digne d'une pub pour dentifrice, autant user de ses atouts naturels sans avoir recours à ce stupide don. Parfois, se sentir banal et parcourir le commun de mortels comme tel ne faisait pas de mal, c'était même plutôt.. délivrant. À ce geste presque affectif, il se prêta au jeu, laissant les doigts de Sega courir sur sa peau tâchée de multiples couleurs. Fichtre.. il n'avait pas eu le temps de se laver les mains. Il porta cependant son attention sur le menu qui venait de lui être glissé, et, sans plus attendre, il l'ouvrit en laissant de nouveau un rire s'échapper de ses lèvres.

- Il ne m'a pas l'air si mal, qu'est-ce que tu attends pour lui sauter dessus ?

« Non, bien sûr que non, comment pourrais-je ?  »

Je penchai la tête légèrement sur le côté, ne sachant pas vraiment si cela devait me rassurer ou non. Enfin bon, si mon but suprême était qu'il devienne accro à moi, je devais accepter le fait que ça ne vienne pas tout de suite, non ? Prenant une inspiration, je me forçai à sourire, chaque chose en son temps. Il ne faut pas brûler les étapes, surtout avec un artiste, c'est sensible ces choses là. Ouhla, nouvelle étape pour notre artiste d'ailleurs, choisir ce qu'il allait manger; soit il faisait très rapidement et sous-entendait alors qu'il prenait toujours la même chose  -auquel cas cela signifierait un caractère de vieille personne qui ne veut pas changer ses habitudes -, soit il prenait un peu plus de temps et choisissait avec audace - et révélerait par là une envie de risque et de changement - ou soit encore il prenait une heure et révélerait son côté trop réfléchi et chiant. Je ne sais vraiment pas qu'est-ce qui serait le pire.

« Il ne m'a pas l'air si mal, qu'est-ce que tu attends pour lui sauter dessus ? »

Je choisis d'ignorer son rire, bien trop vexée. Il joue à quoi ce con, hein ? Attends... Il aurait pas un côté voyeurisme... ? J'haussai un sourcil avec un petit sourire en coin.

« Ça te plairait ? Tu voudrais filmer ça ? »

 J'éclatai de rire, ignorant notre voisin qui s’empourprait au vue de notre conversation.

« Tu sais bien que je ne couche qu'avec des gens attirant voyons. J'ai des principes. »

Et ce fut mon tour de lui sortir un sourire colgate.