Jacob&Jehro

They are just two strangers now.

Jacob enchaîne rapidement ses foulées les unes après les autres, avec agilité et force. LED court doucement à ses côtés, la langue pendue sur le côté de sa gueule. C'est certainement une torture pour l'animal de suivre le rythme de son maître, mais ce n'est que pour un moment. Car ils savent tout les deux, qu'une fois arrivé à l'orée, le chien aura tout le loisir de courir aussi vite qu'il le voudra. Jake le laissera même bouffer un écureuil, si il veut, tiens. Ça vaut le coup de suivre le rythme pour les prochaines dix petites minutes, non ?

Ça a été une semaine terrible, stressante... monstrueuse, comme si tout le quotidien du jeune homme s'était ligué contre lui pour le faire craquer et perdre le contrôle. Et pour perdre le contrôle, il avait perdu le contrôle. Toute les ampoules de chez lui avait explosé... en même temps. Il avait grillé la base centrale d'un ordinateur à la bibliothèque juste en essayant de l'allumer... Ça avait été un véritable désastre, dans l'ensemble. Même LED avait pris du temps avant de lui réclamer à nouveau des câlins. Parce qu'évidemment, il avait le premier à en faire les frais. Jacob avait du aller lui acheter une entre-côte à la boucherie pour que l'animal accepte d'être dans la même pièce que lui. Mais, les choses étaient visiblement rentrées dans l'ordre entre eux. Pas plus loin que ce matin, le chien était venu lui réclamer des caresses. C'était qu'il avait oublié... ou alors c'était l'idée de cette petite promenade qui l'avait adouci. Ouais, probablement.

Ils avaient tout les deux besoin de cette promenade. Jacob a besoin de décompresser, d'évacuer le stress de son corps – et si possible le courant, aussi ? - et de se changer les idées. Et pour LED, c'est pareil. L'animal est comme un lion en cage, ces derniers temps. Il est tout le temps sur le qui-vive, prêt à bondir. Ça, c'est parce que Jacob ne se sent pas en sécurité et que le chien le perçoit. C'est comme ça, depuis toujours et ça ne changera certainement jamais.

Jacob ne se sent pas en sécurité, c'est un fait. Parce que l'ambiance de la ville ne se prêtent pas au sentiment de sécurité, surtout pour les gens comme... Surtout pour les gens comme lui. Les gens parlent de plus en plus. Il a entendu sa patronne chuchoter avec une de ses collègues, hier matin. Parce que oui, quand on parle de ce genre de chose, on chuchote maintenant, on se fait petit. Comme si on avait peur que quelque chose se passe brutalement. Mais non, aux dernières nouvelles, ce n'était pas contagieux.
La police a trouvé le corps d'une petite fille, en début de semaine, qui venait de se faire dépister positive pour le gêne. On disait que des choses étranges se passaient dans leur quartier depuis quelques temps... Ça avait été suffisant pour les hunters. Ses parents l'avaient retrouvés baignant dans son sang, en rentrant du travail. Elle n'avait que 12 ans.

L'orée de la forêt se fait doucement voir et LED accélère déjà. Quand Jacob dépasse les premiers arbres, le chien a déjà disparu.
Retrouver l'ambiance de la forêt, c'est comme une bouffée d'air frais pour le jeune homme. Les arbres sont comme un dôme protecteur, de toute influence malsaine, de toute peur. Et Jake s'y sent en sécurité. Vraiment. C'est comme quand il était enfant, quand Jehro et lui venait y jouer, et qu'il se sentait encore invincible, libre, insouciant. Quand il vient ici, il a l'impression de retrouver ces sentiments. C'est presque si il peut entendre la voix encore jeune et vive de son grand frère derrière lui, lui crier que peu importe à quel point il peut se cacher loi, il le trouverai toujours. A l'époque, ça le rassurait, ça faisait naître dans son ventre un sentiment sans nom. Mais aujourd'hui, ça a juste un tout autre sens. Un sens plus morbide, teinté de peur et de déception.
Et Jacob aimerait avoir confiance. Il jure qu'il le veut de tout son être. Parce que c'est son frère, son héros et que l'amour qui le lie – ou du moins les liait – est plus fort que tout... Mais ils ont tellement changé. La vie les a tellement changé. Ils ne sont plus les deux enfants inséparables que tout liait. Aujourd'hui, ils ne sont que deux étrangers, habité par ce vague souvenir de courses dans la forêt, d'odeur de chocolats et d'étreinte sous la tente d'une couette. Deux étrangers. Un mutant et Un hunter.

Jacob stoppe sa course. Ses deux pieds s'enfoncent dans le sol meubles, de feuilles, de boues et d'eau. Il croit rêver. Non, il veut rêver, putain.
A quelques mètres de lui, son frère se tient, imposant, fier, menaçant. Dans sa main, une arme. Longue, brillante, objet de tant de crime... Et à ses pieds, un garçon sanglotant, tremblant, suppliant. Ce garçon, Jacob le connaît. Du moins, Saül – son meilleur ami, son frère – le connaît. C'est un mutant, comme eux. Il n'arrive pas à se souvenir de sa mutation, de son don comme l'appelle certain, mais tout ce qu'il sait, c'est qu'il n'a rien de menaçant. Et putain, ça se voit sur son visage. Il n'a rien de menaçant, absolument rien. Et Jacob veut croire que Jehro le voit aussi.

BAM.
Jacob se laisse tomber sur le sol en même temps que le corps du garçon que vient de tuer son frère. Mon Dieu, ce n'est pas possible. Il ne vient pas d'assister à ça. Ce n'est pas vrai. Il ne peut pas le croire. Il roule sur le sol, jusqu'à un tas de feuille échoué là. Il doit partir, il doit fuir. Maintenant. Parce qu'il ne peut pas affronter Jehro. Pas après ça. Mon dieu, il doit trouver un moyen de s'en aller, maintenant.

Mais au loin, LED apparaît.
Et Jacob sait.
Jehro approche

Jehro pose son journal sur le comptoir du bar où il s’est arrêté prendre un café. Il lui semble lire les mêmes sinistres nouvelles, jours après jours. Une fois de plus, les gros titres portent sur le maire Lancaster. Sur ce discours protecteur qu’il a proclamé quelques jours plus tôt. Sur cette famille morte par la faute d’un transmutant. La vérité, comme tout le monde, Jehro l’ignore. Il n’entre pas dans les confidences des puissants, lui qui n’est rien de mieux que cette marionnette qu’on dévisage. Même par rapport aux autres hommes de mains, il dénote. Il n’a rien de ces fils de bonnes familles qui se pensent chargés d’une mission divine. Jehro n’est pas croyant. Il n’est que colère et amertume, chargé d’un besoin de se venger contre ces dégénérés qui lui ont tout pris. Les hunters servent sa cause autant qu’il sert la leur.

La femme qui sert au bar l’observe en silence. Jehro ne fait pas de bruit, boit en silence. Par les temps qui courent, les clients tranquilles ne sont plus aussi nombreux. Elle lui sourit, avant d’ajouter d’un air désolé : « il faudrait faire quelque chose contre ces gens-là » elle pointe du doigt un article sur le principal suspect. Un pyromane, forcément. Jehro n’acquiesce même pas. Il sort un peu de monnaie de sa poche, avant de repartir sans un mot. Oui, il faudrait faire quelque chose. Et c’est aux gens comme lui qu’il revient d’agir. C’est un hunter, et vu les circonstances, il devrait être dehors, en traque, à la recherche de ce monstre qui a causé la mort de toute une famille. Mais à défaut de connaitre l’identité du coupable, il peut toujours partir à la recherche des autres. Les mutants qui mettent en danger les humains ne manquent pas. Jehro aura toujours bien assez de travail avec ceux que les hunters ont déjà débusqué. Leur liste est longue comme le bras, et s’agrandit chaque jour. De ces noms, Jehro ne retient que les plus dangereux. Il n’est pas l’un de ces chasseurs convaincus que tous méritent la mort. Il sait, ou du moins croit pouvoir être capable de distinguer les réelles menaces.

Il s’allume une cigarette, et sort une photo de l’intérieur de sa veste. Un gosse d’une vingtaine d’années, aux grands yeux et au front large. Juste un gosse, en apparence. Mais au coin de la photo, le hunter qui a découvert son existence a indiqué son pouvoir. Et lire cette simple mention a le don de faire frissonner Jehro. Le môme est capable de déclencher des tremblements de terre. A cause de lui, la voiture de ses parents est tombée dans une crevasse qui n’existait pas quelques minutes auparavant. Certains auraient pris le môme en pitié. Mais Jehro a surtout une pensée pour toutes les potentielles victimes que ce gosse pourrait engendrer s’il n’était pas stoppé à temps. Sa proie du jour, ça sera lui.

Sans plus attendre, décidé à s’occuper de cette menace que la barmaid avait soulevé quelques minutes plus tôt, Jehro prend la route du dernier domicile connu du transmutant. Une maison en sortie de la ville. Un coin tranquille, comme si le mutant cherchait à se faire oublier. Il est sur la terrasse, et l’allure menaçant de Jehro ne tarde pas à lui faire comprendre que les ennuis viennent d’arriver. Il se met à courir, la mort à ses trousses, non sans utiliser son don pour déraciner un maximum d’arbres, pour ralentir la course du hunter. Mais Jehro n’en est pas à sa première traque. Il rattrape le mutant. Le frappe au visage pour le sonner un peu, avant de sortir une lame de couteau. Jehro veut faire ça vite. Il ne veut pas avoir à se souvenir du visage de chacun des mutants qui aura croisé sa route. Il ne tue pas par plaisir. Du moins pas la plupart du temps. Il croit vraiment en la menace que représentent certains mutants pour le commun des mortels. Il voit dans ces meurtres un mal nécessaire, une purge inévitable. Quelqu’un doit faire le ménage, et les hunters sont les seuls à être suffisamment bien organisés pour cela. Jehro n’entend pas les supplications du jeune mutant. Il est déjà concentré sur ce qui va suivre, et plante sa lame dans le corps du mutant. Le travail est net, sans bavure. Le garçon s’effondre sur le sol, mort.

Tous ses sens sont aux aguets. Son adrénaline crève le plafond. Et il ne manque pas d’entendre un bruit, juste derrière lui. Le hunter ne baisse pas sa garde. Son travail n’est pas fini. Il se retourne, scrute les buissons, ne voit rien. Mais il s’avance quand même, méfiant à l’idée que quelqu’un ait pu le voir à l’œuvre. Il s’avance vers l’endroit d’où lui semblent provenir les bruits. Quand un chien passe devant lui à vive allure. Il connait ce chien, qui en profite pour lui faire la fête comme si tout ce qui venait de se tramer devant ses yeux était sans importance. LED, le chien de Jacob. L’animal reprend son chemin, Jehro lui emboite le pas. Il sait qu’il trouvera Jacob au bout de sa route. Il s’empresse de ranger sa lame, ne voulant pas effrayer son frère plus que nécessaire. Il ne pensait pas que son cadet aurait un jour à le voir sous cette lueur nouvelle. Il a presque honte, à dire vrai. Quand il l’aperçoit enfin, Jacob est au sol. Jehro le domine de toute sa hauteur, et l’observe d’un œil plus sombre que ce qu’il aurait voulu. Il sait qu’il doit dire quelque chose, briser la glace. Ne serait-ce que savoir si Jacob a vu quelque chose, ou si LED est le seul témoin de la scène. C’est bête, mais il tient au jugement de Jacob plus qu’à celui de n’importe qui d’autre. « Qu’est-ce que tu fais là ? » Une banalité comme une autre. Mais il n’allait tout de même pas rentrer dans le vif du sujet.

Hey, Jacob ? As-tu vu ton frère tuer ce type ? Non, soyons sérieux. Jehro n’était peut-être pas le plus malin de sa fratrie, mais il avait du tact. Autant s’en servir.

Jacob&Jehro

They are just two strangers now.

LED ne bouge pendant un moment. En appuie sur ses pattes avant, les oreilles dressées,  Jacob sait qu'il scrute Jehro. Il sait qu'il voit le couteau ensanglanté dans ses mains, le corps inerte de ce garçon qu'il a rencontré plus d'une fois. Mais c'est Jehro et même LED, le plus méfiant des chiens, ne peut le voir comme un réel danger. Alors il court vers l'homme. Ses pattes font trembler le sol sur son passage alors qu'il s'empresse de faire des joies à Jehro. Jacob ferme les yeux forts. Son frère n'est pas idiot. Il sait très bien que si LED est là, c'est que son petit frère est aussi présent, quelque part.
Allez, LED, fais pas le con, sur ce coup-là.

Mais LED est un chien et les chiens ça réfléchit pas dans ces moments-là. Soit c'est un danger, soit ça ne l'est pas. Il n'y a pas d'entre deux. Et c'est Jehro, putain.
Jacob voit son chien, en premier, avec sa gueule essoufflée et son air : Regarde qui j'ai trouvé, tu es content ?

Jehro le domine de toute sa hauteur. Il le toise pendant un moment. L'appréhension dégouline de tous ses pores. Et Jacob sait qu'il est en train de peser le pour et le contre. A-t-il assisté à toute la scène ? Ou est-il juste arrivé au mauvais moment ? Le jeune homme se demande vraiment de quelle façon son frère va réagir. Et en même temps, la dernière chose dont il a envie, là tout de suite, c'est de l'affronter. Il ne veut pas parler de ce qu'il vient de voir, il ne veut même pas y penser. Tout ce qu'il veut, c'est oublier. Oublier le visage de son frère, si froid et si cruel. Il veut oublier ces gestes qui ont mené ce pauvre jeune homme à la mort. Il ne veut même pas croire que son frère en est arrivé jusque là. A ce stade de violence et de haine. Non, tout ce qu'il veut, c'est se lever, reprendre sa course et rentrer chez lui. Il veut oublier et faire comme si de rien était. Oui, voilà c'est tout ce qu'il veut. Ignorer la peur et la colère qui montent en lui.

«  Qu’est-ce que tu fais là ? »

Bien-sûr que ce n'est pas possible, ô combien Jacob le voudrait. Bien-sûr que ce serait trop facile. Il n'a pas d'autre choix que d'affronter son frère, un point c'est tout.
Bien que... Et s'il faisait comme si de rien était ? Comme si il n'avait rien  vu ? C'était une solution, n'est-ce-pas ? Et ça réglerait tout. Il discuterait probablement un peu, échangerait quelque politesse puis se quitterai. Comme ça. Le fantôme de cette histoire les hanterai, certainement quelques temps mais ils finiraient par oublier, hein?
Jacob se lève, libère sa peau de quelques feuilles mortes et lève les yeux vers son frère.
Ils ne peuvent pas ignorer ce qui vient de se passer. Pas avec le corps du jeune mutant, échoué sans vie derrière eux. C'est juste impensable, maintenant. Aucun d'eux ne peut reculer, c'est trop tard.

« Est-ce-que tu l'as tué, Jehro ? » demande-t-il doucement.

Il ne peut même pas le regarder dans les yeux, à présent. Parce qu'il a assisté à la scène. A toute la scène. Qu'il a vu son grand frère exécuté ce garçon de sang froid, sans aucune hésitation, sans aucun remord. Rien. Nada. Et lui aussi, ça lui fait froid dans le dos.

« Bien-sûr que tu l'as tué. » chuchote-t-il, plus pour lui-même que pour Jehro. « C'est un mutant, n'est-ce-pas ? C'est pour ça que tu l'as tué ? Parce qu'à tes yeux, il n'a rien de normal. Que ce n'est qu'un monstre. Et qu'il ne mérite pas de vivre. Tu n'en as rien à faire que c'est un être humain et qu'il a peut-être une famille. Tout ce que tu vois, c'est qu'il doit mourir, hein, Jehro ? »

Ce qu'il dit n'a aucun sens. Il ne sait même pas pourquoi il le dit. Ça ne sert à rien, vraiment.
C'est la première qu'ils en parlent et ça ne pouvait pas être pire que ça.

Jacob regarde le cadavre du jeune mutant sur le sol. Et soudain, ses mains le brûlent. C'est mauvais signe. Et ce n'est pas le moment. Ça ne ferait qu'empirer les choses.
Puis soudain, il se demande quelle serait la réaction de Jehro, si à cet instant précis, sa mutation se manifestait d'une façon ou d'une autre ? Si, maintenant, tout de suite, son frère découvrait qu'il n'était qu'un montre ? Le tuerait-il ? Sans scrupule et sans remords ? L'enterrait-il avec le garçon qu'il venait de tuer ? L'oublierait-il ? Est-ce-que ça l'empêcherait de dormir ? Son petit frère le manquerait il ?

Jacob ferme ses poings alors qu'entre ses doigts il sent déjà l’électricité crépiter. Jusqu'à LED se colle contre son flanc et lève ses yeux brillants de chien vers lui. Jacob soupire puis pose sa pomme sur la tête de son chien, qui jappe et se colle un peu plus contre lui.

« Je n'aurais pas dû dire ça. Tu fais ce que tu veux, Jehro »

Tout ce qu'il veut, c'est s'en aller. S'en aller et oublier.

Jacob est bien la dernière personne qu’il s’attend à trouver là. Et celle qu’il a le moins envie de croiser en cet instant. Car en dépit de son éternel air bourru, Jehro se sent particulièrement concerné par le jugement de son cadet. Malgré l’écart qui s’est creusé entre eux au fil des années, Jehro a toujours la plus tendre des affections lorsqu’il s’agit du dernier de la fratrie. Se montrer sous ce jour aux yeux de son frère, il n’en a aucune envie. Il redoute même la réponse de ce dernier. A-t-il vu quelque chose, à l’instant ? Il n’est pas croyant, mais se surprend à prier un dieu quelconque pour qu’il n’en soit rien. Il lui faut pourtant être réaliste : bien entendu que Jacob ne peut pas avoir manqué la scène. Parce qu’il était à deux pas, parce que dans le silence offert par mère nature, les supplications de la victime de Jehro n’avaient pu passer inaperçues.

Et puis vint la réponse de Jacob, tellement redoutée. Jehro a beau s’y attendre, il est pris de court par la brutalité des mots choisis, même si Jacob l’aborde avec une étonnante douceur. Son frère n’y va pas par quatre chemins, il pose la question sans filtre. Jehro marque un temps d’arrêt, ne sachant quoi répondre. Oui, bien sûr. Mais il ne peut se contenter d’une réponse aussi courte, aussi dure. Il sait qu’il a tout d’un monstre, en cet instant, et que la scène précédente joue contre lui. Jehro vient d’abattre un homme à terre. Qu’importe ses justifications, les faits sont là.

Jehro pèse chacun de ses mots. Il ne sait pas lesquels employer. Il ouvre et referme la bouche, incapable de trouver les mots pour faire comprendre à Jacob la nécessité de son acte. Ce dernier reprend la parole, dans un doux murmure que Jehro entend à peine. « Oui, je l’ai tué. Mais pas parce qu’il était un transmutant. Pas seulement pour ça. Ils ne sont pas tous innocents, tu sais. Certains doivent être abattus. Certains sont trop dangereux pour qu’on leur permette de vivre. » Il sait que ses paroles ne trouveront pas de sens dans l’esprit de Jacob. Leur conception des choses est bien trop différente. Jehro a eu tout le loisir de le constater depuis sa sortie de prison. Il avait toujours su que Jacob était le plus sensible. Mais depuis sa libération, il en a eu plusieurs fois la confirmation. Ou bien est-ce tout simplement Jehro qui a troqué sa bonté d’âme pour un cœur de pierre. La prison ne lui a certainement pas fait du bien.

« Si je fais ça, c’est aussi pour protéger ma famille. Toi, Lydia, Hector. Tu devrais savoir mieux que personne que les mutants peuvent nous détruire en un claquement de doigts. C’est mon devoir de faire en sorte que les plus dangereux d’entre eux ne puissent pas vous approcher. » Jehro fait appel à la corde sensible. A ces années où son frère n’avait pu le voir qu’à travers la vitre crasseuse d’un parloir. Il ne veut pas que Jacob se sente coupable de ses dernières paroles. Au fond, il est dans le vrai, lui aussi. Jehro est froid comme la pierre. Tuer ne lui apporte ni joie ni peine. Cette vague idée de vengeance qu’il avait en rejoignant les hunters deux ans plus tôt n’a rien donné. Il n’est plus rien qu’une coquille vide persuadée du bien fondé de ses actions. Il sait que son cadet a raison sur bien des points, mais il s’est convaincu depuis longtemps que ses actions sont bénéfiques. Qu’il protège des gens en agissant de la sorte. Et surtout, qu’il met hors de danger les plus jeunes membres de sa fratrie. Avant la prison, Jehro veillait sur eux, à la place de cette mère qui avait abandonné son rôle. Désormais, il pousse simplement son rôle à un niveau supérieur.

Jehro baisse les yeux. Il parvient à peine à soutenir le regard de son frère, chargé de reproche. Et d’électricité, aussi. Mais cela, il ne peut pas le voir, son regard tourné vers la terre, tentant de se donner un peu plus de contenance. Il ne voit pas les efforts que déploie Jacob a rester calme, maitre de lui-même. LED semble sentir la gêne ambiante. Ce chien a le don de détourner l’attention dans les moments les plus critiques. Jehro l’aime bien, il sent que Jacob y a trouvé tout le réconfort dont il avait besoin pendant ces années difficiles. Et là encore, c’est lui qui sauve la mise.

Jacob brise le silence, d’une phrase courte, qui n’attend pas vraiment de réponse. Il semble simplement désabusé face à ce frère qu’il ne doit plus reconnaitre. Jehro est désolé de lui infliger tout cela. Il sait que son frère n’est plus un enfant, pourtant il lui semble qu’il vient juste de briser l’innocence de son cadet. Avait-il déjà vu quelqu’un se faire tuer ? Par son propre frère, qui plus est ? « Je ne te demande pas d’être d’accord avec moi, Jake. Je veux juste que tu comprennes pourquoi je fais ça. » finit-il par lâcher, plongeant son regard dans celui du cadet.

Jacob&Jehro

They are just two strangers now.

« Oui, je l’ai tué. Mais pas parce qu’il était un transmutant. Pas seulement pour ça. Ils ne sont pas tous innocents, tu sais. Certains doivent être abattus. Certains sont trop dangereux pour qu’on leur permette de vivre. »  

Est-ce-que Jehro s'entendait réellement parler ? Est-ce-qu'il est analysait son état d'esprit ? Est-ce-qu'il se rendait compte de la portée de ces propos ?
Jacob ne l'espère pas. Parce que si son frère est vraiment conscient de la totalité de ses actes, alors ça fait de lui un montre. Tout simplement. Et oui, Jake peut à peine le regarder maintenant. Parce qu'il sait que ces yeux transparaissent de toute la peur, la tristesse et la colère qu'il ressent.  Il se détourne et sers les poings.

« Si je fais ça, c’est aussi pour protéger ma famille. Toi, Lydia, Hector. Tu devrais savoir mieux que personne que les mutants peuvent nous détruire en un claquement de doigts. C’est mon devoir de faire en sorte que les plus dangereux d’entre eux ne puissent pas vous approcher. »

Le jeune mutant ne peut s'empêcher de lâcher un petit rire à ces paroles. Si son grand frère savait, mon dieu. S'il savait à quel point, il n'a pas besoin d'être protégé. S'il savait à quel point, il a appris à le faire seul pendant ces longues années d'absence de Jehro. Alors oui ça le fait rire. Plus que ça ne l'énerve. Parce qu'il sait que s'il s’énerve, il ne serait plus capable de se contrôler. Et qu'est-ce-qui se passera dans ce cas-là ? Si là maintenant, tout de suite, Jake perdait le contrôle et blessait son frère ? Si, par simple inadvertance, il l’électrocutait, ne serait-ce-qu'un petit peu ? Est-ce-que Jehro estimerait qu'il était dangereux ? Le jugerait-il sur ce simple acte ? Sur cette petite erreur ?

« Tu ne le fais pas pour nous et encore moins pour moi, Jehro » lâche Jacob, d'une voix qu'il veut calme et contrôlée. « Tu le fais pour toi. Parce que tu veux te venger de ce que certains mutants t'ont fait et que tu crois qu'ils doivent … » que nous devons, mais ça, il ne le dit pas. Évidemment. « … tous mourir. Parce que tu as été piégé, tu crois soudain avoir le droit de vie ou de mort sur eux. Comme s'ils n'étaient soudain plus humains, comme s'ils avaient choisis leur putain de conditions, comme si la plupart ne se détestait pas comme toi, tu les détestes... Et sous prétexte qu'ils peuvent être une menace un jour, tu crois qu'ils n'ont pas le droit de vivre ? Mais qui es-tu Jehro, au juste ? Qui es-tu pour décider de ça ? »

Non, Jacob ne comprend pas et ne le comprendra certainement jamais. Il aime son frère plus que tout. Il est sa seule famille mais, ça...ce qu'il est en train de faire de lui, es en train de les séparer et de les détruire tout les deux. Le jeune mutant n'arrive même plus à être en colère. Il le voudrait pourtant, quelque part au fond de lui. Il aimerait s'énerver et secouer son frère. Le faire se réveiller du cauchemar qu'est devenu sa vie. Lui faire réaliser ce qu'il fait. Mais il ne peut pas. Parce qu'il est un mutant. Et que son frère est un hunter...

LED se faufile tendrement entre ses jambes et lève vers lui, des yeux presque larmoyants et triste. Jacob lui sourit mais remonte ses mains contre son torse en les frottant l'une contre l'autre. Il ne peut pas se permettre de le toucher. Pas maintenant. Tout comme il ne peut pas se retourner vers son frère. Parce qu'il sait que maintenant, ses yeux ont pris cette couleur bleue électrique, si significative de la mutation qui coule dans ses veines depuis ces quelques années. Alors il tord ses mains en regardant son chien et en tentant de le rassurer, comme il le peut.

« Je ne te demande pas d’être d’accord avec moi, Jake. Je veux juste que tu comprennes pourquoi je fais ça. »
« Je ne le peux pas, Jehro. Je suis désolée mais je ne peux pas. »

Non, il ne le peut pas. Et pas seulement parce qu'il est lui aussi, un mutant, maintenant. Parce que ça n'a rien de juste, ce que fais Jehro. C'est juste... de la vengeance aux yeux de Jacob. Une vengeance cachée sous un besoin de protection. Et ça, même si le jeune mutant le voulait, il ne pourrait pas le comprendre.

« Je n'arrive pas à le comprendre. Parce que pour moi, tout ces personnes que tu tues sont justes... Tu es un tueur, Jehro. Juste un tueur. Peu importe tes motivations. Et j'ai peur de toi. »

Il déteste la distance entre eux. Il déteste ce fossé qui se creuse entre eux, au fil des jours. Parce que tout ce qu'il veut, c'est que Jehro le prenne dans ses bras. Tout ce qu'il veut, c'est que son grand frère l'entoure de ses bras forts et le cache du monde entier, en lui chuchotant à l'oreille que tout irait bien, que c'est eux seuls contre les autres. Jacob ne veut pas que son frère le protège des mutants, il veut qu'il le protège de lui-même....

« J'ai peur de toi, Jehro. Comment je pourrais te comprendre maintenant ? »