i. êtes-vous originaire de radcliff ?
     Non. Certainement pas… Ma mère est une voyageuse, une aventurière. J’ai un temps suivi ses errances dans le temps et l’espace, et nos chemins nous ont conduit dans des lieux bien plus exotiques que Radcliff, Kentucky. En fait, ce coin paumé rempli de conservateurs est possiblement l’un des pires endroits du monde pour une transmutante comme moi. Je n’y suis que par simple curiosité, attirée par le danger qui règne ici, trop téméraire pour comprendre qu’il serait plus prudent de me réfugier dans une autre époque, ou au moins une autre ville. J’ai grandi dans différents endroits du monde, ma mère m’emmenant parfois avec elle, me laissant, plus souvent, chez une nourrice en Angleterre, en Egypte ou ailleurs, qui prendrait soin de moi durant ses absences. Mon enfance fut faite de voyages, rien d’étonnant à ce que je ne tienne pas en place.

     ii. avez-vous déjà eu affaire à un ou plusieurs hunters ?
     Possible. En fait, j’ai tendance à attirer les ennuis, voire même à les provoquer. C’est dans mes gênes, je ne sais pas me taire quand il le faudrait. J’ai certainement eu quelques hunters après moi, l’ennui est que ces visages se sont évanouis avec le souvenir de notre rencontre. Du coup, il m’est très compliqué de dormir sur mes deux oreilles. Chaque nouvelle rencontre n’en est peut-être pas une, et qui sait, peut-être qu’un hunter se cache au prochain coin de rue… Mais j’ai confiance. Je suis débrouillarde, je sais passer inaperçue. Et puis, ça n’est pas comme si ma mutation était marquée sur mon front. Une amnésique qui sait jouer de ses poings, ça ne fait pas immédiatement penser aux dégénérés, pas vrai ?

     iii. utilisez-vous beaucoup votre don ?
     En permanence. En fait, j’enregistre ce que je vois un peu malgré moi. Il me suffit de lire ou de regarder la télévision pour m’imprégner d’une scène, d’une méthode quelconque. Ma mémoire n’est que musculaire, je ne retiens pas les dialogues, par exemple. Juste les scènes d’actions. Je ne choisis pas vraiment ce que j’enregistre, c’est ainsi. Ce don me définit complètement. Chacun de mes gestes est susceptible d’être en réalité celui d’un autre. C’est automatique, involontaire. Presque mécanique. Je ne fais qu’un avec mon pouvoir, il m’est aussi facile de créer une bombe, après avoir vu comment faire, que de marcher.

     iv. pensez-vous que les mesures mise en place par le gouvernement sont suffisante ?
     Je me fiche un peu des recommandations du gouvernement, ou du rôle des hunters. Je suis ma propre voie. Je ne suis même pas américaine, je vais et je viens à ma guise, oubliant les bons comme les mauvais moments. Alors, peut-être que je devrais me montrer plus solidaire avec le sort de mes frères mutants, mais la réalité est que cela ne m’empêche pas de dormir la nuit. Je trouve que les mesures actuelles ne sont que du vent. Les hunters, eux, sont bien réels, la menace ne va pas s’estomper parce que le gouvernement leur tape un peu sur les doigts.  Il me semble évident que chaque transmutant doit se battre pour lui-même. Attendre que les hautes instances volent à notre secours revient tout simplement à signer notre arrêt de mort.

« Elle n’a aucune chance » Le gros lourd qui se trouve face à moi me regarde de haut en bas. Il rit presque en me voyant, un sourire pathétique sur le visage. Il ne sait pas à qui il a affaire. Ils se trompent tous sur mon compte, toujours. Ils ne voient en moi que cette fille frêle, qu’ils pensent pouvoir briser en deux. Mais j’ai cette faculté qu’ils ignorent, ce don qu’ils vont bientôt pouvoir découvrir avec perte et fracas. Ce type, je l’ai dans le collimateur désormais, et je compte bien lui laisser un souvenir impérissable. Moi, je l’oublierais vite, comme les autres, mais l’espace d’un instant j’aurais au moins la satisfaction d’avoir brisé son orgueil en plus de ses dents. « Mettez-vous en place. » Je resserre ma queue de cheval, et je serre mes poings, prête à frapper. Autour de nous, les gens m’observent avec une pointe de surprise dans le regard. On se demande ce que je viens faire là. Patience… Dans un grognement primitif, le pachyderme qui s’était moqué de moi fonce dans ma direction, son poing en l’air. J’esquive rapidement, avant d’abattre mon propre poing sur lui. Un premier coup, puis un second. Tout est calculé, je ne lui laisse pas une seconde pour trouver une parade. Je déverse sur lui quantité de coups qu’il ne parvient pas à éviter. Il est trop lourd, trop grand. Et la surprise a joué en ma faveur. Mieux, je sais ce que je fais. Je marche à l’instinct, laisse parler mon corps et donne à mon pouvoir une occasion de plus de s’exprimer. Bientôt, mon adversaire est terrassé. L’arbitre s’avance au centre de l’arène et lève mon bras. J’ai gagné. Pour moi ça n’est pas une surprise, j’en ai maté des plus coriaces. L’assistance est dépitée, la plupart n’avait pas misé un dollar sur moi. Les habitués, ceux qui m’ont reconnu, vont amasser une somme rondelette ce soir. Et moi avec. Avant de me diriger vers la sortie, j’en profite pour empocher mes gains, et noter dans un carnet le résultat de la soirée. Histoire de laisser une petite trace de mon passage ici. C’est fini pour ce soir, je laisse lentement retomber l’adrénaline avant de sortir par l’issue la plus proche. Je pousse un profond soupir… Elle est là. Elle ne vient jamais, ou presque. Elle vient à un rythme tellement décousue que j’ai parfois du mal à la reconnaitre. Elle, ma mère. Cette éternelle absente qui vient quand ça l’arrange, et qui agit comme si de rien n’était. « Je ne comprendrais jamais pourquoi tu t’obstines à faire cela. Que veux-tu prouver, May ? » Rien, absolument rien. Il n’y a rien à prouver, j’en ai juste besoin. Un besoin presque vital, inexplicable autant qu’inexpliqué. Je suis une adulte, je n’ai rien à lui prouver. Je ne suis pas aussi fragile que la malédiction qui accompagne mon don veut bien le laisser entendre. Elle le sait, je suis comme elle : rien ne peut m’abattre. « Je ne suis plus une enfant, maman. Et je ne suis pas comme toi. Trouver refuge dans la connaissance ne m’est d’aucune utilité. Moi, je porte des coups, c’est comme ça que ça marche. » Je suis directe, elle le sait. Encore une chose que j’ai hérité d’elle. Ca, et ce fichu caractère, cette faculté de toujours vouloir avoir raison. Elle fronce les sourcils, elle n’aime pas qu’on lui réponde. Je lui adresse un sourire bienveillant, nos retrouvailles ne sont pas comme elle les avait probablement imaginé. Mais j’ai trop peu de temps devant moi pour jouer les hypocrites. Pourtant, j’ai énormément d’affection pour elle. Elle n’est pas très maternelle, n’a jamais été présente. Mais c’est ma mère, le seul point fixe de mon existence, ma bouée de sauvetage dans les eaux troublées de mes souvenirs. La seule personne qu’en dépit de ses absences je n’ai jamais pu oublier. Mais cela ne lui donne aucun droit de me juger. Elle est fière et droite, mais moi aussi. Et surtout, elle a fait de nombreuses erreurs avec moi, et si je ne lui ai jamais reproché son abandon, elle sait que je n’hésiterais pas à le faire pour couper court à toute discussion dont j’aurais peur de sortir perdante. Nous sommes les mêmes, elle et moi. Deux femmes impossibles, au caractère ingérable.
Mon temps est trop précieux, et je dois pouvoir en user comme bon me semble. Elle ne comprend pas l’intérêt des défis que je me lance. C’est normal, nos vies sont trop différentes. Elle est brillante, va où et quand elle veut, quand bon lui semble. Alors que je suis prisonnière de mon propre don, condamnée à oublier, alors qu’elle accumule les connaissances. Ces défis sordides sont tout ce qui me raccroche à la vie. Ce que je fais de ma vie n’a rien à voir avec elle. Je suis peut-être sa fille, mais il y a bien longtemps que je ne suis plus une enfant. « Je te l’ai déjà dit, et je sais que tu n’en as pas souvenir, mais ton potentiel est bien plus grand que cela. Avec un peu de travail et de bonne volonté… » Je l’interromps d’un geste de la main, je refuse d’entendre la suite. J’ai beau conserver des souvenirs pour un temps limité, j’ai l’impression d’avoir entendu son refrain des dizaines de fois. « Tu sonnes comme un vieux disque rayé, maman. Je sais ce que j’ai à faire. Mais j’ai besoin de ça, en attendant de trouver autre chose. » Je lui adresse un nouveau sourire, et je la remercie du bout des lèvres. Je lui dois beaucoup, bien plus que ce qu’elle ne le pense. Elle m’a transmis tout ce que je sais, son goût de l’aventure, sa soif de vivre, son indépendance. Elle n’est pas la mère idéale, mais je ne lui ai jamais demandé de l’être. Je suis persuadée que sans elle, j’aurais été abattu par mon don, par la malédiction qui l’accompagne. Si jamais grandi auprès d’une femme moins forte, j’aurais été incapable de vivre avec ces trous de mémoire. Je ne suis pas du genre à me laisser abattre, je transforme mes faiblesses en force. Il y a des choses qui vous imprègnent, des certitudes qui vous poursuivent et qui vous hantent. Je ne sais pas d’où je viens, je ne sais pas où je vais. J’ai été seule plus souvent qu’à mon compte. Il n’y a pas grand-chose à dire sur Maybell McAllen. Un mystère que même moi je ne peux pas résoudre. Un père dont j’ignore tout, une mère qui n’en est pas une… Et moi, Maybell. Une histoire qui s’écrit jour après jour, au grès de mes désirs. Les autres hommes vivent dans une routine déprimante. Pour moi, chaque jour est un éternel recommencement.