Sans vraiment y prêter attention elle triture presque nerveusement le pendentif qu’elle porte toujours autours du coup. Elle n’est plus aussi sure d’elle lorsqu’elle traverse la ville la nuit déjà tombée pour passer des bancs de l’université au comptoir du bar. Elle jette des coups d’œil nerveux autour d’elle retenant son souffle à chaque fois qu’elle croise une silhouette dans l’obscurité de la ruelle. Elle a beau se dire qu’elle n’a pas peur de cette bande de babouins dégénérés, depuis qu’ils l’ont passé à tabac, la surprenant à la sortie du bar, elle s’inquiète de sentir encore une fois les coups vriller son corps. Elle aurait pu quitter son travail, elle aurait pu porter plainte et s’enfermer dans son appartement à double tours et ne plus jamais en sortir mais c’était loin d’être le genre de la maison. Angie ne fuyait pas, jamais, surtout pas face à de tels êtres, malsains et inférieurs. Elle ne se rend même pas compte qu’elle a stoppé sa respiration et ce n’est qu’en apercevant les lumières du bar qu’elle laisse échapper un soupir de soulagement, se trouvant étrangement essoufflée. Dans la lumière des néons, ils ne pourraient pas la prendre par surprise, l’obscurité était devenu son ennemi elle qui avait tant de mal à rester dans la lumière.
« T’es en retard Reynolds ! » Grogne son patron en la voyant entrer et se placer derrière le comptoir en laissant ses affaires non loin de là. Elle laissa sa bombe au poivre avec regret dans son sac tout en gardant un léger sourire plaqué sur le visage, elle refusait de montrer que cela l’atteignait, elle était bien meilleure qu’eux, bientôt ils ramperaient face à elle.
« Désolée chef’, les cours… » Murmura-t-elle en haussant les épaules. A vrai dire, si elle était passée par l’endroit habituel, elle serait arrivée parfaitement à l’heure, or, cette série de ruelles lui donnaient des frissons, c’était là qu’elle s’était fait agresser, du coup, elle faisait un large détour pour l’éviter, rallongeant considérablement son temps de trajet par la même occasion. Elle ne pouvait pas dire la vérité à son patron, il n’était pas au courant de ces évènements, elle avait tellement honte que très peu de monde l’était en réalité. Pour expliquer les différents hématomes qui parcouraient son corps, les coupures et l’œil au beurre noir elle avait prétexté de nouveaux cours de boxe, quiconque y aurait fait un minimum attention aurait été persuadé de son mensonge, mais, Angie était tout à fait capable de faire taire les curieux.
La soirée était plutôt banale, pas plus ni moins de monde que d’habitude, peu de personnes enclines à briser le calme dans des actions idiotes voire dangereuses. Elle s’ennuyait fermement se demandant encore ce qu’il lui prenait de travailler dans cet endroit alors qu’elle aurait pu se payer ses études sans aucun problème en quelques battements de cils… Peut-être lui restait-il une part d’honnêteté même si c’était difficile à imaginer venant d’une voleuse multirécidiviste. Travailler ici lui permettait au moins de faire des rencontres, d’en apprendre plus sur la ville qu’elle avait quittée dix ans auparavant et qui était devenue étrangère à ses yeux. Elle en apprenait plus sur les habitants, après quelques verres les clients étaient toujours plus bavards qu’à l’habituelle, inutile de dire que c’était le meilleur moyen de découvrir tous les petits vilains secrets, et qui dit secret, dit chantage, dit argent et luxe, et cela suffisait à motiver la jeune femme à se rendre tous les soirs au bar malgré les relents d’alcool et la lourdeur de certains clients. Derrière toutes ses actions il y avait toujours cet objectif, profondément ancré en elle, plus jamais elle ne subirait la misère ou la pauvreté, elle ne voulait jamais lire sur son visage le désarroi qu’elle avait pu lire sur celui de ses parents. Ce n’était pas envisageable, elle ne le méritait pas. Ses parents non plus mais ils avaient tourné le dos à la famille, au seul membre de la famille qui aurait pu leur permettre d’avoir une vie meilleure, ils avaient seulement laissé passer leur chance, désormais, c’était à elle d’en profiter. Elle avait saisi sa chance, elle avait énormément perdu mais peut-être presque autant gagné. Il n’y avait que
lui qui lui avait importé, et il était mort, elle ne pouvait rien y faire et ce même si la douleur lui vrillait le cœur. Elle ne pouvait que continuer leur œuvre, la magnifier, en faire une pure merveille, il aurait voulu qu’elle continue malgré son absence. Malgré la souffrance.
« Reynolds, arrête dont de rêvasser et va prendre la commande de la quatre ! T’es bien jolie ma petite mais je te paye pas à rien foutre ! » Lançant un regard assassin à l’homme et prenant un air plus que renfrogné elle sortit de derrière le bar en lui donnant un léger coup d’épaule et se dirigea, perchée sur ses talons haut vers la table en question. C’était un habitué qui y était assis, toujours la même table, souvent la même heure, souvent la même collation, le même regard étrange, cet homme l’intriguait mais elle n’insistait jamais, il avait l’air bien trop perdu dans ses pensées, aujourd’hui, à la différence des autres soirs, il était seul, habituellement, il était entouré de quelques amis :
« Monsieur Mikkelsen ! » S’exclama-t-elle en s’arrêtant près de lui, de l’autre côté de la table :
« On vient seul ce soir ? Qu’est-ce que je vous sers ? » Demanda-t-elle avec un sourire avenant sortant son carnet de commandes.