Elle était arrivée à Radcliff depuis quoi, cinq jours ? Une semaine ? Le temps lui filait entre les doigts sans qu’elle n’y trouve aucun repère. C’était assez déroutant, mais elle ne s’attardait pas sur ce détail. Pour elle qui ne se souvenait pas avoir jamais quitté son village natal, perdu dans le fin fond de la Georgie, se poser dans une ville de cette envergure était tout nouveau. Et pourtant, Radcliff ne se rapprochait ni de près ni de loin d’une métropole, mais pour celui qui avait toujours vécu parmi une centaine d’habitants, le changement était un peu radical. Les rayons du soleil déclinaient légèrement derrière la fenêtre de son hôtel, lorsqu’elle avait décidé de fausser compagnie à son acolyte de vadrouille, profitant du moment où il prenait sa douche. A pas de loups, elle s’était extirpée en dehors de la chambre, et en moins de deux minutes s’était retrouvée à l’extérieur. Respirer l’air frais lui ferait du bien. Une vieille voiture aux vitres teintées passa à toute allure à côté d’elle, le pot d’échappement crachant sa fumée puante qui la fit tousser durant quelques minutes. Elle n’était pas habituée à ça, elle qui avait toujours vécu dans sa cambrousse. Une fois qu’elle se fut ressaisie, elle entreprit de se promener dans les rues de la ville, la découvrant petit à petit, n'ayant aucune idée de ce qui s'était tramé récemment, ne comprenant pas les regards fuyants des passants.

Tandis qu’elle déambulait, son regard vagabondant sur les façades des bâtiments, un homme l’interpella, et la sortit brutalement de sa rêverie. Reportant ses yeux noirs sur l’individu, elle haussa les sourcils d’incompréhension. Zelda s’arrêta sans précipitation, attendant qu’il vienne à elle. Il n’avait pas l’air commode celui-là. Elle lui adressa tout de même un sourire et un hochement de tête en guise de salutation, mais déjà ce dernier reprenait la parole, ne lui laissant pas le temps d’en placer une. « Un délit de flânage ? » Elle avait répété la phrase comme pour elle-même, et ne put s’empêcher de lâcher un rire, pensant que l’homme se moquait d’elle. Mais à mesure qu’il lui expliquait la situation, son sourire disparut. Ils étaient vraiment étranges, par ici. Passer la nuit au poste ? Ses sourcils se froncèrent d’inquiétude. « Pardonnez-moi, officier ? Je ne suis pas d’ici, et je n’avais pas connaissance de ce règlement… » Zelda s’humecta les lèvres tout en réfléchissant. « Pourriez-vous m’expliquer pour quelle raison le.. flânage est interdit ? » La jeune femme s’interrogeait réellement, jusqu’à ce que l’homme ne se penche vers elle, la flattant tout en lui proposant un arrangement. Merde, elle n’avait rien sur elle. Battant des cils malgré elle lorsqu’il la qualifia de belle jeune fille, s’ensuivit un air contrit alors qu’elle reprenait la parole. « C’est très aimable à vous, j’apprécie votre bienveillance... » Elle ne savait pas mentir, vraiment pas, et elle allait sans aucun doute lui avouer qu’elle n’avait pas un sou en poche d’ici trois, deux, un…

Sauvée par le gong. Ou en l'occurence, par la blonde. En effet, la jeune femme qui s'interposa entre le pseudo-officier et Zelda tombait à pique, bien qu'intrigant cette dernière. La brune haussa les sourcils tandis que celle-ci la sommait de rentrer chez elle, rapidement reprise par le jeune homme. Qui était d'ailleurs bien jeune pour un gardien de la paix. Zelda l'observa un instant, ouvrant la bouche pour -

Le sol trembla l'espace de quelques secondes tandis qu'une détonation venait briser le mur du son. Instinctivement, Zelda s'apprêtait à se couvrir les oreilles, mais déjà la jeune femme à sa droite empoignait son bras. Le sang dévalait ses artères tel un torrent tumultueux, tandis que curieuse malgré elle, elle se hissait sur la pointe des pieds tout en plaçant sa main libre en visière sur son front. Il y avait du mouvement, par là-bas. Qu'est ce que... Et là, des dizaines d'hommes en noir surgirent à l'intersection des deux rues qui leur faisaient face. Son cœur tressauta dans sa poitrine, mais déjà elle était entraînée à la suite de la blondinette, visiblement décidée à lui sauver la mise. Des tas de pensées se bousculaient dans sa tête, tandis que l'adrénaline qui affluait dans son organisme avait un goût bien familier, sans qu'elle ne comprenne d'où lui venait cette impression de déjà-vécu. Courant sans vraiment réfléchir, Zelda jeta juste un bref regard en arrière avant de tourner à l'angle d'une ruelle, apercevant le jeune homme qui venait de remarquer leur absence. Son bon cœur l'aurait conduite à l'appeler, mais son bon sens avait pris le dessus pour l'instant. Elles arrêtèrent leur course devant la porte d'un bâtiment, et Zelda esquissa un pas en arrière lorsque la jeune femme asséna un coup de pied puissant dans la porte, qui céda sous l'impact. « Wow.. » Elle n'eut guère le temps de s'épancher puisque déjà elle se retrouvait poussée sans ménagement dans la pièce sombre, sa vue mettant quelques secondes à s'accommoder à l'obscurité ambiante. L'odeur de renfermé vint instantanément lui piquer les narines, et elle étouffa tant bien que mal un éternuement, adressant une moue d'excuse à ses acolytes, tandis que les voix se rapprochaient dangereusement de l'autre côté du mur. Tout allait très vite. A l'extérieur, des supplications, et malgré elle la jeune femme ne put s'empêcher de tendre l'oreille, tentant de distinguer les paroles inaudibles. La détonation des coups de feux mitrailla l'air, venant ricocher contre la pierre froide du bâtiment, et Zelda sursauta à nouveau, plaquant une main sur sa bouche pour réprimer un cri de surprise. Choquée, elle reporta son regard sur la porte défoncée, qui fermait lamentablement l'entrée de leur cachette d'infortune. Prise d'une impulsion soudaine, la brune fit volte face en silence, et se dirigea vers le recoin le plus sombre du local, tous les sens en alerte, cherchant des escaliers ou n'importe quel moyen leur permettant de progresser dans le bâtiment. Ils allaient forcément chercher à entrer, et que feraient-ils d'eux, alors ?

Jamais encore elle n'avait eu à affronter pareil danger. Elle n'avait d'ailleurs jamais connu aucun danger, ne se souvenait d'aucun moment de terreur ou de doute, d'aucune méfiance ou d'incertitude. Réagir dans une telle situation lui était impossible, et elle préférait presque croire à un mauvais rêve plutôt que de se rendre à l'évidence. Peut-être bien étaient ils en danger de mort. Les coups de feux lui glaçaient le sang, et elle sentait ses jambes commencer à se dérober sous son poids à mesure que les cris disparaissaient dans des suffocations. Son estomac serré et ses mains rendues tremblantes par des émotions qu'elle ne se rappelait pas avoir déjà ressenties, tout cela la décontenançait presque autant que la situation en elle-même. Elle exécuta l'ordre de la jeune femme blonde, tel un automate, et mit toute sa force à l'oeuvre. On ne pouvait au moins pas lui reprocher d'être maigrichonne ou frêle, ses bras toujours musclés des travaux de la ferme. Une fois la porte scellée, ce fut au jeune homme de prendre des initiatives, et tous trois s'élancèrent sans plus réfléchir vers la petite porte du fond.

Elle parcourut rapidement les lieux du regard, puis regarda l'homme tenter de forcer la porte, et le rejoignit en constatant qu'il s'était plus défoncé l'épaule qu'autre chose. « Est-ce que ça va ? Vous n'êtes pas blessé ? » Ce fut la première question qu'elle se posa. Inquiète de savoir s'il s'était abîmé l'épaule ou non, presque plus que pour la porte bloquée d'ailleurs. Il faudrait sûrement qu'elle apprenne à revoir ses priorités. « Il vaudrait mieux que vous évitiez la prochaine fois, vous risquez de vous faire mal. » Remarque pas forcément flatteuse envers la carrure du jeune homme, bien qu'elle ne s'en rendit pas compte sur le moment. Zelda finit par tenter sa chance avec la porte, sans grand succès non plus puisque celle-ci n'esquissa qu'un frémissement. Se tournant vers l'autre femme qu'elle distinguait difficilement dans la pénombre, Zelda reprit la parole. « Est-ce que vous auriez un autre coup de pied magique en réserve ? » Pleine d'espoir la p'tite. Il fallait dire qu'elle ne s'était toujours pas remise de son intervention quelques minutes auparavant. La brune recula de quelques pas pour laisser la blondinette tenter sa chance, là où les deux autres venaient d'essuyer un échec cuisant. Sa concentrant pour reprendre le pas sur sa peur, Zelda essayait de se maîtriser, même si les échos du combat mené à l'extérieur lui paraissaient de plus en plus proches. Des coups sourds leur parvinrent alors, ainsi que des éclats de voix. Ils allaient rapidement devoir s'occuper de cette porte, avant que les autres ne parviennent à forcer l'entrée du bâtiment.

La jolie blonde semblait tendue, à fleur de peau. A l'entendre ainsi s'adresser au jeune homme, Zelda songea un instant qu'il valait mieux se trouver dans son sillage que dans son passage. Ainsi s'écarta t'elle de quelques pas, par précaution. Prête à la voir asséner un nouveau coup de pied dans la porte récalcitrante. D'un geste automatique, la brune détourna la tête en plaquant ses mains sur ses oreilles, lorsqu'elle dégaina son flingue avant de faire voler la serrure en éclats. Le regard apeuré, Zelda reporta ses yeux sur elle, clairement déboussolée. Elle qui craignait les tireurs à l'extérieur se retrouvait alors avec l'un d'entre eux, bloquée dans des lieux inconnus ? L'homme semblait tout aussi décontenancé qu'elle face à la scène, mais cela ne l'empêcha pas de la suivre. Zelda se précipita alors à leur suite, repoussant machinalement la porte derrière eux. Déjà, le jeune homme s'était dirigé vers les fenêtres, et la brune balaya une seconde les lieux du regard avant de réaliser qu'il n'y avait vraiment aucune autre issue. S'approchant de lui pour lui prêter main forte - qu'ironiquement elle craignait moins que la blonde et son revolver - elle s'empara à deux mains de l'un des panneaux, prenant appui contre le mur avec l'une de ses jambes pour mettre tout son poids à contribution. Ce genre de travail ne lui faisait pas peur, ni même les dizaines d'échardes qui vinrent se loger dans la pulpe de ses doigts. C'était quelque chose qui lui était familier, qui ne la dérangeait pas. Et puis, les voix passant la porte d'entrée du bâtiment contribuaient grandement à son efficacité. Le bois céda sous ses mains, dans un craquement sonore et une volute de poussière qui vint lui brûler les yeux. Frottant son visage du revers de son bras dans une grimace, la brune observa l'ouverture ainsi créée sous leurs efforts. « Je pense que c'est suffisant ! » Elle jeta tout de même un regard perplexe au jeune homme, qui n'avait clairement pas le même gabarit que les deux femmes, quand bien même étaient elles toutes deux musclées. Très bien, après avoir plus ou moins insinué quelques minutes plus tôt qu'il n'avait pas une carrure d'athlète, voilà que son regard suggérait qu'il était trop gros pour l'ouverture. Mais pas le temps de se reprendre, ni même d'expliquer que non, elle ne le trouvait pas gros, elle le trouvait d'ailleurs très bien bâti et... Merde Zelda, bouge ton cul !

Spontanément, elle s'engouffra par leur sortie improvisée, après avoir vérifié que personne ne se trouvait dans la rue. Terminant enfin au sol, et à l'extérieur, elle se dirigea vers l'une des grilles délimitant les quelques mètres carrés dans lesquels ils venaient d’atterrir, retrouvant la même rue que toute à l'heure. Quittant une impasse pour en trouver une autre. Ils n'avaient pas le choix, ils allaient devoir rapidement escalader ces quelques mètres de ferraille s'ils ne voulaient pas se retrouver à la merci des truands à l'intérieur. A leur droite s'étendait la rue par laquelle ils étaient arrivés un peu plus tôt, déserte mis à part les corps inanimés répandus dans leur bain de sang. Et à leur gauche, s'étendait une ruelle qui semblait dégagée. Ni une ni deux, Zelda s'élança, s'agrippant aux barreaux et se retrouvant en haut en moins de deux, avant de redescendre aussi rapidement pour se retrouver dans la ruelle encore inexplorée. Peut être ne savait elle pas tirer et n'avait-elle que peu de sang froid, mais au moins elle se révélait d'une agilité déconcertante lorsqu'il s'agissait d'escalade. Elle venait à peine de jeter un coup d'oeil en arrière, à travers les grilles, que déjà l'un des hommes réapparaissait par l’embrasure de la porte d'entrée dans l'autre rue, discutant visiblement avec quelqu'un à l'intérieur, sans s'être encore tourné dans leur direction...