i. que pensez-vous du mouvement terroriste des hunters ?
   Elle n'est pas du genre à médire sur ses investisseurs, mais leurs méthodes lui paraissent quand même un tantinet radicales. La vie est précieuse et les transmutants restent avant tout des êtres humains. Il suffit de les déposséder de leur anomalie génétique pour qu'ils redeviennent monsieur et madame tout le monde. C'est en partie pour ça qu'elle s'efforce de trouver une cure, un remède. Les hunters n'auront alors plus lieu d'être et les transmutants pourront revenir à une vie normale. Elle conçoit néanmoins que la haine, mue de la peur, fasse partie des sentiments propres à l'homme.

   ii. êtes-vous effrayée par l'apparition des transmutants dans la société ?
   L'apparition en elle-même ne l'effraie pas plus que ça. Quant aux transmutants, elle préfère procéder au cas par cas plutôt que de tous les mettre dans le même sac. Certains individus sont naturellement nuisibles de par leur comportement. Alors si on saupoudre le tout d'une mutation dévastatrice, évidemment, ça ne fait qu'ajouter à leur côté nocif. Il serait donc malavisé de ne pas nourrir une quelconque appréhension ou méfiance à leur égard.

   iii. avez-vous déjà fréquenté des mutants ?
   En tant que scientifique dans le domaine de la génétique, elle a effectivement été amenée à fréquenter plusieurs mutants. De près, de loin, les sujets ont été plutôt divers et variés. En revanche, au sein du huit-clos qu'est sa vie privée, la présence mutante parait plus clairsemée. Elle pense notamment à sa nièce et filleule. Et récemment à Beatrix, qui possède en elle le gène endormi. Lykke possède néanmoins cette incroyable faculté de toujours réussir à voir l'humain avant le transmutant. C'est en partie pour ça que les expérimentations sur ces derniers lui sont pénibles. Mais c'est un mal nécessaire pour trouver le remède au syndrome de mutation.

   iv. que pensez-vous de l'élection récente de thaddeus lancaster à la tête du comté ?
   Comme dit plus haut, elle n'est pas du genre à cracher sur ses investisseurs. Monsieur Lancaster en est un. Et un éminent, par dessus le marché, puisqu'il fait partie des chefs de file des hunters. Ceci étant, Lykke ne cautionne pas forcément ses démonstrations de force et ses mesures drastiques. L'Amérique a passé le stade des dictatures et des régimes totalitaires, non ? On ne parle ici que d'un côté, mais c'est du pareil au même.  

« Fraiche et pimpante qu'elle est revenue cet été la frangine. Ses études se passent bien, j'en déduis. Pas trop étonnant, à Harvard elle doit bien avoir trouvé des gens proportionnellement aussi passionnés (et un peu allumés) qu'elle pour débattre des mécanismes obscurs du corps humain. Je ne lui ai pas encore posé la question. Pas que je porte un quelconque désintérêt à son bien-être. J'aime ma sœur, soyons clairs. Mais j'ai peur qu'en demandant plus de détails, elle ne se perde en chemin ; noyée par son enthousiasme habituel et par l'effervescence typique United States. Alors oui, je le répète, je l'aime. Mais silencieuse. Merci, mes oreilles ont donné, j'ai eu ma dose avec le retour de Holgersen Junior numéro deux. D'ailleurs depuis que la numéro un est là, la numéro deux n'est plus réapparue dans les parages. Affaire à suivre.

... En fait non, fausse alerte. Lykke et Nadja ont commencé à piailler ensemble dès qu'elles se sont retrouvées. Moi qui espérais un bon fightcat, c'était complètement rapé.

... Finalement, je n'ai pas eu droit à un fightcat mais à une implosion familiale. L'unité apparente des Holgersen a volé en éclats dès que Nadja a annoncé l'arrêt de ses études de médecine au profit d'une vie... Disons de bohème, pour rester correct. Elle allait soit disant réaliser un tour du monde en autostop aux côtés du défoncé qui lui servait de petit-ami. Inutile de dire qu'elle fut sitôt désavouée par père. Elle attendait un peu de soutien de notre part, je le voyais dans ses yeux. Mais il n'en fut rien. Lykke resta aussi silencieuse que moi. Nadja claqua donc la porte une bonne fois pour toute. Et le lendemain, c'était comme si elle n'avait jamais existé. Disparue des photos, des conversations, des esprits des parents. Elle était passée du stade d'enfant choyée à celui de fantôme en un battement de cils. »


« Quand elle est arrivée la bouche en cœur avec en tout et pour tout son seul tailleur orange clinquant, j'ai bien cru que c'en était fini d'elle. Le conseil administratif allait la dépecer sur place, elle et ses grands yeux bleus pétillant de candeur. Si la jeune femme n'avait rien de concret à nous présenter, elle aurait vite fait de se retrouver sur le banc de touche. Fille du puissant Ansgar Holgersen ou non. J'avais pourtant bien stipulé à ce dernier qu'il était encore trop tôt. Mais non, contre l'opinion générale, il l'avait quand même envoyée présider cette réunion à sa place. Ou plutôt envoyée en pâture enrubannée à ces requins, si vous voulez mon humble avis. C'était peut-être une sorte de rite initiatique pour voir si elle avait les épaules assez solides pour assumer le poids de son illustre héritage. Que sais-je.

Toujours est-il que son réquisitoire enflammé et ses piles de dossiers analytiques fraichement délivrés sur nos tablettes nous ont tous un peu pris par surprise. Je ne savais pas ce qui me choquait le plus : la sérénité avec laquelle ça avait été présenté ou l'efficience du plaidoyer en lui-même. Pour tout vous dire, son large panel d'arguments venait d'éconduire les plus récalcitrants d'entre nous. Après avoir convenu des détails techniques, des délais divers et des mesures ultérieures à prendre, la jeune femme était repartie avec ses cliques et ses claques aussi légère et enjouée qu'à son arrivée. Lykke Holgersen, la fille prodige de Ansgar Holgersen, avait réussi à imposer le respect en une après-midi là où nous avions tous mis des semaines à gagner en crédibilité et en assurance. La nouvelle filiale de Holgersen Pharmaceuticals est entre de bonnes mains. »  


« Quelle idée ! Bien sûr qu'elle allait dire non ! C'est ma supérieure, bon sang. A quoi je pensais ? A rien probablement ! C'est bien ça le problème : je ne pensais à rien. Heureusement que le docteur Holgersen est arrivée, sinon je crois bien que j'aurais fini la journée licencié... Ou transpercé par le regard assassin du docteur Lecter puis donné à picorer aux corbeaux. Et ça aurait été dommage. Vraiment dommage. Parce que bosser dans ce laboratoire à l'équipement dernier cri, c'est le job rêvé. Et aussi un peu parce que je tiens à ma vie. Mais c'est un détail. Si j'y tenais réellement, j'aurais sans doute démissionné direct après avoir mangé ce gros râteau. Désormais, le docteur Holgersen est le dernier rempart qui me sépare du cerbère. J'ai plutôt intérêt à leur fournir un travail irréprochable. Et à me faire petit. Tout petit.

D'ailleurs, puisqu'on en parle, ces deux-là, c'est vraiment le feu et la glace. D'un côté vous avez la rousse incandescente, charmante et souriante, et de l'autre la brune ténébreuse, sévère et impassible. Parfois, je me demande comment elles arrivent à bosser ensemble sans se prendre le chou toutes les cinq secondes. Mais comme on dit, les contraires s'attirent. Et en l'occurrence, ici, les aimants ont l'air de super bien fonctionner, parce qu'elles sont vraiment très familières l'une envers l'autre. Des amies de longue date sans doute ou... Nooon ? Impossible ! Mais... Si c'est possible en fait ! Ou je me fais des films ? Ça doit être ça. Je me fais des films ! L'isolement rend mon esprit déviant. Il faudrait que je sorte un peu plus de ma tanière à l'occasion. Oui, oublie le docteur Lecter mon petit Niels... Trouve toi une fille de ton âge mignonne, docile et sympathique à rencarder. »