Elle était là. Vicieuse. Tueuse. Elle s'accrochait à lui comme une sangsue à sa proie. Elle l'aimait, se nourrissait de ses faiblesses pour l'anéantir encore plus. Elle. Cette douleur. Sa douleur. Douleur non pas physique, mais psychologique. Il ne la supportait plus. Il ne l'avait jamais supporté. Honte. Il avait honte d'être ce qu'il était. Il avait honte de vivre, d'exister. Mais il était trop faible. Trop faible pour mourir - ou plutôt pour se donner la mort par sa propre main. Il avait essayé pourtant, à plusieurs reprises. Mais il n'était qu'un bon un rien à qui la vie ne souriait plus. Que c'était-il passé pour que tout change d'un coup ? Lui qui avait une vie si belle. De ce passé à jamais enterré ne demeurait qu'une chose ; sa mère. Elle l'aimait d'un amour sans limite, et souffrait de voir son fils dans cet état. Lui aussi il l'aimait, mais il restait aveugle à sa douleur à elle, trop aveuglé par la haine qu'il nourrissait envers lui même. C'était ça le problème ; lui. Son don. C'était ça qui avait tout détruit, ça qui l'avait détruit. Il n'était plus rien sinon un corps mort, à l'image de ses jambes. Il ne mangeait plus. Il ne dormais plus. Il ne vivait plus. Assis sur sa chaise roulante - dernière grande amie constituant son univers - il passait ses journées dans cette chambre blanche, les yeux rivés vers cette fenêtre ouverte sur un monde qui lui paressait inaccessible. Un monde auquel il refusait de se mêler. On l'avait pensé traumatisé. On l'avait passé malade. Autiste. Dépressif. Il était juste mal, ou plutôt, il avait mal. Assis sur cette chaise, simplement vêtu d'un caleçon et d'une chemise d’hôpital. Ses yeux cernés fixaient le ciel, songeurs. Ses poignets étaient bandés. Ses ongles ouverts à vifs continuaient inlassablement leurs manège sur ses genoux. Le sang coulait, mais rien de plus. Il n'y avait ni douleur, ni sensation. Il ne demandait pas grand chose, juste un minimum de ressentit. Il voulait sentir la chaleur de ces gouttes qui glissaient lentement le long de ses mollets.Il savait que si sa mère débarquait elle lui crierait dessus, mais peu lui importait. Comme il était sourd au maux, il l'était aussi aux mots. Dans un premier temps, ça se manifesta pas une impression de chatouilles. Des petits picotements pas désagréables qui attirèrent ses yeux à ses genoux. Était-ce une hallucination dut à un cerveau trop fatigué ? Il repris son grattage, charcutant sa chaire, la rendant toujours plus à vif. Non. Ce n'était pas possible. Pour la première fois de sa vie, ses jambes réagissaient. Il surpris un discret mouvement. Ses orteils. Ils bougeaient. Instantanément ses yeux s'illuminèrent d'une lueur nouvelle. Poussé par une force mystique, il chercha à se redresser à l'aide du radiateur devant lui. L'agrippant de ses mais ensanglantées, il ne tarda pas à se retrouver debout, tandis que progressivement ses sens dans cette partie de ce corps s'éveillaient. Hésitant, il fit un premier pas. Premier pas qui fut particulièrement violent, faisant basculer son fauteuil en arrière, le laissant maintenu par sa seule force à ce piteux radiateur. Il avait oublié ce que cela faisait. Relevant sa tête en direction du mur à sa droite, il s'élança. Il y eu un. Deux. Trois. Quatre pas avant qu'il ne se rattrape de justesse contre la parois. Il s'élança de nouveau, dans l'optique de travers la petite salle. Mais ses jambes s’excitèrent, et sans qu'il ne puisse comprendre il s'était déjà à terre, six mètres plus loin. Et il se mis à rire. D'un rire malsain, dérangeant. Un rire. Il n'avait plus rit depuis des années. Louis avait quinze ans. Et aujourd'hui, il venait de faire ses premiers pas.