Sujet: torn apart (louis&mel) Sam 2 Jan 2016 - 10:56
And I guess it's not a failure we could help
When the wind picked up, the fire spread, and the grapevines seemed left for dead, and the northern sky looked like the end of days, the end of days. The wake up call to a rented room sounded like an alarm of impending doom to warn us it's only a matter of time before we all burn.
Tu le regardais. Avec le temps, tu avais appris bien des choses à son égard. Tu savais qu’il était incroyablement patient. Tu voyais qu’il était attentif. Tu te doutais qu’il était curieux. Tu avais appris à reconnaître certains de ses tics, qui trahissaient parfois une petite once d’impatience qu’il refoulait immédiatement. Il était bon. Il avait l’air professionnel. Peut-être méritait-il ta confiance. Peut-être devrais-tu prendre la parole. Cela faisait désormais trois heures que tu méditais ces pensées, que tu te demandais si tu devais parler, que tu te disais que tu annulerais ton prochain rendez-vous, mais que tu finissais toujours par te pointer à la bonne heure, en femme d’affaire ponctuelle. Tu t’assoyais sur la chaise qui t’étais réservée, plutôt confortable. Tu posais ton sac à droite de ladite chaise, et tu croisais les jambes. Tu lissais ta robe, ta jupe ou tes pantalons, dépendamment de ce que tu avais choisi de porter cette journée-là. Tu croisais ensuite tes mains sur le genou surélevé, et tu le regardais en silence. Tu ne lui avais jamais dit bonjour, et lorsque le temps de votre rencontre s’écoulait, tu lui faisais un petit signe de tête poli, tu reprenais ton sac et tu te dirigeais vers la porte, toujours en silence. Et à chaque fois que tu passais le cadre de la porte, tu te disais que la prochaine fois serait la bonne. Que la prochaine fois, tu saurais dépasser ta peur et tes craintes les plus profondes et que tu pourrais enfin lui parler. Puis, à chaque nouvelle rencontre, tu t’assoyais sur cette même chaise, devant le même homme, et tu restais toujours aussi silencieuse, incapable de sortir les premiers mots, incapable d’exprimer tes pensées, effrayée à l’idée de la conversation qui allait nécessairement suivre tes paroles. Tu avais appris à apprécier ces moments de quiétude, cette bulle silencieuse dans laquelle toi et ton psychiatre vous étiez lovés, une heure par semaine. C’était une compréhension mutuelle, un accord tacite, un échange qui ne nécessitait aucun son. Ta vie était tellement bruyante et chaotique que ce silence, immuable, constant, te semblait être bénéfique.
Tu devais parler. Tu le savais. C’était la raison de ta visite, en fait, et le Dr. Drake devait s’attendre à ce que tu parles, sinon, il ne te laisserait probablement pas gaspiller des heures de sa vie ainsi. Quoiqu’être payé à être assit en silence n’était pas la pire façon de passer son temps. Alors, tu relevais quelques fois la tête et tu te disais que, cette fois-ci, ça y était. C’était la bonne. Pourtant, tes lèvres ne daignaient pas s’écarter, ton regard se troublait un peu, et ton menton se rabaissait aussi promptement qu’il s’était surélevé. C’était un cercle vicieux. Moins tu parlais, moins tu savais comment le faire, mais plus tu restais silencieuse et plus le besoin de parler se faisait pressant. Comment avais-tu pu penser qu’aller voir un psychiatre serait la solution à tous tes problèmes ? Si tu ne savais comment démêler tes propres pensées, comment le pourrait-il ? Si tu ne pouvais mettre des mots sur les sentiments qui t’engloutissaient, comment pourrait-il t’aider ? Peut-être aurais-tu dû y penser avant de t’engager dans cette mascarade. Mais comment dire à voix haute que l’on a failli à son devoir de mère ? Tu refusais d’aller voir ton propre fils dans le coma pour des raisons qui te semblaient valables, parce que tu refusais de rendre son accident encore plus réel qu’il ne l’était déjà, et voilà maintenant que tu t’engageais à en parler ouvertement avec un pur inconnu ?
Peut-être était-ce une caractéristique obligatoire pour travailler dans son domaine, mais Louis Drake appelait à la confiance. Tu savais mieux que quiconque que les apparences étaient trompeuses, mais cela te donnait une nouvelle raison d’ouvrir enfin la bouche. D’autre part, tu devais te répéter que tu étais ici pour ton fils. Tu avais bien d’autres problèmes qui ne le concernaient pas et qui aurait peut-être nécessité l’aide d’un professionnel, mais aujourd’hui, tu devais te concentrer sur Noeh. Si tu te livrais à un exercice aussi ridicule, c’était pour lui. Si tu payais un inconnu pour t’entendre parler, c’était pour renouer avec ton fils. Si tu faisais une idiote de toi en ce moment, c’était pour qu’éventuellement, ton fils te pardonne. Ou, faute de te pardonner, qu’il accepte d’être dans la même pièce que toi. Ce serait déjà une grosse amélioration. C’était pour Noeh que tu deviendrais vulnérable et que tu donnerais au Dr. Drake le contrôle de la situation. Tu n’avais jamais perdu le contrôle. Tu avais toujours l’avantage de toutes les situations, parce que tu savais reconnaître les situations dangereuses et les éviter. Tu avais tellement souffert que tu tentais de te préserver, autant que possible. Pourtant, aujourd’hui, tu allais devoir sortir de ta carapace et te dénuder devant cet inconnu pour qu’il puisse t’aider. Tu allais devoir lui livrer tes pensées les plus intimes, sans rien savoir à ton sujet. Tu allais devoir lâcher prise, accepter de perdre le contrôle, et de toute évidence, tu avais bien de la difficulté à le faire. Peut-être est-ce ce qui expliquait ton silence des trois dernières sessions. Peut-être était-ce l’illusion que tu étais encore en contrôle de la situation. Peut-être était-ce ta façon de lui montrer que ce qui se tramait dans ta tête était si profondément enfoui qu’il te fallait des heures pour mettre des mots dessus, le dépoussiérer des méandres de ton esprit et de l’étaler devant toi.
Pour Noeh. Tu faisais tout cela pour Noeh.
« Mon fils est entré dans le coma après avoir été attaqué par un mutant, et j'ai été incapable d'aller le visiter, ni lors de son coma, ni à son réveil. »
Ta voix était douce, mesurée, solide. Tu pouvais le faire.
Tu te sentais déjà étourdie.
acidbrain
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Sujet: Re: torn apart (louis&mel) Dim 3 Jan 2016 - 6:36
« torn apart »
Combien de temps ? Combien de temps avais-je attendu, patient, qu’elle parle, ne prononce qu’un seul mot, une première parole ? On en était à la troisième session, et elle n’avait toujours rien dit, se contentant de me fixer, autant que mon regard se portait sur elle, détaillait les traits sévères de son visage, ses yeux refusant tout contact avec les miens mais néanmoins posés sur moi. Le port altier d’une dame de haut rang, des lèvres pulpeuses relevant à merveille la finesse de sa silhouette. Malgré ce silence qui ne me dérangeait pas mais qui ne faisait en rien progresser sa thérapie, celui-ci me permettait de mieux observer mon interlocutrice. Peu d’expressions, mais suffisantes pour me donner une idée de sa personne. Ses vêtements m’évoquaient son statut social, et sa posture, sa personnalité et son état d’esprit. Sa manucure par exemple me laissait entendre que j’avais face à moi une femme prenant soin d’elle, riche si j’en juge par les chaussures claquantes qu’elle portait et le reste de ses habits assortis, sa coupe, légère mais contenue en une sorte de chignon détaché avertissait qu’elle était femme de poigne, habituée à se faire obéir, mais également féminine. Poigne de fer dans une main de velours peut-être ?
Bien que j’officiais à l’hôpital de la ville comme bon nombre de mes confrères, il fut décidé aux termes de longues négociations avec la Direction et l’Etat, de nombreux agencements pour permettre à nos patients de se retrouver dans un environnement qui faciliterait leur progression dans la thérapie. C’est ainsi qu’une aile de l’hôpital avait été spécialement construite pour ce service. La décoration de nos bureaux fut laissée à notre guise, suite à ma propre demande, suivie par d’autres. C’est ainsi que chacune d’entre elles était différente des suivante. La mienne adoptait un style moderne classique. La peinture des murs était de couleur bois sauf le plafond qui avait gardé ses teintes beiges. De grandes fenêtres donnaient une vue ahurissante sur le parc de l’hôpital, côté forêt. Il y avait également deux baies vitrées qui s’ouvraient à volonté pour donner accès à un balcon privé sur lequel reposaient une table et ses deux chaises confortables, pour les plus claustrophobes. Quelques tableaux ornaient les murs, et des plantes vertes offraient à l’intérieur une touche de fraîcheur hivernale. Les canapés, il y a en avait quatre, étaient tous en simili cuir kaki. L’un faisait face à un autre, situés de part et d’autre d’un haut bureau en chêne sur lequel un cadre photo dévoilait le visage lumineux d’une femme avant qu’un certain accident ne lui prenne son sourire. Des supports, stylos, rames de papier, quelques livres étaient rangés sur le devant. Derrière, une immense bibliothèque traitait de livres liés à la psychiatrie, psychopathie, psychologie, et même de la philosophie ou de domaines ayant moins trait à mon métier qu’à mes intérêts. Sur la gauche, un autre type d’étagère : des dossiers rouges, marrons ou blancs selon le profil des patients, rangés derrière une vitre d’un gris fumé, verrouillée à l’aide d’un loquet tous les soirs avant que je ne quitte la pièce. Enfin, le parquet était fait de bois verni vert, aussi lisse et dur que le marbre, agrémenté ici et là par quelques tapis persans et d’une table basse au milieu des deux autres canapés de la pièce.
De mon siège, ce jour-là, en cette quatrième session qui débutait comme d’ordinaire par un silence quasi-religieux, j’étais vêtu d’une chemise blanche à manches longues dont les boutons du col étaient partiellement détachés. Mon pantalon beige assortissait une ceinture marron avec des chaussures vernies du même ton. Le ton était relevé par une montre que j’avais payé une petite fortune, en argent, une alliance que je ne cachais plus à mon doigt, et le reste d’une soirée passée au chevet de ma femme qui me donnait un air fatigué que je parvenais pourtant à masquer au commun des mortels. L’une de mes jambes était repliée sur sa consoeur, tandis que l’un de mes bras était posé sur une petite table en bois située près de mon fauteuil, sur laquelle un calepin vierge et un stylo de marque certaine reposaient.
Sa voix. Je l’entendais, enfin. Une voix douce, mais forte. Claire mais chaude tout à la fois, comme si l’on percevait aisément l’hésitation qui l’avait encombré quelques minutes plus tôt. Loin d’afficher ma surprise face à ce soudain retournement, je griffonne quelques notes sur mon calepin, comme j’allais le faire à chaque fois que mon intérêt se ferait sentir pour ses paroles, avant de l’observer à nouveau, et d’ouvrir les lèvres à mon tour.
« Comment s’appelle votre fils ? » Ma question pouvait paraître insignifiante. Et pourtant, derrière elle se cachait l’envie de la connaître elle, avant de savoir ce qui l’amenait à mon cabinet. De comprendre avant d’aider. Car c’était bien là la logique sans quoi rien ne saurait être réalisé. « Quel âge a-t-il ? » Peu à peu, mes questions devenaient plus personnelles, mais aussi plus ancrées sur la réalité qu’elle tentait d’oublier. « Depuis combien de temps est-il dans le coma ? »
acidbrain
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Sujet: Re: torn apart (louis&mel) Dim 3 Jan 2016 - 8:31
And I guess it’s not a failure we could help
Always fall asleep when you're waking, I count the hours on my hands. Doing the math to the time zone you're at, is an unseen part of the plan. But if you'll be my bluebird returning, then I'll be your evergreen, standing tall on your horizon, guiding you home to me, guiding you home to me.
Tu avais enfin parlé. Tu avais ouvert la bouche et des mots s’étaient glissés entre tes lèvres pour finalement se faire entendre. Tu appréhendais sa réponse, sans véritablement savoir pourquoi. Un professionnel ne se laissait jamais déstabiliser. Tu priais pour qu’il ne te questionne pas sur ton silence, car tu ne saurais alors quoi répondre. Tu continues de le regarder, dans l’attente. Peut-être celle-ci était pire que tout le reste. Ces quelques secondes te parurent l’éternité. Tu le regardes griffonner sur son calepin, et tu te demandes ce qu’il a bien pu écrire. S’il avait été surpris par ta décision de t’exprimer, il n’en avait rien laissé paraître. Tu l’estimais beaucoup pour son professionnalisme. Tu aurais aimé avoir autant d’aplomb à jouer la patiente. Tu aurais aimé pouvoir répondre à toutes ses questions sans chanceler, sans être prise au dépourvu qu’une seule fois. Tu savais que tu étais dans un environnement sécuritaire. Tu savais que tout ce que tu disais dans cette pièce y resterait. Tu n’avais aucune difficulté à assimiler le fait que la pièce serait au courant de tous tes secrets. Tu avais plus de difficulté à gérer le fait que lui, il les saurait également. Tu étais une femme très privée, et tu ne partageais pas beaucoup tes pensées. Tu t’occupais trop pour y songer toi-même, à vrai dire, alors pourquoi les partager ? Et pourtant, il le fallait. Tu avais besoin d’aide. Tu refusais de te l’admettre, mais te voilà, face à cet homme qui avait le pouvoir de te sortir du trou dans lequel tu t’étais jetée. Tu voulais croire qu’il pouvait réellement d’aider et qu’en parler te ferait du bien. Tu tentais aussi de te convaincre que tu n’avais pas partagé ces pensées avec Alexander pour son bien. Tu te disais qu’il avait ses propres problèmes, et que même si vous avez toujours été honnêtes, il y a de ces choses qui ne se disent pas. Et ça, cette absence, ton échec en tant que mère… Tu ne pouvais pas lui en parler. Tu ne voulais surtout pas savoir ce qu’il en pensait. Étant le père de tes enfants, il aurait le droit de te juger, il aurait le droit de te trouver faible, et il aurait raison de le faire. Tes enfants méritaient le mieux, et ce n’est clairement pas ce que tu leur offrais. Heureusement, tu payais le docteur assis en face de toi pour ne pas émettre de jugements sur la question.
« Comment s’appelle ton fils ? » Tu souris avec douceur, en le regardant dans les yeux. Ça, tu pouvais y répondre. Ça, c’était une question valable, qui ne t’effrayait point, qui te détendait un peu. « Il s’appelle Noeh. Il a une sœur jumelle, Salomé, et un demi-frère, Matthias. » Tu respirais enfin normalement. Parler de tes enfants au quotidien, sans entrer dans les détails et, surtout, sans mentionner tous les problèmes que tu pouvais avoir avec eux, cela te remplissait d’une certaine sérénité. Quoique puissent dire tes enfants à ton sujet, tu resterais toujours leur mère, et tu serais toujours fière d’eux. Même si le docteur montait tranquillement dans ton estime, tu continuais de te dire qu’il ne s’agissait que d’une simple conversation et que tu ne te faisais pas étudier de la tête au pied comme une bête de foire. C’était la seule façon pour toi de ne pas devenir paranoïaque et de t’éviter de quitter la pièce d’une façon qui ferait honte à ton nom. « Quel âge a-t-il ? » Encore une fois, te voilà rassurée. « Il a vingt-cinq ans. » Tu avais eu tes enfants relativement jeune et tu te rappelles le bonheur que tu avais ressenti, à l’époque, lorsque tu avais appris que tu étais enceinte, quelques années seulement après t’être fait dire que ton corps, à cause des entraînements répétés, ne pouvait pas supporter de l’être dans l’immédiat. Tu baisses les yeux et un petit sourire timide se dessine sur tes lèvres, au souvenir de ce souvenir. Tes doigts jouent distraitement avec l’ourlet de ta robe. Tu redeviens, pour quelques instants, la jeune fille que tu étais, si innocente et pleine d’espoirs. Tu te rappelles d’être dit, ce jour-là, que malgré tout ce que tu avais vécu, tes problèmes étaient en train de s’estomper. Tu t’étais dit être une femme nouvelle. Une femme heureuse. Tu ignorais, bien sûr, tout ce qui suivrait.
« Depuis combien de temps est-il dans le coma ? » L’illusion est passée. Ton visage retrouve le masque impassible que tu t’étais forgée au cours des années, tu te crispes, tu te redresses légèrement, et soudainement tu ne sais plus quoi faire de tes mains. Tu replaces délicatement une mèche de tes cheveux qui te tombait devant les yeux avec des gestes précis, calculés. Ton coude vient se poser sur l’accoudoir de ta chaise, et le bout de tes doigts vient naturellement supporter ta tête. Ton regard se perd dans le vague, juste derrière son épaule. Il revient enfin vers lui, quelques instants plus tard. Il est très élégant. Tu pinces les lèvres, ton index tapote distraitement ta tempe alors que tes autres doigts repliés supportent ton visage, comme si tu te forçais à ne pas te décomposer devant lui. Tu relèves enfin la tête et tu croises tes mains sur ton genou. « Il a été hospitalisé dans cet hôpital, dans l’aile psychiatrique. Il est resté dans le coma pendant quelques mois, et a eu une crise épileptique à son réveil. Il en garde plusieurs séquelles. » Tu te sens chavirer. Tout ce que tu avais tenté de réprimer refaisait lentement surface, et plus tu parlais, moins tu trouvais que c’était une bonne idée. « Il est réveillé depuis plusieurs mois, déjà. Tes lèvres s’ouvrent pour continuer, mais ta voix se brise soudainement. Et je ne sais même pas comment il va. »
Tu fermes les yeux quelques instants, laissant la culpabilité, ta vieille amie, te ronger. Les lèvres contre tes doigts repliés, tu l’évites du regard. Tu sais que tu ne le devrais pas, et cela te prouvait qu’il te restait encore du chemin à faire. Si tu n’étais même pas capable d’affronter le regard de ton psychiatre, comment pourrais-tu affronter celui de ton propre fils, accusateur, blessé et déçu ? Tu relèves finalement les yeux, te sentant plus vulnérable que jamais. Et tu détestais cela.
acidbrain
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Sujet: Re: torn apart (louis&mel) Lun 4 Jan 2016 - 10:25
« torn apart »
Combien de temps ? Combien de temps avais-je attendu, patient, Ce n’était pas encore le moment, mais chacun de mes patients le savait. Malgré la distance que je tenais à clarifier à certains d’entre eux, ceux qui se montraient les plus amicaux, allant même parfois jusqu’à m’offrir des présents qu’évidemment je refusais poliment, tous savaient qu’une relation de confiance naissait progressivement entre nous, et que nous étions sur un même pied d’égalité. La seule nuance étant que je me permettais de les appeler par leur prénom, tout en continuant de les vouvoyer, tandis qu’eux m’appelaient toujours « docteur » ou « docteur drake ». Cette situation n’était pas une exception pour Mélissa, bien que malgré ces quatre sessions passées, je n’avais pas encore évoqué son prénom à voix haute, me contentant souvent de lui sourire, de hocher la tête, et d’attendre qu’elle prenne la parole. Un sourire qui, pour la première fois, me fut rendu lorsque le dialogue fut entamé. Pour une information que je souhaitais éclaircir, j’avais eu trois renseignements au sujet de Mélissa. Qu’elle était par trois fois mère de famille. Le terme de « demi-frère » m’intriguait, comme chaque mot qu’un patient pouvait prononcer et qui dénotait une touche de différence singulière dans sa vie de tous les jours, mais je ne relevais pas. Nous n’étions pas ici pour parler de ses enfants, pas encore. Quelques minutes plus tard et j’apprenais son âge. Ce n’était plus un enfant, ni même un adolescent, c’était un jeune homme. Quoique nous n’avions pas grande différence d’âge et que je me considérais moi-même plus comme un homme que comme un ‘jeune’ homme. Quoiqu’il en soit, l’âge de Noeh m’indiquait que sa mère l’avait eu alors qu’elle était encore à ses jeunes années. Car, bien que chez certains individus, le poids des années ne se fasse pas sentir, je ne donnerais à Mélissa Callahan entre quarante et cinquante ans. En proie à ses souvenirs, je l’observe baisser les yeux sur ses cuisses, les relever en affichant un sourire timide auquel je réponds brièvement, tandis que mon regard se porte discrètement sur ses doigts fins qui pianotent sur sa robe. On aurait dit une enfant qui, pudique, cherche à se cacher du regard insistant d’un adulte qui l’a surpris à mal agir, ou ne pas agir du tout. La curiosité l’envahit, et il tente alors de percevoir chez la fillette de quoi la rendre plus muette encore, amusé dans un coin de sa tête de constater le pouvoir qu’il possède sur la frêle silhouette. Et puis, l’enfant s’évanouit. Progressivement, une femme apparait. Grande, élancée, l’air sévère. C’est à ce moment-là que je perçois son désarroi. Une panique maîtrisée avec soin. Sans doute a-t-elle l’habitude de masquer ses émotions aux yeux du monde, ne puis-je m’empêcher de penser. Je ne manque rien de son hésitation, des doutes qui traversent son regard perdu, de la crispation de ses lèvres et de l’attention qu’elle porte soudain à tout sauf à moi. Lui laissant le temps de réfléchir à sa réponse, je me cale plus confortablement contre mon siège, griffonnant par moments de nouvelles notes sur mon calepin sans la quitter une minute des yeux. Lorsqu’elle reprend, mon stylo la suit de son encre, et mes sourcils se froncent imperceptiblement. Je devine sans mal son chagrin malgré la volonté qu’elle met à me le cacher. La honte l’envahit petit à petit, et je soupire faiblement devant le mal-être qui s’empare de son esprit. « Vous savez néanmoins qu’il est sorti du coma et qu’il est réveillé depuis plusieurs mois. » énonçai-je en reprenant ses propres mots, un nouveau sourire sur les lèvres. Ce que je voulais dire par là ? Que bien qu’elle pensait visiblement être une mauvaise mère de ne pas avoir visité son fils, elle s’enquérait néanmoins de sa santé, au moins physique. J’espérais qu’elle comprenne le message que je voulais dès lors lui faire passer, et qu’elle se sentirait peut-être un peu mieux en comprenant que je n’étais pas ici en tant que juge. « Vous avez dit qu’il en gardait des séquelles…pouvez-vous m’en parler ? » Je désirais surtout savoir s’il s’agissait de séquelles physiques ou psychologiques. Sa réponse me permettrait dès lors de me faire un meilleur avis sur la mère qu’elle pensait être et qu’elle était…du moins sommairement. « Parlez-moi de votre fils, Mélissa. Comment le décririez-vous physiquement, et psychologiquement ? »
acidbrain
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Sujet: Re: torn apart (louis&mel) Mar 5 Jan 2016 - 9:51
And I guess it’s not a failure we could help
Always fall asleep when you're waking, I count the hours on my hands. Doing the math to the time zone you're at, is an unseen part of the plan. But if you'll be my bluebird returning, then I'll be your evergreen, standing tall on your horizon, guiding you home to me, guiding you home to me.
« Vous savez néanmoins qu’il est sorti du coma et qu’il est réveillé depuis plusieurs mois. » Un faible rire s’échappe de tes lèvres et tu croises les bras sur ta poitrine. « Certes. » Tu te doutais, sans en être sûre, de ce qu’il tentait de faire. Soit un faisait un résumé de ce qu’il avait appris à l’instant, comme le fond souvent les docteurs après avoir suivi l’histoire d’un patient, mais cela te semblait inutile, puisque tu prononçais tes premières phrases, et que tu n’avais rien dit de compliqué pour le moment. C’est le mot néanmoins qui te permet de suivre sa tactique, sachant que dans ton métier, le choix des mots est primordial et, qu’en tant qu’avocat, jouer sur les mots est une grande partie de ton travail. Tu peux passer des heures à nuancer des propos, à expliquer la signification d’un mot, à changer la tournure de la phrase, tout cela pour réussir à innocenter tes clients. Et la plupart du temps, tu y arrives. Les mots t’étaient donc familier, et le néanmoins que le docteur Drake venait d’utiliser semblait avoir été utilisé pour te faire sentir un peu mieux avec toi-même. Ce que tu appréciais grandement, il fallait l’avouer, mais qui ne t’aiderait pas. Rien ne pouvait te faire sentir mieux. Tu étais convaincue que tu avais failli à ta tâche : la haine que ton fils avait à ton égard le prouvait. Rien de ce que ton psychiatre pourrait dire ne pourrait, pour l’instant, te faire changer d’avis. Tu avais toujours été franchement têtue et tu traînais ta culpabilité avec toi depuis si longtemps que ce n’était pas un néanmoins qui allait y changer quoi que ce soit. Pourtant, ce mot te rassurait, parce qu’il te prouvait également que ton docteur comprenait ta douleur, et comprenait ce qui te faisait si mal. Et s’il pouvait comprendre cela, peut-être pourrait-il comprendre le reste, et peut-être pourrait-il ainsi t’expliquer ce qui t’a empêché et qui t’empêche toujours d’être une bonne mère.
« Vous avez dit qu’il en gardait des séquelles… pouvez-vous m’en parler ? » Tu l’avais venu venir, celle-là. Il faut dire que tu le lui avais offert sur un plateau d’argent. Tu savais qu’il fallait que tu y répondes, mais tu ne le voulais pas. L’énoncer à voix haute le rendait encore plus réelle. Cela t’obligeait à revivre les scènes où ta fille et ton mari t’annonçaient ce qu’il se passait avec ton fils, ces coups de massue te rappelant avec cruauté que tu aurais dû être là pour lui, pour le soutenir dans ces épreuves. Tu entends encore sa béquille traîner sur le sol du manoir, d’une pièce à l’autre, alors que tu retenais ton souffle, sachant très bien ce qu’il se serait passé s’il était tombé sur toi. Tu n’étais plus la bienvenue dans sa vie. « Je sais seulement qu’une de ses mains ainsi qu’une de ses jambes ont souffert de toute cette expérience. Il se promène en béquilles, maintenant. » Pause. Les séquelles physiques, c’était facile. Alexander te l’avait mentionné. Mais les séquelles psychologiques ? Tu ne saurais dire. Tu étais pourtant convaincue qu’il y en avait, et Aspen t’avait dit qu’il n’était plus comme avant. Plus comme avant. Qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ? Cela ne sonnait pas comme une bonne chose à ses oreilles. « Je suis presque certaine que les dommages ne sont pas que physiques. Personne ne peut sortir d’une expérience pareille sans en faire quelques cauchemars. Petite pause, ta voix voudrait vaciller, mais tu ne la laisses pas faire. Je ne pourrais vous le dire avec certitude, » finis-tu donc avec un faible sourire. Bien sûr que non. Pour cela, il te faudrait avoir une relation saine, constante et pleine d’amour avec ton fils et, de toute évidence, ce n’était pas le cas, sinon, tu ne serais pas ici.
« Parlez-moi de votre fils, Mélissa. Comment le décririez-vous physiquement, et psychologiquement ? » Les mots te manquent, une nouvelle fois. Tu savais, confusément, quoi dire. Tu avais plein d’images qui te remontaient à la tête, des images de l’enfance de Noeh, de son adolescence. Tu pouvais facilement couvrir la période « avant » l’accident, et pourtant, quelque chose t’empêchait de le faire. Peut-être la réalisation que cette période était définitivement révolue. Peut-être la peur que tu n’aurais plus jamais une relation similaire avec ton fils. « Il est assez grand. Cela vient de son père, de toute évidence, commences-tu avec un petit rire. Il a des cheveux bruns, courts, et les yeux pâles. Il ne se tenait jamais droit, » ajoutes-tu avec un petit sourire aux lèvres. Tu avais bien essayé, pourtant, de lui inculquer une bonne posture, mais il n’avait jamais rien voulu savoir. Cela collait bien avec toute la rébellion qu’il avait eue face à vos enseignements. « Avant son accident, nous étions assez proches. Il était, heum… » Tu cherches tes mots. Comment définir ton fils, cet être si complexe ? Comment mettre des mots sur sa nature désinvolte, sur ses peurs, sur ses passions ? « Il n’a pas suivi le plan que mon mari et moi avions eu pour lui, » finis-tu par dire, en choisissant tes mots avec soin. En d’autres mots, il n’était pas devenu un Hunter, comme toi et Alexander l’aviez entraîné à devenir. « Il était brillant, mais désinvolte, et il ne rapportait jamais des bonnes notes à la maison. Probablement parce qu’il ne s’est jamais forcé, et parce que cela ne l’intéressait pas. » Tu te rappelles le souper familial où Noeh vous avait annoncé qu’il s’était pris un appartement en ville et qu’il allait étudier l’histoire à l’université. Vous aviez été déçus de le voir partir, bien sûr, mais tu n’avais pas été surprise. « Il était étudiant en histoire avant son accident. Ah, et il… » Perdue dans tes souvenirs, tu t’arrêtes brusquement. Tes yeux retrouvent ceux du docteur, et l’angoisse te serre. Tu n’y avais jamais songé avant. Inconsciemment, tu le savais, bien sûr, mais ce n’avait toujours été qu’une possibilité, jamais une réalité concrète. Tu prends une grande respiration et tu te lances. « Il a toujours adoré jouer au piano. Pause. Tu as la chance d’avoir un brillant psychiatre en face de toi, et tu vois bien qu’il a additionné un plus un. Tu ne fais donc qu’énoncer l’inévitable, que dire l’évidence. Il ne pourra probablement plus jouer du piano. »
Tu ne peux pas supporter son regard de compassion, alors tu te lèves, te dirigeant machinalement vers sa bibliothèque. Tu adorais lire, toi aussi. Tu en prends un au hasard, et tu commences à la feuilleter, tout pour te soutirer au reste, n’importe quelle distraction étant bonne pour oublier ce que tu venais de dire, pour éviter de faire face à cette évidence, pour éviter de penser que, perdue dans tes propres délires, tu n’avais même pas fait ce rapprochement pourtant évident. Ça doit le tuer, penses-tu. Alors, tu fais comme tout bon être humain fait dans une situation de stress : tu changes de sujet. Tu savais pertinemment bien que ton docteur ne serait pas dupe, mais ce n’était pas du tout le but. Il pouvait penser ce qu’il voulait de ton mécanisme de défense. Tu voulais juste parler d’autre chose, pour quelques minutes, sortir de ta tête pour quelques instants. « Vous lisez beaucoup, docteur ? » fais-tu en agitant légèrement le livre que tu tenais entre tes mains. Tu te rapproches légèrement de lui, le regard soudainement attiré par un cadre sur son bureau. Tu souris, ne quittant pas cette femme que tu ne connaissais pas des yeux, mais qui devait probablement être la conjointe de Louis, dans sa vie en dehors de cette pièce. « Elle est vraiment jolie. Vous avez bien de la chance de l’avoir. »