Les mots tournaient dans la tête de Lorcan, autant de messagers de malheur qu’il ne parvenait pas à faire taire. Son père commençait à perdre patience à le voir reculer devant ses devoirs de futur hunter, et il l’avait longuement sermonné le matin même, incluant sans vergogne dans ses arguments le meurtre de la famille qui avait été soi-disant décimée par des mutants. Ses raisons, Lorcan les connaissait par cœur, mais il n’aimait pas du tout qu’on lui rappelle que dans leur propre ville, des gens avaient été assassinés par les monstres qu’il était censé chasser. Cette nouvelle façon pour le convaincre d’avancer dans la bonne direction ne faisait qu’accentuer sa culpabilité, et le dégoût qu’il ressentait à être un de ces monstres. Il avait assisté à l’exécution publique de la responsable de l’incendie, il avait vu la ferveur quasi religieuse s’afficher sur le visage de chacun des membres de la famille Wolstenholme, et il s’était demandé, une millième fois, quel pouvait bien être son problème … Il aurait préféré être comme eux, même si cela impliquait de se gorger en souriant d’une scène aussi violente que celle qu’ils venaient de voir. Il n’arrivait pas à accepter ça. Ce n’était même pas le mutant en lui qui parlait, juste l’humain, qui refusait de donner la mort aussi brutalement. Mais on attendait de lui qu’il entre dans le rang, qu’il admette qu’ils avaient tous raison et qu’il n’était finalement qu’un jeune garçon qui ne connaissait rien à la vie et à ses dangers. Les mutants étaient des dangers. Les mutants devaient être éliminés. S’ils ne faisaient rien, les incendies criminels et les meurtres allaient se multiplier à Radcliff, et il aurait la mort d’innocents sur la conscience … Lorcan savait tout ça ! Il était absolument d’accord avec son père quand il disait que les mutants étaient des monstres, des dangers pour la population. Mais entrer dans les rangs hunters lui semblait une décision au-delà de ses forces. Il n’y tiendrait pas une semaine, c’était certain ! Mais il ne serait pas réellement un Wolstenholme tant qu’il refuserait de devenir hunter, et rien ne l’affligeait plus que de penser qu’il ne serait jamais un membre à part entière de sa famille.

C’est pris dans ces questionnements sans fin que Lorcan traversait Radcliff, en de grandes enjambées anxieuses. Il ne faisait attention à rien, à personne. Pour la première fois depuis des semaines, il envisageait sérieusement de rejoindre les hunters, juste pour que pendant un court instant il se sente enfin réintégré dans sa famille. Les conséquences, par la suite, il les connaissait et préférait ne pas y penser … Il regardait droit devant lui sans voir la rue, et il fut soudain bousculé par une jeune femme, qui le tira brutalement de ses pensées. Il regarda autour de lui, s’excusant à mi-voix à l’adresse de la demoiselle, et s’apprêtait à reprendre sa route quand elle prononça son nom. « Lorcan ... ? » Ce n’est qu’à ce moment qu’il la regarda réellement, cette femme qu’il n’avait jamais croisée de sa vie mais qui semblait le connaître. Il détailla les traits de son visage, un sentiment de déjà-vu enflant en lui. Elle avait un regard intense qui lui était familier, et il eut besoin de quelques secondes pour se souvenir d’elle. Effectivement, il ne l’avait jamais vue, pas dans cette vie bien réelle, et il n’y avait pas à se demander pourquoi il ne l’avait pas reconnue à première vue … Il se décomposa littéralement en comprenant qui elle était, et il chercha désespérément à se souvenir de tout ce qu’il avait pu lui dire. Dans ses rêves, il l’avait croisée si souvent ! Et il lui avait tant parlé … « Toi ! » La stupeur avait fait place à l’effroi, qui s’était lui-même effacé devant une rage brute. Celle du hunter floué par une mutante. Il l’attrapa par le bras, la tira violemment dans une ruelle à l’écart, et une fois seuls, il la saisit par le cou. Il serra ses doigts autour de sa peau blanche tandis qu’il la plaquait contre le mur. « Qu’est-ce que tu m’as fait ?!? » Il ne haussa pas le ton, désireux de ne pas attirer l’attention d’éventuels passants, mais sa voix était clairement menaçante, si ses gestes ne l’étaient pas suffisamment. Elle l’avait trompé. Elle s’était immiscée dans sa tête … Et elle allait le payer.