i. comment êtes-vous entré parmi les hunters?
Ses déboires et sa presque folie sont les responsables de son adhésion parmi ce groupe terroriste – ou serait-ce plus approprié, au vue de sa déférence portée à ce cortège, de le désigner comme une élite.  En ce mouvement haineux il y a vu une solution à sa triste solitude depuis le départ impromptu de Nora, quand bien même il est de nature à ne pas se mêler aux autres. Il a aussi profité de la révélation pour pêcher une réponse à son plus gros mystère;  elle est formée d’une d’allégations non appuyées : Rosa était forcément un de ces monstres pour vouloir ainsi couper les ponts avec son frère bien-aimé. De cette réflexion peu diligente, il n’eut d’autre choix que de la mettre à mort, et par ce geste bien radical, sans motifs sérieux pour le légitimer, il est parvenu à rejoindre les Hunters. Une toile de mensonges magnifiquement bien ficelés qui réussit à attirer l’attention des traqueurs, à moins que ce qu’ils aient devinés derrière cette pupille de glace fût bien plus intéressant que le simple meurtre d’une possible mutante ?

   ii. avez-vous déjà effectué votre devoir de chasseur ?
À maintes reprises. Son tout premier acte fut d’occire sa propre sœur qu’il accusait – fort probablement à tort – d’être une mutante. Disert et malin, Brandon n’a pas tardé à se faire remarquer des Hunters, et voit dans cette intégration une permission de poursuivre sa croisade contre la vermine mutante, à sa façon et cavalier seul. Chasseur chevronné qui ne vit que pour la carne de ses ennemis, il ne laisse passer aucun indice sur l’existence d’un potentiel rat, et son obsession pour cette violence gratuite dont il est permis augmente les risques potentiels de récidiver son erreur : celle de tuer un innocent qui n’a rien à voir avec les mutants.

   iii. les mesures du traité de protection des mutants vous font-elles peur ?
Ce traité de protection soulève en lui des fureurs. Il ne comprend pas pourquoi le gouvernement se donne comme but de défendre les mutants. La destruction de cette sous-race étant beaucoup plus difficile maintenant qu’elle est balisée par des règles, cela a pour conséquence de ralentir les activités du chasseur chevronné qui s’applique désormais à la tâche avec une subtilité accrue, une discrétion professionnelle. Rien ne l’arrêtera de faire le boulot pour lequel il s’est engagé.

   iv. que pensez-vous de l'élection récente de thaddeus lancaster à la tête du comté ?
 Comme Brandon est un loup solitaire, il évite les contacts avec ses pairs. Qu’on instaure une hiérarchie et qu’on fasse le ménage au sein des chasseurs ne change rien pour le Hunter, lequel ne fait que suivre ses instincts sans se préoccuper de l’opinion d’autrui. Ainsi la politique lui passe par-dessus la tête. Pour autant qu’on ne lui mette pas des bâtons dans les roues, le clébard est content.

Le 12 janvier 1980 marqua la naissance d’un bâtard, sorti tout droit des cuisses d’une putain retraitée. Chiard indésirable que l’on décida néanmoins d’enfanter jusqu’à son terme, la faute étant surtout attribuée à la paresse de la porteuse qui trouvait bien trop laborieuses les démarches en vue d’un avortement. La vie ne fut point un généreux cadeau qu’on offrit au dénommé Brandon, loin s’en faut. Tout au plus un sévère châtiment à l’existence de cette colombe, condamnée à devoir vivre – pour ne pas dire survivre – au sein d’un environnement hostile et peu favorable à son développement. Son beau-père, vieil ivrogne brutal, ne voyait en ce môme qu’un véhicule à sa violence, l’empreignant bien plus de douloureux stigmates que d’un amour dû entre un padre et un rejeton.  Quant à celle qui lui insuffla vie, elle se crut libérée de ses obligations dès l’instant où elle le mit bas, interpellée sans délai par ses douces drogues dont elle avait suspendu autant que faire se peut leur usage du temps où elle portait Brandon. Capturée dans son monde de chimères, son rôle de mère fut bien vite oublié, plus ou moins légué au dernier membre de cette famille.

Lequel portait le joli nom de Rosa. Officiellement demie sœur d’une dizaine d’années de plus, c’est à elle que Brandon doit sa survie. Toujours à ses flancs quand il en avait le plus besoin, ils cohabitèrent dans cet enfer durant cinq hivers, se serrant les coudes dans les moments misérables qu’engendraient des parents pervers et sadiques – le père était d'ailleurs trop allumé par l’indicible beauté de sa fille, et ne se privait pas pour en explorer les moindres recoins sous le regard puéril de Brandon. Finalement dénoncés à des autorités, il ne fallut guère d’une enquête bien laborieuse pour deviner les scénarios qui se tramaient dans les coulisses de la cahute, et on décida de déménager les deux malheureux enfants dans une famille d’accueil. Une amère liberté acquise au prix d’innocences envolées.

Pour autant qu’il ne perdait pas de vue sa grande sœur, Brandon était content. Uni à elle par une passion bien plus grande que ce que pourrait justifier un attachement familial et instinctif, l’enfant voyait en elle la même beauté qu’avaient décryptée les yeux de son père. Déifiée par ses soins, le comportement de Brandon à l’égard de Rosa devint de plus en plus étrange, obnubilé par sa sœur comme il n'était pas permis de l'être. Oh aux prémices de cette relation ambiguë, Rosa ne détestait rien de cette situation, s’y plaisant en y ajoutant quelques touches d’humour, toujours en lui rendant bien cet amour par une complicité et une gentillesse à envier. Après tout, n'étaient-ils pas des inséparables qui avaient affronté à deux les houles de leur vécu ? Mais cette union se ternit à l’âge adulte, lorsque Rosa eut goût d’indépendance. De ces envies frivoles vint leur toute première séparation : Rosa se prit un appartement seule, décision qui ne plut évidemment guère à Brandon.

Aussi dur fut-il d’accepter les changements, Brandon se résolut de la laisser un peu seule, quoiqu’à contrecœur. Bien conscient qu’elle lui était entièrement inaccessible, il préféra faire sa vie de son côté. Un nouvel emploi au sein d’Interpol, en tant qu’agent, fut rapidement en poche, en plus d’une copine qui avait au moins le mérite de lui occuper l’esprit. Rien de bien sérieux à dire vrai, lui qui n’avait de yeux que pour sa demie sœur qui faisait montre d’un crescendo d’agressivité contre lui. Pour l’éloigner, et ainsi préserver une intimité de plus en plus violée par son frère, lequel la suivait un peu trop à son goût. Et Brandon ne comprenait pas, tout du moins ne voulait pas faire l’effort de la comprendre, cette inimitié naissante. Le duo, lentement, ne devint plus qu’un groupe de deux individus changés en étrangers au gré des distances creusées.



L’esprit déconfit et une larme de rancune pendue à son cœur, ce fut dans ce pittoresque état que sa détresse perçut une bouée. Nora Brekke, jeune collègue d’Interpol qui ne fit rien pour se faire remarquer, si ce n’est briller de son ineffable beauté comme l’avait si souvent vu faire Brandon de Rosa. Deux femmes qui partageaient des points en commun que l’âme peinée ne fit pas fi. Le début d’une nouvelle chasse pour le molosse refroidi par son rejet, mais dont le cœur n’abandonna pourtant pas sa quête, en l’occurrence celle de trouver sa déesse. Et comme l’attitude de Brandon se basait sur des dépendances et des obsessions, ce nouveau combat ayant point dès le moment où il la remarqua n’allait pas être déclaré forfait, quand bien même la femme faisait preuve de bien d’indifférence. Entre manigances pour la mettre sur son chemin et une persévérance effarante, Brandon ne gagna dans cette lutte qu’un bien maigre produit : une amie, sans plus. Parce que la dame, sans surprise, avait trouvé parti auprès d’un fiancé, et qu’elle lui vouait une loyauté à gerber. Mais de patience il s’arma, jusqu’au jour où il crut gagner le gros lot par la mort du concurrent.  

Aucune chance ne lui fut laissée. Nora Brekke, le cœur en miettes, s’envola vers d’autres vents sans un regard de plus pour Brandon. Ce dernier n’y vit qu’un second rejet, et un de trop diantre, puisqu’à nouveau esseulé il décida à son tour de quitter son poste, mettant de côté les problèmes du cœur pour se concentrer sur les nouveautés du monde. Transmutants venaient de faire leur sortie, et cette race à part intéressa Brandon pour des raisons bien obscures dont seul son subconscient détenait la réponse. Une envie de se changer d’air ou de ne plus penser aux femmes, peut-être, il déploya moult efforts pour en apprendre davantage sur ces personnages, alors que le cerveau développait en catimini une réflexion peu laborieuse au sujet de sa demie sœur, laquelle le fuyait toujours comme la peste et ne s'enquérait plus de ses nouvelles, sans raison évidente aux yeux de Brandon.

« Et si… » Ainsi commença ses hypothèses, ainsi se fomenta lentement une vendetta peu digne d’un esprit sain. Et si Rosa, sa propre sœur, avait quelques lourds secrets qu’elle ne pouvait conserver qu’au prix d’une séparation avec son alter ego ? Et si elle faisait partie de ce groupe de transmutants ? De la colère et de la confusion, une soudaine envie de transcender tous ses principes pour obtenir justice et venger cette perte. Poussé par ledit amalgame malsain, Brandon commit l’irréparable en dérobant la vie de Rosa, persuadé qu’il sauvait l’univers de cette vermine dont il ne tolérait pas la présence, car responsable en quelque sorte de cette séparation forcée auquel il fut victime. Sans ces gênes, sa sœur serait toujours à ses côtés, et la perte de Nora Brekke n’aurait été qu’une bagatelle…




Quelques maigres années plus tard, le meurtrier impuni n’est plus qu’un chasseur à l’affût du moindre signe mutant, molosse enragé qui ne flaire que pour les exhalaisons putrides que dégagent ces parasites. Une personnalité prisonnière d’un carcan de froideur et d’agressivité, une mascarade de défauts pour dissimuler un cœur rongé de solitude. Brandon ne voit plus que par son travail, tout du moins crut-il procéder ainsi jusqu’à la fin de ses jours, si ce n’est cette rencontre impromptue qui réveille en lui des réminiscences d’un passé douloureux, et lui rappelle que son combat d’antan demeure  toujours le sien aujourd'hui.


Plus qu’une ombre parmi les ombres qui se faufile dans des corridors de ténèbres pour épier sa proie. Fébrile, ses calots, avides de beauté, ne ratent rien de ses déhanchés, de ses manies et de ses regards furtifs qu’elle jette à l’assaut des environs pour justifier ce malaise perpétuel qu’elle ressent. Il la dénude et la viole sans qu’elle ne s’en aperçoive alors même qu’il s’échine à conserver une distance respectable de sa carne à la sienne. Il croit percevoir de délicieuses saveurs portées par le zéphyr quand elle laisse son abondante crinière galoper contre sa nuque, doux parfum qui lui rappelle un temps révolu mais pas moins perdu.
Des années. Des putains d’années passées à imaginer la baiser alors qu’il en saute une plus laide. À la dessiner en rêves, guidés par des esquilles de souvenirs qu’il a eus peur de perdre. De la voir sur sa route par un fortuit hasard le met dans tous ses états, lui qui a dû l’oublier lorsque sa décision a été de quitter New York.
Il la regarde, la dénude, la viole, mais n’ose pas s’approcher. Il calcule avec minutie la procédure à suivre, entêté cette fois-ci à ne pas la laisser lui filer une seconde fois entre les doigts, à ne pas vivre à travers une troisième séparation avec les femmes de son existence.

Ces vies réunies derechef n'est plus qu'un signe flagrant aux yeux du dangereux loup assoiffé d'amour et de beauté: Nora est destinée à être sienne; que ce soit demain, ou dans un mois, ou dans des années, Brandon la gagnera, elle et cette foutue bataille.