- NEW ORLEANS, 1998 -

Cora redresse le visage vers Miles, le gratifiant d'un sourire candide. Ses grands yeux bleus et brillants semblent illuminer l'existence du jeune homme. Cora n'avait qu'à lui jeter une œillade pour qu'il oublie les décors alentours, Cora n'avait qu'à lui murmurer quelques mots pour que s'effacent les désagréments du quotidien. D'un geste, il entoure son torse d'un bras protecteur, et la fillette se serre un peu plus contre lui, jouant machinalement avec une boucle de ses cheveux dorés. Un moment de félicité, complicité qui unissaient le frère et la sœur. Les deux enfants Abberline, la petite princesse et son aîné qui s'imaginait gardien d'un trésor. « Tu ne me laisseras jamais Miles ? » c'est une voix d'enfant qui parvient à ses oreilles, et, embrassant la chevelure de sa petite sœur, Miles ne peut que lui promettre qu'il ne l'abandonnerait pas, jamais. Mais Cora est prise d'une quinte de toux, Cora s'agite et geint. Son front est brûlant quand Miles pose le revers de sa main sur sa peau porcelaine. La petite se détache du jeune homme qui ne peut bouger, impuissant devant la fuite de sa sœur. Quelques pas d'écart et Cora s'écroule, toussant, pleurant. Sa peau se teint de vermeille et ses cris sont comme des coups de poignard. Miles a beau hurler, aucun son ne semble plus s'échapper de son sein, son souffle même vient à lui manquer. Mais il continue, il hurle, encore et toujours quand elle lui échappe, quand elle se consume et se fane. Cora, sa Cora. Une main l'arrache finalement à son sommeil. Sa mère penchée sur lui, secouant ses épaules pour le tirer de ses songes assassins. Miles la rejette d'un geste, lui tournant le dos en tentant de reprendre son souffle. Sa Cora n'était plus, sa Cora n'avait pas réussi à contrôler sa mutation. Sa Cora s'était laissé consumer par une anomalie, une maladie trop puissante pour son corps et son âme d'enfant. Et lui, lui qui pourtant avait juré de rester près d'elle, lui le gardien du trésor, l'avait laissée partir sans parvenir à agir. Impuissant qu'il était.

- NEW ORLEANS, 2011 -

Elle se perd dans ses paroles, scande à qui veut l'entendre qu'elle a posé pied partout, d'un bout à l'autre des continents, et frôlé d'une main vierge de toute intention les océans et les mers. Elle a cet air farouche sur le visage, l'œil vif et rieur. Ses cheveux roux et sa peau blanche semblent capter la lumière tamisée du bar, et le son aigu qu'elle émet quand elle se penche tête en avant, cachant ses lèvres de sa main comme pour étouffer les rires font tourner les regards vers elle. Ses longues jambes dénudées attisent l'envie des hommes, et la jalousie des femmes. Elle a cet air mature digne de l'aventurière qu'elle prétend être, et ses lourdes mèches rouges encadrant son visage cascadent le long de son dos, faussement mal peignés, lui donnent un air sauvage et indomptable. Le regard fixé sur la jeune femme depuis de longues minutes, Miles ne prétend même plus s'intéresser à son propre rendez-vous. Ce soir il n'a plus d'intérêt que pour cette inconnue aux courbes avantageuses. Elle s'entretient avec une de ses amies, caresse tantôt son épaule d'un geste doux, jette de longues œillades à cette salle remplie pour constater l'effet qu'elle leur fait. Un sourire s'affiche rapidement sur les lèvres du médecin, un sourire réservé aux hommes et leur désir de chasse. Un sourire d'une douce cruauté, d'une envie non dissimulée et d'amusement. Sylvia se racle la gorge, sautillant sur sa chaise comme pour retrouver l'attention dont elle était initialement sujette. Sans un regard vers la jeune femme, Miles pointe son index vers son visage, comme pour lui dire implicitement de la fermer, de ne pas intervenir dans la suite des évènements, de ne pas entrer dans ce qui allait devenir son jeu. Sylvia, trop habituée à ce genre de réaction ne proteste pas, croise ses bras contre sa poitrine en détournant le regard. Leste, le jeune homme se redresse, avance d'un pas assuré vers le bar où se trouve la rouquine. Elle feint de ne pas le voir mais le rose s'installant sur ses joues la trahit, la commissure de ses lèvres tremblotante également. Elle sait aussi bien que Miles que le jeu est déjà terminé. La parade qui suivra, la valse des regards et autre copulation verbale n'était que le plus censé attiser le désir. Miles se penche alors vers la rouquine, murmurant quelques mots à son oreille. Le charme opère assurément. Toujours assise à leur table, Sylvia observe la scène d'un œil furtif, un sourire doucement ironique sur les lèvres. Car Sylvia connaissait la fin du jeu, Sylvia l'avait vu opérer bon nombre de fois. Miles était un charmeur de serpents, tout comme elle. Un jeu sadique qu'ils avaient mis en place tous les deux. Les Chasseurs n'adhéraient pas tous aux mêmes pratiques mais le résultat restait toujours le même. Mués par des idéaux dont la violence ne faisait que grandir, d'un bout à l'autre du continent. Certains se croyaient mués par une mission divine, les rejetons d'une armée cléricale. D'autres n'étaient que des foutus clébards qui ne faisaient que terroriser les foules par leurs discours sans jamais bouger le moindre petit doigt. D'autres encore, comme eux, étaient animés par une haine froide, et loin d'être assez stupide pour se lancer dans des actes terroristes de grande ampleur, avaient pris leur surnom au pied de la lettre, s'étaient lancés dans une véritable traque. Des chasseurs, qui se dissimulaient du grand jour, attiraient leurs proies, les dégénérés, pour finalement fondre sur eux. Sans qu'ils ne s'en rendent réellement compte. Alors c'est avec ce même amusement que Sylvia regarda Miles quitter le bar en compagnie de la mutante rouquine.

- RADCLIFF, 2013 -