Hors de question de laisser Liam se rendre une fois de plus dans ce foutu bar de la ville. Kora était décidée : elle allait briser sa routine comme on brise un couple. Sans éveiller les soupçons. Elle avait élaboré un plan pour ne pas dire un piège afin de réussir sa mission. Autant dire qu’elle n’était pas disposée à un refus, ni même à un compromis. Ce soir elle allait emmener Liam faire la fête : carpe diem. Vendredi comme tous les vendredis, elle choisissait entre toutes les propositions de la semaine le caveau de sa débauche. Mais cette fois-ci elle prit le temps de réfléchir avant de se décider, elle ne pouvait pas amener Liam à n’importe quelle soirée. Une soirée costumée ? Pourquoi pas. Une soirée hippie ? Non. Une soirée mousse ? Encore moins. Elle devait trouver un thème de soirée qui ne le ferait pas fuir, c’est-à-dire aucun thème. Le choix ne fut pas vraiment difficile étant donné qu’il n’en existait qu’un : la résidence. C’était un lieu qu’on ne soupçonnait pas pour donner une fête mais en réalité c’était le lieu idéal. Les oiseaux de la nuit comme Kora le connaissaient très bien, ils aimaient son goût insolite et le trafic de substances illicites qui circulait sans modération.

C’était parfait pour Liam. Il n’allait pas se rendre compte tout de suite du bordel dans lequel elle l’avait amené, il allait boire, se détendre, respirer l’air de la démence et petit à petit se laisser entraîner dans ce monde de fous. Kora était toute excitée à l’idée de l’emmener avec elle pour la première fois. D’habitude ils sortaient chacun de leur côté, sans passer la soirée ensemble car leur routine respective était loin de se ressembler. Comme leur caractère. Mais ils avaient su se trouver des points communs malgré la frontière qui les séparait envers et contre tous. Alors elle pouvait bien trouver une faille entre leurs deux mondes afin de n’en faire qu’un. C’était plutôt ambitieux comme pari mais Kora aimait les défis qui en valaient la peine. Les défis comme Liam. Elle n’avait pas encore réussi à le faire craquer, il semblait instaurer une certaine distance entre eux. Eriger un mur pour qu’elle n’avance pas davantage. De quoi avait-il peur ? Elle n’était pas prête d’abandonner, ni même de relâcher la pression. Autant dire qu’il allait devoir tenir longtemps. Leur relation n’était pas forcement très claire. Elle contenait beaucoup de nuances en suspens, des silences explicites et des regards implicites. De quoi donner le tournis.

Ce soir-là, Kora attendait impatiemment dans sa chambre le retour de Liam. Il travaillait souvent tard au garage, il faisait des finitions parce qu’il était plutôt minutieux, ce qui ne la gênait pas du tout d’habitude. Mais ce soir elle devenait folle. Elle n’en pouvait plus de l’attendre et faisait les cent pas dans la pièce. Il était 22 heures donc logiquement il allait bientôt rentrer, prendre une douche et se préparer pour sortir au bar. A ce moment-là elle comptait intervenir, en toute innocence. Autant dire qu’elle eut du mal à tenir : elle avait tellement envie d’aller faire la fête avec lui mais elle ne pouvait pas se permettre de tout gâcher. Il fallait s’en tenir au plan. Ce fut sans aucun doute le plus dur : respecter le plan. Et puisqu’il n’était pas encore sorti de la salle de bains, elle se retrouvait à grignoter tout et n’importe quoi dans le frigo. Pire qu’un ogre. Elle était capable d’ingurgiter tellement de nourriture qu’on avait peine à le croire. Evidemment elle n’avait pu se résoudre à rester dans sa chambre, du coup elle avait pris d’assaut la cuisine.

« Qu’est-ce que tu fais ?! » dit-elle la bouche pleine de pistaches. Kora était d’une telle grâce quand elle mangeait, on aurait dit un goinfre. « On est en retard » Comme si on pouvait être en retard à une fête ! « Quoi ? Tu as oublié ? » Il était à peine sorti de la salle de bains qu’elle avait enclenché la phase une. « Liam tu m’avais promis ! » Elle ne comptait pas lui laisser le temps d’en placer une. « Je t’ai parlé de cette fête la semaine dernière, tu as dit que tu m’accompagnerai ! » Bim. Elle pouvait se montrer diabolique quand elle voulait. Non seulement il n’avait rien oublié mais en plus elle avait tout inventé. Elle comptait sur sa culpabilité pour le faire céder. Et son regard de chien battu. « Je t’attends depuis un quart d’heure moi ». Elle avait enfilé sa robe depuis deux heures au moins !