STORIES ARE WHERE MEMORIES GO WHEN THEY'RE FORGOTTEN

don't be what they made you

"Rebecca Williams. Huit ans. Un mètre trente-et-un, vingt-cinq kilos. Parents : Julia Ferguson et Thomas Williams. Chômeurs. Criminels récidivistes. Abandonnée à trois ans. Adoptée à quatre, retournée à six, raisons financières..." un rire désabusé échappe à l'homme qui balaye son dossier. L'enfant écoute sans comprendre tout ce qui se dit et s'insinue. Ce qu'elle sait, c'est qu'on va l'adopter. Le reste, c'est une affaire de grandes personnes alors elle se tait et fixe du regard celui qu'elle pense bientôt appeler papa. Rebecca savait comment les adoptions fonctionnaient, elle était déjà passée par trois familles d'accueil depuis son arrivée au centre d'adoption. Chaque refus avait une raison différente : manque d'argent, manque de temps, manque de connaissances. Mais chaque raison n'était qu'une excuse car si ces adultes rendaient l'enfant grandissant au centre ce n'était que pour une seule raison : Rebecca les effrayait. Depuis qu'elle était chez eux, des choses étranges se passaient. Des portes qui claquent, des fenêtres qui se brisent, de soudaines migraines. L'arrivée de l'enfant n'était qu'accompagnée de phénomènes paranormaux qui dissuadaient les nouveaux parents de continuer l'aventure formidable d'être enfin une famille. Le jeu n'en valait pas la chandelle.

L'homme était accompagné d'une femme qui parlait peu et passait son temps à taper à toute vitesse sur une machine. Rebecca la trouvait laide, avec son tailleur trop grand et ses ongles trop longs. Elle mâchait un chewing-gum la bouche ouverte et ses lunettes lui tombaient sur le nez. Elle avait plus l'air d'une secrétaire que d'une nouvelle maman. Mais soit. Ce n'était pas elle qui choisissait ses parents, c'était eux qui la choisissaient. A vrai dire, ses cheveux blonds presque blanc ne laissaient personne de marbre. Quelques jours plus tard, elle fit ses maigres bagages et entra dans une grosse voiture noire aux vitres tintées. Sa famille était-elle riche ? Est-ce qu'ils étaient des stars ? Des espions ? Pour la première fois depuis longtemps un sourire s'afficha sur son visage mais celui-ci ne tarda pas à disparaître dans les heures suivantes. On lui fit d'abord passer des tests qu'elle ne comprit pas bien, mais auxquels, visiblement, elle avait réussit. Ses parents avaient disparus pour laisser place à des femmes et hommes en blouses, était-elle malade ou le test venait-il d'indiquer à ces personnes que tout allait bien ? Rebecca ne se sentait pas mal, pourtant.

On lui rasa la tête.

Et le reste s'enchaîna rapidement, trop pour une enfant de huit ans. Prise de photo, taille, poids, tout un tas d'examens avant qu'on ne tatoue sa peau d'un sept à l'intérieur de son poignet et qu'on ne l'enferme dans une toute petite pièce. A l'intérieur : un lit simple, une petite commode, une vasque et un toilette. Jamais encore elle n'avait vu de chambre comme cela, mais Rebecca savait au fond que ça n'en était pas une. Ni qu'elle venait d'être adoptée par une famille.


Elle était réveillée à six heure trente tous les matins sans ménagement. Les lumières de sa chambre s'allumaient soudainement, baignant la petite pièce d'une lumière artificielle blanchâtre qui forçait l'enfant à plisser des yeux pour ne pas être aveuglée par celle-ci. Puis une femme, toujours la même, venait la chercher sans lui adresser la parole et l'emmenait dans une autre petite pièce où un déjeuner spartiate l'attendait : quelque chose d'équilibré qui ne changeait pas ou peu suivant les saisons. On la trainait ensuite sans un mot vers une salle de bain où sa toilette était faites sous surveillance. Elle n'avait pas droit à l'erreur.

Et la journée pouvait commencer.

La matinée était réservée à ce qui pouvait s'apparenter à l'école. Elle apprenait à écrire, lire, compter. Certains chapitres étaient sautés, en partie parce qu'elle avançait plus vite qu'on ne l'avait pensé, mais surtout parce que son éducation n'était pas la raison de sa venue ici. Avant le repas venait l'heure de l'entrainement physique. Pas du sport, non. De l'entrainement physique et toute la discipline militaire qu'il pouvait y avoir derrière. Le même schéma, les mêmes exercices encore et encore jusqu'à ce qu'elle les maîtrise : mais jamais de quoi lui donner les clefs pour se défendre. Son corps était sculpté, mais on ne lui enseignait pas comment se battre. On gardait l'oeil ouvert et chaque faux pas était puni. Puis venait le repas, bref mais minutieusement orchestré : le menu était étudié pour qu'elle ne manque de rien sans pour autant la rendre forte et endurante. On la maintenait en vie sans lui donner le luxe d'être gourmande ou d'en redemander.

L'après-midi était lui consacré à l'entraînement psychique. On avait compris dès le départ que ces phénomènes paranormaux qui avaient accompagnés ses adoptions n'étaient pas si paranormaux que cela. Rebecca était ce qu'on appelait une mutante, un être doté de manière hasardeuse d'un gêne lui permettant de développer un don hors-du-commun. La société qui l'avait adopté sous un faux nom d'un couple monté de toute pièce pour l'occasion traquait les personnes -surtout les enfants- autour desquels se déroulaient des phénomènes inexpliqués. La majorité du temps, ils rôdaient autour des orphelinats et des centres d'adoptions car adopter un enfant était plus simple que d'en voler un : après avoir signé les papiers, on n'envoyait pas la police à vos trousses. Cette société attendait donc que des bruits de couloirs remontent jusqu'à ses sources et c'est ainsi que l'histoire de l'enfant à problèmes les attira. Ils étudiaient les mutants dans le plus grand des secrets et comptaient bien faire fortune sur le dos de ces derniers en les vendant aux plus offrant une fois les avoir modelés à leur image -ou les avoir totalement asservis. Rebecca n'était plus depuis longtemps, ne répondait déjà plus qu'au chiffre seven lorsqu'on commença à tester ses capacités afin de déceler son don et de l'entrainer à l'utiliser.


Pendant des années, dix neuf précisément, ils modelèrent Seven à leur manière. Les traumatismes qu'on lui infligea furent suffisant pour lui faire oublier tout souvenir d'une vie passée, d'un orphelinat qui n'est plus qu'un nuage de brouillard à présent. Rebecca Williams est un nom sans saveur, qui résonne avec la même stérilité que Jessica Abrahams, Jane Smith, Marine Dupond ou Ana Suarez. Son premier souvenir remonte à présent au jour où on lui rasa la tête et où on lui attribua le chiffre sept.