C’était bien la première fois de toute sa vie, qu’Alec Lynch n’semblait pas capable d’apprécier une fiesta à sa juste valeur. Pourtant, n’importe qui avec un semblant de cerveau aurait juré que cette journée était, en tout point, à marquer d’une pierre blanche. Le chasseur tant connu pour avoir froidement abattu Johan Lachlan sur la place publique, était invité au mariage d’Isolde Saddler. Miss défenseuse des mutants, mais également leader d’Insurgency. Ou du moins, ça, ç’avait été aux dernières nouvelles. Beaucoup de choses avaient changé en ville, fallait croire. Voilà qu’Alec semblait être devenu complètement rabat-joie, ses attentions fermées à l’extérieur du monde, alors même qu’il se retrouvait plus volontiers assis à une table en solitaire, plutôt qu’à essayer quoique ce soit pour se mêler à la petite foule des invités autour de lui. Et Isolde Saddler, elle, de son côté, avait assez ouvert son coeur et porté son attention vers le reste du monde, pour trouver l’amour. Il en aurait presque ricané d’un genre d’ironie, réminiscente de leurs jours passés en tant que collègues, où la mutante avait tout mis en place pour prouver qu’elle valait mieux que lui. L’eau avait coulé sous les ponts, hein - et ils étaient des adultes, tout à fait capables d’être civilisés. Alors évidemment qu’il n’avait rien dit, et évidemment qu’il n’avait pas l’intention de faire la moindre remarque, à qui que ce soit. A vrai dire, il avait passé plus de temps à éviter les discussions trop longues avec qui que ce soit. Les politesses élémentaires pour avoir l’air sympathique, le tout avant que les choses n’devienne trop personnelles, ça, ça pouvait passer encore. Pour le reste, il avait aussi peu de choses à dire sur lui, que de conseils à donner en amour - à la mariée, ou au marié. Lui, il foutait tout en l’air quand il était question de sentiments; une évidence qu’il portait plus lourdement sur sa conscience, à ce mariage, en voyant tous ces couples ici et là. C’était comme s’ils lui sautaient aux yeux, aujourd’hui, plus qu’à n’importe quel autre jour de son existence. Bordel. Il aurait bien voulu n’pas trop être concentré sur ses remords, et tous les actes cons qu’il pouvait accomplir en un temps record. Mais fallait croire que certaines choses n’changeaient pas. Un songe qui tambourinait contre son crâne avec la même force de l’espèce de gueule de bois qu’il se tapait aujourd’hui; rien pour ressembler à ce que les gens normaux connaissaient comme conséquences à une soirée trop alcoolisée, mais quand même, quelque-chose. Il était fatigué, il n’était pas particulièrement bavard, plutôt bougon, et toute discussion trop longue lui mettait les nerfs en pelote, tout autant que ça lui vrillait les tympans. Définitivement, dans son coin, là, avec son verre de champagne et son allure, il n’avait pas la tronche de l’invité idéal.

Heureusement pour lui, personne ici n’devait avoir d’attente toute particulière, de sa part: Isolde l’avait invité pour il ne savait quelle raison, et dans les visages qu’il voyait ici et là, il n’reconnaissait personne. Quelque part, accepter toute cette histoire d’invitation et de célébration à l’amour, avait été beaucoup plus facile quand il avait cru qu’il pourrait emmener Calista avec lui. Mais évidemment, il n’avait pas osé, il n’avait rien proposé ce matin, quand ils s’étaient réveillés dans les bras l’un de l’autre, alors qu’ils étaient censés être séparés. Quand il était censé la laisser passer à autre chose et quand elle était censée le faire de façon productive, plutôt que de n’penser qu’à lui, et s’pointer chez lui pour n’pas qu’il passe son anniversaire comme une âme en peine. Quel anniversaire, hein; il avait accaparé Calista pour toute la soirée, et finalement, les choses avaient... mal tourné. Mal, ouais. Il n’pouvait décemment pas voir les choses autrement qu’ainsi; pourquoi s’étaient-ils embrassé, pourquoi s’étaient-ils dit que c’n’était pas un drame, pourquoi étaient-ils allés plus loin encore? Pourquoi était-il là, et la Wolstenholme il ne savait où? Se succédaient dans la tête du Lynch, des envies bien contradictoires: celle qui consistait à aller retrouver la jeune femme pour lui parler, celle qui consistait à laisser un peu d’temps passer, ou encore celle qui consistait à littéralement, lâchement, prendre la fuite. Il était fatigué, ouais, et ça allait au-delà d’une «espèce de gueule de bois», en fait, et voilà qu’il n’savait plus quoi faire avec ses dix doigts, avec sa tête ou avec son coeur; définitivement, ce mariage, c’était presque devenu une planque alors - un bon prétexte pour n’pas donner signe de vie à Calista pendant toute la journée. Si pour cela, il devait rester dans son coin à faire «la fête» jusqu’au milieu de la nuit, qu’il en soit ainsi, alors. En bataille avec sa propre conscience, Alec ne vit même pas Isolde arriver - lui qui aurait juré qu’elle n’pouvait pas être discrète, aujourd’hui, avec sa grosse robe blanche et cette allure totalement différente de c’qu’il lui connaissait. Il fut pris de court par sa présence, relevant un regard vers elle, humant l’air comme si un peu d’oxygène lui permettrait de remettre ses idées en place; « Hey. » marmonna-t-il, profitant du temps qu’elle mit à s’asseoir pour boire une autre gorgée de champagne - plus longue, histoire de finir sa coupe pour pouvoir la remplir à nouveau. Comme dit hier, de toute façon, il n’avait rien à perdre à devenir alcoolique. Rien à gagner non plus, au fond. Certainement pas la moindre épiphanie, quant à savoir quoi faire de sa vie. Ni une quelconque décence, à l’égard de la femme à qui il n’avait que trop souvent brisé le coeur. Et dire que maintenant, il se retrouvait au côté d’une jeune mariée - une Isolde tellement habitée par le «bonheur» et le «pouvoir de l’amour» qu’elle était probablement persuadée d’avoir réponse à tout, quand il était question de romance. Quelque part, pourtant, le Lynch était bien persuadé qu’aucun conseil, quel qu’il soit, n’pourrait l’aider; « J’allais pas passer à côté de l’occasion d’célébrer l’amour éternel. » il ironisa, en réponse aux remerciements de la blonde à côté de lui, incapable de retenir son amertume en premier lieu. Mais il serra les dents, déglutit, s’arma d’assez de sérieux pour avoir une quelconque décence, à l’adresse du bonheur d’Isolde; « Fallait bien que je vérifie si tu t’étais vraiment pas plantée d’adresse, et de numéro de téléphone. » et pour le coup, il n’pouvait pas prétendre ne pas être au moins un brin sérieux; qu’elle comprenne ou non, il avait été surpris de recevoir ce faire-part dans sa boîte aux lettres. La dernière fois qu’elle avait eu connaissance de son adresse, elle avait envoyé une troupe de dégénérés pour l’enlever, après tout. Ils étaient, tous les deux, une histoire en plein développement - le truc, pourtant, c’était qu’en ce moment, Alec il plantait tout c’qu’il essayait.

Pour beaucoup, la tournure de la vie d’Alec ces derniers temps, pouvait tout avoir d’ironique. Lui-même, rien que par honnêteté, il serait prêt à le reconnaître. Non seulement il était devenu ce qu’il avait passé quatorze ans de sa vie à haïr, mais en plus, il était désormais là, cloué sur une chaise, à assister à un mariage en ressassant les récentes catastrophes qui avaient ravagé sa vie amoureuse. Et sa seule compagnie aujourd’hui, à savoir ses coupes de champagne, ne parviendrait jamais à tarir la soif de sens ou de perdition qu’il avait; l’alcool n’faisait plus le moindre effet sur lui depuis belle lurette désormais, comme s’il avait besoin de ça, en plus de tout le reste. Les dégénérés pouvaient maintenant rire d’Alec Lynch le transmutant. Et toutes ses conquêtes éconduites, trahies et blessées pourraient, elles, ricaner d’Alec, l’amoureux paumé. Y’en avait pour tous les goûts. Et aujourd’hui qu’il en était là, il se demandait surtout, comment il avait fait, pour perdre les pédales de la sorte. Lui qui avait toujours été si sûr, d’avoir une certaine maîtrise de sa vie et des décisions qu’il prenait. A ressasser ses souvenirs, le jeune homme se voyait surtout avoir été la victime d’un crash qu’il n’avait même pas vu arriver. Forcément, il était, jusqu’à un certain point, au moins l’architecte du chaos qu’il observait; de la solitude, de l’amertume, des remords et des rancoeurs qu’aucun bon champagne ne pourrait jamais proprement chasser. Dans ses ambitions les plus démesurées, il serait venu à ce mariage avec Calista, et la cérémonie ainsi que la fiesta auraient pu être tout à fait différentes; il s’était imaginé que ça pourrait être aussi facile, avant le Canada, quand il avait reçu le carton d’invitation de la part d’Isolde Saddler. La surprise et le scepticisme passés, il s’était dit que c’était les choses normales que faisaient les gens ‘normaux’, ou ceux qui essayaient de se reconstruire une vie malgré ce qui avait pu arriver par le passé. La mutante avait dit vouloir passer l’éponge, elle avait dit avoir réfléchi, avoir changé sa vision sur certaines choses, et vouloir essayer d’arranger certaines de ses relations passées et précipitées. Johan Lachlan devait s’retourner dans sa tombe à cette perspective. Et finalement, si Isolde avait dû adopter un langage si modéré à son égard à lui, ou à l’égard d’autres personnes encore - au point d’épouser un hunter, ou au moins «fils de» - c’n’était pas étonnant qu’elle ait été jetée sans vergogne par son groupe de mutants enragés. Ironiquement, s’il pouvait connecter avec quelqu’un autour d’événements complètement impromptus - bons ou mauvais - il semblait que la blonde était la personne dont il avait le plus besoin. Quelle surprise, franchement; pour lui comme pour elle, à n’en pas douter. Ses espoirs heureux, il n’les avait pas eus, lui - Calista n’était pas venue avec lui, principalement parce qu’il s’était lui-même assuré de tout foutre en l’air, et que ce matin même, il n’avait pas agi de la meilleure façon qui soit, avec la Wolstenholme. Peut-être aurait-il dû faire mieux, peut-être n’aurait-il pas dû être si déterminé à fuir la moindre conversation avec la jeune femme; pourquoi, hein? Parce qu’ils avaient couché ensemble et que ça devait forcément être accompagné de mots?

Ils s’étaient plus ou moins dit qu’ils parleraient, quand ils le pourraient - mais Alec, il n’savait pas à quoi ça servait, de parler, pour remuer la misère. Avec l’énergie bien heureuse qui flottait dans l’air partout autour de lui, Alec avait au moins le prétexte d’être trop distrait pour avoir le temps d’appeler Calista, ou d’aller la retrouver chez elle. Elle avait dû être confuse, paumée, peut-être blessée par son attitude, une fois l’ivresse passée. Et même rien que ça, le Lynch n’était pas prêt à l’affronter. Elle était peut-être bienvenue, alors, mine de rien, l’apparition impromptue d’une Isolde avec laquelle il n’avait jamais vraiment connecté auparavant. Il se demandait bien ce qui avait pu arriver à la femme indépendante et insupportable qu’il avait côtoyée, au poste de police. Celle qui aurait hurlé haut et fort à qui voulait l’entendre, que se marie était presque anti-droits de la femme. Qu’en était-il, de l’Isolde haïssant les hunters sans concession, qui n’aurait certainement jamais imaginé épouser l’un d’eux? Il était plutôt ouvert d’esprit, Alec; sardoniquement intéressé par ces tournures d’événements, ironiques elles aussi quand on prenait les choses en perspective. Pour l’coup, il était presque avide d’écouter quelqu’un d’autre raconter sa vie. Mais il n’jugeait pas, hein, il n’comptait pas juger ce soir; il n’était pas critique ou acerbe de la ‘belle histoire’ d’amour qui avait transformé Isolde Saddler en mariée tout sourire. Mais force d’expérience déjà, il haïssait désormais autant l’amour que l’amour semblait le haïr. Faute de pouvoir répondre quelque-chose de décent à dire à une jeune mariée en cette occasion, Alec haussa juste les épaules, d’un air au moins semi-désolé. Ils n’démarreraient pas sur un bon pied, leurs «nouveaux rapports» s’il devait se mettre à déballer tout l’acide qu’il avait en tête, le jour du mariage d’Isolde. N’pas être bourré, ça aidait au moins à ça. Elle aurait clairement regretté de l’avoir invité, d’avoir essayé quoique ce soit, et il n’aurait fait que confirmer tous les préjugés que la mutante avait eus à son adresse. Au rythme auquel se délitaient toutes ses relations en ce moment, Alec n’arrivait pas à croire que ça puisse être une mauvaise chose; il n’aurait pas dû venir, qu’il se disait, toutes les deux minutes approximativement. Et évidemment, subsistait dans sa tête, l’idée qu’elle avait dû se tromper, Isolde, au moment d’écrire les noms et les adresses sur les enveloppes; « Ça aurait pu être une erreur du genre... impulsion d’une nuit d’ivresse... » l’alcool le rendait con, peut-être que l’alcool rendait Isolde généreuse. Il connaissait ça maintenant, tiens; le genre de désespoir qui n’avait aucun sens et semait le bordel sur son passage. Mais il semblait que malgré leurs points-communs, la différence entre Isolde et lui, était maintenant qu’elle, elle faisait les choses en connaissance de cause, après y avoir réfléchi. Lui, jour après jour, il perdait juste... prise... sur tout. « J’en sais rien. Plein de gens seraient plus d’accord avec le fait que j’sois un connard. » ç’aurait pu être interprété comme une blague, vu le ton trivial qu’il employa; mais il n’souriait pas - il s’en foutait de ce que les gens pensaient de lui. Ç’avait été le cas pour ce qu’Isolde avait pu penser de lui également, il n’avait jamais essayé de se rattraper auprès d’elle, ou de lui prouver qu’elle avait eu tort. Tant pis si on le haïssait, s’était-il dit à l’époque, tant qu’il faisait ce qu’il avait à faire. Maintenant, il était juste las, et il n’avait plus rien à faire. « Alors... c’est quoi, la prochaine étape dans tout ça? La retraite anticipée? » il demanda, légitimement curieux comme si l’avenir d’Isolde pouvait lui importer. Ici, comme ça, elle semblait avoir tout; mariage, amour, bonheur, famille. Ces choses auxquelles il n’avait jamais songé, lui. Et elle était à l’aise avec tout ça. Alors quoi? Il semblait que tous les deux, ils avaient été rattrapés par l’évidence que leurs causes n’avaient finalement pas été si évidentes et éternelles que ça. Mais définitivement, au jeu d’la vie tout court, sans repère et sans trajet prédéfini, Isolde s’en sortait mieux que lui. Il aurait presque pu la détester pour ça, si ça n’lui semblait pas parfaitement légitime; un genre de justice, qu’il méritait sans doute.