always&forever

Perclus de crainte au seuil d’une porte, les calots vissés sur les numéros cloués au bois, la main reposée non loin, contre la paroi. Brandon ne bougeait pas d’un iota depuis une dizaine de minutes, s’imaginant ce qui se tramait derrière cette barrière comme il résistait à l’envie de la défoncer purement et simplement.  Baigné dans un silence claustral, ses réflexions bourdonnaient en fanfares au creux de son oreille sans qu’il ne trouve moyen de les couper court, cherchant lamentablement du courage dans les derniers souvenirs qu’il avait d’elle.
Elle, qui se cachait à l’instant même dans son antre, sans penser une seconde qu’un fantôme hantait le corridor, dans l’attente d’être invité. Elle, dont l’indifférence naguère témoignée au supermarché avait ouvert des plaies qu’il avait cru cicatrisés. Les balafres d’un perpétuel rejet qu’elle n’avait de cesse d’éveiller sans pitié en ne lui rendant pas l’amour qu’il mériterait. La douleur à ses tripes lorsqu’il se rendait compte de son détachement à son égard n’avait d’égal que sa détermination à l’avoir pour elle. Un combat prédestiné à être perdu, mais qui n'empêchait pas d'être mené jusqu’au bout. Ce pour quoi il était là, échoué à la porte de son appartement, dans l’attente d’un zeste d’audace pour manifester sa présence.

« Nora. Tu m’as terriblement manqué. » Qu’il s’entend alors murmurer sur un ton qui faisait mourir les mots avant d’être ouïs par un quelconque quidam. « Terriblement… manqué. » Il réitéra alors en fermant les yeux, passant une main sur son visage pour le nettoyer de ses regrets. Plusieurs années à essayer de l’oublier; des années perdues en vrai, car le voilà à la case départ, alors qu’il se croyait libre de tous les problèmes qu’engendraient les femmes de sa vie. De la voir sur son chemin par un fortuit hasard l’avait encouragé à prendre les initiatives, à la retrouver en ville pour remettre les pendules à l’heure. Peut-être il s’agissait encore d’une erreur que de lui accorder autant d’importance, mais Brandon se sentait incapable de dormir s’il demeurait oisif tout en la sachant si près de lui.
Il était trop tard pour reculer.
Alors il cogna de quelques coups timides contre le bois de la porte, la lippe légèrement tremblante d’incertitude, la frayeur brasillant en futile étincelle au creux de son regard d’azur.

C’était un malheureux vaurien qui cherchait l’hospice auprès d’une fastueuse caste. Un clébard blessé qui glapissait pour attirer l’attention. Un cœur balafré dénué de tout orgueil, prêt à épancher ses faiblesses pour obtenir une seconde chance. Tout ça, c’était Brandon, immobile face à une porte qu’il souhaiterait tellement défoncer pour ne plus avoir à patienter, escorté seulement par un silence et des incertitudes. Il eut l’impression d’éternité alors que tout au plus cinq minutes suffirent pour que sa voix retentisse à travers la porte.  Une mélodie qu’il ne se lassait jamais d’entendre, si bienfaisante qu’elle le berça pour en oublier toutes ses appréhensions, tellement bonne à ouïr qu’il oublia d’y répondre.

Et elle apparut. Cette vénus qu’il ne méritait pas. Dans sa parfaite perfection, elle se montra, plus sublime encore que dans ses rêves, plus vraie surtout que dans n’importe quel souvenir. À cet instant précis, plus aucune hésitation n’était visible chez celui qui retrouva tout son aplomb dès l’instant où ses yeux osèrent embrasser cet être chimérique. Elle en valait réellement la peine.  Tout le mal dont s’était épris son cœur était légitimé. Honte à lui d’avoir presque oublié les sentiments qu’elle lui procurait. Il fut à ce point hébété par sa présence qu’il ne souleva pas son irritation pourtant généreusement partagée. L’esprit du chasseur travaillait à l’instant même d’arrache-pied pour repeindre autant que faire se peut l’esquisse de ce personnage en mémoire de sorte qu’il puisse se souvenir d’elle. Mais sa beauté était au-dessus des pinceaux, et trop ardue était la tâche de n’omettre aucun détail qui faisait d’elle une femme sans défaut. Alors il abandonna, s’extirpant de sa torpeur en parlant, tandis que les traits abandonnèrent la surprise pour mimer la sympathie.

« Hey toi. » Un subtil pli se creusa à la commissure de ses lèvres comme il domptait avec courage la gêne due à sa venue. L’embarras flottait autour des deux acteurs en dépit des efforts de Brandon pour conserver son aise. « L’autre fois, au supermarché. On n’a pas réellement eu le temps de discuter. L'endroit était pas trop propice, faut dire. J’ai… Enfin, j’ai cru que… »  Il balbutia tellement que c’en était ridicule.  La nervosité était palpable, tellement intolérable qu’il décida de la chasser en allant droit au but : « J’ai pas pu m’empêcher de te retrouver. » Honnête, il se devait de l’être, quitte à l’effrayer par son attachement hors norme. « On pourrait aller prendre un verre, peut-être ? »
...à défaut de le laisser entrer. Elle ne pouvait le renvoyer purement et simplement. Il avait droit à une récompense pour son acharnement. Parce que du courage il en fallait grandement pour oser importuner Nora. D’ignorer aussi tous les signes qui couraient en sa défaveur, comme une éternelle huée à toutes ses tentatives, exigeait une énorme volonté. Délesté de sa froideur et de sa fierté, Brandon était mis à nu devant elle, prêt à s'abandonner tout entier pour l’avoir à lui seul.

Une invitation qu’il n’allait certes pas refuser. Dès que la silhouette s’effaça, Brandon pénétra l’appartement, légèrement médusé qu’elle accepte – quoiqu’en filigrane – qu’il vienne souiller son antre de sa présence. Qu’importait si les motifs ne se résumaient qu’à se débarrasser fissa de lui, ou que ses actes ne tirent leur fondement que dans un comportement un tant soit peu civilisé et non dans une envie de partager, cette décision particulière eut l’effet d’un premier espoir pour l’âme chavirée, laquelle usait du moindre signe comme bouée à ses déboires.  Aussi gagna-t-il  toujours un peu plus d’assurance à chacun de ses pas, soudainement revigoré d’une confiance qui lui avait cruellement manqué. Refermant délicatement la porte, Brandon se croyait heureux : non seulement il se retrouvait auprès de Nora, mais en prime ils étaient seuls, ce qui lui permettrait de marquer quelques points au jeu du cœur sans s’inquiéter sur leur intimité.
« Oui, je veux bien. » qu’il répondit, prêt à accepter la moindre offre de sa dulcinée. Un « Merci » suivit, brisant ses vieilles habitudes d’une politesse atypique. Il se devait d’être respectueux, cela même si le rendu lui paraissait complètement ridicule.
Le verre fut servi comme on nourrit du bétail. Le chasseur n’en tint pas rigueur, s’approchant du comptoir pour prendre une lampée, bercé par la mélodieuse voix de Nora, pourtant porteuse de bien trop de fausses notes. Froideur et cynisme, dangereux amalgame qui transforma ses paroles en une pluie acérée de couteaux, laquelle déchiqueta le peu d’espoir emmagasiné dans l’âme de l’éperdu Brandon et irrita celui-ci. Ce dernier, pour apaiser son malaise, vida cul-sec le contenu du verre, et dans une retenue exceptionnelle, parla : « Pourquoi tu doutes ? » Sa main devint blanche tellement elle s’agrippait au contenant vide, et son regard marmoréen darda celui de Nora. « Je comprends pas ce que j’ai fait de mal pour mériter tout ça. » Le chasseur entendait par ça toute son inimitié, de son âcreté à sa froideur, sans parler de l’ironie blessante derrière laquelle elle se cachait. Enfin il se décida à ne pas jouer l'aveugle. Qu'ils fassent face au problème dès les prémices.

Parce que de toujours nager à contre-courant l’épuisait. De la voir anéantir ses moindres efforts, alors même qu’ils étaient en tête d’une page blanche, l’exaspérait. Quel crime était-ce de l’aimer éperdument ? Il soupira, puis abandonna sa bienséance, allant lui-même se servir une seconde coupe qu’il cala derechef, sans plus de gêne pour freiner son irrévérence. Un goujat énervé, rien d’étonnant de la part de Brandon qui avait pourtant essayé de donner du sien pour bien paraitre. « Une éternité qu’on s’est pas vus. Une ÉTERNITÉ. » Sa voix était allée en crescendo, et le silence qui suivit servit à calmer son impatience. Après une bonne respiration, il continua : « Je pensais que t’allais partager mon bonheur des retrouvailles. »
Mais il s’était trompé. « Si tu veux que je parte, dis-le et je partirai. » Et ces mots brulèrent sa trachée comme de l’acide qu’il buvait à même la coupe de l’abdication.  

Elle ne souhaitait pas son départ. Cette phrase était tout ce dont Brandon avait besoin pour chasser presto cette stupide suggestion qui lui avait mutilé la trachée. La naissance de sa colère fut sitôt avortée par l’accalmie nouvelle de sa vis-à-vis, laquelle venait de commettre quelques pas pour que les positions soient plus favorables à la discussion. Aussi la proximité des corps lui insuffla le désir de caresser de la cime des doigts ce faciès de porcelaine, et il trembla lorsque sa main vint glisser sur le derme de Nora, au niveau de la joue, comme effrayée de manipuler un si fragile et parfait morceau. Une mèche de cheveux rebelle qui s’était éloignée du troupeau pour entraver le visage fut ramassée dans un même geste lent et rapatriée derrière l’oreille, et sitôt le mouvement presque prude terminé, les chairs se séparèrent, l’une pour sûr à regret. De toucher à nouveau le satin de sa peau eut l’effet d’un baume sur son cœur affolé, lequel battait la chamade malgré l’écrin de roc formé par des traits impassibles. Caresse précoce pour cette relation prématurée, certes, mais qui lui procura un si grand bien qu’il ne la considéra guère comme un attouchement inutile et déplacé.
Il  fut alors ramené à la dure réalité par ce silence oppressant. Une réalité où Nora lui était inaccessible, ouverte un tant soit peu au nom d’une bienséance ancrée à même le caractère de cette femme, mais tout de même trop peu avare de ce genre de caresses prodiguées par un presque étranger. Chassant le malaise d’une voix assurée, il s’accota par le fait même contre le comptoir, alors qu’il envoya balader ses gemmes ailleurs que sur sa vénus, par principe. « Hum. Je vis à quelques rues d’ici. C’est pas du luxe, pas la peine de venir frapper. J’ai pas trouvé encore d’emploi stable depuis Interpol, la chasse me demande trop de temps. » Un pli infatué perça son visage marmoréen, et d’un timbre qui se voulait empreint d’une certaine délicatesse, il poursuivit : « T’as pas trop l’air d’apprécier mon nouveau job. » Il jouait avec le verre vide, le faisant tourner entre ses doigts tout en regardant le manège. Nul besoin d’être devin pour comprendre que ses activités au sein du groupe terroriste ne tombaient pas dans les goûts de Nora. Il préféra taire ses hypothèses quant à ses raisons, ne voulant point que son esprit obsédé en conclue un bien sombre verdict.
« Sans nous, la vermine courrait librement les rues. » Et ce mal évité par sa soi-disant dévotion avait toute une valeur aux yeux du plus féru chasseur en quête d’un remède purgatif contre le virus mutant. « Je sauve la race humaine. » C’était une affirmation catégorique sur un ton qui détruisait tous soupçons. Brandon croyait en son utilité en tant que terroriste. S’il avait bien un talent, il se trouvait dans cette sphère que Nora ne voulait aduler.
Un regard tranchant, empreint d’un sérieux excessif, tomba lourdement sur sa vis-à-vis. Ce furent des yeux témoins de massacres issus de gestes commis par cette même dextre qui avait fait preuve, quelques minutes plus tôt, d’une tendresse insoupçonnée et d’amour inavoué. Un tueur froid et amoureux, dont le palpitant s’affolait tant d’amour pour cette indicible beauté que de violence à l’égard de cette race maudite. Un monstre avec des faiblesses d’homme.
« Mais je suppose que même si je te donnais mes plus solides arguments, je ne réussirai pas à détruire ton opinion. » dit-il sans agressivité. Car il fallait bien être un monstre pour militer en faveur de pareilles idées extrémistes...