STORIES ARE WHERE MEMORIES GO WHEN THEY'RE FORGOTTEN
When push comes to pull comes to shove comes to step around
Il y a les familles où tout se passe bien. Les familles avec leurs problèmes quotidiens. Les familles qui divorcent mais gardent de bonnes relations. Celle qui divorcent dans l’indifférence. Celle qui le font en détruisant tout. Il y a toutes les autres aussi, avec leurs nuances. Et puis, il y a celles qui n’agissent pas. Ainsi ont toujours agi les Alleyne, dans le déni.
Depuis toujours, Judeus assistait à des prises de bec entre ses parents. C’était régulier, c’était la normalité. Ça n’était jamais violent, c’était juste excessivement bruyant. Ses parents, s’ils s’étaient aimés un jour, ne s’aimaient clairement plus depuis longtemps et elle se demandait d’ailleurs si elle n’avait pas été un moyen de tenter de recoller les morceaux de leur couple. Ou alors, elle avait été un accident des suites d’une tentative de réconciliation sur l’oreiller.
Ça l’avait longtemps préoccupé et elle avait été tentée plus d’une fois de poser la question. Elle renonçait toujours pourtant. Comme tous les enfants, elle détestait voir ses parents se disputer, mais c’était la norme chez les Alleyne. Du moins jusqu’à ce jour-là. Celui où tout avait basculé sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte.
La dispute avait commencé comme toutes les autres, sur base d’une connerie quelconque concernant la maison. Même aujourd’hui, Jude était incapable de dire quel était le sujet de la dispute ce jour-là. Sa mutation était juste apparue. L’adolescente excédée qu’elle était en avait juste assez de voir et d’entendre ses parents se déchirer. La lumière avait vacillé un instant de façon progressive, mais ses parents n’avaient rien remarqué, trop pris par leur dispute. Elle, elle avait paniqué un instant avant d’être à nouveau témoin des noms d’oiseaux dont ses parents s’affublaient. Elle s’était énervée, leur avait hurler de divorcer s’ils s’insupportaient autant et les choses en étaient juste restées là.
Juste une énième dispute et un truc bizarre. Pas de quoi révolutionner sa vie en somme.
Le véritable tournant était arrivé quelques mois plus tard, un soir de janvier. Judeus était à la bourre. Elle avait largement dépassé l’heure à laquelle elle devait rentrer, trop occupée à réviser chez une copine de classe. Il n’était pas si tard mais la nuit avait déjà commencé à tomber. Pressée, pas franchement à l’aise, elle avait rapidement pressé le pas avant de se rendre compte que son malaise n’était pas totalement absurde. Elle était suivie, elle en était presque certaine. Elle ne tarda pas à en avoir la confirmation. Jude avait à peine parcouru cent mètres après voir eu cette impression que les pas se précipitaient derrière elle. Effrayée, sa mutation se manifesta plus fortement et la lumière diminua drastiquement autour d’elle. Ce ne fut pas suffisant.
L’homme qui la poursuivait se mit à courir et rapidement, profita de sa distraction pour la clouer au mur le plus proche dans une allée, lui braquant une arme sur la tête et l’empêchant de crier. Elle avait sincèrement cru à ce moment qu’elle allait y passer, juste comme ça. Sans raison apparente. Mais tout s’était enchaîné ensuite. Quelqu’un -un parfait inconnu à l’époque- venait de la libérer de l’emprise de l’homme et elle ne l’avait pas vu, pas entendu. Son agresseur avait alors disparu sans qu’elle sache comment. Il ne restait plus que ce gars, ce type déjà bâti comme une armoire à glace alors qu’il devait n’avoir que la vingtaine à tout casser.
Il lui expliqua ce qu’elle était et qu’apparemment, elle avait la même mutation que lui. Le contrôle des ombres. Dès cet instant, Jude comprit que plus rien ne serait jamais pareil. La différence, quelle qu’elle soit, n’était jamais bien vue. Elle n’était peut-être qu’une adolescente mais, elle était très loin d’être stupide.
Ainsi, elle passa une grande partie de son temps libre -quand il était disponible et disposé- avec ce type étrange, pas causant, pas ouvert… ça lui convenait à elle. Grayman, il disait que c’était son nom. Que ce soit vrai ou non, elle s’en fichait pas mal.
Elle n’avait jamais été particulièrement encline à parler pour ne rien dire et n’était pas vraiment plus tournée vers la socialisation. Vivre dans un foyer en guerre relationnelle permanente n’aide pas à l’ouverture de cœur paraît-il. Le psy de l’école ne lui répétait-il pas encore et encore qu’elle devait se montrer plus amicale envers ses camarades ? Au moins, avec lui, elle n’avait pas à jouer un rôle.
C’est avec lui qu’elle apprit non seulement à tenter de maîtriser sa mutation mais aussi à se battre. Là dehors, il y avait probablement des gens qui voulaient ou voudraient sa peau et elle n’était pas disposée à la leur laisser. Et Jude était en colère, Grayman le savait. Sans lui, elle n’aurait probablement jamais eu une telle maîtrise de ses émotions. Avant qu’il ne l’aide, ses emportements avait été fréquents. Il était d’ailleurs étonné que sa mutation n’ait pas plus fait des siennes.
À ses yeux, il était le seul à pouvoir comprendre. D’abord mentor, elle se résolut à le qualifier d’ami… pour muter en autre chose. Une chose dont elle ne voulut pas parler et dont elle ne put pas parler. Grayman avait dû finir par partir. Elle ne lui avait pas demandé pourquoi. S’il ne voulait pas en parler, elle respectait ça. Judeus n’était plus la même grâce à lui, elle n’était plus impuissante face aux événements et même si elle ne maîtrisait pas aussi bien les ombres comme lui le faisait, elle était assez capable pour être en sécurité, car si son contrôle n’était pas excellent, elle était tout à fait capable de se battre. Il avait veillé à ce qu’elle sache comment se défendre. Il ne lui restait plus qu’à repousser dans un coin ces sentiments qui s’étaient installés sans lui demander son avis.
Sa vie avait juste repris son cours et de temps en temps, elle recevait des nouvelles de sa part et elle en donnait également. De son côté, elle avait quitté la maison de ses parents. Jude n’en était pas vraiment proche et ils savaient qu’ils étaient en grande partie responsable de l’étrange relation qu’ils entretenaient avec leur fille. Ils n’apprécièrent pas qu’elle arrête ses études mais qu’y pouvaient-ils ? Ils avaient perdu le droit de dire quelque chose à ce sujet il y avait longtemps déjà. Elle était du genre à apprendre les choses seules, en toute indépendance, le système scolaire tel qu’il était n’était pas fait pour elle.
Loin de se sentir réellement concernée par les règles de la société, Jude se mit rapidement à arrondir les fins de mois en volant ce qu’elle pouvait directement dans les poches et les sacs de ceux qui croisaient sa route. Rapidement -du moins du point de vue des rares personnes qui lui étaient proches-, elle put monter une petite affaire, un bar décalé où les gens pouvaient s’exprimer librement tant qu’ils ne dépassaient pas les bornes. Les performances étaient une chose commune dans son établissement. Avec le temps, c’était même devenu une sorte d’attraction touristique, des sensations fortes pour les sens. Tout ce qui s’y passait n’était pas toujours légal, c’était un fait connu bien que sa clientèle avait assez d’instinct de préservation pour ne pas se faire pincer dans son fief.
Et pendant longtemps, Judeus put se permettre de vivre comme elle l’entendait, en dehors des normes de la société tout en en faisant partie. Un temps qui lui permit de se rendre compte qu’elle ne contrôlait pas vraiment les ombres mais plutôt la lumière… Jusqu’à ce qu’on détruise sa création.
Jude était discrète sans l’être sur sa mutation. Elle ne la cachait pas, mais n’en parlait pas non plus. Ça avait fini par arriver aux oreilles de hunters et ils avaient simplement foutu le feu à son bar. Heureusement, il n’était pas vraiment fréquenté à l’heure où c’était arrivé. Ils le savaient peut-être, ils ne le savaient peut-être pas. Mais quand ils avaient essayé de la coincer chez elle, elle n’avait pas hésité. Oh, elle ne s’en était pas tirée sans égratignures mais eux, les deux hunters qui s’en étaient pris à elle, ne s’en étaient pas tiré du tout.
Elle ne proférait pas de menaces, jamais. Elle ne faisait pas plus de promesses. Avec elle, le revers venait toujours sans prévenir. Il n’y avait pas de signes avant coureurs, elle agissait. Tout simplement. Et ce jour-là, elle avait simplement agi en conséquence. Ces fumiers avaient réduit en cendre un endroit auquel elle tenait et dans lequel elle s’était investie. C’est donc sans surprise pour personne qu’elle plia bagage. Regarder en arrière n’était pas son style et elle avait eu sa vengeance. Il était temps de se reconstruire ailleurs.
Le temps lui parut incroyablement long avant de pouvoir se rendre aux États-Unis. Elle avait toujours détesté la paperasse, peut-être même autant qu’elle détestait toutes les contraintes à respecter pour ainsi émigrer. Ce fut tout aussi compliqué de s’installer. Elle n’arrivait pas à trouver où aller, où établir une nouvelle vie. Les incidents concernant des mutants et des hunters se multipliaient et elle n’avait pas vraiment envie d’en rajouter à ses soucis actuels. L’assurance l’avait allègrement indemnisée et elle n’avait pas été inquiétée pour les deux morts puisque sa défense avait été légitime selon des témoins mais, elle devait se tenir à carreau. C’était certain. Ce genre d’incidents ne restent jamais sans suivi.
Trois mois. Il lui fallut trois mois pour finalement se décider à s’installer à Radcliff, dans le Kentucky. L’endroit était réputé pour ne pas être ouvert mais, les choses semblaient avoir bougé pour le mieux. Alors pourquoi pas ? De toute façon, ça n’était pas vraiment mieux ailleurs, c’était peut-être juste mieux dissimulé, sans plus.
Pour autant, les mauvaises habitudes ayant la vie dures, tout n’était pas simple. Quelques semaines après avoir réussi à dégoter un job de serveuse et un appartement, elle était déjà mise à la porte à cause de son caractère difficile et de ses emportements soudain. Elle ne renonça pas pour autant -ça n’était pas son genre- et trouva un autre travail dans la foulée. Et si au début, le patron tint à l’avoir comme serveuse et pas comme sorteuse comme elle le lui avait conseillé, il se ravisa rapidement, se rendant compte qu’elle était plus que capable de tenir cette place. Au fond, ni son patron ni elle ne savent combien de temps son contrat durera mais, pour l’instant, les choses se passent relativement bien.
D’un autre côté, Jude se tient loin des intrigues de la ville. L’historique du lieu, aussi bien que le sien, tendent à l’obliger à rester prudente et la campagne absurde de dépistage mise en place laisser présager un ramassis d’emmerdes dont elle préfère se passer. Elle s’y est pliée avec une réticence très nette mais, malgré son aversion profonde pour la plupart des règles de la société, elle ne pouvait pas y échapper cette fois.