Enjoy the little things

Moira & Alana

Le regard dans le vague, j'essayais de ne pas prêter attention au son répétitif et horripilant de mes ongles contre la poignée de la portière. Si j'étais nerveuse ? C'était bien peu de le dire. Le pauvre chauffeur du taxi qui m'emmenait du centre ville à un petit coin isolé hors de Radcliff devait se demander si je ne préparais pas un mauvais coup, vu mes regards méfiants et autres gestes un peu brusques. Il fallait dire que j'avais toutes les raisons de l'être : depuis que j'avais recroisé mon supposé meurtrier, ce Cesare, je ne cessais de me poser des questions, de me demander comment un type aussi violent à un moment donné de sa vie pouvait s'être montré aussi... Calme en ma présence, alors même que j'étais censée être morte de sa main. Tant de choses se bousculaient dans mon esprit, qui étaient les gentils de l'histoire, qui en étaient les méchants, le monde était-il plutôt blanc ou noir, qu'est ce qui ne tournait pas rond ici ? A cet instant précis, je mourais d'envie de me blottir dans les bras d'Aaron, de sentir la chaleur de sa présence, le réconfort de ses mots... Ce sentiment de sécurité que j'éprouvais à chaque fois que j'étais avec lui. Seulement voilà, faire un câlin à un type qui avait bien dix ans de plus que moi et qui était supposé être un ami... Chez moi on appelait ça une situation embarrassante, et je m'en serais bien passée.

Et puis il y avait Artur... Artur mon petit frère, Artur l'adorable, Artur le studieux... Artur le meurtrier et le manipulateur, c'était deux choses auxquelles je ne voulais même pas penser. Le seul qui aurait pu le calmer, peut-être lui faire entendre raison mais au moins le maîtriser, c'était mon père, et il était aux abonnés absents. Envolé aussi vite qu'il était arrivé, le paternel, disparu quand nous avions besoin de lui, évaporé parce que ça devenait trop compliqué et pesant à vivre pour lui ! Je lui en voulais, c'était clair, et je savais que s'il revenait à Radcliff, j'aurais du mal à le pardonner et à ne pas lui reprocher de ne pas nous avoir écouté. Pour l'heure, je devais mettre tout ça de côté et songer à ce qui m'attendait, à cette situation plus qu'étrange à laquelle j'allais être confrontée.

J'allais rencontrer ma sœur. Oui oui ! Ma grande sœur ! Je m'étais toujours positionnée en aînée de la fratrie, parce que c'était le rôle qu'on m'avait donné dès mon plus jeune âge, celui qui s'imposait, et ne m'étais jamais reposée sur un grand frère ou une grande sœur pour quoi que ce soit. Et aujourd'hui, cette inconnue qui était le fruit d'une relation de jeunesse de mon père... J'avais juste envie de lui confier le brouillard que j'avais dans la tête, qu'elle me guide, qu'elle m'aide à y voir plus clair... Une inconnue qui me prendrait forcément pour une folle si je commençais à lui raconter le récit palpitant et pas très héroïque de mon existence. La vie de Moira Kovalainen, une décalogie à ne pas lire en cas de déprime !

Quand le taxi me déposa, le remerciais le chauffeur, réglais la course... Et me retrouvais là, toute seule comme une idiote à me demander si je devais sonner à la porte ou partir en courant. Pourtant, nous le préparions depuis un moment, ce dîner de rencontre ! Seulement... Discuter par sms, ça n'avait rien à voir avec la réalité. A quoi ressemblait-elle ? Tout ce que je savais d'elle, c'est qu'elle était la conseillère du maire et qu'on l'avait injustement vaccinée. Quel humour, dans la famille... Une vaccinée, une mutante, un chasseur. Ne manquait plus qu'un quatrième qui n'en aurait rien eu à foutre de tout ce bazar et nous aurions eu le quarté gagnant ! Prenant une grande inspiration, je toquais à la porte et attendais nerveusement, ma boîte à gâteau dans les mains. Je m'étais appliquée à le faire, ce fraisier, et j'espérais qu'il serait au goût d'Ala... De ma sœur. Ma sœur, bordel ! Bon. Focus, Momo, c'est pas le moment de poser le gâteau sur le paillasson et de partir en hurlant.

Lorsque la porte s'ouvrit, je restais un moment à bêtement à cligner des yeux. La vache ! C'était dans le génome Kova, d'être canon à ce point ? Elle était belle, ma grande sœur, des traits tout en douceur, un sourire rayonnant et une voix posée qui me mis tout de suite à l'aise. Et soudain, j'avais l'impression de plus avoir trente ans mais six ou sept, d'être petite et insignifiante, alors que je faisais quelques pas maladroit pour entrer.
Une délicieuse odeur de bolognaise m’accueillit, et je tendis la boîte à Alana.

« Merci heu... Alana... Ça sent drôlement bon, qu'est ce que tu as cuisiné ? Oh et heu... C'est un fraisier... J'espère que tu aimes les fraises ? C'était le seul gâteau que je pouvais préparer en étant sûre que mon coloc ne piquerait pas dedans, il est allergique aux fraises... Enfin au fruits rouges, mais bon on s'en fiche... Et... Oh misère... »

Voilà. Comme d'habitude quand je paniquais, je parlais, parlais, parlais, surtout de choses inintéressantes, à vrai dire, et ne me rendais compte de mes propos qu'après les avoir prononcés.

« Je suis désolée, je suis un peu nerveuse... C'est juste que... C'est un peu nouveau pour moi, tout ça, je n'aurais cru avoir une... Une sœur... »

Il n'y avait pas de déception dans ma voix, plutôt une sorte de lueur, de soulagement... J'ignorais encore tout de la rencontre entre Artur et Alana, mais une chose était sûre, le contact serait loin d'être le même.

« Tu... Tu vas bien ? J'ai appris ce qui t'étais arrivé, il y a quelques temps, j'espère que tu t'en es remise ? »

L'inquiétude, toujours l'inquiétude en premier. Je m'en faisais continuellement pour ma famille, et si voir Alana restait une situation étrange, je l'avais déjà adoptée. C'était la fille de mon père, donc ma demi-soeur, pourquoi vouloir la rejeter alors qu'elle était la première à avoir faire un pas vers moi ? En revanche, je me sentais franchement bête, les mains dans les poches en me dandiner d'un pied sur l'autre...