i. êtes-vous originaire de radcliff ?
Effectivement. C’est peut-être la raison pour laquelle elle est revenue. Cet endroit a quelque chose d’attractif. Comme un aimant. Un aimant qui revient à la charge. C’est plutôt dur de l’ignorer. De ne pas répondre à l’appel. Kora ne pensait pas partir, encore moins revenir. Mais la vie est tellement imprévisible. Imprédictible. On ne peut la deviner, l’anticiper ou la devancer. C’est un combat perdu d’avance. Un combat en échec et mat.

ii. avez-vous déjà eu affaire à un ou plusieurs hunters ?
Sa dernière rencontre avec des chasseurs remonte à plusieurs semaines. Elle s’en souvient très bien puisque l’un d’entre eux a tenté de la tuer. Il aurait certainement réussi si Liam n’était pas intervenu. Elle a pris une balle dans le ventre, perdu beaucoup de sang, remporté une belle cicatrice mais au moins … elle est en vie. Et consciente du danger qui rôde. Enfin, on parle de Kora. Il ne faut pas espérer lui faire entendre raison. Ou vouloir l'enfermer dans une tour.

iii. utilisez-vous beaucoup votre don ?
Beaucoup ? Kora en fait usage en permanence pour ne pas dire sans interruption. Elle ne manque pas une occasion de s’en servir : elle est très forte quand il s’agit d’en trouver. Parce qu’elle adore la sensation qu’il lui procure, elle a l’impression d’être forte, puissante, intouchable. Comme une héroïne de BD. Forcément, cette utilisation quotidienne est épuisante mais elle ne manque pas d’énergie. Ce qui peut s’avérer plutôt problématique dans son  cas.

iv. pensez-vous que les mesures mise en place par le gouvernement sont suffisante ?
Sérieusement, le gouvernement fait-il une chose bien ? Utile ? Pour Kora, la réponse est non. Forcément non. Mathématiquement non. Littéralement non. C’est une bande d’idiots qui gouvernent, on ne peut pas s’attendre à du grand art. Les mesures mises en place en sont la preuve vivante. Elles vont finir par conduire la population a une guerre, car la voie qu’elles empruntent est une voie dangereuse. Chaotique.

L’instant d’avant, on était des enfants. Des gamins dont l’innocence n’avait qu’un souffle. Une vie. On était uni contre le monde entier. Parce qu’on voulait tout, d’un coup. Parce qu’on en voulait trop, en un mot. On était des oiseaux, prêts à cramer nos ailes pour une seconde de liberté. Une seconde d’éternité. On courrait pour mieux cracher nos poumons. Car on ne répondait d’aucun nom. L’instant d’après, on était perdu. Dans ce vaste inconnu. Cette découverte brutale d’un autre qu’on ne pouvait comprendre. D'une entité qui m'habitait. On était toi et moi. L’un contre l’autre. L’un sans l’autre. Comme des inconnus.

J’ai parcouru le monde entier pour oublier ton regard. Ta terreur. Je suis partie dans le noir la peur au ventre. Sans te dire au revoir. J’ai couru toute la nuit pour m’éloigner de toi. Pour trouver le courage de t’abandonner. Parce qu'ils voulaient te protéger. De moi. De nous. De ce qu’ils ne pouvaient concevoir: ma différence. J’ai grandi dans le silence de ton absence. Le cœur brisé par ce manque qui me tuait. J’ai hurlé ton nom dans tous les recoins de la terre. Mais personne n’a répondu. Car personne n’a entendu. Peux-tu imaginer ?

J’ai fini par m’habituer au chagrin. Par l’intégrer à mon quotidien. C’était la seule façon d’avancer loin de toi. Loin de cette vie qu’on nous avait promise. J’ai érigé mon propre empire: un cœur solide.

Je ne m’attendais pas à trouver le bonheur. Je n’attendais rien. Je me contentais de marcher pour ne pas reculer. Revenir en arrière. Marcher pour donner un sens à mon existence. J’en inventais des nouveaux, au fil des années, comme une histoire sans fin. Qui recommence, dans un autre endroit, dans un autre moment. Coincée au milieu de cette alternative. Éternelle. Mortelle. Je n’ai pas tout de suite compris ce qui me soutenait à l’intérieur. Ce qui m’empêchait de m’effondrer. Ce n'était pas ton souvenir. C’était elle: mon entité.

Elle vivait en moi, vibrait à travers moi. Elle était tellement puissante et terrifiante à la fois.  J’ai eu beaucoup de mal à la contrôler, à la diriger en une direction. Mais tout ce travail acharné a fini par opérer. La malédiction est devenue un don. Je suis devenue quelqu'un. Pour certains une proie, pour d'autres un prédateur. Je ne m’en rendais pas compte avant de revenir ici. Je n’avais pas réalisé le danger. L'amplitude de la menace.

Je ne suis pas revenue pour toi, mon frère. Je suis revenue pour moi. Pour me pardonner d’être partie. Comme une lâche. J’aurais du affronter nos parents et trouver la force de leur faire face; tu aurais du me retenir. Me prendre la main et m’arrêter. Me regarder comme on regarde un enfant. Et non un monstre. Me regarder comme il me regarde: alors je sens que j'existe pour ce que je suis. Au plus profond de moi.