ALTAÏR ET ELIAS /Sea without a shore for the vanished one unheard He lightens the beacon, light at the end of world. Showing the way, lighting hope in their hearts, The ones and their travels homeward from afar – NIGHTWISH.
Sa convalescence était difficile, ses os douloureux, ses muscles et ses chairs meurtris cicatrisant aussi bien que faire se peut, mais plus le temps passait, moins Altaïr supportait d’être ainsi alité. Il ne supportait plus d’être enfermé, de ne pas pouvoir bouger, d’être regardé avec une inquiétude que, dans sa colère et son chagrin, il était trop prompt à prendre pour de la pitié, et c’était bien la dernière chose dont il avait envie ces derniers temps : avoir l’air pitoyable. Il était passé par tous les stades du deuil et en revivait certains en boucle – la colère et la dépression. Il était furieux, hors de lui-même, dans une rage noire quasi perpétuelle contre les chasseurs qui avaient osé s’en prendre à Jai et la tuer comme si elle était n’importe qui, et contre lui qui n’avait pas été capable de la protéger. Il le lui avait promis pourtant, qu’il ne laisserait plus rien lui arriver, et pourtant il n’avait pas été fichu de lui offrir la vie à laquelle elle avait droit. Coupable, un complexe du survivant bien ancré dans son esprit, il s’en voulait d’être là alors qu’elle était partie. S’il avait pu échanger leurs places, il l’aurait fait sans hésiter, prêt à tout laisser derrière lui, prêt à finir entre quatre planches si ça pouvait lui permettre d’avoir le droit de vivre encore quelques années enfin en paix. Mais rien ne pourrait jamais changer ce qu’il s’était passé, aucun dieu, aucun démon, aucun mutant ne ramènerait Jai à la vie, et il n’arrivait pas à l’accepter. Ils avaient été séparés pendant des années, certes, mais il avait toujours eu la certitude qu’elle devait bien être vivante quelque part. Là, il ne pouvait douter de rien : il avait vu son corps s’écrouler sur lui. Jim et Elias le lui avaient confirmé, et il savait qu’elle avait été enterrée quelques jours plus tôt – et lui, confiné dans son pauvre lit, il n’avait même pas pu assister à la cérémonie. Quelque part au fond de lui, l’étincelle de rage qui le faisait avancer s’était doucement réveillée à cette idée, pas encore totalement étouffée par la peine qui s’était abattue sur ses épaules. Et ce fut cette petite étincelle qui, deux jours à peine après qu’il eut suffisamment guéri pour se tenir debout, le fit sortir du lit, s’habiller difficilement et sortir, ne supportant plus d’être là alors qu’il y avait un endroit qu’il devait absolument visiter.
Assis dans l’herbe, Altaïr était totalement indifférent au petit vent frais d’Octobre qui soufflait doucement. De toute façon, sa veste en cuir lui tenait suffisamment chaud, et puisqu’il ne bougeait pas, le soleil finissait de réchauffer l’air autour de lui. Et après tout, il se fichait bien de savoir s’il était à son aise ou pas. Parti très loin dans ses propres pensées et ses souvenirs, il s’était laissé tomber contre la pierre tombale de Jai et jouait avec un des colliers qu’il lui avait offert et qui n’avait pas pu partir avec elle dans son cercueil de peur que ça n’attire les pilleurs de tombes. Faisant tourner le bijou entre ses doigts, il le fixait sans le voir, son regard dirigé vers un passé qui avait été réduit en cendres lorsque la jeune femme avait cessé de vivre. Le chasseur ne savait pas encore comment appréhender un monde dans lequel elle n’était pas. De plus, sa mort avait brutalement ébranlé beaucoup de ses convictions, et il réfléchissait à ce que les choses auraient pu être s’il avait fait des choix différents, s’il avait suivi une voie différente, s’il n’avait pas eu ce besoin presque malsain d’être utile aux autres pour avoir l’impression d’avoir une place et de n’être pas qu’un simple spectateur détaché des évènements. Ne pas savoir d’où il venait, quel était son véritable héritage, quelle était sa vraie famille, tout ça lui avait pesé bien plus qu’il ne l’aurait cru, et au final sa place, il avait commencé à la trouver avec Janis, puis avec Nyreen, et petit à petit avec Jim et Elias. Mais maintenant, son plus gros point de repère avait été balayé d’un revers de main – tout ça parce qu’un jour, elle avait été capable de choses que l’espèce humaine ne pouvait que rêver. Que ce soit la peur ou la jalousie qui ait guidé la main de ses assassins, Altaïr comptait bien rendre justice à sa compagne d’aventures. Ensuite, peut-être qu’il reprendrait la sienne. Il n’en savait encore rien. Il n’arrivait même pas à se mettre en colère pour fomenter son plan de vengeance. Là, en plein cœur de ce cimetière paisible, il profitait de l’ersatz de sérénité que pouvait lui offrir le contact du marbre contre son épaule – un peu comme si Jai était encore là, un tout petit peu. Le vagabond ne remarqua pas tout de suite la silhouette arrêtée devant lui. Ce ne fut que lorsque son cerveau réalisa qu’il y avait dans son champ de vision une masse qui n’était pas là quelques secondes plus tôt qu’il daigna finalement lever les yeux. Il lui fallut redresser la tête pour que ses iris clairs croisent ceux d’Elias. Bien entendu, le géant devait s’être demandé où il était passé. L’Irlandais, lui, devait être en train de sillonner l’autre moitié de la ville, mais pour une fois c’était le Suédois qui avait eu du flair en premier. Altaïr resta silencieux un moment, ne sachant pas spécialement ce qu’il y avait à dire. Finalement, ce fut une simple question qu’il posa à son employé :
- Comment ça, il est parti ? Elias est dépassé par ce qu'il entend. Un instant, le combiné du téléphone quitte son oreille. Il l'observe, comme l'objet si étranger que ce dernier représente pour lui, comme si une réponse divine allait en sortir pour l'aider à comprendre comment une telle chose a pu arriver. On ne peut pas perdre de vu un gabarit comme Altaïr. C'est humainement impossible, ou bien Jim et les autres ont perdu la vue en moins de temps qu'il n'en faut à Elias pour penser à une éventualité aussi stupide. Reportant le téléphone à son oreille, le mécanicien annonce un bref : - Je vais chercher. et raccroche dans la foulée. Se saisissant d'un chiffon traînant sur le meuble de l'accueil, le mutant s'essuie rapidement les mains. Il range les outils qui doivent l'être dans leurs boîtes, abandonne la réparation de la moto qu'on lui a demandé le matin même et s'affaire à mettre la main sur une veste plus propre que celle qu'il a sur le dos. Depuis qu'il a en partie soigné Altaïr, certains bleus persistent. Ceux éparpillés sur ses bras et ses côtés, en particulier, d'où ces vêtements un peu plus couvrant qu'il a pris l'habitude d'enfiler ces derniers temps. Elias sait que Jim ne fera aucune allusion à ce sujet, mais il ne souhaite pas que son patron commence à se poser des questions, alors il repousse l'échéance de l'apparition de ces dernières au maximum. Tout comme il retarde encore et toujours le jour où Altaïr comprendra qu'il n'est pas exactement celui qu'il prétend être – enfin, prétendre est un bien grand mot. Si Elias peut éviter de trop en dévoiler sur sa vie « privée », il le fait, surtout quand cela concerne sa mutation, bien qu'il soit fier de cette dernière. Jim lui a déconseillé de l'évoquer, il a suivi le conseil, pour son propre bien et celui de son patron.
Patron qui désormais a disparu des écrans radars. Quand Elias ferme le garage derrière lui, il ne sait pas où se rendre exactement. Où va-t-on lorsqu'on est en mauvais état et abattu par la perte d'un être cher ? Où peut-on aller chercher du réconfort ? Ou un défouloir ? L'Åkerfeldt n'a aucune idée de ce qui a pu passer par la tête du brun pour fuguer de la sorte, mais après ce qui lui est arrivé, Elias ne peut que comprendre. D'abord, il prend la direction du restaurant où ils se rendent souvent, avec Jim. Il se permet d'entrer, de poser deux ou trois questions supposées l'aiguiller avant de repartir bredouille. Le blond repasse ensuite devant le garage, où il se dit qu'Altaïr a peut-être fait un bref détour après son départ à lui. Le sentiment de tourner en rond le gagne peu de temps après. L'ostéokinésiste a beau mettre tous ses efforts dans la recherche, il ne sait pas quel serait l'endroit... Une idée lui vient, soudaine, un peu surprenante, et pourtant si évidente quand il y pense. Après avoir grimpé sur le dos de sa moto, le mécanicien prend la route du cimetière. L'enterrement de la jeune femme morte le soir où Downer a été attaqué s'y est déroulé il y a quelques jours à peine. Se pourrait-il qu'Altaïr soit là-bas ? Pourquoi pas ? Elias n'aurait jamais eu cette idée, il a à peine osé s'y rendre le jour des obsèques de son grand-père, mais c'est peut-être et aussi pour cette raison que l'idée a germé dans son esprit. Au final, il a beau nier que tout ce qu'il a vécu il y a deux ans l'a touché, certaines choses ne s'oublient pas.
Quand il arrive au cimetière, il ne faut pas longtemps au Suédois pour mettre la main sur Altaïr. Ce dernier se trouve sur une tombe, assis, et semble perdu dans un ailleurs qu'Elias ne peut pas imaginer. Préférant ne pas trop le surprendre, il termine son chemin sans faire plus de bruit. Il n'a pas idée de l’interpeller depuis le lointain pour le réveiller, ça ne servirait à rien. A la place, le blond reste fidèle à lui-même : après être arrivé auprès de son patron, il garde le silence. Les mains dans les poches et le regard en direction de ce dernier, il attend patiemment que sa présence soit calculée. Quand Altaïr lui accorde enfin son attention, ou tout du moins une partie, le mutant sent qu'il a bien fait de venir rapidement ici. La question le fait acquiescer. Il n'a pas pensé de suite à venir ici. Il ne s'est pas appuyé sur son expérience personnelle, sur son rapport à la mort de son grand-père, car ce sont ici deux situations diamétralement opposées et, surtout, l'Åkerfeldt n'a pas eu de réaction particulière pour son aîné. Il a encaissé la nouvelle sans se laisser submerger par une quelconque émotion, préférant lui se baser sur les questions que cette perte a pu soulever chez lui. Elias en cherche encore les réponses. Se retrouver aujourd'hui dans un lieu aussi symbolique aux côtés de Downer donne à ses interrogations un goût de déjà-vu étrange. Le regard rivé sur le mécanicien, le mutant garde le silence encore quelques secondes. Il espère sans doute une réaction supplémentaire de la part d'Altaïr, mais il comprend qu'elle tardera à arriver encore et encore s'il ne fait rien. - Jim s'inquiète. Ne pas entendre là qu'Elias ne l'était pas avant d'arriver ici, au contraire. S'il ne l'était pas, il se trouverait encore au garage de Downer en train de bosser sur la réparation de sa moto et pas dans cet endroit particulier. Détachant son regard de celui de l'autre mécanicien, les prunelles du Suédois se mettent à lire les lettres inscrites sur la pierre où a pris place son patron. - Tu ne devrais pas être là, Altaïr. Tu dois retourner te reposer, qu'il finit par lâcher, de son ton le plus compréhensif possible. Ce côté moralisateur ne convient pas à Elias. Ces mots sonnent si faux venant de lui, sortant de sa propre bouche, que lui-même s'en rend compte ; sauf qu'il doit essayer. Juste tenter de faire quelque chose pour son ami.
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Sujet: Re: Eternity's gone [ft. Elias] Dim 9 Oct 2016 - 2:22
– eternity's gone –
ALTAÏR ET ELIAS /Sea without a shore for the vanished one unheard He lightens the beacon, light at the end of world. Showing the way, lighting hope in their hearts, The ones and their travels homeward from afar – NIGHTWISH.
Lorsqu’il avait filé de chez lui, Altaïr n’avait pas pris le temps de prévenir qui que ce soit. Après tout, il n’allait pas bien loin, et puis il n’était plus à l’article de la mort : il pouvait encore sortir s’il le voulait, quand il le voulait et où il le voulait. Certes, dans son état, c’était idiot : il boitait, était couvert de cicatrices plus ou moins refermées et il avait une tête à faire peur. Encore assez anémié, il avait mis du temps avant d’arriver à destination, s’arrêtant plus d’une fois pour reprendre son souffle et attendre que la tête arrête de lui tourner. Pourtant, il avait continué, inlassablement, jusqu’à se retrouver assis en plein cœur du cimetière de la ville, le dos appuyé contre la tombe fraîche de sa meilleure amie. Il y avait dans les cimetières à l’américaine quelque chose qu’il trouvait étrangement apaisant. Etait-ce la nature omniprésente ou bien le côté solennel des lieux, il n’aurait su le dire, mais là où certains rechignaient à venir, effrayés par il ne savait quoi de soi-disant surnaturel, lui appréciait le calme qui régnait entre les allées couvertes d’herbe. La sépulture de Jai était bien placée : il y avait une jolie vue sur la ville et, à une quinzaine de mètres derrière eux, une rangée d’arbres les isolait de la route et du reste du monde. De toute façon, barrière ou pas, il s’était enfermé lui-même dans une bulle, plongé dans ses souvenirs et ses pensées qui se battaient en duel avec véhémence. L’idée de savoir que Janis reposait à quelques pieds sous terre ne le mettait pas en colère pourtant – pas ici du moins. Il était triste, bien sûr, mais il était aussi calmé, comme si sa présence quelque part suffisait à calmer la bête en lui – même si ça n’était plus qu’un cadavre, même si elle ne vivait plus que dans ses souvenirs, la jeune femme avait toujours réussi à contrebalancer son agitation constante, et lui était parvenu à en faire de même par un miracle que même eux auraient eu bien du mal à expliquer. Ils s’étaient contentés de vivre les choses plutôt que de leur trouver une cause, tout simplement.
Perdu dans ses souvenirs, il ne releva la tête vers Elias que deux bonnes minutes au moins après que ce dernier se soit arrêté devant lui. Tordre ainsi le cou lui faisait mal, mais le Suédois était si grand qu’il ne pouvait faire autrement. Le vagabond n’obtint pas de réponse à sa question, mais eut droit à une simple petite phrase qui le conforta dans l’idée que Jim devait être en train de remuer ciel et terre pour comprendre où il s’était enfui. Il haussa légèrement les épaules, suffisamment pour raviver les douleurs dans ses muscles mais pas assez pour risquer rouvrir ses plaies à peine refermées. La remarque de son employé le fit soupirer, et il détourna le regard pour mieux détailler le paysage, se raccrochant à la sensation de la pierre contre son dos.
- J’suis pas en train de m’agiter, là, j’me repose aussi bien ici que chez moi.
Il était si calme et était resté si immobile que, de loin, on aurait pu le prendre pour l’un de ces gisants gardant les tombes. Sauf qu’Altaïr n’était pas mort : il s’en était fallu de peu, mais il était toujours vivant. Et il commençait tout doucement à se dire qu’il continuerait bien de l’être encore un peu – ne serait-ce que le temps de trouver qui avait envoyé Jai six pieds sous terre pour leur glisser sa longue dague acérée ou bien son couteau de chasse jusqu’au cœur. De cela il était sûr : il n’aurait aucune pitié pour leurs agresseurs, fussent-ils sans abris ou riches héritiers, chasseurs débutants ou aguerris, avec ou sans famille ; ils lui avaient arraché son ombre, il leur arracherait le cœur. Baissant les yeux, le colosse reporta son attention sur le collier qu’il tenait entre ses doigts ; ce même collier qu’il avait offert à Jai et que Jim lui avait rendu, comme ultime souvenir de la jeune femme.
- Ca va comment au garage ?
Il n’avait pas spécialement l’habitude de détourner la conversation, mais il avait besoin de s’ancrer à la réalité, de trouver l’équilibre entre ce qu’il se passait autour de lui et les images invoquées par sa mémoire qui menaçaient de l’engloutir encore une fois. Déjà peu bavard de nature, il était devenu difficile de lui arracher des phrases de plus de trois mots, et qu’il essaye de démarrer une conversation avec Elias, même sur un sujet aussi trivial, démontrait un effort, aussi petit fut-il, pour sortir la tête de l’eau.
(c) blue walrus.
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Sujet: Re: Eternity's gone [ft. Elias] Ven 28 Oct 2016 - 16:04
Altaïr et Elias
Eternity's gone
Elias n'est pas très doué pour se défaire d'une situation aussi inédite. C'est bien la première fois qu'il a « l'occasion » de voir Altaïr dans un tel état, n'ayant pas eu le courage de venir le voir à son chevet depuis son arrêt de travail plus que forcé. Sans doute que son propre corps, après avoir soigné le sien, n'était pas prêt non plus à le confronter. A présent que son patron se trouve sous ses yeux, le géant comprend l'inquiétude de Jim. Downer a l'air différent. Non pas physiquement, même si plusieurs blessures restent à se résorber, mais ses pensées ont l'air plus tristes que l'on ne peut se l'imaginer. Elias le devine à ce visage baissé, à ce regard un peu fuyant. A ces réactions qui vont à contre-sens de ses réactions habituelles. La prestance d'Altaïr n'est plus, à cet instant précis, si bien que le suédois n'a aucune idée de comment faire pour le ramener à lui – ni même si c'est réalisable. Dans l'attente, Elias se met à croiser les bras. La réponse qui lui parvient lui arrache un - Non. sec. Il ne peut pas croire à ce qu'il entend. Comment Altaïr peut-il prétendre se reposer ici ? De façon pragmatique, la pierre contre laquelle il repose ne peut pas être agréable, surtout dans l'état où il est. Ensuite, ce n'est pas en se retrouvant dans cet endroit si lourd de sens qu'il parviendra à apaiser ses tourments. Elias n'est peut-être pas le meilleur pour exprimer tout cela à voix haute, encore moins pour le comprendre à la perfection, puisque lui-même travaille encore à saisir ce que la mort de son grand-père a engendré chez lui, mais... mais il veut essayer d'aider.
Sans doute que cette aide sera plus que maladroite, voire pire, cependant le géant se refuse à laisser son patron -son ami, au final- ici. Livré à lui-même, qui sait ce qui peut se passer ? Observant le collier que triture Altaïr entre ses doigts, le mécanicien n'attend pas longtemps pour répondre à sa nouvelle question. - Ça va. Jim est juste pas très concentré. Il s'inquiète pour toi. Et ce depuis qu'Elias est arrivé chez Nyreen pour soigner le blessé. S'il y a bien une image que le trentenaire retiendra de ce moment, en plus de Downer plus que mal en point sur son lit, c'est le regard paniqué de Jim se relevant dans le sien à son arrivée. Une seconde à part, hors du temps, où le géant a pu prendre conscience que, derrière la bêtise qui pouvait souvent habiter son collègue, se cachait un homme avec des failles. Un homme comme les autres, prêt à beaucoup pour ses amis et pour les personnes qui lui tiennent à cœur. Depuis, cette impression n'a pas quitté Elias : Jim continue de s'inquiéter de l'état de santé d'Altaïr, comme il a commencé à appréhender son réveil dès que l'ostéokinésiste a eu fini de réparer au maximum les blessures du gérant du garage de Radcliff. Et, désormais, ce n'est autre que ce dernier qui se joue de la patience d'un Jim qui fait tout ce qu'il peut pour l'aider à se relever de ce coup du sort qui lui a été donné, avec la mort de son amie Jai.
Elias se dit qu'il est peut-être temps pour lui d'aider Jim, à son tour, en éveillant un peu la conscience d'Altaïr. Même s'il n'est pas entièrement réceptif à la démonstration d'un deuil qui ne se fait pas et qui se joue sous ses yeux clairs, le géant s'efforce de le voir comme tel. Il puise dans ses souvenirs pour se remémorer tous ces petits instants où les questions lui sont venues à l'esprit : aurait-il pu aider son grand-père ? Aurait-il pu le sauver ? Aurait-il pu changer le cours des choses ? Qui sait ? Susan lui a déjà répété qu'il n'aurait pas pu faire plus que ce qu'elle avait pu faire pour soulager les maux de son aîné. Maintenant, ne reste plus qu'à faire entendre cette idée à Altaïr pour l'épauler dans ce moment difficile, n'est-ce pas ? Se raclant la gorge, le mécanicien reprend enfin la parole. Il sait qu'il ne doit pas perdre une seule occasion de détourner les pensées de Downer de son mal-être. Parler, parler encore, ça ne peut qu'absorber -peut-être- assez d'attention pour imager une première main tendue. Quelle que soit la réaction de son patron, Elias ne doit juste pas abandonner. - Altaïr, ça ne sert à rien de venir ici. Ça ne la ramènera pas. Sur le moment, le suédois sait qu'il aurait pu être plus doux. Son ton trop sérieux, trop lointain, distant, il ne paiera pas ici, au contraire.
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Ce « non » prononcé avec une sécheresse qu’il ne connaissait pas à Elias fit grimacer Altaïr, éveillant un bref instant la petite étincelle de rage qui le faisait avancer avant qu’elle ne s’apaise à nouveau. Le géant avait raison : ce n’était pas un endroit où se reposer. Pas alors que la bruine déposée sur l’herbe rendait ses articulations douloureuses, pas alors que la froideur de la pierre tombale contre laquelle il était appuyé frottait sur les plaies de son dos ; pas alors que son ombre était là, à quelques pas de lui, à jamais inaccessible. « Jusqu’à ce que la mort vous sépare » : ce serment fait entre les mariés aurait très bien pu s’appliquer à eux. Ils s’étaient si bien entendu, si bien complétés, qu’ils auraient pu être la même personne en deux corps différents. Malgré tous les sentiments qu’il pouvait éprouver à l’égard de Nyreen, malgré le respect et la confiance qu’il accordait à Jim et Elias, il savait qu’aucun d’entre eux ne le comprendrait jamais comme Jai le comprenait. Il leur suffisait d’un regard, d’un geste même pour que les mots deviennent inutiles. S’ils avaient été des forces de la nature, des tempêtes faites chair, c’était pour mieux se calmer l’un l’autre lorsqu’il devait contenir, pour un temps du moins, leurs pulsions les plus virulentes. Mais de pulsions, Altaïr n’en avait plus. A l’exception d’une seule, tenace, inaliénable, qui finirait sans aucun doute par le remettre sur un chemin qui ne serait droit que pour lui : il ne trouverait le repos que lorsqu’il aurait envoyé six pieds sous terre les assassins de la jeune femme. Alors que le Suédois vienne lui faire la morale quand il avait clairement autre chose en tête éveillait cette flamme qui n’attendait que de redevenir un brasier ardent.
En attendant, le chasseur avait changé le sujet de conversation sur autre chose. En l’occurrence : sur les affaires de son garage. Il n’était pas en ville depuis très longtemps, mais il y tenait, à son garage. Il aimait son travail et il mettait un point d’honneur à ce que tout soit parfaitement réalisé. Il n’aurait plus manqué que tout se soit effondré en son absence et qu’il n’ait plus qu’à mettre la clef sous la porte pour finir de saper les dernières raisons qu’il avait de rester dans les parages. Mais le seul petit problème que semblaient rencontrer ses employés était l’inquiétude de l’un d’entre eux à son égard. Altaïr haussa les épaules et grimaça, se traitant mentalement d’imbécile d’avoir eu ce simple geste parfaitement automatique.
- J’vais m’en sortir. J’suis pas mort avant, c’est pas maintenant que j’vais y rester.
Il s’en était sorti de peu, il avait fallu un miracle pour le tirer d’affaire et il n’était jamais passé aussi près de la mort, mais il y avait échappé et il ne comptait pas retourner entre ses bras de sitôt. Pas tant qu’il n’aurait pas réalisé l’œuvre qu’il s’était fixée. Faisant jouer le collier entre ses longs doigts fins et encore bandés pour la plupart, il finit par relever les yeux vers son gigantesque employé. L’un comme l’autre n’étaient pas très bavards, Jim étant celui qui remplissait l’espace sonore de leur office la plupart du temps. Aussi le silence du géant n’avait rien d’inquiétant. Au contraire : pour une fois, il l’agaçait. Qu’il lui dise donc clairement ce qu’il voulait, ça leur épargnerait à tous les deux une discussion dont ni l’un ni l’autre ne voulait vraiment. Lui en tout cas n’avait pas spécialement envie de discuter. Il avait juste envie qu’on le laisse en paix, qu’on lui accorde le droit d’être seul et malheureux pendant quelques jours, quelques pauvres petits jours, avant qu’il ne songe à se remettre sur pieds. Pour la première fois depuis très longtemps, le jeune homme avait conscience de ses propres faiblesses.
- Et donc j’dois rester loin de sa tombe sous prétexte que ça la ramènera pas, c’est ça ?
Qu’il s’en soit rendu compte ou non, Elias venait de faire vibrer une corde rendue bien trop sensible. Il était hors de question qu’Altaïr ne vienne pas rendre hommage à Jai, même si ça devait être la seule fois où il mettait les pieds dans ce cimetière. Il était hors de question qu’il tente d’échapper à la réalité des choses, hors de question qu’il ne vienne pas lui dire un dernier au revoir en sachant très bien qu’elle en aurait fait de même pour lui.
- J’sais pas quel mort tu fuis, mais c’est pas une raison pour dire aux autres d’en faire autant. Et j’ai encore le droit de v’nir dire au revoir à ma meilleure amie sans que tu viennes me dire des trucs aussi con que « ça la f’ra pas revenir ». J’avais compris ça tout seul.
Il n’avait plus parlé autant depuis qu’il s’était réveillé et sa voix était rauque, douloureuse, venue du fond de sa gorge et échauffée par la colère qui avait enflé d’un coup, alimentée par une seule petite remarque qui n’avait pourtant rien de méchant. Mais Altaïr avait bien du mal à considérer l’inquiétude d’Elias comme une raison valide de l’écouter ; tout ce qu’il avait retenu, c’était une compassion, une pitié et une condescendance qu’il trouvait parfaitement mal placées.
(c) blue walrus.
Spoiler:
Je suis tellement désolée pour le retard, mon dieu mon dieu pardon T_T
Elias acquiesce, un peu comme un enfant le ferait face à son parent, incapable de mettre les bons mots sur sa pensée. Oui, Altaïr, tu aurais dû rester loin de cette tombe. Même s'il a l'air de penser, et surtout de vouloir prétendre le contraire, il n'est pas prêt. Il ne peut pas avoir déjà assez de recul sur ce qui s'est passé, il ne peut pas honnêtement croire que ce qu'il ressent est la phase définitive de tout ce qu'il y a ressentir après la perte d'une personne importante à ses yeux. S'il y a bien une chose que le Suédois a compris depuis qu'il est ici, c'est bien cela. Il pense pouvoir comprendre le Downer, dans le sens où est il supposé avoir vécu un événement similaire, une épreuve à peu près semblable, même si Elias connaissait moins bien son grand-père qu'Altaïr n'était proche de Jai. Dans son esprit, il n'en est pas à l'étape où il a conscience qu'il ne reverra pas Jai. Non, là, à cet instant précis, et pour encore un bon moment, il aura le sentiment qu'elle pourra encore débouler dans sa vie. Il sentira les battements de son cœur accélérer dans les moments où il croira l'apercevoir en pleine rue, où la voix d'une passante ressemblera assez à celle de Jai pour l'obliger à se retourner. Non, pour encore trop longtemps, Jai va le hanter. Au bout d'un moment, les choses s'apaiseront, et c'est seulement là qu'il pourra revenir ici, et comprendre. C'est seulement là que cette tombe prendra un sens, que le coup sera encore plus dur que celui qui vient de s'abattre sur ses épaules, mais c'est aussi dans ce dernier moment difficile qu'il pourra enfin commencer à sortir la tête de l'eau.
Pas maintenant. Malheureusement, pas maintenant. Mais ça, Elias ne sait pas le formuler. Il ne sait qu'imaginer le processus d'un bout à l'autre dans sa tête, façonner cette image d'Altaïr qui va se dégrader avant de reprendre peu à peu du poil de la bête, mais il est incapable d'ouvrir la bouche. Encore moins face à la certaine agressivité du Downer. Sachant que l'Åkerfeldt n'est pas le meilleur des orateurs, ni le plus subtil de ces derniers quand il s'agit d'exprimer, il choisit aujourd'hui de peser comme il le peut ses mots avant de les laisser claquer dans l'air. La réponse d'Altaïr à son air bien trop détaché ne se fait d'ailleurs pas attendre ; l'air dur qu'il prend n'est pas sans faire prendre conscience au blond qu'il s'y ait vraiment mal pris. Le mécanicien continue de fixer son patron sans reprendre la parole. Qu'est-il censé faire, à présent ? Faire demi-tour, rester, garder le silence, veiller, s'emporter ? Certes, la dernière possibilité, elle est très peu envisageable lorsqu'il s'agit du géant suédois, mais il peut essayer. Altaïr est une personne en qui il a confiance et qui a de l'importance pour Elias, deux caractéristiques essentielles qui justifient à ses yeux qu'il est en droit de vouloir et de pouvoir faire bouger les choses.
Ouvrant la bouche, l'Åkerfeldt la referme aussitôt. Il pensait que les mots justes venaient de se frayer un chemin tout droit jusqu'à la sortie, mais non. Il ne peut pas les prononcer aussi crûment qu'il vient de l'envisager en silence. Qu'est-ce que cela peut t'apporter, d'être sur sa tombe ? Puisque tu as déjà compris par toi-même que ça n'aidera pas. Est-ce que ça change quelque chose d'être là ? Je pense qu'il n'y a qu'à te regarder pour comprendre que ça n'apporte aucune aide. Je pensais que l'entendre de la bouche d'une autre personne aiderait. Je suis maladroit mais réaliste. Tu n'as pas à être ici, pas maintenant. Et pendant qu'Elias se repasse ces paroles en boucle, il revoit doucement sa position. S'il veut pouvoir faire se lever Altaïr ou le mener loin d'ici, pour l'apaiser, il n'y a peut-être pas d'autre solution que de le secouer un peu. Même si cela peut conduire à une colère bien plus évidente que celle qui l'abrite déjà. - Qu'est-ce que cela peut t'apporter, d'être sur sa tombe ? Puisque tu as déjà compris par toi-même que ça n'aidera pas. Est-ce que ça change quelque chose d'être là ? Je pense qu'il n'y a qu'à te regarder pour comprendre que ça n'apporte aucune aide. Je pensais que l'entendre de la bouche d'une autre personne aiderait. Je suis maladroit mais réaliste. Tu n'as pas à être ici, pas maintenant. Et sans réellement en avoir conscience, Elias retient son souffle.