i. que pensez-vous du mouvement terroriste des hunters ?
déroutant. nora a combattu le terrorisme pendant de nombreuses années en tant qu'agent d'interpol. elle connaît ses dessous, ses côtés, ses succès et ses échecs. et d'après son expérience, le terrorisme n'a jamais rien donnée de bon, sinon de sacrificer des vies et implanter de faux rêves et espoirs chez les gens qui n'ont rien d'autre. elle a vu trop de gens innocents mourir pour une cause ridicule, et celle-ci l'est tout autant. les mutants, une menace ? certes, certains peuvent être extrêmement dangereux, mais un terrain d'entente existe, nora en est certaine. s'affubler d'armes de destruction et se remplir de haine ne servira à rien sinon faire souffrir. et ça, elle en est convaincue. un de ses anciens collègues a rejoint les rangs des hunters il y a quelques temps, et à présent s'est donné comme mission de recruter nora. il a tenté à maintes reprises de la convaincre, mais rien à faire. elle ne changera pas d'idées. leurs échanges se sont souvent terminés en coup de poing et en menaces, mais nora sait se défendre, et elle sait que son ex-collègue sait qu'elle n'est pas une bonne ennemie à avoir. elle n'appartient à aucun camp : mais si jamais elle devait le faire, sans doute prendrait-elle la défense des mutants plutôt que celle de ses extrémistes.

ii. êtes-vous effrayée par l'apparition des transmutants dans la société ?
pas le moins du monde. la peur, nora ne connaît pas. elle a vu des choses bien plus terrifiantes lors de certaines de ses missions. à ses yeux, la plupart des mutants sont inoffensifs et devraient être traités comme des personnes normales. certains de leurs dons pourraient même être très utile pour la société. la science pourrait faire des pas gigantesques vers l'avant. elle n'en a pas peur, bien qu'elle se méfie un peu d'eux. ils sont imprévisibles, après tout, et être oppressés de cette manière peut faire réagir les gens de la mauvaise manière. elle n'est pas familière avec leur monde, après tout, et préfère garder ses distances.

iii. avez-vous déjà fréquenté des mutants ?
pas vraiment. peut-être, sans vraiment le savoir. elle en croise parfois dans la ville, mais n'y fait pas trop attention. elle ne veut certes pas s'attirer d'ennuis, ou se faire trop d'ennemis. nora est une personne qui n'aime pas vraiment attirer l'attention sur elle, elle aime être discrète et préfère observer. mais elle a eu quelques interactions avec des mutants, qui se sont plutôt bien déroulés. cela ne la dérange pas du tout qu'ils fassent partie de la société, tant qu'ils remplissent leur part du marché et qu'ils s'adaptent aux gens normaux, autant que les gens normaux doivent s'adapter à eux. il n'existe pas de paix totalement parfaite, mais il y a un équilibre à trouver, nora en est convaincue.

iv. que pensez-vous de l'élection récente de thaddeus lancaster à la tête du comté ?
nora n'avait pas voté pour lui. elle n'avait voté pour personne. la politique est un sujet très pointilleux pour elle, et elle n'avait vu dans les candidats que des incompétents. mais l'élection de ce lancaster l'inquiète - c'est un extrémiste, et la ville pourrait si facilement tomber dans la dictature et devenir une ville militaire où les gens craignent de sortir de chez eux. nora a vu des villes de ce genre, avec des soldats patrouillants les rues, avec des fenêtres barricadés et des enfants silencieux. elle ne veut pas que cela arrive à radcliff. elle apprécie cette ville, qui était si paisible, si tranquille. si les choses allaient à mal tourner, il faudrait bien que quelqu'un s'occupe de remettre le politicien à sa place, et elle pourrait très bien en faire sa mission personnelle. la guerre, ça ne l'intéresse pas, mais elle attends de voir le prochain mouvement de ce nouveau maire pour le juger correctement.

“Bonjour.” Nora ouvrit un oeil ensommeillé, ses lèvres se courbant instinctivement en un sourire. Elle eut un discret grognement, ressentant le picotement de quelques mèches de cheveux lui retombant sur les joues. Elle jeta un oeil à Riley, qui, pour sa part, avait les deux yeux grands ouverts, l’observant à la dérobée. Elle secoua la tête, se frottant les paupières avant de les ouvrir. “Non mais regarde ailleurs” répliqua-t’elle d’une voix rouillée de sommeil. Riley eut un petit ricanement avant de se rapprocher d’elle, glissant ses mains sur sa taille, l’enfermant dans son emprise. Nora laissa sa tête se glisser dans le creux de son épaule. Elle écouta les battements de son coeur, profitant de la sensation de ses doigts farfouillant ses cheveux entremêlés. De là, elle pouvait parfaitement voir le petit tatouage sur sa poitrine : une ancre. Il lui avait raconté que c’était le symbole de son père, homme influent de sa vie, qui avait été un pêcheur dans une petite ville de Caroline du Nord pendant toute sa vie. Elle laissa ses doigts caresser la peau tachée d’encre, voulant ne plus jamais bouger. Mais Riley avait autre chose en tête, alors que ses mains virevoltaient sur sa peau, accrochant son t-shirt pour tenter de le soulever. Nora ricana dans son cou mais se redressa, l’empêchant d’aller plus loin. “Petit chenapant” dit-elle avec un sourire, s’asseyant dans les draps de coton, jetant un coup d’oeil aux rideaux que les rayons du soleil transperçaient avec douceur. Riley resta à la même place, observant Nora de ses grands yeux bleus, et elle lui jeta un oeiller à la figure avant de se lever du lit. S’étirant, elle se dirigea vers les rideaux pour les entreouvrir. La journée était magnifique. Riley, derrière elle, commença à lui raconter son rêve, qui était encore plus farfelu que celui de la veille. Elle l’écouta silencieusement, ne pouvant s’empêcher de l’envier. Riley se rappelait toujours de ses rêves. Nora donnerait tout pour que ce soit pareil – elle, soit elle ne rêvait jamais, soit elle ne s’en souvenait tout simplement jamais. Elle écoutait Riley parler avec son entrain habituel, narrant les folles aventures qu’il avait vécu en rêve. Elle aussi aimerait bien s’évader de cette manière parfois. Mais au moins, elle le faisait un peu par l’entreprise de Riley. Elle s’habilla rapidement et les deux amoureux descendirent de leur nuage pour retourner sur la terre des vivants. Ils allèrent se chercher un café au Starbucks avant de se rendre au boulot, comme ils le faisaient toujours. Ils saluèrent Anna à la réception, et Nora se dirigea vers le sixième étage et Riley vers le huitième. Il avait une réunion, elle devait poursuivre son dossier. La semaine prochaine, ils partiraient tous les deux vers l’Iran. Leur quatorzième mission ensemble, certes, mais leur première en tant que couple. Nora se demanda si ça allait changer quelque chose. Mais non. Riley avait toujours pris soin d’elle, et elle avait toujours pris soin de Riley. Rien n’allait véritablement changer, sauf peut-être le poids de l’inquiétude sur son coeur qui allait s’alourdir. Mais Riley était un agent compétent, plus que compétent même. Elle n’avait pas peur pour lui. Et il n’avait pas peur pour elle. La porte de l’ascenseur s’ouvrit, et Nora lui accorda un dernier baiser avant de le quitter. Elle se dirigea vers son bureau, ouvrit son ordinateur, et commença à travailler. Non, elle n’avait pas peur pour lui.



“Je suis désolé, agent Brekke. Il n’y a pas de survivants.” Nora toisa son patron, les lèvres pincées. Non, impossible. Non, non, non. “Qu’est-ce qui s’est passé ?” demande-t’elle, la voix rouillée par le choc. Tandis que l’homme d’une cinquantaine d’années lui fit un récit des événements, Nora se sentit comme un bateau sur un océan agité. Les vagues lui ramolissaient le corps, le froid lui pinca la peau, la peur lui traversa le coeur. Elle était à la dérive, l’ancre s’était détachée de la corde, elle n’avait plus rien. Si Riley n’était plus là, elle n’avait plus rien. Que serait-elle à présent, sinon un bateau sans voile, errant dans les océans dangereux sans pouvoir trouver une quelconque terre pour s’amarrer ? Secouant la tête, elle remercia son chef et quitta le grand bureau. Elle se rua à l’extérieur, marchant jusque chez elle d’un pas rapide, la tête haute, les yeux secs, la gorge en feu. Elle attendit d’être entrée dans son – leur – appartement, d’avoir soigneusement fermé tous les rideaux avant de s’assoeir sur le fauteuil et d’éclater en sanglots. Il lui avait fait une promesse. Il l’avait dit. “Nora, on se revoit dans trois jours.” Il devrait être là, il en avait fait la promesse. Mais l’appartement était vide, et Riley était mort. Une bombe, apparemment. Une simple, stupide, ridicule bombe. Riley méritait plus que ça. Riley méritait une mort digne, une mort de héros, une mort digne des plus grands films. Il ne méritait pas une bombe dans une petit village inconnu de l’Afghanistan. Pas du tout. Nora pleura pendant quelques heures, avant de sécher ses yeux pour finalement répondre à son téléphone. C’était la mère de Riley, qu’elle avait rencontré à peine quelques semaines auparavant. Elle venait d’apprendre la nouvelle, et avait envie de parler, mais Nora était incapable de dire quoi que ce soit et raccrocha immédiatement. Elle ne voulait pas parler. Elle voulait hurler, elle voulait tout détruire. Elle se leva du fauteuil, se dirigeant vers la chambre. Elle posa la main sur l’oreiller de Riley. Combien de fois ce lit avait-il vu de confessions noctures, de baisers ? Combien d’amour avait-il ressenti ? Une tonne, sans aucun doute. Nora tenta de retourner au travail la semaine qui suivit. Mais son esprit était en constant voyage, il n’était jamais fixe. Elle était incapable de se concentrer sur quoi que ce soit. Ses yeux regardaient sans voir, et elle ne parlait que lorsqu’il le fallait. Elle avait perdu sa compétence, et elle fut déclarée compromise, incapable de faire son travail. Son chef lui dit qu’elle avait besoin de prendre une pause. Une longue pause. Nora avait failli lui rire au nez. Il n’était même pas capable de la renvoyer directement. Elle quitta donc les bureaux, avec sa petite boîte qu’elle jeta aux ordures une fois dehors. Elle secoua la tête, secoua le nuage noir au-dessus de sa tête. Elle chercha où aller. La Norvège ? Hors de question. L’idée de retourner voir ses pauvres parents, stupides et incompétents lui donnait le vertige. Elle n’avait pas fui sa terre natale pour rien. Elle resterait ici. Mais pas à New York. La ville lui donnait envie de vomir à présent – elle voyait le banc où ils s’étaient embrassés, le Starbucks où ils allaient chercher leur café, le restaurant où ils allaient presque chaque semaine. New York était devenu la tombe de Riley, et elle ne pouvait pas rester ici. Elle avait besoin d’air, de changement, de soleil. Elle fit quelques recherches, embarqua dans un avion, et se retrouva au Kentucky.


“Salut, Brekke.” Elle jeta un coup d’oeil par-dessus on épaule, sourcil arqué. Elle observa l’homme qui se tenait près d’elle d’un air structateur. Cela lui pris quelques secondes avant de le reconnaître sans son uniforme. “Rowan. T’as changé de coiffure” fit-elle remarquer en se retournant pour reprendre sa marche. Son panier rempli de victuailles perché sur son bras, elle continua à avancer pour voir s’il allait la suivre. Évidemment que oui. Elle se souvenait très vaguement de Rowan, cet agent d’interpol avait qui elle avait fait une mission. À l’époque, il avait les cheveux aux épaules, comme un adolescent. Maintenant, ils les portaient presque rasés. Mais il avait toujours ce petit air fendant. Elle remarqua ses vêtements militaires, ses bottes, et peut-être même la légère bosse d’une arme dans sa ceinture. “Je savais pas que tu étais déménagée ici” continua-t’il, visiblement hâtif de continuer la conversation. Nora haussa légèrement les épaules. “Maintenant c’est le cas.” Elle n’avait pas envie de lui parler. Il était un morceau de son ancienne vie qu’elle avait voulu mettre derrière elle après la mort de Riley. Elle ne voulait pas qu’on lui remette en plein visage. Espérant que Rowan prenne son silence comme un signe, elle continua à avancer dans les rangées de l’épicerie. Mais son ancien collègue était tenace. Elle sentit une main se poser sur son avant-bras, et elle se retourna vivement, piquée au vif. Il n’y avait pas de méchanceté dans le regard de Rowan – non, elle crut y déceler… de la pitié ? “Je suis désolé pour Riley. Je sais que ça fait deux ans déjà, mais quand même. Mes condoléances.” Elle pinça des lèvres, le remerciant rapidement. “Qu’est-ce que tu fais, ces temps-ci ?” Cette fois, elle ne put réprimer un léger soupir. “Pas grand chose, je me repose. Et toi ?” Rowan lui lanca un regard étonné. Comme si sa réponse le surprenait. “Tu te reposes ? Comment peux-tu te reposer avec ce qui se passe ?” Nora fronça des sourcils. “Qu’est-ce que tu veux dire ?” Rowan éclata de rire, un rire mesquin, plein de méchanceté. “Ces dégénérés qui courrent les rues, t’as pas écouté les nouvelles ces derniers temps ?” Et là, Nora compris. Rowan avait du rejoindre les rangs de ces chasseurs primates et ridicules qui traquaient les mutants comme des animaux. Secouant la tête, elle se détourna de son ancien collègue. C’était prévisible, après tout. N’importe qui avec une formation comme la leur serait tenté de rejoindre les rangs de la petite armée, qui possédait beaucoup de ressources. Mais la philosophie – il fallait la partager, et pas rien qu’un peu. Qu’on puisse considérer les mutants comme des animaux dangereux échappait à Nora. Et elle ne voulait rien à faire avec tout cela. Elle se dirigea vers les caisses, ignorant les appels de Rowan, espérant qu’il la laisse tranquille. Mais il n’en fut rien. Il la retrouva, dieu sait comment, et lui demanda de rejoindre leurs rangs. Ses aptitudes, sa formation, son sang-froid, ils seraient des atouts extraordinaires pour leur groupe. Mais Nora n’en avait rien à faire. Elle voulait juste qu’on la laisse tranquille. Chasseurs, mutants, peu importe. Elle en avait assez fait, et maintenant elle voulait se reposer. Mais elle n’avait pas réalisé à quel point dans ce monde, la paix n’était pas une option.