i. êtes-vous originaire de radcliff ?
Lorcan est né à Radcliff, il a grandi à Radcliff, et il y mourra sans doute. Sa famille est ancrée dans cette ville depuis des générations et ils n’ont pas l’intention de la quitter. Lorcan n’a pas eu beaucoup d’occasions de quitter Radcliff, d’ailleurs il n’en ressent pas l’envie, car c’est qu’il a ses racines, il en connaît toutes les rues, et c’est ici qu’il a tout ce qui compte pour lui, notamment sa sœur jumelle. Si elle reste ici, il restera également, même s’il doit se mettre en danger. Il serait tellement plus en sécurité ailleurs … Mais pour l’instant, il ne bougera pas.

ii. avez-vous déjà eu affaire à un ou plusieurs hunters ?
Tous les jours depuis sa naissance, en vérité. Jusqu’à ses quinze ans, il a ignoré que les Wolstenholme étaient des hunters, mais il en est douloureusement conscient à présent. Son père et sa sœur aînée sont tous deux des hunters confirmés, et sa sœur jumelle a l’intention de le devenir très rapidement. Lui-même a suivi l’entraînement nécessaire et serait tout à fait capable d’entrer dans cette secte bien fermée … Mais c’est son dernier souhait. En-dehors de ça, il a réussi à tenir sa mutation secrète pour tout le monde, et n’a donc jamais été confronté à un hunter en tant que victime. Et il essaye de retarder cette échéance au maximum, tout en ayant bien conscience qu’il ne sera pas épargné encore bien longtemps. Maintenant qu’il a été dépisté, il sait que le résultat fuitera, un jour ou l’autre … Ou bien il se trahira, vu qu’il ne contrôle encore que très moyennement son don. En bref, il est cuit.

iii. utilisez-vous beaucoup votre don ?
Oh que non ! Lorcan essaye de l’utiliser au minimum, parce qu’il le déteste et qu’il est très mal à l’aise avec l’idée d’avoir des pouvoirs mutants. Il sait qu’il doit accepter ses pouvoirs comme une part de lui-même, mais il a beaucoup de mal avec ça. Le côté pervers de tout ceci, c’est qu’il est obligé de les utiliser de temps à autre, de laisser sortir toute cette pression s’il ne veut pas se causer des dégâts à lui-même. Les premiers temps, il les refoulait tant qu’il se mettait à saigner du nez, et il a vite compris que s’il ne voulait pas subir des hémorragies internes bien plus graves, il devait apprendre à se contrôler. Mais il est complètement perdu sur la marche à suivre, et il a peur de se trouver en face d’un blessé. S’il voit du sang sur quelqu’un d’autre, il ne sait pas si ses pouvoirs n’agiront pas d’eux-mêmes … Et ce serait une catastrophe.

iv. pensez-vous que les mesures mise en place par le gouvernement sont suffisante ?
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Le souffle court, Lorcan froissa entre ses mains les résultats du dépistage. En lettres grasses, le mot « positif » s’étalait clairement sur le papier à l’en-tête officiel, juste après son nom et son adresse. Il ne pouvait plus faire semblant, à présent. Il ne pouvait plus se cacher derrière les faibles espoirs qu’il avait entretenus jusque là. Il sentait le sang battre à ses tempes, un mal de crâne terrible le martelait, et la panique, lentement, croissait dans son être. Il avait les larmes aux yeux, le cœur au bord des lèvres. Dépisté transmutant, comme une bonne partie de la population. Il le savait depuis des mois, en réalité. Il n’avait pas besoin d’une prise de sang et d’un résultat d’analyse pour en être certain, mais le voir écrit en toutes lettres le mettait face à cette réalité qui le terrifiait. Il relâcha la boule de papier sur le sol et tituba jusqu’à sa salle de bain, avant d’agripper la cuvette des toilettes et d’y plonger la tête. Son estomac, déjà mis à mal ces derniers jours par l’angoisse de l’attente des résultats, s’en donna à cœur joie. Mais au lieu de rendre son déjeuner, il vomit une masse noirâtre au goût métallique, et contrairement aux autres fois, Lorcan ne tenta pas de s’arrêter. Ce n’était pas la première fois qu’il vomissait du sang, et il se disait qu’il finirait par s’y habituer ... Peut-être. Les premières fois, il avait été paniqué, s’était imaginé atteint des pires maladies, mais il avait vite compris qu’il n’aurait pas la chance d’être malade. C’était bien pire encore : il était mutant. Et c’était de cette façon tordue que son corps le lui faisait comprendre, en le faisant saigner du nez n’importe quand, en lui tordant l’estomac quand il se provoquait des ulcères. Plus il tentait d’ignorer qu’il possédait cette tare génétique, et plus son propre organisme se rebellait en lui offrant des manifestations de plus en plus évidentes de cette malformation qui faisait de lui un mutant. Un mutant capable de contrôler le sang, visiblement, même si pour l’instant il était bien incapable de contrôler quoi que ce soit. Il n’y avait que quand il provoquait lui-même les saignements, en s’entaillant la peau, qu’il parvenait à contrôler un peu plus cette force détestable. Il était déjà parvenu à bloquer complètement le sang d’une de ses plaies, et avait même, une fois, réussi à faire remonter une goutte de sang le long de son bras … Mais en dehors de ça, il ne savait absolument rien faire. Il était juste un monstre affublé d’une tare ignoble, sans doute capable de faire autant de mal aux autres qu’il pouvait le faire à lui-même. Mais il n’aurait pas le temps de faire du mal à qui que ce soit, au rythme où allaient les choses. On lui mettrait une balle dans la tête bien avant.

Lorcan se laissa tomber sur le carrelage, s’appuya contre la baignoire derrière lui, et ferma les yeux. Il sentait encore son cœur battre la chamade dans sa poitrine, et il se demandait si cette peur s’effacerait un jour. Depuis tout petit, il était au courant de l’existence des mutants, ses parents lui en avaient parlé dès qu’il avait été en âge de comprendre la différence qui pouvait exister entre les individus. Et puis, bien sûr, il y avait eu le suicide de sa mère … Il avait douze ans quand, en rentrant de l’école avec sa sœur jumelle Aleska, il avait vu les voitures de police et l’ambulance stationnées devant chez eux pour emporter le corps sans vie de leur mère. Pendant de longues années, ça n’avait été qu’un suicide banal, terrible pour leur petite famille, mais sans aucune autre explication. Et puis … Quand ils eurent quinze ans, leur père les pris à part pour leur expliquer la vérité de leur famille. Ils étaient hunters, autant leur père que leur mère, c’était une tradition familiale qui se perpétrait depuis des générations, mais leur mère avait découvert qu’elle était elle-même mutante, et au bout de longues années de déni, avait fini par mettre fin à ses jours pour ne plus avoir à supporter cette tare qu’elle portait en elle depuis si longtemps. Lorcan n’avait pas compris. Il ne comprenait toujours pas. Sa mère avait été une femme merveilleuse, il était très proche d’elle, et il se sentait plus trahi que jamais qu’elle les ait abandonnés pour une raison aussi futile. Lui, sa jumelle Aleska, et leur sœur aînée Elinor. Les détails des souvenirs de leur famille unie et heureuse s’estompaient mais Lorcan en gardait un sentiment de bonheur qui ne s’effacerait jamais. Ils avaient été heureux, puis elle s’était tuée, et la vie n’avait plus été la même. Lorcan avait choisi la voie de son père, un peu parce qu’il voulait suivre son chemin, un peu parce qu’Aleska avait accepté avant lui et qu’il ne voulait rien faire sans elle … Un peu parce qu’il ne savait pas dans quoi il s’engageait, également. Il avait suivi l’entraînement hunter pendant des années sans jamais vraiment le remettre en question, apprenant à manier les armes à feu, à se battre, à chasser. Il pressentait vaguement que tuer ne lui plairait pas, mais son père lui répétait si bien que les mutants étaient des monstres qu’il y croyait fermement. Et maintenant c’était lui le monstre. Celui qu’on allait traquer sans relâche. Il disposait encore d’un peu de temps devant lui, tant qu’il parviendrait à garder sa condition secrète, mais avec le dépistage il ne se faisait plus d’illusions. Quoi qu’en dise le gouvernement, les résultats allaient fuiter. Il était un homme mort, ce n’était qu’une question de temps …

Lorcan n’aurait pas su dire depuis combien de temps il était là, assis sur le carrelage frais en somnolant à moitié, mis KO par la perte de sang et la tension nerveuse, quand on sonna à sa porte. Il sursauta et regarda autour de lui, comme s’il se réveillait tout juste d’un rêve, avant de réaliser que c’était sans doute Aleska qui venait le chercher. Ils avaient prévu de se faire un cinéma ce soir, mais il avait complètement oublié en recevant les résultats du dépistage … Il se leva d’un bond – ce qui eut pour effet de faire danser devant ses yeux toute une nuée de papillons noirs – dut s’appuyer au lavabo pour ne pas retomber directement sur le carrelage, et eut un mouvement de recul en se voyant dans la glace. Il était couvert de sang, pâle à faire peur, et ses sueurs froides avaient trempé sa chemise. Il se passa rapidement de l’eau sur le visage, roula sa chemise en boule et la fourra tout au fond de son sac de linge sale, la crainte qu’Aleska trouve le moindre indice sur sa crise le poussant à prendre toutes les précautions. Et pendant ce temps, elle tambourinait avec impatience de l’autre côté de la porte d’entrée … « J’arrive ! Une seconde ! » Il scanna rapidement la pièce et jura dans sa barbe en se souvenant du résultat du dépistage, roulé en boule au milieu du salon. Il le ramassa, le fourra au fond de la poche de son pantalon, et ouvrit la porte en se construisant un sourire à offrir à sa sœur. « Lorcan ! » Il n’eut pas le temps de la saluer ou de dire quoi que ce soit d’autre, qu’elle s’était déjà jetée dans ses bras, le serrant fortement contre elle. Elle tremblait presque autant que lui quelques minutes plus tôt, et il sentit la peur revenir de plus belle. « Lorcan, j’ai reçu les résultats de mon dépistage ! » Avec horreur, il entendit un sanglot dans sa voix, et immédiatement, il imagina que le pire était arrivé : elle était également mutante. Que lui ait été dépisté mutant, c’était une chose mais elle ? Sa sœur jumelle, la personne la plus importante de son petit univers … ? C’était impensable, impossible. Ils étaient allés se faire dépister ensemble, elle avait été incapable de lui cacher son anxiété, et tout le long, il avait du faire celui qui était certain qu’ils seraient épargnés par le fléau. Parce que si lui n’avait jamais compris comment sa mère avait pu se suicider à cause de sa mutation, ce n’était pas le cas d’Aleska, qui avait toujours soutenu qu’elle avait eu raison. Et sans doute n’hésiterait-elle pas à l’imiter si elle le devait … Et il ne supportait pas l’idée qu’elle se suicide. Pendant très longtemps, Lorcan avait eu peur que sa jumelle ne soit mutante elle aussi, mais elle n’avait jamais montré aucun signe de mutation, et il l’avait un peu oubliée – à sa plus grande honte – quand il avait du cacher son propre problème. L’avait-il tant négligée qu’il n’avait pas vu qu’elle aussi était atteinte ? « Et … et alors ? Le résultat ? » Balbutia-t-il. « Rien ! Je suis tout à fait humaine !! » Avec un immense soulagement, Lorcan réalisa que c’étaient des larmes de joies qui coulaient du magnifique visage de sa sœur. Et qu’elle était venue directement chez lui dès qu’elle avait eu les résultats, pour lui faire part de son bonheur … « Génial !! Tu vois, je te l’avais dit ! » S’enthousiasma Lorcan du mieux qu’il put. « Et toi ? Tu as reçu la lettre ? » Elle n’avait même pas l’air anxieuse pour lui, pas le moins du monde. Elle était tellement persuadée qu’étant jumeaux, ils ne pourraient rien faire sans que l’autre ne le fasse également. Si elle était humaine, alors il l’était aussi. Forcément. « C’est négatif pour moi aussi. Humain et fier de l’être ! » C’était tout ce qu’elle voulait entendre, et elle l’entraîna à l’intérieur de son appartement en babillant de tout et de rien. Il enviait son insouciance, sa légèreté. Elle était tout ce qui comptait pour lui, il voulait juste qu’elle soit heureuse, et ça lui suffisait. Ils étaient inséparables, tous les deux, et ce depuis leur naissance. Mais ils avaient eu leur première vraie dispute quelques semaines plus tôt, quand il lui avait dit qu’il ne voulait plus être hunter, et les cris qu’ils avaient échangés lui faisaient encore mal, quand il y repensait. Alors, ce qui se passerait quand elle apprendrait qu’il avait mentit, qu’il n’était pas humain mais une de ces saletés de dégénérés qu’elle haïssait tant … Il suffirait qu’elle le regarde comme elle regardait tous les autres mutants, et ça le détruirait. « T’es prêt pour le ciné ? T’es même pas encore habillé, t’es pas possible … Dépêche-toi, j’ai pas envie d’être en retard ! » Mais en attendant, elle le regardait encore comme son frère, elle l’aimait encore, et c’était tout ce qui comptait.