« Lucina. Lucina ? » Ma voix s'élevait dans notre appartement. Je fronçais les sourcils en ne l'entendant pas répondre. Chaque mardi, elle était sensée finir à midi. Elle aimait avoir son après-midi afin de préparer notre sortie du soir. Je passais rapidement dans le salon, puis m'approchais de la salle de bains et des chambres, posant mon sac sur un meuble. « Ma chérie ? » J'entendis quelque chose, et me mis donc à parler, à bavasser sur ma longue journée. « Je suis totalement crevé. Les élèves ont été incroy- » Je m'immobilisais dans entrebâillement de notre porte, cessant de masser ma nuque douloureuse. Lucina était au lit, le visage tiré et pâle, la respiration sifflante. Elle se mit à tousser, et je sentis un frisson naître dans le bas de mon dos, alors qu'elle tâchait de pourpre ses mains tremblantes et le dessus-de-lit immaculé. Je bondis vers elle, caressant ses cheveux. Qu'avait-elle attrapé, pour être aussi malade ? « Lucina, tu m'entends ? Qu'est-ce qui ne va pas ? Tu as été voir le médecin ? » Je semblais l'assommer de mes interrogations, mais ma propre peur emplissait totalement mon crâne. Je n'étais plus capable de penser. Sans réfléchir, je la pris dans mes bras, la drapais de son peignoir, et filais à l'hôpital de Radcliff. Il me semblait que, le temps du voyage, elle avait perdu des kilos, elle avait de plus en plus de mal à respirer. Il me semblait voir son corps fondre, son si joli corps qui prenait des teintes jaunes ou violettes par endroit, comme des bleus qui apparaîtraient spontanément. « Tout ira bien, d'accord, ma chérie ? Oh mon dieu, je vous en supplie, faites que tout aille bien » se mit-il a gémir. Les urgences étaient déjà débordées, et les semaines suivantes n'allaient rien arranger.
Tout était la faute de Pete Dinram.

« TOI ! Tu l'as tuée ! » hurla t-il en l'envoyant valser contre un mur. Pete se recroquevilla, en gémissant qu'il ne devait pas le toucher, que ça allait être pire, qu'il n'avait jamais voulu, et que le gouvernement allait tout arranger. Le pire fut quand Pete proposa de l'argent. Pour sa perte. Jasper brisa sa mâchoire d'un coup de poing rageur, et il ne se serait pas arrêté là si des internes n'étaient venus l'interrompre, ceignant sa taille pour éviter qu'il ne tue le transmutant. Le visage baigné de larmes, hurlant et grognant, Jasper se libéra et avança, tel un mort-vivant, vers la chambre de Lucina. Ils avaient déjà enlevé le corps. « Je vous en prie, je ne l'ai pas fait exprès. Tous ces morts, mon dieu » et les larmes de ce monstre étaient comme des coups de poignard, hypocrites, irréels. « Tu n'as pas le droit de les pleurer. Tu es leur meurtrier ... » Fuir était la solution. Il avait de tout brûler, et de se calciner lui-même avec le monde entier. Lucina n'avait pas mérité de mourir, et elle croupissait à présent dans une morgue froide, qui n'avait rien à voir avec ses sourires chaleureux, ses gestes tendres et ses mots si réconfortants. Sans elle, qu'était-il ? Il n'était plus rien.

« Et quand l'on est moins que rien, on peut renaître. » Il eut un sourire comme un rictus, sans joie ni humanité, et pénétra dans la salle où l'attendait Alejandro Velasquez. L'homme qui allait lui apprendre à tuer ces monstres de transmutants. Il lui avait suffit de faire sonner les bonnes cordes, d'attirer l'attention et de leur montrer : il voulait devenir comme eux, un Hunter. Les mois qui suivirent ne furent pas de tout repos. Alejandro était aussi sévère qu'il était bon professeur. Les os cassés et les souffrances n'étaient rien comparés à l'apprentissage : Jasper se noyait dedans, se brisait lui-même pour mieux reprendre sa vie en main, et il comptait autant sur Alejandro que sur leur entraînement pour tenir le coup. Bizarrement, c'est sûrement ces mois de douleur qui lui sauvèrent la vie, qui lui donnèrent un but. Le duo parfait. Le cerveau et les muscles. La tactique affinée et la force pure. C'était ce qu'ils formaient, quand ils étaient ensemble. Alejandro avait fini par être un ami, quelqu'un en qui il avait confiance. Ses soupçons le poussaient souvent à se méfier des autres, et ses réels amis se comptaient sur les doigts d'une main lépreuse. Sa propre nécrose sociale l'aurait avachi si il n'avait prit ce poste de professeur de littérature.

« Il est temps de dire au revoir » susurra t-il comme un fantôme, et sa proie n'eut que le temps de gargouiller sous son coup de couteau. Certains de ces monstres ne pouvaient être pris que par surprise, et à arme à feu. Mais celui-là, celui-là .... « Va- vacc- » tenta de parler Pete, mais Jasper mis une main sur sa bouche, tâchant ses doigts d'un carmin souillé. Enfin, il le tenait à sa merci, il le tuait, celui qui avait assassiné sa femme.« Pas l'effet désiré, mon petit monstre. Il paraîtrait que ton pouvoir n'a pas été totalement annihilé. Je suis si ravi que ce soit moi que l'on ai choisi, pour cette vengeance » déclara Jasper en appuyant sur son thorax. Pete souffrait, et la haine s'épanouit en une fleur de soulagement. Lucina était vengée. Mais qu'en était-il de ces êtres humains innocents, qui devaient eux aussi être protégés ? Jasper se releva et s'essuya les mains grâce à un produit spécial. Hors de question qu'il soit à son tour contaminé. « Je ne les laisserai pas gagner, ma chérie » murmura t-il, en faisant tourner son alliance à son doigt, avec un sourire carnassier. Comme une ombre, il disparut sur les toits, en laissant derrière lui le corps sans vie de Pete Dinram.

Jasper prit le départ de Alejandro des hunters comme une trahison propre. Les rumeurs à son sujet avaient été sûrement exagérées, mais qu'il quitte ainsi ceux qu'il considérait comme sa famille ... Jasper se sentit trahi au plus profond de sa chair par celui qu'il considérait comme son mentor, et se promit de le retrouver lui aussi. Personne ne pourrait survivre aux Hunters - être humain ou mourir, voilà l'avenir de l’humanité.