FBI: a fucking bastard with information

Sinead & Razen

Ce n’est pas compliqué à voir : Razen est fatigué. Depuis le départ d’Alvin, il est fatigué. Peut être pas physiquement, ça non certainement pas, mais psychologiquement… si espérer de lui un quelconque regret est d’une bêtise sans nom, il faut bien admettre qu’il a du mal à accuser le coup correctement. Et ce même s’il ne dort plus dans le salon, même s’il a récupéré la chambre de son petit frère, même s’il n’a plus sur les épaules la menace du Wolstenholme. Et cette fatigué ne se voit ni sur son visage, constamment cerné depuis l’adolescence, ni dans ses manières et son humour aussi douteux que sa morale, ni dans sa désinvolture affichée et presque revendiquée en toute circonstance. Non. Cette fatigue ne se ressent que lorsqu’il est seul ou dans son absence désormais complète de scrupule dans tous les magouilles illégales et amorales qu’il accepte contre quelques billets. Il est bien embêté, à ce propos, de ne plus avoir d’yeux ou de muscles pour faire le sale boulot. Il est bien embêté par sa cécité qui l’handicape vraiment à présent. Et s’il maintient un large sourire sur ses lèvres lorsqu’il se retrouve à commander un latte, ce n’est qu’un placardage grossier d'hypocrisie. Ah ça oui, c’est certain, Raz en se prend en plein visage les conséquences inhérentes au statut de profond connard qu’il à récupéré lorsque Tessa a échoué dans les mains du chasseur. Et lorsqu'il a définitivement piétiné la confiance que lui portait Alvin. Et par son biais celle de leurs parents.

Accoudé au bar, l’aveugle regarde dans le vide, écoute le brouhaha sans se concentrer sur quoique ce soit en particulier et, mieux encore, en focalisant toute son attention sur l’odeur du café qui s’échappe de la tasse posée devant lui. Dix heures du matin, les températures qui diminuent. L’anniversaire d’Ailinora. Et un rendez-vous vous avec une journaliste pour, dans le meilleur des cas, récupérer une nouvelle source d’informations et dans le pire des cas, se dégoter de quoi se changer les idées et s’occuper un peu. Et s’amuser, aussi, avec cette petite McNally. En soi, il aurait très bien pu ne pas se présenter au rendez-vous maintenant que l’affaire avec Wolstenholme était réglée mais… mais Razen aime garde des cartes dans sa poche et ne compte pas non plus tourner la page aussi vite. Ne plus avoir la menace d’une mort imminente sur la nuque est une chose, ignorer que c’est tout cette affaire avec le chasseur et ce contrat plus que problématique qui a fini par faire éclater le duo Townshend en est une autre. S’il peut avoir des informations sur la famille de chasseurs, sur les points faibles, les points forts, les leviers sur lesquels jouer, Razen ne s’en privera définitivement pas. Et, comme déjà dit, ou plutôt pensé pour l’Anglais, il faut bien s’occuper.

Ses doigts glissent sur son téléphone pour lui faire articuler l’heure à haute voix. Dix heures et quart, elle ne devrait plus tarder. Il cherche dans sa veste son porte-monnaie, attire l’attention d’un serveur qu’il entend approcher pour mieux le saluer d’un éclat de rire, échanger quelques mots cordiaux et attendre patiemment qu’on lui rende la monnaie avant de laisser un généreux pourboire en échange d’un bras pour le raccompagner à la sortie de l’établissement. Toujours laisser les autres le sous-estimer, en rajouter une couche lorsque ce n’est pas trop pénible, cela fait plus de vingt ans maintenant que Razen doit jouer au plus malin avec ceux qui l’entourent pour cacher sa mutation et toujours, vraiment toujours, garder une longueur d’avance, même minime. C’est la condition pour survivre lorsqu’on met un pied dans le monde de l’illégalité avant d’avoir fêté ses vingt ans, c’est la condition pour y courir lorsqu’on y voit comme dans un four. De nuit. Pendant la nouvelle lune. Avec de l’acide dans la rétine. Sans la douleur.

Razen déplie la longue canne blanche qui le suit depuis deux décennies, remercie le serveur et s’adosse au mur le plus proche. Quelles informations va-t-il pouvoir donner à la journaliste ? Quelles informations, aussi, va-t-il pouvoir lui extorquer ? Avec quoi va-t-il pouvoir l’appâter, au final ? Il faut des données alléchantes, des vraies données pour commencer, ou du moins des bribes de vérité dans un seau de on-dit particulièrement chimiques et artificiels. Il faut faire envie, donner des informations incomplètes qu’il vérifiera plus tard, pour qu’elle revienne. Qu’elle profite de la gratuité. Et qu’elle soit totalement ferrée par la suite. Pour le coup, il sait qu’il y a de la curiosité et de la demande du côté de McNally mais il lui reste à savoir jusqu’où elle est capable d’aller et de banquer pour terminer la rédaction de… de quoi au juste ? D’un article ? D’un mémoire ? D’un livre ? D’un dossier ? Adossé au mur, Razen joue avec sa canne pour passer le temps et se retenir de sortir son téléphone et d’emmerder une Ailionora certainement en cours. Et enfin, un bruit. Il penche sa tête sur le côté, Razen, signe le plus évident chez lui d’une écoute exacerbée. « Hum… bonjour ? Je suis Francesco Valence, celui qui voulait vous voir. » Elle est devant lui, il le sait. Et il tend malgré tout une main chaleureuse pour vérifier son identité et se plier à la plus élémentaire des conventions. « Vous voulez qu'on se pose à un endroit en particulier, parc, bar, café ? Je viens de prendre un café, mais je peux toujours recommencer, je ne comptais pas faire la sieste. »