La brune se rapprochait l'hôpital, attendant patiemment celui pour qui elle s'était déplacée. Dhan Stevens. Un pompier qu'elle avait rencontré lors d'une soirée ou son don leur avait littéralement sauvé la peau. Comme quoi, posséder un champs de force plus efficace qu'un gilet par balles s'avérait avantageux. Mais dans une ville infestée de chasseurs, elle eut l'agréable surprise de tomber sur un homme qui se battait pour la cause mutante. Et qui avait tenu à la rapprocher d'un groupe protégeant des gens comme elle. Si au départ, elle s'était montrée sceptique, se trouver des alliés potentiels ne seraient pas pour lui déplaire. Loin de là même. Si ses capacités la protégeait de beaucoup de choses, elle n'était pas infaillible, et l'effet de surprise passé, elle ne savait que trop bien que certains chasseurs pourraient trouver ses faiblesses. Ne jamais sous-estimer ses adversaires. Ils n'étaient pas tous dépourvus de matières grises. Dommage, vraiment. S'ils avaient mis leur cervelle sur d'autres projets plus constructifs, ils auraient été de grands hommes, à n'en pas douter. Un tel gâchis. Ils auraient pu laisser leur ingéniosité à d'autres.

Des conversations attirèrent son attention un peu plus loin. Mais elle n'y reconnut pas la voix du pompier. Son regard sombre détaillait tranquillement les personnes qui allaient et venaient. Une vieille habitude qui ne la quittait pas. La Colombienne continua sa route sans se presser. Elle savait qu'elle ne serait pas en retard. Maria se cala contre un mur, pour une fois patiente. Un sourire de renard étira ses lèvres alors qu'elle vit le brun sortir du bâtiment.  Autant lui faire une petite surprise, hm ? Elle se glissa dans son dos, en bonne petite ombre silencieuse. Immature ? Oui, certainement, mais elle avait envie de tester sa réaction. De voir s'il se contenterait de sursauter ou s'il attaquerait par instinct.

-T'es arrivé depuis longtemps ?

Certes, pas de « bonjour », ni de « comment ça va ? ». Pour la politesse, il faudrait repasser. Mais bon, elle l'appréciait quand même un peu ce pompier là. Du coup, elle le montrait de cette manière. Ses gestes plus doux étant réservés qu'à trois ou quatre personnes.

-C'est vers où ? On va voir qui ?

Même si elle avait accepté de le suivre la dernière fois, elle aimerait bien avoir ces quelques informations. Au pire des cas, elle pourrait toujours fuir. Si elle n'avait rien de dangereux au premier abord, sa petite lame sagement cachée dans ses vêtements démentait son apparente fragilité. Enfin, pour le moment, elle faisait un énorme effort sur elle même en lui accordant sa confiance. Il valait mieux pour lui qu'il ne la brise pas, d'autant plus qu'elle l'appréciait. La trahison passerait d'autant plus mal. La dernière en date lui avait largement suffi, merci bien. Même si cela datait de plusieurs années.

Dhan n’était pas arrivé à l’hopital depuis très longtemps. Il avait passé la journée à faire des allers retours entre la maison de retraite et l’hosto pour transporter des petites mamies qui avaient besoin de faire quelques examens de routine. C’était le travail des entreprises de transport de santé normalement, mais les petites vieilles du coin étaient, justement, assez vieux jeu, et faisaient plus confiance aux pompiers qu’à une ambulance quelconque pour les transporter. Alors quand il n’y avait pas d’autres urgences en ville, ils s’exécutaient, et Dhan se portait souvent volontaire : il les aimait bien lui, les mamies, et après avoir passé l’été à passer de maison en maison pour vérifier que chacune se portait bien, il était connu comme le « gentil jeune homme, vous savez celui avec une barbe et de très beaux cheveux ». Il était très fier que toutes ces coquettes permanentées soient en kiff sur ses cheveux, vraiment. C’était presque un accomplissement en soi. Bref, il avait passé l’après midi à discuter tricot et Elvis, et maintenant il avait terminé son service. Il était rapidement passé vers les vestiaires pour se doucher et enfiler des vêtements de civil, vérifiant sur son téléphone qu’il n’avait pas de message : il était un peu plus anxieux que d’habitude depuis qu’il avait attrapé une chasseuse dans leur appartement, et il réclamait des textos à Clémentine plus souvent. Bon, il savait qu’elle était en cours là, et qu’a priori il ne craignait rien, mais ça l’aurait rassuré quand même. Il rangea son portable dans sa poche de blouson, puis partit donner ses dernières recommandations au collègue qui prenait sa relève. Rien de bien important, mais c’était le protocole, et puis il ne pouvait pas partir comme ça comme un voleur. Une poignée de main amicale, puis il prit la route de la sortie de l’hopital, en vérifiant sa montre : il allait être pile à l’heure pour retrouver Maria, si celle-ci était aussi ponctuelle qu’elle le dis… Il sursauta en un bond en sentant une main sur son épaule, réculant d’un pas avec une grimace :

- … C’était pas très très gentil ça, c’est pas parce qu’on est à deux pas de l’hopital que tu peux te permettre de me faire faire une crise cardiaque hein … j’viens de sortir du boulot, tu as pas trop attendu toi ?

Il ne lui avait pas fait la bise, ni même serré a main, ne sachant pas trop quelle degrés de familiarité il pouvait se permettre avec la jeune femme. Il ne voulait pas commettre d’impair, et encore moins faire passer un message ambigu, alors autant garder ses mains dans ses poches et ses bises sur sa propre bouche, il était à peu près sur que ça valait mieux pour lui. Il l’invita à le suivre sur le parking, jusqu’à sa voiture, alors qu’il réfléchissait à sa réponse : pas facile facile d’être totalement honnête, à cause du secret, tout ça … Il avait beau eu le feu vert des principaux responsables d’Uprising, il avait l’impression d’avoir tout le poids de cette décision sur ses épaules, ce qui était aussi excitant que flippant . A égalité.

- Euh, je peux pas trop te dire où on va en fait …. Ni trop qui on va voir … mais en gros, ben c’est un collectif de mutants, qui aident les autres mutants et qui empêchent les chasseurs de vous faire du mal … Mais c’est, hum, le pendant soft du mouvement, genre ils ne tuent pas les gens… A part en cas de légitime défense quoi… On est plus dans la protection que dans l’agression… Tu peux fouiller la voiture si tu veux avant de monter, ya pas d’arme, rien … J’saurais pas quoi en faire de toute façon hein …

Il laissa Maria faire son petit tour, puis démarra la voiture, direction les beaux quartiers du nord, et surtout le manoir de Malachi, ù plusieurs mutants les attendaient pour découvrir Maria. Il espérait vraiment, vraiment qu’elle ne serait pas déçue.

- Alors heu, tu t’es trouvée un endroit où t’installer du coup ? Un appart dans le centre ou quelque chose et  … Ah, c’est là !

Elle eut un petit sourire en coin lorsqu'il se plaignit et elle se contenta de hausser les épaules. Au moins, elle se retenait de rire. S'excuser ? Il ne fallait pas rêver. Surtout pas pour une petite farce de ce genre. Mais elle lui tapota quand même le bras, dans un geste assez amical.

-T'en feras pas une pour si peu, t'inquiète. T'as l'air plutôt solide comme gars.

Oui, ceci était une forme de compliment. Comme quoi, ça pouvait arriver, même de sa part à elle. La colombienne le suivit tranquillement jusque la voiture, les mains enfoncées dans ses poches. Qu'il tente de la blesser avec une arme quelconque et elle le renverrait à l'hôpital. En piteux état. Juste parce qu'elle l'aimait bien, sinon, le sort réservé serait bien plus macabre. Elle se contenta de vérifier vers les portières, plus par habitude qu'autre chose.

-J'te fais confiance là dessus.

Me déçoit pas. Si les mots n'avaient pas été prononcés, ils étaient plus que clairement sous entendus. Enfin, il avait pas l'air du type qui poignardait les mutants dans le dos. Plus le genre adorable et sociable en fait. La brune l'écouta attentivement en s'installant sur le siège passager. Alors, il fallait garder une certaine part de mystère, hm ? Elle comprenait. En même temps, mieux valait vérifier les intentions des nouveaux venus, surtout que les chasseurs ne reculaient devant rien pour atteindre leur but. Une prudence qu'elle appréciait.

-Tu devrais apprendre un minimum à te servir d'une arme. Ne serait-ce que pour te défendre.

Pas de moquerie, un simple fait. Ca serait embêtant qu'il se fasse tuer bêtement, juste parce qu'il n'avait pas les bases pour sauver sa peau. Faire partie d'un tel groupe, même s'il restait soft, ça entraînait forcément des risques. Et ils étaient clairement pas dans un monde de bisounours. Les dommages collatéraux, ça existait. Ils arrivaient bien plus vite que l'on pensait, surtout.

-Ouais, j'ai pu m'installer dans un appartement pas trop cher. Ca a été assez rapide en fait.

C'était pas très grand, mais elle ne s'en plaindrait pas, sans compter le fait qu'il était déjà meublé. De quoi pouvoir ranger rapidement les quelques affaires qu'elle avait embarqué. Elle n'était pas obligée de rester au motel, c'était déjà plus que bien à son sens. Puis son chat avait d'espace pour se  balader.

Maria détaillait les beaux quartiers avec un air songeur. Elle se demandait sur qui elle tomberait, une fois sur place. Mais elle n'assomma pas le pompier avec les diverses questions qui lui traversaient l'esprit. La brune saurait tout le moment venu. Pas la peine de se presser. Même si son manque de patience ne l'aidait en rien.

Elle haussa un sourcil lorsqu'il s'arrêtèrent devant un immense manoir. Ah oui... Le propriétaire avait les moyens là. Ca n'était clairement pas un hébergement à la dure comme planque pour les mutants. Si les occupants étaient aussi sympathiques que la maison, ça serait parfait. La brune descendit de la voiture et attendit patiemment Dhan, le laissant passer devant.

-Y a beaucoup de monde ?

Solide solide, oui il l’était, mais en ce moment les femmes mettaient son cœur à rude épreuve : Clèm’ pour lequel il s’inquiétait constamment, Isolde qui était constamment menacée par les hunters, et puis cette chasseuse qui s’était introduite chez lui … Si maintenant c’était Maria qui s’y mettait, il n’allait pas faire long feu, c’était sur ! Une fois entré dans sa voiture, Dhan se détendit un peu. Bon, a priori maintenant, tout irait bien. Pas de bombe, pas de fusillade, tout allait bien, c’était parfait. Il fit ronfler le moteur de sa voiture, puis démarra en trombe, direction le nord de la ville. Il se sentait toujours un peu anxieux de faire rencontrer des gens à Malachi, ou même aux autres grands manitous de l’organisation : si il se foirait, ce serait toute un histoire pour appeler un mutant effaceur de mémoire et relâcher Maria bien loin du manoir. Bon, il espérait que cela ne soit pas le cas, mais comme il n’était pas forcément en veine en ce moment … La remarque de Maria lui tira un petit rire, moins crispé celui là :

- Non mais me mettre une arme à feu entre les mains, ce serait presque un attentat suicide. Je le sais, j’ai grandi au Brésil, et là bas on apprend aux mômes de 6 ans à se servir d’un flingue… Et j’ai toujours été nul pour ça. Et puis je suis pompier et infirmier, les blessures, je les panse, je ne les fais pas … Pis j’ai pas besoin de me défendre, qui aurait envie d’abimer une petite bouille pareille ?

Profitant d’un feu rouge, il tourna la tête vers Maria, la lèvre inférieure en avant, dans une interprétation toute personnel de la moue du Chat Potté. Très réussi, à coup sur, parce que personne ne pouvait y résister. C’était sa maman qui lui avait dire.

- C’est clair que c’est méga cool que tu ais trouvé vite. C’est quand même plus agréable d’avoir un chez soi et … Ah, on arriiiiiiiive !

Dhan prit un virage en épingle légèrement serré qui montait sur les sommets de la ville, dans l’un des quartiers les plus huppés de la ville où se succédaient d’immenses maisons dans le pur style du Kentucky. Il se gara devant l’une d’entre elle, sonna à l’interphone, puis rentra avant même que quelqu’un lui réponde : d’expérience, il savait que Malachi ne fermait jamais la porte d’entrée, justement au cas où quelqu’un avait besoin de se planquer chez lui en son absence. Il invita galamment Maria à passer la porte, bombant le torse en lui faisant découvrir le couloir de l’entrée, tout en esthétique et en meubles anciens :

- Tu es dans le manoir Porter, du nom du propriétaire, Malachi Porter, qui est, euh, un peu un des chefs de l’organisation. Il aide les mutants en difficulté, il les héberge, eux et leur famille quand ils sont traqués, tout ça … Et je pense pas qu’il y ait tant de monde que ca, on est pas des sauvages … P’t’être Malou et un ou deux invités, ils doivent nous attendre dans le salon, allez viens !

Sans attendre, il la guida jusqu’au grand salon du rez de chaussée. Il n’y avait pas grand monde, vraiment pas. En fait, il n’y avait qu’un type, qui se tenait de dos, le regard perdu dans la pelouse du jardin.

- Salut la compagniiiiiiiie !

-C'est pas parce que t'as une bonne tête que tu vas être épargné dans un conflit. Bien au contraire. Si tu leur sers des yeux de biche, t'as des chances de te faire tirer comme un lapin. Et fais pas cette tête, on dirait...  

Rosa gamine. La petite Rosa dont elle n'avait toujours pas de nouvelles, ce qui commençait plus que sérieusement à l'inquiéter. La rendre nerveuse aussi. Ce qui ne faisait jamais bon ménage chez elle. Certains de ses anciens coéquipiers pouvaient l'attester.

-Oublie, j'ai rien dit.

Le sujet était clos avant même d'avoir commencé. Tant qu'elle n'aurait pas d'informations sur sa cadette, bonnes comme mauvaises, elle refusait d'en parler. Idiot, surtout qu'au final, ça ne changerait absolument rien à la situation.

-C'est plus pratique que le motel c'est sûr.

Et elle ne se serait pas vu s'installer un moment dans ce genre d'établissement. Pas assez de place pour ranger correctement ses affaires. Surtout en ce qui concernait ses petits joujoux préférés. Ca aurait pu poser problème assez rapidement.

Maria le suivit en silence, l'écoutant attentivement et sans l'interrompre avec ses questions. L'enthousiasme de Dhan détonnait, renforçant encore plus la gentillesse qui semblait émaner de lui. Autant dire qu'elle n'avait pas l'habitude des gens comme ça. C'était pas désagréable, juste un peu déroutant. C'était si facile de lire en lui que s'en était vertigineux.

La brune dévisagea l'homme du salon sans une once de timidité. Sauf que ce dernier la perturbait. Son visage lui rappelait bien trop celui de Julian. Au point qu'un doute horrible commença à s'insinuer dans son esprit. Pour autant, elle préféra mettre de côté son trouble. N'agir que sur des faits, voilà qui était bien plus sage et professionnel. Pour autant, son nom acheva de la convaincre. Certes, Velasquez, c'était répandu comme nom. Alejandro, elle en parlait même pas. Sauf que si on ajoutait le fait qu'il arbore quasiment les mêmes traits que Julian, là, y avait un sacré problème. Sauf s'il s'agissait de son plus vieux frère aîné. A cet instant, elle hésitait entre ressentir une certaine satisfaction à voir le plus vieux membre de sa fratrie en face d'elle ou espérer que ce ne soit qu'une mauvaise blague du destin, pour peu qu'elle y croit.

-Maria Velasquez. Et pour répondre à tes questions. Ouais, on s'est déjà croisé, la dernière remonte à vingt ans si j'me trompe pas.

Le tout dit avec l'air le plus normal du monde, un sourcil légèrement relevé. Du foutage de gueule ? Oui et non. Ca se rapprochait plus de sa façon normale de parler. Du moins avec ceux dont elle n'avait plus ou pas l'habitude. Ni la moindre confiance.

-Ca fait une sacrée paire d'années, grand frère.

Si là, ça ne lui était pas monté au cerveau. C'est qu'il avait le QI d'une huître comateuse. Et encore, ça serait insultant pour le pauvre animal. Quoi ? Ouais elle avait la rancune tenace, et alors ? Ca ne changerait pas, fallait pas non plus trop en demander. Déjà qu'elle se montrait courtoise... La Colombienne releva le menton, le défiant implicitement de lier leur lien de parenté. Ce n'était pas comme si ça comptait pour lui après tout.

Toutefois, elle se demandait ce qu'il fichait ici. Elle l'imaginait mal en tant que bon samaritain. Même si elle n'était pas franchement mieux, à bien y réfléchir. Sauf qu'elle ne s'était pas cassée en laissant sa famille sans aucunes nouvelles depuis ses quinze ans, elle. Mais la brune était mutante, posséder Uprising dans ses alliés s’avérerait avantageux, toujours. Même si elle devait bosser pour eux quelques fois. Mais lui ? Etait-il comme elle ? Et dans ce cas, quelle faculté possédait-il ? Autant de questions dont elle n'aurait pas de réponses avant un petit moment.

La Colombienne retint une remarque acerbe qui lui brûlait les lèvres. Ca allait, il possédait encore une mémoire et se rappelait de la composition de la fratrie. Un exploit, vraiment. Surtout de sa part à lui. Mais elle devait se montrer civilisée, ne serait-ce que pour Dhan. Pour son affiliation à Uprising. Pas question de louper cette alliance à cause d'Alejandro.

-Ouais c'est ça. La jumelle.

Celle qui l'avait suivie pendant le début de sa vie. A qui il avait appris à se battre, à se débrouiller dans la rue. Qui l'avait protégée plusieurs fois aussi. C'en était presque ironique cette manière dont leur relation avait changé. Qui aurait cru qu'ils en arriveraient à se toiser de cette manière ?

Sa langue maternelle revint d'un coup, avec des accents nettement plus durs que lorsqu'elle parlait anglais. Des mots mâchés, presque gutturaux mais qui s'enchaînaient rapidement. Fini la délicatesse de son anglais. Ne restait plus que le patois du quartier de son enfance. Elle savait que Dhan ne pourrait pas suivre toute la conversation, elle veillerait à rebasculer sur l'anglais par la suite.

-C'est pas au bout de vingt ans que j'me serais ramenée, la bouche en coeur si j'avais eu besoin de fric. Tant pis si ça te déçoit, mais aux dernières nouvelles, ça fait des années qu'on s'débrouille très bien sans toi. Ton fric tu peux te le garder.

La réplique faillit lui arracha un ricanement méprisant. Il y croyait franchement en plus ? Qu'est-ce qu'elle en avait à faire de son pognon. Elle pouvait en ramener seule merci bien. Elle était plus la gamine en quête de la fierté de ce frère qui la fascinait tant. Non, maintenant, elle ne ressentait qu'un vague ressentiment à son sujet. Il aurait très bien pu être le mec le plus riche de la terre qu'elle aurait préféré aller dire bonjour aux hunter plutôt que de lui demander quelques billets. Question de fierté, voyez-vous ?

-C'est pas dont j'voulais l'adresse. C'est celle de Rosa.

La colombienne n'avait pas laissé beaucoup de choix à Julian. Il savait à quel point elle pouvait se montrer obstinée, pire qu'un pittbull avec son os. D'autant plus lorsqu'il s'agissait d'un des membres de la fratrie. Soit, il l'aidait, soit elle retrouvait leur benjamine par ses propres moyens et créait quelques scandales au passage. La décision avait vite été prise de son côté.

-J'en sais rien, j'suis pas dans leurs têtes. Ton enthousiasme fait plaisir, c'est incroyable.

Mais franchement, elle ne s'était pas attendu à une autre réaction de celle ci. Après tout, comme il le disait si bien, il les avait abandonnés de son plein gré. Normal qu'il ne l'accueuille pas avec un câlin. Quoiqu'avec un tel geste, il se serait mangé un coup de poing bien senti. Pour la forme. Les étreintes, elle les réservait pour peu de personnes, et il n'en faisait clairement pas parti.

-D'ailleurs elle est où Rosa ? Comme ça tu s'ras débarrassée nous. C'est pas ce que tu veux ? Ca fera deux gagnants.

Non, franchement, elle était à des kilomètres de la vérité. Comment pourrait elle imaginer que son bébé de petite soeur se retrouvait six pieds sous terre. Rosa ne pouvait qu'aller bien. Alej avait veillé sur elle, pas vrai ? Même si visiblement, ça semblait une corvée pour l'aîné Velasquez, Rosa n'en était pas moins sa soeur. A moins qu'elle ne l'ait surestimé.

Dhan adorait ramener des gens chez Malachi : en général, c’était un peu comme la grande révélation, une manière pour les mutants de trouver un nouveau cadre, presque une nouvelle famille. Il était rare que le maitre des lieux ne fasse pas fondre les cœurs par sa présence rassurante et sa gentillesse, et son propre pouvoir était du genre à aider un peu à la prise de contact. Il était rare d’ailleurs que le Porter lui dise de venir alors qu’il était lui-même absent, peut être allait il les rejoindre plus tard, où alors qu’Elsa était à l’étage ? Toujours était il que Maria devrait probablement revenir pour rencontrer un peu le chef, mais au moins elle saurait comment venir toute seule comme une grande quand on l’inviterait à nouveau !
Le pompier sourit largement en découvrant Alejandro Velasquez dans le salon, apparemment surpris de leur arrivée : il était un peu bourru, le Velasquez, mais Dhan était persuadé qu’il avait un bon fond. En même temps, à part les gens avec des croix gammées tatoués sur le front, Dhan considérait que tout le monde avait un bon fond, globalement, alors ce n’avait pas été très difficile pour Alej d’attirer sa sympathie. Dhan n’était pas du genre à craindre les grognons et les taiseux, ils étaient souvent plus timides et introvertis que véritablement désagréables en plus, la plupart du temps, et il en fallait beaucoup pour qu’il se vexe, en plus de ça. Il s’avança pour serrer la main d’Alej avec chaleur, alors que ce dernier ne quittait pas des yeux Maria. Dhan tourna la tête vers l’un puis vers l’autre, intrigué : peut être se connaissaient ils déjà, et que c’était pour cela que Malachi avait fait en sorte qu’ils se croisent ? Si c’était le cas, il était vraiment super futé, le motiopathe …

- C’est marrant, vous avez le même accent ! est ce que vous …

Oups, apparemment, ce n’était pas à son tour de parler et … Elle l’avait appelé Hermano là ? Parce que bon, ils s’appelaient tous les deux Velasquez, mais c’était hyper courant comme nom, lui-même n’était pas cousin de tous les Stevens de la ville quoi … réduit au silence par la tension entre les deux latinos, il recula un peu pour s’asseoir sur le canapé sagement , un Velasquez de chaque coté, la main contre le menton. Ces deux là semblaient avoir entamé une très belle partie de ping pong verbale, sans plus lui prêter ne serait ce qu’une goutte d’attention. En fait, ils semblaient avoir tout oublier autour d’eux et être retournés dans le passé, dans un coin d’ailleurs où on parlait espagnol, ou en tout cas on crachait des mots d’amour en espingouin. Il ne comprenait pas tout, les mots étaient débités à un tel rythme, avec un vocabulaire si … imagé, qu’il n’était pas sur d’en envisager toute la richesse. Malgré tout, il avait quand même plus ou moins compris le fond des choses, et c’était quand même assez dingue. Incapable de se retenir plus longtemps, il finit par lever le doigt pour attirer l’attention des deux latinos qui semblaient à un cheveu de se mettre sur la tronche :

- Euh, vous êtes au courant que je comprend tout ce que vous dites, quand même ? Vous voulez peut être que je vous laisse, parce que je peux le faire hein ? Juste, abimez pas les meubles, c’est pas chez nous quand même…

Il n’osait même pas imaginer la tête de Malachi si il retrouvait son salon complètement ravagé. C’était sa maison de famille tout de même, y avait un respect à avoir … Sauf que le respect, ça avait pas l’air d’être le maitre mot de leur éducation, aux Velasquez…

Elle eut envie de hurler. Littéralement. Le crédo de la fratrie avait toujours été de frapper, puis de discuter. Son statut de femme n'avait rien changé à cette règle. Alej s'en souvenait très bien aussi, vu son recul. Sûrement qu'il avait bien fait aussi. Car sans la présence de Dahn, frère ou pas, il se serait mangé un poing. Sa main s'était déjà refermé instinctivement sur le premier objet à proximité. Sauf que la tirade du pompier la stoppa. La raison qui l'emportait difficilement sur l'impulsivité. L'esprit pragmatique qui analysait les possibilité d'évolutions. Et une fois de plus, son passage à l'armée lui fit prendre la meilleure décision. Même ça lui laissait un gout amer dans la bouche. Ce groupe pouvait lui apporter un certain soutien, des alliés. Et elle se retrouvait dans le manoir d'un des plus haut placé. Détruire son mobilier ne l'avancerait à rien, et ce, même si ça la frustrait de ne pas pouvoir rentrer allègrement dans le lard de son ainé.

Ce n'était plus simplement de la colère, mais bien de la haine, pure et dure. Sa petite soeur. Son bébé de petite soeur était morte plusieurs mois plus tôt. Et ce débile notoire avait cru bon de n'avertir personne. Pas même Julian.  A se demander ou son cerveau avait bien pu se faire la malle, tiens. Le pire étant qu'il trouvait ça normal, comme s'il s'agissait de la dernière banalité qu'un journaliste aurait pu sortir sur un défilé de mode ou n'importe quel événement sans grande importance. Comme si ça ne valait pas la peine qu'on s'y arrête.

-Celle qui a été tuée par les hunter ? Bordel, Alej, t'aurais pas pu prévenir ? C'est aussi notre soeur. Et c'est pas comme si j'ignorais qu't'es en contact avec Julian depuis une paire d'année et il a pas eu besoin de me le dire pour que je le découvre. Et me fait pas croire que tu lui a dis, parce qu'il aurait pas été assez abruti pour garder cette information pour lui.

Elle crachait ses mots comme du venin. Pour faire mal et déverser sa rancune. Pouvait-il ressentir du remords, de la douleur ? La brune en doutait fortement. Non, Alejandro ne montait pas bien haut dans son estime. En vérité, il avait touché le fond depuis longtemps et continuait de creuser joyeusement. Et si elle ne pouvait pas utiliser son poing, ou même la chaise à ses cotés pour lui remettre du plomb dans la cervelle, elle ne se gênait pas pour lui balancer ses horreurs à la figure. Un moyen de se défouler comme un autre. Pourtant la violence guettait, non loin de la surface, lui chatouillait les phalanges et assombrissait son expression.

-Pour le petite soeur, tu l'auras compris, Dhan, y a bien que le mot.

Nouvelle constatation cinglante. Pourtant, elle ne semblait pas plus affecté que cela par ce manque de relations qu'elle entretenait avec lui.  Enfin, dans ce qu'elle voulait bien admettre, car sous son épaisse couche de rancoeur et de déni, il restait son frère. Une petite étincelle d'amour caché au reste du monde et qui ne ressortirait pas de sitot.

-T'vas être déçu, j'ai aucune intention de m'en aller. Ca me donne d'autant plus de raisons de m'intégrer à Uprising, même.

Pas sans avoir vengé Rosa. Ca ne changerait pas la réalité et ne lui ramènerait pas celle qu'elle avait aidé à élevé, certes, mais elle ne changerait pas d'avis. Pire qu'un molosse attaché à son os. Sa quête n'avait rien de louable, certains la qualifierait même d'égoïste et monstrueuse. Sauf que ce stade, elle l'avait déjà dépassé depuis plus de dix ans. Un peu plus, un peu moins, elle n'était plus vraiment à ça près. La vengeance n'apportait aucun bonheur, à n'en pas douter, ça ne consolerait personne, mais au moins, le responsable serait stoppé.

-C'est bête, en voulant absolument nous éloigner, c'est là que tu risques le plus de voir le reste de la fratrie débarquer.

Elle se força à se détendre un minimum, ravalant sa nature première. La tornade ne serait pas lâché. Pour le moment. Pas sûr que ça tienne longtemps, mais elle faisait des efforts, il fallait le noter. Et mieux valait changer un minimum de sujet. Par sinon, elle ne donnait pas cher de ce qui pourrait lui servir d’assommoir de fortune.

-Et comment on fait pour intégrer Uprising, Dhan ?

C'en était presque étonnant qu'elle apparaisse aussi calme, d'un coup. Presque composé. Même s'il en faudrait peu pour qu'elle reparte au quart de tour, et cette fois ci, sans savoir si elle pourrait se stopper.

La scène avait quelque chose de complètement irréelle, presque télévisuelle, et il avait l'impression de l'observer de l'intérieur : la réunion d'un frère et d'une sœur, dans un endroit totalement aléatoire, qui se mettaient à se lancer des politesses à la figure en espagnol. C'en était cartoonesque à en friser le ridicule, surtout qu'ils devaient faire exactement la même taille, l'un et l'autre – c'est à dire bien vingt centimètres de moins que lui même-, alors forcément, il avait l'impression d'assister à une scène de dessins animés en direct. Sauf que voilà, la teneur de leurs paroles, elle, était nettement moins légère et comique… A mesure qu'il comprenait ce qu'il se passait, qu'il observait la colère et la haine se peindre sur le visage de son amie, Dhan avait reculé d'un pas, comme pour sortir du cercle qu'ils étaient en train de former. Soudain, il se demanda qui était vraiment Alej, et si il avait bien fait de ramener Maria dans le repère des Uprisings. Sauf que voilà, Malachi n'était pas là et si cela dégénérait il serait bien le seul responsable et le seul en mesure de gérer la discorde familiale.

- Euh, ouais, le portugais, pis euh j'étais pas mauvais en langue globalement à l'école, donc bon… Voilà …

Le malaise . Le Gros malaise. Il aurait aimé sortir une blague, un truc, n'importe quoi, pour détendre l'atmosphère, mais … Mais non, rien ne lui venait, le vide intersidéral. Et pourtant, il avait la gouaille d'habitude, toujours le mot pour rire, mais à cet instant précis, rien ne lui vint. Pourtant, d’ordinaire, il avait une tchatche terrible, il était difficile de faire la tête quand il était là, mais … Il sentait bien qu’il se passait quelque chose de vraiment trop important à cet instant précis pour qu’il puisse changer tout cela avec une petite blague :

- Je suis sincèrement désolée pour votre sœur, c’est absolument terrible, j’ai l’impression que personne n’est épargné par la violence de ces types là…

Lui-même avait connu des membres d’uprisings, voire d’insurgency, qui avaient subi un sort terrible à cause des chasseurs. Il n’y avait qu’à voir Cesare, agressé par son propre père… C’était terrible, absolument terrible, et il secouait la tête pour chasser ces idées de sa tête. D’ailleurs, il saisit l’opportunité de la question de Maria pour tâcher de relâcher un peu la tension terrible qui appesantissait l’ambiance :

- Oh, ce n’est pas bien difficile, globalement. Tu vas probablement devoir rencontrer quelques uns des responsables du groupe, qui sont des mutants aussi, et qui ont des capacités qui permettent de deviner si les candidats sont honnêtes ou pas… A partir du moment où c’est ok pour eux, ils te donnent quelques infos, et surtout, ils vont te demander quel genre d’actions tu souhaites effectuer pour la cause, genre hein, prendre des risques ou simplement aider à la prise en charge de personne en difficulté etc… enfin, je suis sur que tu vas rencontrer Malachi, c’est quelqu’un d’incroyable, de vraiment génial, tu verras…

Il y avait surement d’autres subtilités, mais il n’était pas un expert, et Malachi arriverait surement à mettre à l’aise la jeune femme, comme il le faisait avec tout le monde. Du coin de l’œil, il remarqua que son explication avait fait vaguement tiquer le frangin, aussi il se dépécha de préciser :

- Oui enfin après moi je ne suis qu’un intermédiaire, et puis peut être que ça ne te conviendra pas… ça arrive hein, des fois, certaines personnes préfèrent se rapprocher des insurgency, qui sont un peu plus … actifs matériellement … nous on est beaucoup dans la protection, la recherche d’information, l’enseignement aux enfants aussi … C’est impression le nombre de gamins qui se révèlent mutants, de plus en plus tôt même et… hum, bon, je suppose que tu n’en as pas grand-chose à faire de toute façon de mon bavardage, haha. Vous, euh, vous voulez que je vous laisse le temps que Malachi arrive ? Vous avez, euh, surement des tas de trucs à vous dire sans m’avoir dans les pattes, je comprendrais hein …

Si elle tenait un peu à Rosa…. Un peu plus et elle aurait balancé son bon sens aux oubliettes pour lui en coller une. Là, en plein milieu du salon d‘un inconnu qui pourrait devenir un allié non négligeable. La bagarre n‘aurait pas été belle. Ils avaient beau bouffer des pâquerettes vu leurs tailles qui n‘atteignaient pas des sommets, les dégâts qu‘ils étaient capable de causer n‘en étaient pas moindres. Mais bon sang que ça la démangeait.

-Parce que tu crois qu‘elle nous a laisser le choix avant de venir te trouver ? Avec ou sans accord elle serait parvenu jusqu’à toi.

Non, là dessus, tous les Velasquez se ressemblaient. Tous têtus comme des mules et avec des idées bien arrêtées. Une fois lancés, il était presque impossible de les arrêter ou de les raisonner. Obstinés, têtes brûlées, incapables de rester sagement sur place. Voilà qui les décrivait, les réunissait malgré le mépris qu‘ils éprouvaient l‘un pour l‘autre. Ils avaient beau se montrer les crocs, le sang ne mentait pas. Ils étaient faits pareil.

Savoir que sa propre mort ne lui ferait rien ne la secoua pas. De la bouche de Julian et de Sebastian, elle en aurait surement été furieuse. Mais là, elle s‘y attendait. Ces mots la blasaient plus qu‘autre chose. Elle avait fait une croix sur cette relation fraternelle le jour où il les avait abandonné sans explications.

-En te servant de ton cerveau tu aurais compris qu‘on prévient pour ce genre de nouvelles.

Mais elle ne pouvait plus rien y changer, juste s‘y faire et digérer la nouvelle qui faisait bouillir son sang. Quelqu‘un s‘en était pris à un membre de sa famille. Un foutu chasseur avait tué à sa soeur. Même si cela avait été directement. Ce groupe de personnes commençait très sérieusement à lui taper sur les nerfs.

Et puis quelque chose changea dans le comportement de son aîné. Dans sa façon de parler, sa posture.  De quoi la faire tiquer malgré la haine qui continuait de hurler sous la surface.De manière assez subtile, certes, mais à cause d'un nom :Malachi. Le propriétaire du Manoir et un des hauts placés d‘Uprising. La brune suivit son frère du regard alors qu‘il quittait la pièce, claquant la porte derrière lui. Elle finirait bien par trouver ce qui clochait. D‘autres engueulades se profilaient déjà. Ses reproches, elle aurait le temps de les lui envoyer à la figure le long des prochains mois. Elle ne resterait sûrement pas plus d‘une année ou deux, mais cela suffirait.

Son attention se reporta sur le pompier et elle retrouva un semblant de calme. De sang froid. Dhan, lui, n‘avait rien demandé dans toute cette histoire, et le voilà qui se trouvait aux prises avec un conflit familial. Une position fort désagréable.

-C‘est pas qu‘un bavardage, Ce que tu dis est utile, ça permet de comprendre la différence entre les deux organisations. Après, j‘te cache pas que je suis plus dans l‘action, comme l‘a dit Alejandro. C‘est une caractéristique Velasquez faut croire. Mais les missions de protection et la recherche d‘informations ça peut être dans mes cordes.

Pour ce qui était de juger de l‘honnêteté… Elle en plaignait presque ce Malachi. Si elle n‘avait pas de mauvaises intentions envers Uprising, la mort de Rosa la mettait dans un état de nervosité palpable.

-Si tu dis que l‘on peut faire confiance à Malachi, je te crois.

Jusqu‘à maintenant, le pompier était bien le seul qui ne l‘avait pas déçu. Elle acceptait de le croire, de baisser un minimum ses barrières face à lui. Un exploit en soi. Surtout dans une telle situation.

-Par contre, faut que je passe un appel. Je dois prévenir le reste de la famille pour… La mort de Rosa. J‘vais le faire sur la terrasse.

Pour la première fois, la jeune femme montrait autre chose que de la colère pure. La douleur transparaissait dans son regard et sa posture, malgré son expression qui se voulait impassible. Ce coup de fil ne serait certainement pas une partie de plaisir.

-Merci pour ta patience.

Autre fait rare de sa part. Ca n'avait été qu'un filet de voix, mais suffisant pour qu'il l'entende. Puis elle sortit son téléphone et composa le numéro de Sebastian, tout en se dirigeant vers l'extérieur. L'air frais lui permettrait de garder les pieds sur terre. Elle en aurait bien besoin.