-poppy & ivory-

no one ever said it would be this hard

Dire que c’était légèrement le bordel et que sa situation était problématique était un doux euphémisme. Les choses auxquels Ivory devaient penser commençait à méchamment s’entasser et elle ne savait même pas par où commencer. Entre Charlie, Roman, son père et sa mutation qui n’était déjà pas tout à fait sous contrôle avant et qui l’était encore moins maintenant, elle avait pas mal de grain à moudre et aucun plan d’attaque. Une vraie partie de plaisir. Charlie, il fallait qu’elle lui parle, c’était la seule chose réellement logique à faire mais, ça la terrifiait en même temps parce qu’elle voulait savoir, vraiment découvrir qui était la femme pour qui elle avait des sentiments plus ou moins assumé. Roman, elle avait déjà vaguement commencé à voyager entre l’appart’ et le manoir, à tenter de trouver des solutions pour... et bien pour ne pas y laisser sa peau de mutante. Sa mutation, elle était en train d’y travailler, ce qui n’avait rien d’évident. Elle devait plus ou moins songer à tout en même temps parce que tout était lié ou presque. Ne restait qu’une seule chose facile éliminable de sa liste, Shaun.
Shaun était mort, enterré pour que personne ne sache ce qui était arrivé et il était hors de question que Seth paie pour un connard. D’accord, les choses ne passaient pas exactement pour le mieux et elle avait parfois un pincement au cœur ou un moment de tristesse quand elle repensait à leurs moments à deux avant qu’il ne sache... Mais, à sa grande surprise, elle n’avait pas été abattue par la nouvelle et s’était demandé un moment si c’était normal. Elle qui était toujours très émotionnelle, touchée par les morts ou les blessés, elle ne ressentait pas l’atroce peine qu’elle avait pu ressentir pour d’autres choses. Elle s’en voulait de ne pas ressentir ce qu’elle devait ressentir. Peut-être cela viendrait-il plus tard mais, elle en doutait. Elle réagissait toujours très vite, à chaud et là, rien ne venait vraiment. Il faudrait peut-être qu’elle en discute avec Malachi mais, en attendant, elle avait une chose à faire, s’occuper des affaires de Shaun. Il était porté disparu -par son travail sans doute, ou le reste de la famille, pour ce qu’elle en savait- et elle devait absolument fouiller l’antre de cet espèce de cinglé. S’il avait des choses sur elle, elle devait les trouver et s’en débarrasser avant que ses petits potes chasseurs ne mettent la main dessus. Pareil si des choses concernaient ses amis. Même mort, il risquait de leur attirer des emmerdes, un comble.

Pietra avait récupéré des choses sur le corps quand elle l’avait dissimulé pour éviter des problèmes à Seth et dans le tas, il y avait eu les clefs. Elle avait été reconnaissante pour ça parce qu’elle se voyait franchement très mal muter pour s’utiliser comme bélier pour défoncer la porte d’un appartement. Non seulement c’était pas discret mais c’était aussi sacrément bruyant.
Depuis quelques minutes, Ivory cherchait tout ce qu’elle pouvait trouver et tout ce qu’elle devait faire disparaître. Elle avait déjà récupéré un bon paquet de photos prises dans la rue, au bar, au resto ou à l’école et c’était franchement angoissant comme perspective. Il l’avait suivie ou fait suivre, c’était glauque. Elle s’empresserait de brûler tout ça en rentrant au manoir, hors de question qu’elle garde l’expression malsaine de la folie de son taré de père. Elle était en train de fouiller dans ses papiers quand elle entendit une voix proche d’un vieux souvenir, une voix qu’elle n’avait pas entendue depuis des années. Elle fronça les sourcils et se retourna pour croiser un regard qu’elle reconnaîtrait n’importe où : celui de sa sœur.

- « Poppy ? »

Celle-là, c’était la meilleure. Vraiment la meilleure de l’année. Sa sœur, chez leur père. C’était un canular pas vrai ? Elle ne pouvait pas être devant sa sœur bon sang. Intérieurement, elle jura comme une charretière. C’était pas prévu ça. Elle ne voulait plus avoir aucun contact avec sa famille et ça incluait son frère et sa sœur. Manquait plus que la mère et la tante et ce serait un combo gagnant. Par réflexe, quand sa sœur s’approcha, elle recula. Ah ça non, elle n’était pas prête pour les embrassades et les câlins.

- « ... » Silence. Il allait falloir faire bien mieux que ça en terme d’explication. C’était pas très clair. « Minute... Tu m’as cherché ? Shaun t’as pas dit que j’étais en ville ? Putain... c’est bien lui ça. Connard. »

Ce qu’elle faisait là par contre, c’était... compliqué à expliquer. Elle se voyait mal regarder sa sœur dans les yeux et lui : « Hey, mon meilleur pote a tué notre psychopathe de père, du coup, j’suis venue récupérer et cramer les trucs qui me concerne moi et ma mutation, ça va ? ». Clairement pas une bonne approche.

- « J’ai un oignon à peler avec Shaun, avec toi aussi cela dit. Et toi, pourquoi t’es là ? »

Pas la meilleure entrée en matière du monde mais, il ne fallait pas s’attendre à mieux alors que toute la famille l’avait abandonnée. Elle n’avait -de toute évidence- pas pardonner Shaun et avait même une façon bien à elle d’encaisser sa mort. Elle pourrait encore moins pardonner Lauren pour ce qu’elle lui avait fait avec la complicité de sa tante. Pour ce qui était de Poppy, il y avait matière à débattre.

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Les câlins dans la famille, c’était pas vraiment son truc à Ivory. Elle en avait trop vu avec eux, beaucoup trop pour que ça se passe vraiment en douceur. Poppy était peut-être à faire comme si tout allait bien mais, ça n’était pas son cas à elle. Mieux valait ne pas aller plus vite que la musique, d’autant plus qu’elle ne savait pas quelle réaction pouvait avoir sa sœur en sa présence au final. Dix ans, dix longues années, ça ne s’effaçait pas comme ça, pas quand elle avait été jetée dehors, envoyée en exil presque, parce qu’elle avait été le monstre de la famille, l’anomalie à dissimuler. Elle avait tout juste eu la chance de ne plus avoir vécu avec l’un d’eux quand le vaccin avait été mis sur le marché. Aucun doute que leur mère, leur tante ou leur père se serait chargé de lui enlever cette part d’elle-même. Au moins n’avait-elle plus à craindre Shaun. Le fait qu’il ne lui ait pas dit que Poppy était là, ça n’avait rien de bien surprenant non plus. Diviser pour mieux régner, ça avait dû être la tactique de monsieur l’ancien militaire de service. Tu parles d’une famille. En tout cas, si sa sœur espérait que la discussion serait remplie d’amabilité et de politesse en tout genre, elle se plantait.
Devant sa sœur, plantée sur ses deux pieds, la main sur un tas de papiers, elle attendait. Maintenant que Poppy était devant elle, autant l’écouter. Ça ne pouvait être que plus désagréable que Shaun de toute manière. Au moins, elle était nerveuse, Ivo pouvait comprendre ça et surtout, c’était bon signe à ses yeux. Ça voulait dire qu’elle était mal à l’aise et donc peut-être consciente qu’elle avait gravement merdé, autant que leur parent. Mais, quand Poppy lui dit qu’il paraissait qu’elle vivait là, elle plissa les yeux. Alors sa mère n’avait même pas dit où elle l’avait envoyée ? Sans déconner ? Agacée, elle attendit la suite. Elle éclata carrément de rire quand elle l’eut la suite. La mâchoire serrée, elle s’interrompit bien vite. C’était vraiment le type même du rire forcé, du rire sans joie.

- « C’est une blague ? Ils savaient très bien où j’étais ! Au moins jusqu’à ce que je déménage. Ils me dégoûtent. » Elle n’avait même pas envie de prononcer leur nom tellement ça l’énervait. C’était leur donner de la légitimité sur sa vie qu’ils n’avaient pas, qu’ils n’avaient plus. « On sera plus jamais une famille Poppy, on l’est plus depuis des années. Spencer et toi, c’était facile pour vous à la maison, tellement facile que vous avez choisi de m’ignorer. Moi, Lauren me détestait. Elle m’a envoyé chez Lyna dès qu’elle a pu. Ils se sont débarrassés de la chose gênante que j’étais, rien de moins. J’étais une honte, un monstre. Viens pas me parler de famille, ça fait plus de dix quand que j’ai perdu la mienne. »

C’était dur, elle le savait mais il fallait que ça sorte. Ils avaient tous une part de responsabilité. Pas elle. Elle aurait dû faire quoi ? Tendre l’autre joue ? Attendre de se faire descendre avec le sourire ? Non. Ça, c’était beaucoup demander, à n’importe qui. Elle avait choisi de vivre, pas d’attendre la mort, parce que, elle était lucide, ça aurait fini par arriver.

- « Tu veux qu’on renoue toi et moi ? Bien. Mais me demande pas de faire comme si tout allait bien parce que c’est faux. Et si c’est pour m’étaler les idéaux de la famille, tu peux oublier. C’est même pas la peine d’essayer. J’en ai chié assez. »

Là non plus, elle n’était pas juste mais, autant poser les bases tout de suite de sorte qu’elle comprenne que les conneries religieuses et les saloperies anti-transmutants, elle pouvait les garder. C’était terminé pour elle de faire semblant. Elle le faisait déjà assez comme ça pour rester en vie. Elle avait d’autres préoccupations en tête en ce moment. Shaun n’était plus une menace mais il y en avait d’autres des comme lui et des pires même… en parlant de lui, la question finit par tomber. Se mordant la lèvre, elle inspira. Comment dire ça ? Mon meilleur ami l’a tué ? Non, définitivement pas.

- « Tu devrais t’asseoir. »

À elle, ça ne lui faisait rien, elle culpabilisait d’ailleurs assez à ce sujet mais, elle ne pouvait pas oublier de prendre en compte les sentiments de sa sœur envers son père. Il avait toujours été correct avec Poppy, pour ce qu’elle en savait puisqu’elle ne savait plus rien depuis longtemps.

-poppy & ivory-

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Oh, Ivory se doutait bien que Poppy n’avait rien vu, pas compris ce qui s’était réellement passé pendant ces années. C’était si facile d’ignorer les problèmes quand ça ne nous concernait pas directement. Le but n’était pas de blesser sa sœur, ça n’était qu’une conséquence. Ivo souhaitait juste qu’elle ouvre les yeux, qu’elle comprenne l’enfer qu’avait été sa vie dans cette famille. Bien sûr, il y avait pire, bien pire même. Rien que l’histoire de Charlie était l’horreur personnifiée, mais ça n’était pas son histoire et ce qu’elle avait vécu avait impacté sur elle. Chaque histoire était différente, pas moins ni plus importante. Cette histoire-là, il était temps que Poppy en ait une autre version. Une version nettement moins mignonne de ce qu’elle avait pu se construire au fil des années.
Ça non, ça n’aurait jamais dû se passer comme ça, c’est sûr. Aucune parent ne devrait traiter ses enfants de cette façon, c’était l’évidence même. Mais c’était trop tard, ce qui était fait était fait. Evidemment que Poppy était désolée, sa sœur était le summum de ce qu’on pouvait qualifier de bisounours. Elle-même en était un au fond, mais pas que. Elle avait ouvert les yeux sur pas mal de choses et ça n’était pas terminé.

Seulement voilà, dans le tableau des retrouvailles, il y avait ce lieu. L’appart’ de leur père, un appart’ où elle se trouvait uniquement parce qu’elle devait faire disparaître un tas de trucs plus ou moins nuisible pour elle et pour d’autres. Comme Seth par exemple, ou n’importe quel mutant du reste. Toutes les photos, les comptes rendus, tout ça devait disparaître, finir en cendre et elle allait s’en charger. Mais avant tout, il fallait qu’elle dise à sa sœur qu’elle n’aurait jamais à envoyer chier leur père puisqu’il était mort et que la menace qu’il représentait n’était plus. Ennuyée, ne sachant pas trop comment lui annoncer la chose, Ivory finit par se décider, laissant pour le moment la remarque comme quoi Alice n’existait plus. Chaque chose en son temps.

- « Shaun est mort. Il a été tué… » Il n’y avait aucune bonne façon d’annoncer la nouvelle. « Tu ne trouveras pas de pierre tombale. La façon dont c’est arrivé… C’était des circonstances particulières et je ne veux pas que ça se sache. Je te dirai où il est, si tu me promets de ne jamais y aller. »

Parce que c’était trop risqué qu’on déterre son corps, trop risqué pour Seth, pour Pietra et même pour elle. Shaun était un chasseur et à n’en pas douter, il avait des amis comme lui. Ivo devait expliqué à Poppy comment c’était arrivé sans entrer dans les détails. Il fallait qu’elle comprenne que ça n’aurait jamais dû arrivé mais que c’était pourtant arrivé. Le pire, c’était peut-être que les choses auraient pu être bien pire si Ivo connaissait le nom du responsable de la vaccination de Seth, pire si sa sœur apprenait qu’indirectement son patron était responsable de la mort de ce père que la blonde aimait, à juste titre dans son cas. Tout n’était qu’un foutu cercle vicieux.

- « Je ne veux pas qu’on cherche qui a fait ça. Je le sais et je ne ferai rien. Cette personne n’était pas dans son état normal et ne voulait pas sa mort. C’était un accident et Shaun a dépassé les bornes, comme toujours, convaincu de son bon droit. Il n’a pas vu la menace… »

Tout comme elle ne l’avait pas vu dans un premier temps. Dans cet état, Seth n’avait plus rien de lui-même. Juste une copie physique de son meilleur ami. Elle ne l’avait compris qu’après s’être fait tiré dessus. Alors à n’en pas douter, Shaune avait présumé de ses chances, avait poussé les choses trop loin et il en avait fallu très peu à Seth, probablement, puisqu’il savait avoir en face de lui un chasseur. Ivory n’était pas triste pour celui que sa sœur appelait papa… et ça se voyait. Elle passerait sans doute pour un monstre, un vrai cette fois, mais qu’à cela ne tienne. Elle n’allait pas mentir. Dans le puzzle de vase brisé qu’était leur famille, elle était un morceau qui ne se raccrochait plus. Il avait été beaucoup trop loin, trop souvent.

- « Je suis désolée pour toi, de te l’apprendre comme ça. Je sais qu’il comptait beaucoup. Qu’avec toi, c’était quelqu’un de bien. »

Avec Poppy uniquement, avec la famille saine, avec les humains… pas avec les transmutants, pas avec elle.