L’hôpital n’avait plus aucun secret pour moi. En réalité, il n’avait plus aucun secret pour personne dans cette ville et c’était bien triste. Moi, je l’ai d’abord connu en long en large et en travers à cause de ma mutation. Enfant, je devais souvent me rendre dans des hôpitaux à cause des chocs électriques dû à ma propre mutation. Seul mon grand-père, politicien, parvenait à faire taire toute discussion sur mes hospitalisations. C’était plus compliqué maintenant que j’étais livrée à moi-même, à Radcliff et non à Détroit. Me garant dans le parking d’un hôpital que je connaissais par cœur, après tout, il n’y en avait qu’un à Radcliff, je doutais. « Est-ce que c’est que c’est une bonne idée ?... » Me parlais-je à moi-même ou à Blake qui se trouvait à ma droite ? Mon regard dévia sur l’une des personnes les plus importantes dans mon petit monde. « On évite les urgences. » Ce n’était pas seulement pour elle et sa capacité extraordinaire. Je me méfiais d’un urgentiste. Ce dernier avait déjà posé ses mains sur moi après que j’ai demandé une consultation. Il a été le premier à comprendre pour l’électricité. « Cette histoire m’inquiète. On ne sait pas qui se trouve véritablement là-bas. » Retirant ma ceinture de sécurité, je me tourne vers celle qui est pour moi ma sœur, ma seconde sœur. « Je suis peut-être trop prudente, mais c’est parce que je ne veux pas que tu cours le moindre risque. Évidemment, selon sur qui on tombe… Je peux aider, mais on deviendra rapidement des cibles. Non pas que l’idée de parcourir le pays avec des lunettes de soleil à tes côtés me dérange… Mais, peut-être qu’il y a un moyen moins… Brusque, pour que tu reprennes possession de ton don. »

Coupant le moteur, je range la clef de voiture dans ma poche de pantalon. « Sinon je kidnappe des enfants et je les amène ici un à un ?... On pourrait former une grande famille. » Lançais-je avec un humour noir déplacé en haussant les sourcils. Me mordillant l’intérieur de la lèvre, je doutais. Se jeter dans la gueule du loup ne ferait pas de nous des héroïnes, mais des idiotes. Pourtant, les méthodes les plus violentes sont parfois les meilleurs. « Tu serais capable de reconnaître un hunter ?... » Cette question-là n’était malheureusement pas une blague. Je ne connaissais pas les limites du pouvoir de Blake, comme, finalement, j’ignorais les miennes. Tout ce que je savais, c’est que mon propre pouvoir pouvait me tuer si j’en abusais. Contrairement à d’autres, j’en étais satisfaite, cela me permettait plus que d’autres d’avoir les pieds sur Terre et le sens des responsabilités. Dans un monde meilleur, j’aurai préféré un pouvoir comme celui de mon amie, l’offensif n’était pas fait pour moi. Du moins, je retenais ce côté de ma personnalité de toutes mes forces.

Ce monde était étrange et imprévisible. Blake était venue à mon aide, alors que je pensais que je finirai par toujours me débrouiller seule. J’avais beau avoir des amis, il n’y a qu’elle que j’ai laissé approcher de moi et mon don. Elle était devenue ma famille et elle comptait autant pour moi que Faith, qui était mon propre sang. Bien que Blake ignore son existence. Parce que je taisais à tous ce lien de parenté, il le fallait. Blake avait sans doute des secrets aussi pour moi, mais un lien de sang, réel ou non, ne s’arrête pas à ce genre de barrières idiotes. Parfois, il faut aller au-delà des apparences. Le regard en dit long et Blake avait fini par parvenir à me faire contrôler ce don tellement imprévisible.

Pour tout avouer, je n’aurai jamais cru voir cette femme forte et combative perdre le contrôle sur son don. Je me trouvais maladroite et idiote alors que je n’avais qu’une seule envie : lui venir en aide. Dans mon malheur, j’avais de la chance, au moins l’une des deux femmes les plus importantes de ma vie ne me jetais pas quand je voulais lui venir en aide. « Si tu es sûre de toi, je le suis aussi. » Achevais-je, repoussant mes doutes. Seule Blake comptait en cet instant précis et peu importe si on finissait par avoir des hunters aux trousses. Je ne laisserai personne toucher à un seul de ses cheveux.

La douleur était quelque chose que je maîtrisais. A une certaine échelle bien sûr, mais j’avais appris à la taire. C’était soit vivre avec, soit mourir. Depuis l’enfance, l’électricité qui parcours mon corps me blesse et me torture et pourtant, aujourd’hui, je donnerai beaucoup pour garder mon don. Souffrir, avoir mal, ressentir quelque chose, même si cela est néfaste… Cela nous prouve que l’on est en vie. Peu de personnes y pensent et pourtant, il y a-t-il vraiment un jour sans que l’on se fasse mal au moins une fois ? La douleur en elle-même ne doit pas forcément être violente, mais elle nous rappelle que nous sommes humains et vivants. Bien sûr, je ferai moins la maline si on me torturait avec autre chose que de l’électricité mais bon… Qu’est-ce qui avait fait que le pouvoir de Blake lui avait tant échappé ? On est humains, ou mutants si l’espèce humanoïde tient tant à se diviser… Parfois on maîtrise quelque chose et l’espace d’un instant, on perd son contrôle et tout bascule. Seulement voilà, les mutants se font ronger par des humains qui se croient malins de s’en prendre à nous, alors, je me posais la question. Qu’était-il réellement arrivé au pouvoir de Blake finalement ?

Je n’étais pas à la place de Blake, je ne le serai jamais et injustement, Blake pouvait se mettre à ma place. Pire, on le lui imposait ces derniers temps. C’était une chance que je sache me maîtriser en sa compagnie. Inutile de lui faire vivre des moments pénibles rien qu’en ma présence. Mon souci avait été d’aller au-delà de ma douleur physique, la mienne. Pas celles des autres. Le pari de Blake était bien plus lourd que le mien et peut-être avais-je eu tort finalement. Était-ce une bonne idée de l’emmener dans cet enfer ? Je le voyais déjà à sa tête, bien que je prenais le monopole de la parole, comme si je voulais déjà combler les trous que ma sœur affective allait imposer. Ma mauvaise blague tombe à l’eau et j’ai comme le sentiment d’avoir mis les deux pieds dans le plat. « Pas de grande famille alors… » A bien y regarder, j’étais loin d’être le bon exemple en famille accomplie de toute façon.

Finalement Blake répondait à mes inquiétudes. Mon plus gros souci, en réalité, c’est que j’estimais que l’on devait avoir le choix. Et cette… Invention de bracelets me donnait envie de vomir. On n’était pas des animaux à abattre, mais on était devenu le nouveau jouet des gens tarés. Nous n’étions qu’une excuse alors que, maintenant, même si je sais que c’est de la haine envers les chasseurs, je tiens à le proclamer : nous leur sommes supérieurs. Ils ne sont que des insectes sous nos bottes. Ne répondant que par des sourires énigmatiques, je gardais tout en tête, pour une raison évidente. Lui occuper l’esprit le moment venu. D’ailleurs, dans la cage d’ascenseur, je le sentais. Bien sûr, je n’avais pas ses dons, mais je le voyais à ses traits et sa façon de se crisper. Alors que la jeune femme commençait à dire à haute voix que ça n’allait pas, je lui prenais les mains, les serrant légèrement. Je ne quittais pas son regard et j’étais même très insistante là-dessus. « Blake, concentre-toi sur moi. Il n’y a que moi et toi… Il n’y a personne d’autres. C’est bien d’être compatissante, mais si tu continues, ça va te tuer. » Autre blague nulle, j’étais à deux doigts d’écrire un livre si ça continuait. « Ecoute-moi, tu maîtrisais ton don avant, cela te paraissait naturel. Il faut que ça le redevienne. Ce n’est pas si compliqué que cela si tu… » Mais les portes de l’ascenseur s’ouvraient déjà et je m’avançais dans le couloir, gardant malgré tout une main sur le bras de Blake. « C’est comme un tic ou un toc. On a beaucoup de mal à s’en détacher. Il suffit d’en trouver un autre pour se détacher du précédent. Essaie de te concentrer sur moi ou sur n’importe quelle chambre… Une infirmière par exemple ! Accroche-toi à la première infirmière que tu verras passer. Imagine-toi que tu es dans un train. Notre regard à tendance à se poser sur un objet pour pouvoir contempler tout le paysage. Fais pareil. Ne ressent réellement que pour une seule personne, prends seulement connaissance de ce qui arrive aux autres sans le ressentir. Je sais que tu peux le faire Blake. Non, ce n’est pas facile. Oui, j’imagine que ça fait très mal. Mais à tout casser, tu as cinq minutes pour paraitre suffisamment normal, parce que l’on ne restera pas longtemps seule dans ce couloir. » Notais-je pour conclure, essayant toujours de capter son regard.